Sidekicks

Ce 19 janvier est parue la mixtape War for Peace du beatmaker de Corbeil Boudj, annoncée il y a plus d’un an avec les morceaux d’Hugo TSR et de Swift Guad. Dix-huit tracks dont des réussites attendues (Joe Lucazz) et surprenantes : le son de Shétif, inédit parmi une poignée de vidéos YouTube, offre une alliance touchante entre la voix du MC et le sample choisi. A l’image de toutes les productions de la compilation : si le projet ne se caractérise pas par une ligne unificatrice, les instrus collent à souhait non seulement avec l’esprit indé étiqueté Paris Nord, mais aussi avec le style du MC correspondant, signe de l’amplitude de la maîtrise et de la sensibilité musicale de Boudj. Ici, pas de featurings ni de hiérarchie qui tiennent : Hugo, Sëar, Pand’or, Spike la Pioche, les anciens, les jeunes, les connus, les anonymes, ont droit à leur track à eux tous seuls. Salutations à Slob design pour la cover de qualité qui rejoue en images l’antagonisme du titre; à DJ Azer, Rash et DJ S’One pour les scratches. War for Peace oppose à l’union sacrée de « Charlie », plusieurs fois rayé de la liste des invités tout au long du projet, une authentique union de la galère.

Il y a trois ans, Pone, producteur de la Fonky Family, revenait avec nous sur sa carrière, et racontait les débuts de sa vie avec la maladie de Charcot. Depuis, comme on l’a appris dans un émouvant portrait publié dans le journal La Croix, Pone est cloué dans un lit. Grâce à sa famille et sa foi, Guilhem Gallart continue de vivre, quoi qu’il arrive, communiquant grâce à ses yeux, en écrivant sur un clavier virtuel. Sur son compte YouTube, Pone met en ligne des instrumentaux qu’il avait gardé en stock pendant sa quinzaine d’années de créativité. Il y a quelques pépites, comme « BBOY City », un hommage électro-funk qu’il avait composé pour DJ Mehdi. Il a aussi récemment entrepris de classer ses dix titres préférés de la Fonky Family, en racontant sous chaque vidéo des anecdotes sur la création des morceaux. L’occasion de découvrir ou redécouvrir des morceaux rares de la FF, comme « Cherche vraiment pas à comprendre » ou « Envie de croquer le monde », sortis uniquement en maxi.

L’album en commun avec O.C., Perestroïka (très bon, soit-dit en passant), est encore tout chaud. Mais Apathy a déjà délaissé le rideau de fer pour partir à la conquête de l’espace, histoire d’y faire des rencontres extraterrestres, façon Kool Keith (honoré d’un clin d’œil). D’où le single « Alien Weaponry », en écoute ci-dessous.

Après avoir successivement interviewé Bobby, A’s et Mr. Bil en 2017, l’Abcdr attendait que chacun ait sorti son nouveau projet pour évoquer l’actualité chaude du collectif Marekage Streetz en cet hiver. C’est désormais chose faite, puisque le jeune Bobby vient de mettre en ligne le quatrième volet de sa série de mixtapes Argent Automatique, disponible gratuitement. Quelques semaines avant Bibo, c’était l’excellente tape Centre-Ville Centre-Ville de Mr. Bil qui était dévoilée, succédant au nouvel EP d’A’s : Le Royaume d’Asgard.

Alors certes, à l’allure où va la musique en 2018, évoquer un projet près d’un mois après sa sortie peut sembler tardif… Toujours est-il qu’au bout de quelques semaines d’écoutes, on ne peut qu’être plus sûrs de nous quant à la qualité de la mixtape de Mr. Bil. Des trois projets ici présentés, c’est sans conteste celui que l’Abcdr recommande le plus chaudement, d’autant plus que si le Genevois ne revient pas sur sa décision, il s’agit de son ultime livraison musicale.

Le début de l’année, c’est cette période propice à rattraper les loupés de l’année passée. C’est le cas par exemple avec l’album South City, du duo Too Many T’s (TMT pour les intimes), sorti en octobre dernier et dont est extrait le morceau clippé ci-dessus. On peut difficilement manquer la comparaison avec les Beastie Boys (une inspiration assumée) et plus particulièrement avec la voix d’Ad-Rock, mais le groupe n’est pas réductible à cette filiation.

À partir de là, on peut faire deux choses. D’abord, en profiter pour revisiter notre série d’articles sur les réserves de talent qu’on peut trouver outre-Manche. Ensuite, découvrir la sortie toute proche, au sein du même label, Banzaï Lab, de l’album Ningyo de Senbeï, producteur dont on vous avait déjà parlé ici même à l’occasion de la sortie du maxi Nin. Premier clip ci-dessous, tout frais du jour.

