Un peu comme un fantôme, il planait sur le rap français. Ces derniers mois auront vu Joke disparaître des radars après la non-sortie de son nouvel album, pour finalement mieux préparer son retour. Présent ici et là sur des disques de quelques uns des artistes de son entourage (Dinos, Veerus, Flaco) celui que l’on doit maintenant appeler Ateyaba semble en effet enfin décidé à revenir. « Rock With You », nouveau single en date, laisse en tout cas penser que le natif de Montpellier a réussi, avec le temps et l’absence, à retrouver ce qui faisait le charme de ses débuts. Bourré d’attitude, soigné musicalement et visuellement, ce dernier morceau entre rap et influences synthétiques en compagnie du producteur Ikaz Boi est ce que l’on nomme un bon retour, tant il réveille le temps de quelques minutes tout ce qui faisait la singularité d’un garçon sans doute trop rentré dans le moule sur son premier album. Et quand on sait qu’une certaine Charlotte Gainsbourg devrait passer une tête sur ce nouveau disque, tout nous donne envie de croire à la nouvelle mue de Joke en Ateyaba. Si l’album sort. Évidemment…
Sidekicks
Los Angeles est une terre fertile. Du rap au jazz, en passant par l’électronique à la “beat scene”, l’éclectisme est une valeur constante à sa scène musicale indépendante. À mi-chemin entre tous ces fleuves : Kiefer. Originaire de San Diego, le pianiste multi instrumentiste a d’abord fait ses mains dans l’écrin très classique avant de partir sur le terrain de La Cité des anges aux côtés des producteurs Mndsgn et Swarvy. Cette année, un pas de plus dans sa jeune carrière avec la sortie de son second album HappySad, estampillé par le label indépendant Stones Throw. Actuellement en pleine tournée européenne, il atterrit à Paris ce vendredi 28 septembre au Pop-Up du Label pour une date unique. Pour l’occasion, 2 x 2 places sont à gagner pour découvrir cet artiste surprenant, à la croisée des mondes. Rendez-vous sur notre page Facebook.
Ce 19 septembre est sorti un clip puissant du rappeur togolais Elom 20ce, en hommage au militant indépendantiste de Guinée et des îles du Cap-Vert Amílcar Cabral. Sa mort y est figurée par une danse introductive, qui donne toute sa force visuelle au clip. Le combat de Cabral était double, celui contre les colons et pour l’unité des colonisés. L’invitation faite au Bavar ne pouvait mieux coïncider avec de telles prises de position. Le message général est d’ailleurs à l’image de son arrivée sur l’écran et sur le beat : l’affirmation d’une dignité inaltérable. 365 cicatrices et toujours ce flow et cette classe incorruptibles (« Je ne changerai pas le monde mais il ne me changera pas »), qui en font certainement le rappeur le plus touchant de La Rumeur. Le lieu de tournage le confirme, puisqu’il s’agit de l’île de N’Gor – « dignité » en wolof. Le clip est extrêmement référencé, et chacun y verra des significations nouvelles en fonction de sa culture. Elom 20ce lie l’histoire des luttes noires partout – afro-américaines, avec le « each one teach one » placé dans son couplet, le choix de lier une voix antillaise et une voix togolaise – et la revendication de son lien inextricable avec le hip-hop. Et c’est, à l’écoute de son EP sorti en 2015 où figure ce titre, une caractéristique propre à l’artiste, connu pour son panafricanisme. De plus, les femmes n’y sont jamais en reste : l’hommage à Dona Ana Maria Calbral, mariée à Amílcar, militante même après sa mort, vient confirmer le désir d’unité, à la fois personnel et politique, qui se dégage de la démarche de celui qui a choisi sa mère pour la couverture d’Indigo. En attendant peut-être, un album en 2018 aussi puissamment visuel que ce clip et son écriture, comme il l’annonçait à demi-mots ici.
