Mixtape

Détournement de samples

À peine plus d’un an après Le Fond et la forme, Fabe sort ce qui est considéré comme son album le plus complet et le plus abouti : Détournement de son. C’était il y a vingt années. Retour en un mix sur les sources de la discographie de L’impertinent.

et Texte par zo.

Quand en 1996, celui qui écrivait une lettre au président quittait doucement mais sûrement les codes purement hip-hop qui ont marqué ses débuts et surpris ses frères, le rap était en train de changer. Fabe en était probablement parfaitement conscient. Il avait d’ailleurs pris le parti de se poser en observateur critique de ses pairs. « Des durs, des boss et des dombis » indiquait le cap que le MC désormais installé dans le dix-huitième arrondissement de Paris commençait à étendre à l’ensemble de son œuvre : chanter l’intégrité tout en se posant en redoutable observateur des temps modernes. De toute manière, Le Fond et la forme était un album bien nommé. Si Fabe travaillait effectivement la tenue autant que la teneur de l’art de rimer, il explorait assez fidèlement ce que le rap français proposait alors en termes d’évolution musicale : plus de concision, notamment dans les punchlines. Sans totalement nier les codes du hip-hop français de la première moitié des années quatre-vingt-dix, le disque visait des flows plus lents, des voix plus basses et moins rondes. Quant à la production, elle y était moins « remplie ». Plus minimale, à la caisse claire plus sèche, telle était la signature de Stofkry sur ce deuxième album. Sans devenir un apôtre du son de Queensbridge, Fabe avait commencé à épurer son rap tout en affinant sa signature : celle du mec qui a du sang froid, que tu sens froid, qui est distant. C’est la naissance de L’impertinent. Ce serait pourtant une erreur de résumer ce titre, dont Fabe s’était auto-affublé, aux propos tenus dans « Des durs, des boss et des dombis. »

Car si Le Fond et la forme pouvait encore avoir des allures de compromis entre deux époques (pour ne pas dire qu’il faisait cohabiter deux personnalités au sein d’un seul et même MC ?), Détournement de son prolongera ce que son prédécesseur laissait entrevoir : un état des lieux cinglant et intransigeant. Des constats sociaux et politiques qui ne se négocient pas. Sur le papier, tout cela pourrait paraître pesant. Il n’en sera rien. Détournement de son sera tout sauf lourd. Il sera au contraire à la fois dense et précis. Fabe y maîtrisera comme personne l’art de la concision. Corollaire ? Tout ce qu’il dira sur son troisième sera simplement incontestable. L’auditeur est pris à partie, dans le sens où Fabe n’est plus un rappeur qui témoigne, mais qui fait de l’auditeur un témoin. Cela fera de lui un MC incontesté. Les mots vrais viennent désormais de Barbès. Au point qu’aujourd’hui Fabe est résumé systématiquement aux notions d’authenticité et d’intégrité.

Cette synthèse qui a fait du fondateur de la Scred l’icône du rap incorruptible est à la fois vraie et injuste. Vraie car jusqu’à son dernier album en 2000, intitulé sans innocence La Rage de dire, Fabe est resté dans l’histoire du rap comme celui qui savait dire. Comme celui qui avait une conscience que rien ne parasite. Qui savait habiller son humanisme d’une aigreur glacée. Mais elle est aussi injuste, car réduire Fabe à son intégrité, c’est mettre de côté son ses mues musicales, cultivées à chaque disque qu’il a sorti. Chaque pièce de sa discographie franchit une étape. Mises bout à bout, elles révèlent une cohérence redoutable. À ce titre, couplé à l’album Le Fond et la forme, Détournement de son, qui fête ses vingt ans cette semaine, est la plus fascinante charnière de l’œuvre de Fabe.