Certaines personnes épatent par leur détermination. Français expatrié à Atlanta, Ergy a mis à profit cette présence en Géorgie pour interviewer des artistes locaux ou de passage le temps de concerts et de conférences. L’intérêt d’A-Trak pour Atlanta, la rémunération des producteurs avec Sonny Digital, la création du titre « For Real » de Lil Uzi Vert avec Bobby Kritical, les recettes du succès de DJ Drama et Don Cannon : autant d’entretiens concis et intéressants, directement avec les acteurs de cette musique. Pour l’instant, ces échanges sont plutôt courts, on imagine contraints par le temps réduit accordé par ces artistes. Mais le pari d’Ergy pourrait lui ouvrir d’autres portes, dont on est curieux de voir sur quoi elles ouvriront.

« C’est l’retour du groupe de rap le moins productif ». La plaisanterie des Casseurs Flowters à l’époque de « Ils sont cools » pourrait sied à merveille à 2Fingz, duo composé de Népal et Doums. Les deux parisiens réapparaissent côte à côte un an après « One Punch Man », dans le clip ultraviolet de « Deadpornstars », extrait du 445e Nuit de Népal, dont on a pensé beaucoup de bien dans notre bilan 2017. Un titre hypnotique et cryptique, entre l’alternance de l’anglais et du français de Népal, et les phases bipées de Doums, où s’enchaînent les références aux actrices de films pour adultes, de Mia Khalifa à Anissa Kate en passant par Alicia Tyler (RIP). Du rap de mecs qui ont « les bravas tah Brazzers », donc. Le duo défendra 445e Nuit et Pilote, le EP de Doums, lors de leur tournée prévue pendant le mois de février.

Avec notre bilan de fin d’année, on a passé décembre concentrés sur les mois précédents, et raté parfois quelques morceaux de la vendange tardive. L’occasion de se rappeler en ce début 2018 que T.killa a repris du service, avec des expressos bien serrés, « Catenaccio » et « Frappe Chirugicale » , issus d’une série de freestyles intitulée #DernierMalaxe. La fratrie M’Bani a donné au rap français deux rappeurs d’exception avec Lino et Calbo d’Ärsenik. Mais leur cadet, T.killa, n’est pas un manche non plus. Martial sur « Frappe Chirurgicale » (« j’pourrais t’attendre des heures comme Vassili à Stalingrad »), féroce comme Gattuso sur « Catenaccio », l’ancien membre de K.ommando Toxik montre toujours autant de punch. Pas de longs formats annoncés pour le moment. Mais vingt ans après sa première apparition discographique sur Les Liaisons Dangereuses de Doc Gynéco, le rap maintient T.killa en forme. Pour ses futurs freestyles, au rappeur de VLB de montrer que la réciprocité est également vraie.

« J’ai taffé ma mixtape comme un album, comme mon dixième album. C’est juste que les neuf précédents ne sont jamais sortis. » Graindsable s’amuse de toutes ses années de rap sans avoir sorti de projet(s). Certes, il y avait l’équipe Touareg Records, la proximité qui ne date pas d’hier avec Kool Shen ou Jeff le Nerf. Mais il n’empêche : ses premiers fans étaient jusque-là les rappeurs eux-mêmes et le MC n’avait jamais figé toutes ces phases qu’il trimballe dans Paris Nord et le « off » du rap indépendant depuis 2003. Jusqu’au 15 décembre dernier, où après deux ans d’annonce, celui qui se veut un Bug dans la matrice a sorti son premier disque. Pendant quatorze pistes, Grain y redouble de puissance, exposant sa voix sombre et rocailleuse aussi bien à la trap qu’à des sons emprunts de plus de classicisme, entre productions originales, « Rayban music » avec Dino et nombreuses faces B. De cet album qu’il a voulu comme les mixtapes de rap américain qu’il affectionne, c’est à dire qui sont faites pour s’écouter d’une traite à balle et à blinde en voiture, il ressort une intransigeance de vingt ans d’âge. De celle qui mélange la rigueur des anciens à la fougue des nouveaux venus. Deux décennies d’influences et de courants rap condensées dans le sablier de Graindsable en somme. Parce que parfois, il faut bien se décider à figer le temps qui passe.

Il était l’un des dieux de L’Olympe Mountain, ce projet collectif rap brassant l’iconoclaste scène bordelaise du début des années 2000, celle entraperçue dans le sillage des mixtapes Maximum Boycott. Après une douzaine d’années de discrétion ponctuées par quelques projets, dont Ce que le présent dessine en 2010, Iraka, éventuellement affublé de son suffixe 20001, est de retour. Avec lui ? Toujours cette écriture photographique, consacrée aux instants solitaires du quotidien et aperçue dès 2 années de merde et des featurings comme « Abstractions » ou « Bleu terne ». Mais il y a aussi cet héritage du slam, dans lequel le rappeur d’Aubagne sublime sa voix, que Moudjad avait décrite comme celle du dieu « Akhenaton qui serait sorti du tombeau ». Poétique, frontal, à la fois fait de gros plans et d’atmosphères, entre machines (notamment celles de Star Propaganda) et arrangements organiques, Iraka dévoile à travers trois titres ce que sera son album, Livingston. Il sortira cet été. En attendant, « Satie Livingston », « Rainbow » et « Le Gris » sont en écoute sur les plateformes de streaming. Un rap définitivement hors du clan et qui signe le retour de l’odyssée 20001.