Sidekicks

Jovontae et Ezekiel, les avatars de Sameer Ahmad dans le projet Un Amour Suprême, ajoutent un super-pouvoir à leur MC : leur aptitude à voyager. Au gré des visions, leur musique et leurs mots évoquaient parfois le San Francisco de la fin des années soixante, d’autre fois les toits de Tarifa un soir de vagues durant les années 1990. Pour le deuxième clip de ce projet sorti il y a à peine plus d’un an, c’est un billet d’avion pris à la volée qui emmène l’auditeur là où il ne s’y serait pas attendu : au Liban. Dans les images de H-WAR Film & L.A.Z, Beyrouth glisse d’un rouge semi-artificiel à une flânerie soyeuse, cigarette en bouche, skaters en arrière plan, chauffeurs de taxi à embrasser sur la joue et terrasse ensoleillée près des toits encore ensommeillés. Dans une ville qui sait ce que veut dire le mot paix, « le pouvoir des fleurs en veste militaire verte kaki » d’Un Amour Suprême ne pouvait être que magnifié. Red Light Beyrouth.

Quitte à briser les prétendus murs entre varieté et rap français, autant le faire dans la prestigieuse lignée de Soprano, plutôt que celle, inexistante, de certains chouchous éphémères des médias généralistes. Si le morceau « On est bien » sorti en juin 2017 n’avait rien de très convaincant – bien trop lisse, bien trop éloigné du rap, sorte de tentative d’un Sopra M’Baba sans son passé Psy4 – le Marseillais des quartiers nord a sorti le 30 mars un EP bien plus enthousiasmant. Hybride en effet marque un balancement prononcé côté rap, et s’éloigne du pôle variet’ affreusement banale. Et, merci bien, cela lui va nettement mieux. Les morceaux qui tendent le plus vers le rap, assortis de talents de chanteur – pas besoin d’autotune – et de prods faites maison – être guitariste, ça aide – sont les plus réussis. Notamment : « Hybride », « Coup d’volant », « Mouvement ». Kooseyl est un pur Marseillais dans sa capacité à créer des mélodies simples mais terriblement entêtantes, associée à une impertinente spontanéité, liberté dans la posture. « Jeune autonome, je n’irai jamais voter. » L’avenir s’annonce plutôt bien pour cet artiste proche de Hooss, puisqu’il sera en featuring, tout naturellement, avec Soprano sur la BO de Taxi 5, à paraître ce 6 avril 2018.

Au début des années 2000, des fans de rap connectés un peu en avance à Internet s’emballent pour un jeune label américain indépendant : Anticon. Profondément indé, pour ne pas dire « indie », la structure avec une fourmi en guise de logo est fondée par huit passionnés. L’un d’entre eux est décédé ce dernier jour de mars 2018 : Alias. Terrassé par une crise cardiaque, Brendon Whitney de son vrai nom, a participé à ce fourmillement, parfois brouillon, quelques fois décevant ou arrogant, mais profondément à part dans l’histoire du rap américain. Et malgré des écarts vers un rock indépendant un peu désarçonnant, à l’image de Buck 65, le label y est probablement pour beaucoup dans l’idée qui a germé dans la tête du public, des journalistes et même de certains artistes jusqu’en France : celle de l’existence d’un rap alternatif. L’apport à Clouddead, le projet collectif Deep Puddle Dynamics ou encore les premiers efforts de Themselves restent à ce titre fondateur, avant que le tout oscille entre génie incompréhensible et caricature branchée. Quant à Alias, il était un MC qui avait finalement préféré les machines, doucement torturé dans ses productions avant de glisser vers l’electronica dès 2003 jusqu’à parfois flirter avec le trip-hop, notamment lors de deux disques avec la mésestimée Tarsier au chant. Pour mieux connaître et comprendre ce parcours et celui de son label, une interview est disponible dans les archives de nos confrères de feu Hiphopcore.net.

Ces dernière années, Dinos (ex Punchlinovic) a décidé de prendre son temps. Du temps pour lui, sa musique, ses proches, et surtout, du temps pour grandir. D’abord adolescent au cours de deux EPs remarqués en 2013 et 2015, le natif de La Courneuve semble maintenant en train de passer un cap : celui de l’âge adulte. Une mue qu’il prouve parfaitement sur « Les pleurs du mal », morceau de cinq minutes évoquant tour à tour  l’amour, le racisme, la pauvreté et la vie au quartier sur un piano rongé par la nostalgie, sans jamais faire dans le pathos. Un exploit qui définit parfaitement Imany, premier album à venir du garçon, et dont on vous parlera le mois prochain. Probablement la première claque du printemps.

« Moins écrit, donc bien plus total », ainsi était décrit dans colonnes l’album d’Arm : Dernier Empereur. C’était en fin d’année, lorsqu’il était question de revenir sur ces œuvres qui avaient tracé le sillon du rap en 2017. Celle d’Arm, « lucidement noir, quelque part entre vérité et vie réelle », entraînait malgré tout dix pistes vers la lumière. Une forme de renaissance dont deux titres viennent d’être clippés pour être visionnés à la suite l’un de l’autre, tel un court métrage. Cette quête d’une nouvelle genèse, c’est la démarche totale de l’histoire formée par les images signées Vittorio Bettini et récoltées dans la paume d’un MC qui proclame vouloir « remettre du sang sur le bleu des mots ». À visionner les poings serrés et à voir comme une main tendue.

