Sidekicks

Si Jo Le Phéno figurait dans la liste des rappeurs ayant retenu l’attention de l’Abcdr à la fin du premier semestre 2016, nul n’eût alors imaginé la trajectoire que prendrait sa carrière. La lumière est arrivée sur lui en même temps que les problèmes. Les apparitions du rappeur parisien dans des titres de presse nationaux auraient de quoi être enviées par tout artiste si elles n’étaient pas dues aux mauvaises raisons. Effectivement, Le Phéno s’est attiré les foudres du ministère de l’intérieur et des syndicats policiers en raison de son morceau « Bavure », réaction musicale aux violences policières que la France connait encore. Le morceau s’inscrit dans la droite lignée des « Hécatombe » (Brassens), « Sacrifices de poulet » (Minister Amer), « Requiem pour un keuf » (Aelpeacha), un registre dont les paroliers ne se lassent pas, mais registre qui ne plaît pas aux responsables de l’ordre public et qui amène donc Jo Le Phéno à comparaître devant la justice ce 27 octobre.

En attendant la fin de ces regrettables péripéties qui s’éternisent malheureusement, l’artiste de la Banane (XXe arrondissement), poursuit son bout de chemin dans le rap à son rythme. Et si celui-ci est indéniablement ralenti depuis plusieurs mois, il a récemment pris un peu de vitesse. Jo Le Phéno a divulgué trois nouveaux titres ces dernières semaines. Parmi eux, les épisodes 3 et 4 de sa série ADT, pour « arrogant, déter’ et talentueux », sur lesquels il s’amuse avec la facilité qu’on lui connaît. L’autre morceau est le plus intéressant : « Bla bla bla », en écoute ci-dessous. On y entend un Phéno aux allures de membres caché et réchappé de la Sexion d’Assaut ante-2010, celle qui cherchait « les kickeurs, les mecs qu’on voit sur les stickers. » Et c’est un vrai plaisir.

En début d’année l’Abcdr présentait à tort le freestyle « PLS » de Freez comme étant issu de son futur EP. En fin de compte, si le titre était bel et bien annonciateur du projet, le rappeur parisien ne mettra pas le morceau sur Les Minutes vides. De ce nouvel EP, Freez vient de dévoiler le premier clip, « On’N’On ». Au menu, exercice de style(s) et rimes multisyllabiques pour un égotrip produit par Chilea’s. Le refrain est pêchu et l’ensemble, somme toute assez classique s’avère efficace. Rendez-vous pris pour le 17 novembre.

Comme chacun le sait, une nouvelle production de Cris Prolific est un événement pour le petit cœur de tout auditeur ayant été bercé au rap de la croisée des siècles. Encore plus lorsqu’elle est présente sur une compilation de qualité telle que l’est ce volume 2 de So Real International, label norvégien mais surtout universel. Au menu, des pointures américaines qui donnent une sacrée gueule à la tracklist et tout simplement de la bonne musique. Ah, et le morceau de Dakwarians (le duo composé de Cris Prolific et K Banger) est évidemment excellent, vous vous en serez douté. Promis, on vous concocte bientôt une grande et belle interview de l’ancien producteur du 45 Scientific désormais établi à Bruxelles.

Il y avait eu les trois bandanas qui comptaient des billets dans le clip de « Nayousabi », prélude à quatre autres titres mi-trap mi-chantés et salués par le petit succès de « #123 », posé avec Lecyjade. Puis il y a « Bandana », faux retour à la case départ, celle que Kespar partage avec Linkrust, le beatmaker avec lequel il a réalisé ses deux précédents projets. L’alchimie est toujours aussi redoutable et comme il l’a prouvé à chaque titre depuis dix-huit mois, Kespar est d’une polyvalence rare en plus de savoir se renouveler. Cette fois, c’est sur un instrumental où le plus dub et détraqué des reggae flirte avec un rythme syncopé que le Grenoblois pose un texte admirablement séquencé. C’est une nouvelle fois bien chanté autant que bien rappé, entre nonchalance fluide et accélérations bien découpées. « Bandana » ou une complainte en forme d’avertissement, le bandana à la place des dreadlocks et qui fait léviter le gang de ceux qui ne sont pas dupes.

Hip-Hop. Pour son premier album, en 2001, le duo Lone Catalysts avait choisi un titre on ne peut plus clair. Ça faisait un petit moment qu’on n’avait pas entendu parler d’eux, mais revoilà J. Rawls (aux manettes) et J. Sands (au micro) sur le label Effiscienz, avec un LP prévu pour novembre intitulé Culture. Avec le même esprit qu’il y a quinze ans, ce dont témoigne la pochette ainsi que le premier extrait, « Different Cities ». Du côté des invités, pas mal de gens connus de nos colonnes, notamment les Artifacts, mais aussi Mr. Complex et le vétéran Greg Nice.

