Sidekicks

Prolifique, insatiable, cela fait bientôt cinq ans que Mani Deïz livre au rap français des écrins sonores raffinés. Tantôt tapis soyeux, tantôt couvertures mélancoliques, avec une passion pour la boucle aux couleurs désaturées, le beatmaker de l’Essonne a finalement créé sa propre esthétique. Le rap français qualifié d’indépendant en raffole, et parfois même plus, en témoigne la liste des collaborations effectuées par le Kids of Crackling. Mais Mani Deïz a décidé de satisfaire d’autres faims. En l’occurrence, ce seront les siennes. Lui qui se nourrissait déjà de ses beat tapes sortira début 2018 un album plus trip-hop que rap. Pas tout à fait dans la veine d’Archive ni de Thievery Corporation mais un peu quand même, Infinity-1 transformera les boucles du producteur français en longues nappes mélancoliques, sporadiquement accompagnées de chant et de chorus. Une démarche et une évolution qui n’est pas sans rappeler celle d’un certain Fred Yaddaden et son album Shadow of a Rose. Si les deux pattes sont et resteront singulièrement différentes, il est difficile de ne pas rapprocher les trajectoires musicales. Mais un peu trip-hop, un peu abstract, que les fanatiques des boucles de celui qui s’était décrit comme les autres se rassurent : Infinity-1 restera du 100% Mani Deïz. La promesse d’un beau glissement d’univers.

En attendant rien ne semble pas être la première sortie de Lafrog, mais c’est en tous cas cette mixtape qui lui servira de carte de visite. Mise en ligne il y a quelques jours sur Youtube et téléchargeable via Haute Culture, elle laisse entendre le rappeur parisien sur différents registres au long des seize titres qui la composent. Pour se faire une idée, l’Abcdr recommande l’écoute du très efficace « Gundogan », de « Ouais Ouais » ou encore de « Anarchie (Rmx) ». Quelques jours après avoir été dévoilée En attendant rien porte déjà mal son nom, et il y a fort à parier qu’avec le temps, les raisons d’attendre une suite à cette tape seront nombreuses. Quoi qu’il en soit, cela faisait depuis un moment (Freebase 1 de Kekra ?) que le « marché » français de la mixtape gratuite n’avait pas proposé un fichier .rar aussi alléchant.

Les relations franco-américaines ne sont pas encore refroidies. En tout cas, pas dans le rap, où les producteurs français continuent à fournir leurs compositions pour des rappeurs US. Récent exemple en date : Marty Baller, rappeur d’Harlem, proche de l’A$AP Mob, qui fait briller son style de flambeur sur l’instrumental épileptique d’HollaDaze, membre du collectif MVP Most Valuable Producerz.

Il y a trois ans, on rencontrait Blastar, qui venait de finaliser la réalisation d’Ateyaba, premier long format de Joke. Le producteur de Golden Eye Music pouvait alors se targuer d’un C.V. complet, avec ses compositions pour Rohff, Sefyu, le 113 ou encore Mac Tyer. Mais il annonçait déjà, en toute fin d’entretien, son envie de développer de nouvelles idées. C’est en substance ce qui transpire de sa première beat tape, Ex_machina. A l’image de son single « Gumbo » sorti il y a quelques mois, Ex_machina est un plat mêlant de nombreuses cuisines, entre sample oriental, cadences tropicales, piano soul, rythmiques traps, incursion dancehall, nappes spatiales, et inspirations French touch. Tout en évitant l’indigestion. Le chef Blastar prépare actuellement un EP pour 2018, et ce Ex_machina : The Beat Tape se déguste comme une appétissante farandole d’hors-d’oeuvres.

Mise à jour le 16/11/17 : le concert de Passi est finalement reporté au 9 février 2018, à La Cigale.

Il n’y a pas que les « puristes » qui le disent : 1997 était une grande année de rap français. Parmi les disques qui fêtent aujourd’hui leurs vingt ans, il y a Les Tentations de Passi. L’album du rappeur du Minister A.M.E.R avait rencontré un succès colossal lors de sa sortie en 1997. L’une de ses qualités, en plus de la désinvolture de Passi, était la production du disque. Akhenaton y scelle définitivement ses capacités de beatmaker et des pointures telles que Doctor L, le duo White & Spirit ou évidemment Desh complètent le travail du Marseillais. Le résultat ? Un tapis sonore quasi sans faute qui fait office de parfait contrepoids à l’indolence feinte de Passi. Et si l’incroyable succès de « Je zappe et je matte » et sa galerie de name dropping télévisuels ont fait la renommée des Tentations, celles-ci méritent encore aujourd’hui d’être réécoutées dans leur intégralité. Ça tombe bien, Passi fêtera le vingtenaire de son disque à l’Elysée Montmarte ce 16 Novembre. Le concert sera suivi d’un aftershow gratuit mais auquel L’Abcdr vous propose de vous payer un verre (et un accès coupe-fil). Kozi, Noize et Just Dizzle seront aux platines de cette soirée. Alors rendez-vous sur notre page Facebook si vous êtes tentés.

