Edan
Interview

Edan

Décembre 2005. Vingt-septième édition des Transmusicales de Rennes. Rencontre avec Edan, où il est question de rock psychédélique, de brocolis et de Quincy Jones.

et

Abcdr : Comment as-tu façonné ton style de production ?

Edan : Je pense que je suis comme une éponge qui absorbe tout et en plus j’écoute un paquet de trucs ! [rires] En fait je mélange toutes ces musiques dans un mixer, je coupe le tout en dés et voilà le résultat.

Mais en même temps, quand tu es une éponge, tu es aussi à la recherche de ta propre identité. Les gens ont une bonne image de toi, une image qui rassemble et touche tout le monde. Je suis à la recherche de ces grands moments de réussites humaines qui sont, pour moi, une source d’inspiration. Au final, tu es obligé d’être toi-même alors chacun des sons de cet album viennent de moi. Oui, dans tous les cas, c’est juste moi en train de faire un album de rap.

A : D’où te vient ce coté très psychédélique franchement omniprésent dans ton dernier album, The Beauty and the Beat ?

E : J’aime que la musique soit aussi vive et chatoyante que possible. Tu sais, je veux être émerveillé par la musique. Quand tu es plus jeune, tu es fasciné par à peu près tout ce que tu vois, tout est source d’émerveillement. J’aime les choses étranges, les concepts surréalistes, tout ce qui peut me faire ressentir de nouveau cet émerveillement que j’ai ressenti quand je suis sorti du ventre de ma mère. Je dois sûrement toujours rechercher ça.

Après le coté psychédélique, c’est juste un mot et c’est aussi une étiquette. Mais au-delà de ça, j’essaie juste de trouver la meilleure alchimie pour que ma musique soit aussi bonne que possible. Comment faire pour que ma musique soit encore meilleure et plus jouissive pour l’auditeur ? Moi, je considère que c’est en la rendant plus vive, en lui donnant plus de luminosité, d’épaisseur, de couleurs et d’activité. Voilà ce que j’essaie de faire.

Quand tu écoutes mon disque, même s’il ne fait que trente-cinq minutes, je veux que tu aies l’impression d’entrer dans un autre univers ou un palais des glaces, où dans le couloir chaque porte cache un plaisir différent. Tu ouvres une première porte et tu vas te retrouver face à un oeuf noir en lévitation au centre de la pièce, tu ouvres une autre porte tu vois quelqu’un en train de manger une tonne de brocolis… J’en ai rien à foutre, je veux juste que ça t’amuse.

Tu sais, j’essaie de m’inscrire dans cette longue lignée d’artistes qui m’ont précédé. Je tire mon chapeau à cette immense famille et à cette lignée d’hommes qui ont fait preuve d’imagination. Désolé, c’était une putain de longue réponse ! [rires]

A : Pas de problème, c’était bien intéressant. Sinon je sais que t’aimes particulièrement le rap du milieu des années quatre-vingt…

E : …oui, je considère qu’il y a des incontournables dans le Hip-Hop. Après, j’aime aussi le rap du début des années quatre-vingt et plus encore celui de la fin des années soixante-dix, c’est même celui que je préfère.

A : Tu as vu le clip de ‘Rapcats’ ? [ndlr : morceau de Quasimoto A.K.A Madlib, le clip est composé de multiples images d’archives de rappeurs de ces époques]

E : Oui, en fait je connais Andrew Gura, le réalisateur. Il m’avait fait signe plusieurs fois pour qu’on bosse ensemble. Donc oui j’ai vu le clip de ‘Rapcats’ et ça me parle.

A : Tu te sens proche de trucs comme ça ?

E : J’aime les trucs comme ça ! J’étais ce petit garçon blanc qui à dix ans regardait Yo ! MTV Raps [rires] Après j’ai juste fouillé davantage parce que, comme je t’ai dit tout à l’heure, je suis une éponge.

