Hommage

Morad de la Scred Connexion est décédé

Il était le plus discret de la Scred. Son visage juvénile malgré un parcours cabossé laissait souvent croire qu’il était le benjamin du groupe emblématique de Barbès. En réalité, Morad était un vétéran. Un survivant même. C’est d’ailleurs comme ça qu’il avait titré son unique album solo, paru en 2012. Présent dès 1997 sur Le Fond et la forme de Fabe et l’EP de Koma Époque de fou, Radmou était la voix la plus claire, la plus parlée, mais aussi la plus rare du groupe qui habite à côté de Tati. Avec son flow reconnaissable entre mille de par sa diction, Morad parlait de la rue avec clairvoyance, cette rue qui ne lui avait rien épargné comme il s’en était (un peu) ouvert lors d’un entretien à l’Abcdr. Et si le rappeur semblait parfois le moins technique et le plus posé de la Scred, il était capable d’incroyables étincelles. Parmi elles ? « Le Beat qui tue » avec Cutee B, véritable moment abrasif et inflammable. « Engrenage », sur la mixtape Bonjour la France, était quant à lui un titre qui révélait sans tabou la face sombre de son quotidien, sans un mot trop haut ni gonflement de muscle inutile. C’était l’antithèse du rap de bricraveur d’aujourd’hui, et pourtant, c’était au fond bien plus violent. Morad était de toute façon de ces rares rappeurs capables de se regarder dans le miroir sans (se) mentir. « Avec c’qu’on vit » paru sur Le Réveil en 1999 restera tout autant dans les mémoires, pas seulement pour sa mélancolie indicible et son sample de flute emprunté à Alfred McCoy Tyner, mais aussi pour son fabuleux passe-passe avec Koma, qui « arrive à fond comme une baffe dans ta gueule. » Et aujourd’hui, le rap français en prend une grosse, de baffe dans la gueule. Morad est parti d’une crise cardiaque. La Scred n’est désormais plus qu’un trio, orphelin d’une voix qui ne mentait jamais au micro, d’un rappeur tantôt offensif, tantôt désabusé, mais toujours lucide, d’un mec de Barbès qui faisait de sa rareté sur disque une forme de pudeur sans fard. « Autant que mon absence sur différents supports est remarquable, pas l’impression d’avoir tort quand je te dis qu’il faut forcer la tepor » disait-il sur « Les Routes de l’oseille » avec Haroun, avant d’ajouter « ce que je cautionne, c’est le fait de ne rien devoir à personne. » Le rap français, lui, lui doit plusieurs couplets remarquables et une forme de franchise sur disque qui n’avait que peu d’égales. L’Abcdr s’associe à la profonde tristesse de la famille, du groupe et des amis de Morad. Paris Nord perd un de ses visages, autant que le rap de l’Hexagone. Pour reprendre et détourner une phase célèbre dont le rappeur de la Scred est le père : si notre pensée profonde avait un intitulé, ce serait que la cruauté de la vie aille se faire enculer. Repose en paix Radmou.