En mai dernier, Le B.A.B., auteur de la série de mixtapes Amnelife, nous promettait un EP avec son compère Lo.Swing, qui rappe habituellement en anglais mais est revenu à la langue de Molière le temps de ce projet, avec réussite. « C’est différent d’Amnelife dans les prod’ et l’intention. C’est un projet sans refrain, juste du kickage. » nous avait précisé Babio le B.A.B. Promesse tenue avec ce six titres intitulé F.U.N. où les deux rappeurs se complètent à merveille. Mention spéciale au morceau « Que du vrai ». Alors, simple parenthèse ou début d’une collaboration à long terme ? Une chose est sûre, Le B.A.B. et Lo.Swing sont des artistes à suivre.

AL n’a jamais caché sa misanthropie. En 2012, il racontait être « Tout Seul ». Cinq ans plus tard, sur « Qui que vous soyez », Alain devient Alceste, comme le personnage de Molière, et envoie tout le monde chier, encore tout seul, devant l’objectif, le même flow sinueux, et l’amertume tenace sur la production nerveuse de Corrado. Celui qui « gère [sa] carrière un peu comme on se démerde en cavale » revient cet hiver avec son quatrième album, Punchlife.

Népal est le secret le mieux gardé de la 75e Session. L’an dernier, la moitié du groupe 2Fingz, qu’il compose avec Doums, avait fait forte impression grâce son projet 444 Nuits, un double album de vingt titres, séparé en version bleue et rouge. Un an plus tard, Népal sort 445e Nuit, un projet qu’il a réussi à écouler en 1.000 précommandes pour les plus déterminés, mais qu’il propose aussi en téléchargement libre sur le site 444Nuits. Une bonne raison de découvrir son univers nocturne et tortueux.

Après s’être frotté plutôt brillamment à l’art du story-telling l’an passé avec l’EP Le loup et son téléphone, Teddy The Beer revient dans un style plus personnel, bien que toujours très narratif. Son nouveau morceau, produit par Mäada, est une excursion nocturne où se croisent chimères et cauchemars. Le sommeil du rappeur est agité, ici des mauvais esprits, là des sueurs froides, et la musique pourtant douce d’une insomnie en fond sonore. Le morceau s’appelle « Bleu Nuit », et c’est à Loïk que l’on doit son clip.

New York est toujours vivante. Malgré les assauts incessants du reste du pays, la ville pomme reste le sanctuaire du rap, avec ses hauts et ses bas, ses coups d’éclat et ses moments poussifs. Marchant sur les ruines de l’âge d’or, Wiki représente les sans-dents du rap américain, les charbonneurs d’en bas qui ont grandi avec Bad Boy, Wu-Tang et Roc-A-Fella.

Membre des RATKING avec Hak et Sporting Life, Wiki écume l’underground new-yorkais depuis une demi-douzaine d’années avec un style rappelant les grands heures de l’indépendance trash de la ville, entre les élucubrations de Cage ou les provocations de RA The Rugged Man. Un peu à la manière de Mr. Muthafuckin’ eXquire, Wiki nous renvoie aux grands heures des labels Fondle’em, Def Jux ou Eastern Conference.

Maintenant en solo, son premier album No Mountains in Manhattan est signé sur le label anglais XL Recordings et marque un rapprochement avec les expérimentations londoniennes entre Grime et sonorités électroniques comme sur le réussi « Pretty Bull » ci-dessus. En équilibre entre plusieurs mondes, Wiki fait la synthèse d’une vie de rap, attaché à son patrimoine mais aussi tourné vers la modernité. Avec son débit technique et sa voix de gobelin facétieux, Wiki raconte ses petites histoires crasseuses comme un conte de la crypte sous Gotham, une version Leprechaun de Slick Rick à grand coup de multisyllabiques.

Côté bande sonore, on retrouve donc quelques ellipses épileptiques empruntes de Footwork. Les collaborations de Wiki avec l’équipe Teklife sur le saccadé « Litt 15 » ou avec No Life sur le bondissant « Stick Ball » montrent l’impact de la musique de Dj Rashad sur tout un pan de la musique urbaine. Mais parfois, la boucle tourne carrément sans batteries, à la manière des Conway, Ka ou Westside Gunn, une pureté minimale dans l’air du temps, comme sur « Wiki New Written » produit par Earl Sweatshirt, laissant le phrasé de Wiki seul face à la tourmente. Côté invités, Ghostface Killah fait plaisir avec son couplet aux liaisons cubaines mais c’est surtout le pote Your Old Droog qui marque des points avec une joute potache à l’ancienne. Cette combinaison est d’ailleurs toujours un régal, comme plus tôt dans l’année avec « Help » et le retour d’Edan, sorti des tréfonds de l’oubli, pour une immersion pleine de dérision dans le New York des nettoyeurs municipaux.

Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, l’Abcdr vous recommande d’aller voir Wiki sur scène jeudi 21 septembre 2017 au Badaboum avec sa première date parisienne. Et grâce à FreeYourFunk, nous avons des places pour vous, à gagner sur Facebook. A jeudi !

Plus d’informations sur l’évènement.