Sur cet album, L’impertinent met fin à son binôme avec Stofkry. Le producteur qui accompagnait Befa depuis l’époque du Complot des bas-fonds, disparaît quasi intégralement de la tracklist de Détournement de son. Le partenariat avec le label suisse de Sens Unik est aussi clos. Fabe signe en licence avec SMALL via le Double H, la structure de Cut Killer. À des albums produits en binôme succède un disque réalisé avec une galerie de producteurs étant à l’époque les machines de guerre du rap français. Cut Killer bien sûr, mais aussi Yvan, Logilo ou DJ Mehdi pour ne citer qu’eux. Le Double H empile les samples organiques, comme en réponse à la direction que Fabe prend, celle d’un MC à la rage austère que l’auditeur sent bouillonner de l’intérieur. Les samples sont chauds, mais ils n’empêchent pas le propos d’être d’une colère froide. Les boucles auraient pu être attendues, elles subliment un flow chirurgical, où chaque syllabe fait sens.

Ces samples sont principalement issus de la musique noire américaine de la deuxième moitié du vingtième-siècle. Majoritairement soul, mais aussi funk voire jazz. Le souci de la cohérence textuelle de Fabe, le Double H en fait un mantra dans sa production et son sampling. Bien aidé par l’omniprésence de Cut Killer et du redoutablement discret Cutee B, le disque se révèle d’une unicité artistique rare malgré sa galerie de producteurs. Tout en muant musicalement, tout en suivant l’évolution naturelle du son du rap français, Fabe esquive toutes les fascinations. Celle des postures, celle du son new-yorkais, celle des phases qui se révèlent devenir un tract politique. En cela, Détournement de son porte bien son nom. Fabe et ses producteurs se sont répondus durant dix-huit pistes les uns aux autres, dans une sorte de surenchère entre la matière organique, par définition chaude et souple, et la synthèse épurée, froide, cinglante. Alors la meilleure manière de rendre hommage à cet album, c’est de l’explorer à travers les samples qui ont marqué la carrière de L’impertinent. Retour en cinquante minutes aux sources d’une discographie culte, faisant la part à l’album qui aura vu la naissance définitive de la Scred Connexion au complet. Fabe n’était jamais dans la tendance, Le Double H ou Stofkry étaient toujours dans la bonne direction. Le seul slogan d’un rappeur qui s’en méfiait comme la peste.

Tracklist :

  1. Ennio Morricone – « La Lucertola »
  2. Minnie Riperton – « Inside My Love »
  3. Cameo – « Freaky Dancing »
  4. Isaac Hayes – « Hyperbolicsyllabicsesquedalymistic »
  5. Shirley Bassey – « Light My Fire »
  6. Wes Montgomery – « California Dreaming »
  7. Anita Ward – « You lied »
  8. O’Donel Levy – « I’ll Sing From My Window »
  9. Ahmad Jamal – « Pastures »
  10. Johnny Hammond – « Tell Me What To Do »
  11. George Benson – « Lady »
  12. Faze O – « Riding High »
  13. Donny Hathaway – « Basie »
  14. George Benson – « This Masquerade »
  15. Wayne Shorter – « Tom Thumb »
  16. Miles Davis – « Bitches Brew »
  17. Herbie Hancock – « The Traitor »
  18. Eddie Henderson – « Inside Out »
  19. Side Effect – « The Loneliest Man In Town »
  20. Minnie Riperton – « Loving You »
  21. Minnie Riperton – « Perfect Angel »
  22. Sergio Mendes – « Pradizer Adeus »
  23. The Crusaders – « Spanish Harlem »
  24. Julie Driscoll – « Light My Fire »
  25. Ahmad Jamal – « The me Bahamas »
  26. Esther Phillips – « Some Things You Never Get »
  27. Judy Clay – « Private Number »
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4 commentaires

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  • Dj Claim,

    Un bel hommage pour un bijou.

    Merci les mecs

  • Kent-Zo,

    Agréablement surpris de me retrouver en intro de cet hommage à Fabe avec « L’Acte 3 » du titre « Imaginez la scène » et d’entendre d’autres passages de l’a cappella tout au long du mix.

    Abcdrduson me fait rappeler de bons souvenirs.

    Un grand big up à toi Befa pour tes enseignements ainsi qu’à votre équipe.
    Peace ! 

    https://youtu.be/w7HVrGNQT0I

  • Sebj,

    Super mixtape, comme d’hab’ ! ? Par contre c’est dommage de ne pas avoir les time codes pour chaque track 🙁 ça permettrait d’identifier les musiques en fonction de là où on se trouve dans la mixtape

    • zo.,

      On va essayer d’arranger ça sur mixcloud