Le premier est un vétéran du rap anglais. Membre de Def Tex, actif depuis son plus jeune âge, Chrome est une figure réputée du hip-hop de la Perfide Albion. Andy Cooper est lui mieux connu pour avoir été l’un des piliers d’Ugly Duckling. Certes Américain, il est aujourd’hui totalement tourné vers l’Europe, que ce soit en Angleterre lors de ses featurings avec The Allergies ou ses relations sur le vieux continent (voir notamment son morceau avec l’excellent et trop méconnu Néerlandais Blabbermouf). Les deux rappeurs s’associent pour un morceau. « Shockwave » défend un rap technique, valorise les capacités de fast flow de chaque MC, et enchaîne entre un refrain scandé et des lignes débitées à vitesse lumière sur une belle basse bien ronde. Comme quoi, les vétérans en ont encore sous la semelle.
« Je fais du rap français donc pas besoin de sous-titres. » Mac Tyer ne pouvait pas dire mieux et de toute façon, son dernier titre, « 20 ans », dit tout avec pudeur et beaucoup d’humanité. Au point qu’il n’y a pratiquement rien à ajouter après l’écoute du morceau, si ce n’est un de ces silences respectueux et pensif de celui qui vient d’être touché en pleine poitrine. Accompagné d’un clip à la mise en scène géniale, aux symboles puissants et au casting redoutable, Le Général continue de vouloir pacifier ce qui parfois ressemble à un champ de bataille. Ni passéisme, ni jeunisme. Juste de la musique hyper réaliste qui a la main posée sur le cœur.
C’est un morceau de l’histoire du Double H DJ Crew qui sera sur scène ce mercredi 26 septembre. Cut Killer, Dee Nasty et DJ Mouss se partageront les platines au Réservoir, dans le onzième arrondissement de Paris. De quoi remettre un morceau de l’histoire du deejaying français au centre de l’actualité. Mais c’est aussi l’occasion de passer une grande soirée et de profiter du feeling et des sélections de ces DJs, notamment de Mouss qui avait raconté à L’Abcdr sa façon d’interagir avec le public lors de ses sets. « En soirée, tu dois maintenir un rythme, chercher des BPM qui répondent à l’attente des gens qui est de s’amuser. Il faut que leur corps et leur état d’esprit répondent tout de suite à ce que tu passes sur les platines. » Vous êtes prévenus ! S’il y a bien une Night School à noter dans vos agendas, c’est celle-la.
« Faut vraiment comprendre que je ne vais pas lâcher l’affaire… J’ai de quoi sortir un son par semaine pendant plus d’un an. » C’est ainsi que Veust mettait chacun en garde via Twitter il y a quelques semaines, annonçant par ailleurs sa Veust Season : « un nouveau banger tous les dix, douze jours sur les plateformes » avant d’enfin libérer l’album Veust Do It. Avec trois morceaux en deux mois et demi, le Lyricist le plus influent de sa ville remet les gants sur ses poings, les virgules sur ses Nike et ses Nike sur le rap. Son sens de la formule est toujours aussi savoureux et sa voix grave crache le feu à chaque mesure sur « Trampoline », « Le prochain » et « 22 Frags ».
Mais le patron de l’écurie D’En Bas Fondation n’est pas le seul à être en flammes au studio cet été, l’éternel espoir de la French Riviera Infinit continue de cultiver son statut de jeune bœuf prodigieux. Il vient de sortir « Quand je me lève » produit par Harry Fraud à l’occasion du projet orchestré par Red Bull Music en l’honneur du beatmaker. Son nom apparaîtra également au tracklisting de UMLA, prochain album d’Alpha Wann. Enfin, toujours chez D’En Bas, Barry a récemment sorti un nouveau titre, « Avec moi ». Et lui aussi est en survol au dessus du jeu, comme Vince Carter sur Fred Weiss. DBF n’est pas prêt de laisser son 0.6 à n’importe qui.