Fruit d’une collaboration entre les médias Captcha Mag et TupakTV, M16 Masqué est un nouveau concept qui offre la part belle à la performance. Masqués, quatre rappeurs se partagent une prod’ (celle du premier épisode, signée Million Man On The Beat, est d’ailleurs bien choisie) sans a priori de notoriété ou de provenance. Si le niveau des participants du premier épisode est assez hétérogène, le choix original du lieu de tournage (qui devrait changer à chaque fois), la réalisation (Gate Media Production) déjà impeccable et l’émulation générée par le concept promettent une montée en puissance au fil des épisodes. Le prochain devrait justement arriver d’ici quelques semaines et l’ambition serait d’en sortir un nouveau chaque mois. Une initiative à saluer car si les projets invitant les rappeurs à croiser le micro reviennent à la mode, celui-ci a le mérite de se démarquer et d’apporter une potentielle plus-value. Et qui sait, le talent se cachant partout, peut-être que demain de jeunes ou moins jeunes rappeurs de l’ombre prendront la lumière grâce aux masques et que des artistes déjà sous les projecteurs viendront se frotter aux inconnus. « Un 16, quatre rappeurs, une prod : la règle est simple. »

TupakTV x Captcha Mag en mode Guide du Routard, ça donne un abattoir du XXe siècle dans le 91.

« Avec Mehdi YZ à Saint Jean La Puenta, posé, détendu… La kalash parle fort quand il y a un malentendu » disait l’an passé Kalash Criminel invité par Jul sur le titre « Cagoulé ». Mehdi YZ, c’est un proche de la coqueluche du rap marseillais, de la vedette de Saint Jean du Désert (13005). Voilà que depuis un mois, Mehdi alimente sa chaîne Youtube de contenus musicaux : trois freestyles et autant de morceaux. Imparfaite, la musique de Mehdi YZ a une saveur certaine. Elle transpire Marseille, elle sue Marseille, elle pue Marseille. Les rues de la cité phocéenne et leurs innombrables stigmates ne cessent depuis Mode de vie Béton style de donner naissance à des rappeurs plus préoccupés par le réalisme cru de leur musique que par l’esthétisme. C’est très clairement dans cette lignée que s’inscrit Mehdi YZ, loin des considérations techniques, et avant tout en prise avec un quotidien fait de « Arrah », de Parions Sport, d’alcool et de morts. En résulte chez lui une musique encore maladroite, profondément réaliste et très pessimiste, comme en atteste le triste « Nique ma vie » en écoute ci-dessous.

Il est du genre discret, et peut être même un peu trop.  Alors que son dernier mini-projet Mercure réalisé en compagnie de Ikaz Boi s’était tranquillement logé dans notre bilan de fin d’année 2017, Veerus revient enfin avec un nouveau disque dont on sait peu de choses si ce n’est qu’il nous intrigue. En témoigne « Dope Boy », premier extrait dévoilé ces derniers jours dont le phrasé riche de Veerus et l’ambiance fumeuse signée Ponko continuent de montrer à quel point le garçon reste bien sur ses appuis. Dans ses mélodies comme dans sa productivité, Veerus semble évoluer dans le rap uniquement à la nuit tombée. Un choix de carrière à la Bruce Wayne que l’on ne renie pas à l’écoute de ce solide nouveau morceau.

Invité de l’émission My Chillin’ Couch, le rappeur de Bruxelles ZA, dont on connaît la sympathie pour l’école Time Bomb, s’est fait un petit plaisir en interprétant avec des musiciens et Senso – présentateur de l’émission – « L’enfant seul », un des grands classiques du non moins classique Opéra Puccino, premier album d’Oxmo. Un bel hommage alors qu’Opéra Puccino fêtera en avril son vingtième anniversaire avec toutes les surprises qui vont avec. ZA, qui a toujours été plus Brutal Muzik qu’opérette, devrait lui faire son retour sur le devant de la scène très prochainement, un peu plus d’un an après avoir envoyé la mixtape Césarienne.

Dans le cadre du programme culturel concocté par le MAAD 93, Marc Nammour (La Canaille), bien connu de nos services, bénéficie d’une résidence d’artiste bien nommée « cortège de tête ». Ce qui nous donne un concert samedi prochain, 24 mars, salle des Malassis à Bagnolet. Et si cette bonne nouvelle ne suffisait pas :

1/ Casey sera de la partie ;

2/ Mike Ladd sera de la partie ;

3/ le concert n’est pas cher (de 5€ à 8,50€ max.) ;

4/ on vous fait gagner des places (2 x 2 places) : rendez-vous prochainement sur nos pages Facebook et Twitter, on vous indiquera la marche à suivre.