On croyait que Slaine était mort. Eh bien non : bien vivant et même en forme, il revient en « anti-héros » dans le cadre d’un duel amical avec Termanology. Parmi la longue liste d’invités de cet album de 14 titres qui sort chez Brick Records, on trouve les noms de Conway, Ill Bill, Evidence et autres joyeux lurons. Le premier extrait réunit une équipe de choc puisque le Bostonien et son compère sont épaulés par Bun B (à qui décidément le boom-bap va bien) et l’increvable Everlast, toujours là même si sa voix n’a plus la puissance d’antan. Sans oublier un certain DJ Premier aux manettes, qui sort pour l’occasion une de ces boucles obsédantes dont il a le secret.

En 2007, Fredy. K décédait d’un accident de la circulation. Le posse ATK se retrouvait orphelin de l’un de ses plus généreux rappeurs. Un disque rassemblant l’ensemble du collectif – c’est à dire à l’époque où ils étaient plus de vingt et un – était sorti pour rendre hommage au MC de Maximum de Phases. Dix ans plus tard, ce sont des graffitis qui ont fleuri sur cinq murs de France et de Belgique. En hommage à Fredy toujours, parti trop tôt, car ATK, ce n’était pas qu’un rap mélancolique sur boucles de violon-piano, mais aussi de belles couleurs dans chaque coin de l’Heptagone.

Toujours sous la pâte coloriste du réalisateur Paul Maillot, cette fois d’un roux automnal, Lasco a sorti le 1er novembre le clip et le morceau « Slalom ». Le slalom, rien ne dit mieux le rythme intérieur du MC des Lilas : rapide avec l’impression d’une lenteur douce, maîtrisé, sinueux mais régulier. Le slalom, c’est le quotidien sur-esthétisé – dans son 93 on ne « traîne » pas : on « slalome », dessine de jolies trajectoires. Les postures y sont naturellement teintées d’autodérision, les textes, matérialisés sur quelques feuilles, font office de rappel pour les trésors convoités dans son précédent clip « Dimanche soir », et ici cachés lors d’une perquisition ; la fin laisse attendre une suite. L’occasion de rappeler, en attendant, qu’il sera en concert le 9 novembre à l’Alimentation Générale (Paris 11ème), aux côtés de Nasme et d’autres artistes, dans le cadre d’une soirée organisée par Artichaut records.

Des fils à papa à soigner façon goret dans Dr Hannibal, c’est au tour des nazis dans « Kill Dem All », une des chansons les plus réussies de l’EP sorti en avril par le rappeur le plus drôle de la FF. S’il y a bien de jouissives scènes de bataille et de résistances, ce sont plutôt celles empruntées aux classiques du cinéma d’horreur, avec toutes ses composantes – des survivant-e-s classes, une centrale électrique louche, un virus et même un caddie. Des nazis aux zombies, glissement sonore qui fait songer à un opus de Call of Duty, mais qui n’est pas si arbitraire que ça. Au moins depuis le chef-d’oeuvre de Romero, les morts-vivants sont un parfait support métaphorique pour la critique sociale : le passé et présent raciste des États-Unis dans La Nuit des Morts-Vivants (Night of The Living Dead, 1968), la société de consommation dans Zombie (Dawn of the dead, 1978). Ce n’est pas pour rien que le morceau qui clame « Nique l’État et tous ses avatars / Tous les condés sont des bâtards » débute par un plan sur le cadavre zombifié d’un agent de police… À saluer, au passage, le travail de la maquilleuse toulousaine Marine Bouvier sur le rendu visuel des visages. Et celui des danseurs, sous un pont tagué de bombe rouge, en un hommage explicite aux chorégraphies saccadées du « Thriller » de Michael Jackson. Don Choa dans ce qu’il a de plus original : un humour décalé et sans compromission.

Cette année, il sera un peu aux festivals ce que l’été indien est aux grandes vacances. Après la déferlante des grandes messes de la musique en plein air qui a traditionnellement lieu en juin, juillet et août, les Hauts-de-Seine accueillent le solide festival Chorus. Actif depuis plus de vingt ans, l’événement consacre cette année une date spécifique au rap. Ce sera le 26 novembre et pour l’occasion, le site de La Défense sera délaissé pour se rapprocher de Boulbi et de son Pont de Sèvres que le rap français chérit tant. Ça se passera sur l’Île Seguin, où les usines Renault ont été remplacées par La Seine Musicale, globe insulaire qui n’attend que d’être baptisé de quelques bonnes phases, lui qui n’a encore accueilli aucun rappeur ou presque. Et pour l’occasion, il y aura du monde. Même du beau monde et pour tous les goûts, puisque De La Soul, Kery James, SCH, Action Bronson, Roméo Elvis, Caballero & Jeanjass, Panama Bende ou encore Gracy Hopkins seront à l’affiche. Des places sont à gagner sur notre page Facebook et le programme complet de cette journée est à consulter ici ou sur le site officiel de Chorus. Ah, et sachez aussi que Demi Portion sera également de la fête, quelques jours plus tôt à La Défense en concert gratuit.