« Un grand cuisinier, il peut couper des oignons toute la journée pour essayer de te faire kiffer. »

A : Tu absorbes toutes les musiques ?

E : J’absorbe tout, pas uniquement la musique, mais aussi l’amour. Les grandes oeuvres artistiques viennent de l’amour. Elles viennent à moitié de l’amour, à moitié de Dieu. Pas Dieu dans le sens très religieux mais plutôt dans le sens immensité divine. Le Hip-Hop c’est juste Dieu qui agit parmi nous. Les gars qui se sont lancés là-dedans, ils étaient opprimés, ils avaient peu de choses, c’est avec tout l’amour qui était dans leur coeur et leur imagination qu’ils ont pu améliorer leur quotidien, quand ce quotidien était quelque part décevant. Kool Herc, Melle Mel, ce sont de grands musiciens et ils ont fait en sorte que leur existence soit meilleure, en faisant preuve d’imagination, de coeur et d’esprit. Tout est là.

Ça se passe comme ça dans le monde entier et dans différents registres, pas uniquement dans la musique. Un grand cuisinier, il peut couper des oignons toute la journée pour essayer de te faire kiffer. Ce que je te dis te semble peut-être un peu fleur bleue. Après, tu peux lui donner différents noms, le Hip-Hop c’est une facette de l’amour, de la poésie, de la danse, de la cuisine ou juste le fait d’être sympa avec quelqu’un tu peux croiser dans la rue. C’est toute cette énergie dont j’essaie de profiter.

A : Pour être plus précis, comment tu les cuisines ces oignons ? [rires] Tu utilises des oignons frais ? Comment est-ce que tu les tranches ? Tu ajoutes des légumes frais avec ta cuisine ?

E : C’est marrant, ça change souvent. Par exemple ces derniers temps et avec The Beauty and The Beat, je n’ai pas fait de morceaux tous les jours. Avant je faisais un morceau par jour parfois même deux. Je balançais tout sur le mur et je voyais ce qui restait collé. Maintenant, il m’arrive de ne pas faire de musiques pendant quinze jours, alors je déprime un peu, je me remets en question, je ne fais rien en me disant que je suis paresseux. Quand je suis dos au mur, j’essaie de créer quelque chose et là je fais des trucs mortels. Parce que je crée à un moment où j’ai besoin de me prouver des choses. Travailler comme ça me prend plus de temps mais une fois le moment venu, tout me semble très clair.

Je n’avais pas beaucoup de morceaux supplémentaires pour cet album. J’ai eu des hauts et des bas, quelques moments difficiles dont je suis sorti [rires.] Non c’est vrai.

A : Tu es venu à Rennes avec Insight, avec lequel tu formes Duplexx, et Dagha. Qu’est-ce qui vous a réuni ?

E : Tu sais c’est assez simple, on a juste envie de faire des trucs ensemble. Insight est un mec très talentueux et on a les même références et critères pour plein de trucs. On s’apprécie donc on bosse ensemble, on fait des concerts et peut-être même qu’on fera un album ensemble en tant que Duplexx. Et si ça ne se fait pas, ben tant pis.

On fait juste ça par amour pour la musique et pour en vivre. C’est une vraie chance de pouvoir faire des concerts avec Insight et Dagha. Après on fera un album…ou on en fera pas. On y a pas vraiment réfléchi et on a pas établi un super plan marketing de folie.

A : Puisque tu parles des albums sortis cette année, qu’est-ce que tu as écouté de récent ?

E : J’ai écouté un peu ce que peut faire Dungen. C’est un groupe suédois ou un truc comme ça. En tout cas ils viennent d’Europe. Ils font une espèce de rock psychédélique. J’ai écouté quelques albums de rap aussi. Quelqu’un m’a fait écouter le dernier album de Common, celui de Kanye West aussi. Après, Kanye ce n’est pas le genre de trucs que je cherche, à vrai dire ce sont plutôt eux qui te trouvent ! [rires] Alors disons que je les laisse me trouver, je ne cherche pas.