Depuis l’an 2000, L’Abcdr du Son multiplie les interviews avec comme seul leitmotiv que l’histoire du rap français soit racontée par ceux qui vivent cette musique de l’intérieur. Parmi eux ? Des rappeurs évidemment. Mais aussi des beatmakers, des DJs, des collectionneurs, des producteurs et parfois même de simples témoins d’une discipline dans laquelle les parcours s’avèrent souvent plus complexes et multiples qu’un rap à l’apparence frontale. De Triptik à Orelsan, de Rohff à Sameer Ahmad, de MC Jean Gab1 à Vald, aucune histoire n’est la même. Mais qu’il s’agisse de success-story ou de succès d’estime, chacune de ces trajectoires artistiques participe à former l’incroyable toile peuplée de sous-genres qu’est devenue le rap français en 2018. Car de ceux qui érigent le rap en mouvement à ceux qui le voient comme une industrie, de ceux qui voient le hip-hop comme une contre-culture à ces artistes qui font désormais partie de la culture de masse, il y a des calques qui peuvent se déplacer d’une œuvre à une autre. Et même si parfois la tentation de refaire l’histoire est grande, toutes les personnes que nous avons interviewées depuis bientôt vingt ans ont toujours fini par, à un moment ou un autre, regarder le rap dans les yeux. C’est ce que cette exposition tente de présenter. Elle est réalisée en partenariat avec certains des photographes qui ont porté au sein de notre publication l’exigence d’images inédites propres à chaque entretien mené par l’équipe. Une photographie en vingt clichés de ce qu’a été, est et peut-être sera le rap français, commentés par les rédacteurs de L’Abcdr, voici ce que nous vous proposons à partir de ce 19 septembre. Tout est dit sur notre page Facebook. Pas d’œil dans le rétro, mais un regard sincère et bienveillant en guise d’objectif.
On le sait, le monde du deejaying a ses charlatans et ses valeurs sures. Depuis l’avènement du portablism (scratch sur une platine portative), les breakbeats pullulent souvent au détriment de la qualité. Ici ça n’est clairement pas le cas puisque deux acteurs majeurs de la profession ont décidé de collaborer ensemble. À droite Le Jad, sans doute l’un des fournisseurs de breakbeats les plus connus et respectés dans ce scratch game, qui a fourni la matière première à nombre de DJs champion du monde. À ma gauche, le collectif historique des Beatjunkies qui regroupe la dream team des DJs califorinens (Babu, D-Styles, J-Roc) et qui s’évertue depuis plus de 20 ans à faire évoluer cet art. Le fruit de cette collaboration est un 45 tours nommé Portablism Techician pressé à trois cent copies et seulement disponible sur le site des Beat Junkies. Quand on connait la rigueur que Le Jad porte à son travail, cet outil devrait être un achat obligatoire pour tous les scratcheurs portablist.
Mac Miller 1992 – 2018
Arrêtée en plein vol. Voilà comment l’on évoquera la trajectoire de Malcolm McCormick décédé des suites d’une overdose dans la nuit du 7 septembre 2018. Une nouvelle aussi dure que brutale, qui ne peut qu’être choquante quand on connaît les derniers épisodes de la vie du jeune rappeur originaire de Pittsburgh et auteur d’un superbe disque il y a seulement un mois. En proie à des addictions dont il n’a jamais caché la teneur dans sa musique, Mac Miller avait décidé de se montrer – publiquement du moins – sous un jour positif, comme le racontait parfaitement son dernier album Swimming, bijou d’écriture, personnel et sincère lorsqu’il s’agissait d’évoquer ses zones d’ombre sans jamais tomber dans le piège du pathos. Un disque référence pour le rappeur, que l’on aura constamment vu progresser ces dernières années, passant peu à peu du statut de simple rappeur étiqueté frat-rap à celui d’artiste touche à tout, autant capable de produire pour les autres (sous le pseudonyme de Larry Fisherman pour Vince Staples, SZA ou Earl Sweatshirt) que de se lancer dans un concept-album dédié à l’amour et aux femmes (The Divine Feminine). Mac Miller vient donc de nous quitter avec un dernier disque qui, malgré les idées noires, malgré la tristesse et malgré le danger de ses vices, n’aura eu de cesse de nous marteler le message du morceau « Self Care » : « Hell yeah, we gonna be alright ». On préférera retenir cette phrase dans nos têtes en évoquant le jeune Mac. Puisse-t-il continuer à s’allumer des clopes dans l’au-delà.