Après, peu importe si la musique est nouvelle ou ancienne. J’écoutais aussi pas mal Bob Dylan ces derniers temps. Quoi d’autre ? Un paquet de trucs très différents. J’aime beaucoup les live tapes comme celles de Cold Crush, Master Don Committee ou Treacherous Three, leurs trucs sont mortels. Si vous pouvez mettre la main là-dessus, hésitez pas.

A : Comment es-tu rentré en contact avec Percee P ?

E : Percee c’est vraiment un mec très cool. Je me souviens l’avoir vu à un concert à Washington, et à un autre à New-York aux Wetlands. Je lui ai juste fait savoir que j’appréciais ce qu’il pouvait faire, comme pas mal de monde l’a fait. J’avais écrit ce couplet en pensant un peu à un mec comme Percee. Je pense que j’ai eu cette idée deux ans avant que le morceau ne se fasse. Au final, je suis ravi que ça ait pu se concrétiser.

A : Apparemment il va sortir un album sur Stones Throw. Tu seras dessus ?

E : J’ai de bons contacts avec les mecs de Stones Throw mais je pense que Madlib va produire la plupart de l’album. Mais s’ils veulent de mon aide, je serais content de filer un coup de main. J’ai aussi fait un truc avec Cut Chemist pour son album solo. J’ai fait un couplet en plus qui pourrait figurer sur une face B, un morceau où on samplait des cassettes. Chopez l’album solo de Cut Chemist, il sort début 2006 [NDLR : l’interview a été réalisée début décembre]. Après, si je peux bosser sur le projet de Percee… ben ce serait mortel. Egon ou Wolf contactez moi et on fera ça !

« J’aime aussi la sincérité des trucs qui ne sonnent pas comme trop parfaits. »

A : C’est comment le rap à Boston aujourd’hui ? Comment a-t-il évolué pour tout ce qui est scènes et labels ?

E : La scène est plus ou moins morte. C’était plus excitant il y a quelques années quand tous ces groupes lançaient leurs carrières au même moment, avec des mecs comme Akrobatik, Lif ou 7L & Esoteric. La scène Hip-Hop était vraiment de qualité à cette époque-là et je ne crois pas que les gens se soient rendu compte de ce qui se passait. A ce moment là, c’était vraiment bien mais ces groupes ont suivi leur propre chemin et ont essayé de dépasser le cadre de la scène locale, donc il ne se passe plus grand chose à Boston.

Après, ces derniers temps avec Insight et Dagha, quand on fait un concert avec Project Move (groupe qui était dans Electric Company), j’ai l’impression qu’il y a encore une scène, des groupes locaux avec de vraies affinités. Dans l’ensemble, je ne suis pas inquiet pour la scène de Boston. Je vais essayer de faire mon possible pour apporter quelque chose. Aujourd’hui, des disques sortent et même si ce n’est pas la scène la plus hallucinante où tu peux passer d’un concert à un autre et où l’inspiration est partout, ce n’est pas grave. L’inspiration est autre part.

A : J’avais lu dans ce qui devait être un communiqué de presse je crois que tu t’appelais le Quincy Jones de la mauvaise musique !

E : Oui j’avais dit ça une fois mais c’était juste une connerie. Je ne suis pas Quincy Jones, déjà il faudrait que je reste plus de trente ans dans la musique et avant tout que je fasse quelque chose de significatif. [rires] J’aime aussi la sincérité des trucs qui ne sonnent pas comme trop parfaits.

A :…et tu aimes aussi ne pas être trop sérieux ?

E : Oui, disons qu’il y a un temps pour être sérieux, un temps où il faut savoir se marrer.

A : On va devoir s’arrêter là-dessus… Je te laisse le mot de la fin.

E : Je suis extrêmement flatté d’être ici et de participer à tout ça. Voir que des gens font attention à ce que je peux faire me surprend toujours. Merci d’avoir partagé ces moments avec moi et merci pour cette interview.

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