Mixtape

Casey, un couteau dans la playlist

Une MC aiguisée comme une lame, un DJ pointu comme un couteau et une haine tranchante estampillée Anfalsh : alors que les deux premiers albums de Casey sont réédités en cette fin d’année et qu’un nouveau disque est en approche pour 2020, Corrado consacre à la MC un mix rétrospectif et ciselé.

Texte : Manue
Pochette : Florent Jourde
Photographie : Hugo Aymar

« MC je ne vous aime pas ! » Voilà sous quel signe Corrado place, d’emblée, la carrière de Casey. Ce mix tranchant de soixante-seize minutes débute et termine par une déclaration de haine envers les autres rappeurs, et l’entièreté de l’industrie. De l’amour et de l’humour il n’y en a que pour « l’équipe au grand couteau. » Le drop introductif l’indique, et les autres aussi : les seules voix autres que la sienne apparaissant sur le mix sont celles de ses congénères B.James et Prodige, comme pour dire qu’ils étaient là et le seront toujours. On ne sépare pas Casey d’Anfalsh.

À l’image de sa musique, le mix est quasi monochrome – noir, gris, avec de temps en temps, le rouge d’une giclée de sang. Pourtant, alors qu’il fait presque la durée d’un long métrage, il ne lasse pas. Corrado a en effet tailladé, travaillé en alternant les durées, la disparité des sources dans lesquelles il est allé fouiller. S’il accompagne la réédition de deux albums solo, le mix associe sans hiérarchie faces B, mixtapes, titres isolés (« Places gratuites » clippé en 2016, écrit pour le film Vers la tendresse d’Alice Diop) freestyles, featurings (Asocial Club et La Rumeur notamment), lives – sans, le mix aurait manqué une facette marquante de l’artiste, son énergie explosive sur scène – maquettes, soit presque vingt-cinq ans de musique. Clairement, les titres les plus exposés ne sont pas prioritaires. Pour le côté suspension introspective, le DJ fait le choix de « Je tiens à la vie », dialogue d’une Casey d’un quart de siècle qui se parle à elle-même à la deuxième personne, plutôt que du plus connu « Rêves illimités. » À quelques exceptions près, qui constituent deux des transitions mémorables du mix : celle de « Reconnais le travail » à l’énergique « Comme un couteau dans la plaie » et celle du couplet de « Ce soir je brûlerai » à « L’exclu. »

Le mix reflète la constance de Casey. Il montre à quel point son œuvre est faite de leitmotivs. Rapport torturé à l’institution scolaire – pas étonnant que ce soit l’école qu’elle décide de brûler dans « Ce soir je brûlerai » – exclusions, plaies qui font cogner en retour, haine crachée parce que concession, hypocrisie et baltringuise dégoûtent, des sphères politiques à celles du rap. Cette intégrité fait qu’une collaboration avec un réalisateur comme Karim Dridi paraît logique. « Quartier-maître », un des quatre inédits du mix, introduisait de façon magistrale le film Chouf (2016) avec une de ces phases symétriques, écrites au cordeau, dont elle a le secret : « J’habite à quelques mètres / De la taule où ils comptent me mettre. » Le rappeur marseillais Kofs, un des acteurs principaux du long-métrage, expliquait à l’Abcdr du son que Dridi montait le son lui-même pendant la projection à ce moment du film pour que le morceau, écrit spécialement pour l’occasion, résonne avec tout l’impact souhaité dans la salle.

Treize ans après la compilation Hostile au stylo, voilà ce à quoi ressemble, aussi, Casey. Si la tracklisting n’est pas vraiment chronologique, une évolution des flows reste perceptible : des freestyles des débuts (sur la mixtape de Dj Poska par exemple) en passant par le rap légèrement trappé des années 2010 jusqu’au rock. Un autre aspect du mix est qu’il fait la part belle au côté gueulard et hardcore, sur disque ou sur scène, bien présent derrière le talent de MC de Zeyk. Le passage de l’un à l’autre paraît évident, comme s’il avait toujours été là. Tant que ça écorche, c’est bien.

« La bouche disait coup d’Etat, la bite visait des petites sous les draps, des histoires sales, vaut mieux que j’en parle même pas. » Les dernières paroles de Casey donnent un peu plus de contenu à cette rage dans un inédit intitulé avec justesse « Paire de couilles » (inédit dont la sortie est prévue en 2020). Comme pour marteler d’un point final : entre eux et elle, on sait qui les pose sur la table.

Tracklist :

  1. « La soufrière »
  2. « Champion en titre »
  3. « Le brut d’Anfalsh »
  4. « C’est quoi le dièse » (version Blend, Corrado – Built to last)
  5. « Freestyle » (Dj Poska Mixtape 25)
  6. « 3.30 Pour un freestyle »
  7. « Décor bâclé »
  8. « Reconnais le travail »
  9. « Comme un couteau dans la plaie »
  10. « Faites du bruit »
  11. « Pur produit de la crise »
  12. « Ma patrie mon clan »
  13. « La parole est mienne »
  14. « Sans respect » (inédit 2016, Casey/Jamal-Pete Rock « Fades them All »)
  15. « Quartier maître » (inédit version maquette 2016. extrait du film Chouf de Karim Dridi, production : Hery)
  16. « Ça fait mal quand même »
  17. « Y-a t’il ? »
  18. « 93-95 »
  19. « Cellule de crise »
  20. « T’en es ou maintenant »
  21. « C’est l’histoire »
  22. « Vais je grandir un jour »
  23. « Je tiens à la vie »
  24. « L’hiver est long »
  25. « Ce soir je brulerai »
  26. « L’exclu »
  27. « Couteau dans la playlist »
  28. « Freestyle »
  29. « Once again »
  30. « Anfalsh bug »
  31. « Live 1 »
  32. « Live 2 »
  33. « Le fusil dans l’étui » (blend, Corrado – Built to last)
  34. « Purger ma peine »
  35. « Freestyle Pandemia »
  36. « Vengeance »
  37. « Mes doutes »
  38. « Louve » (inédit 2016 production : Hery)
  39. « Creuser »
  40. « La chanson du mort vivant »
  41. « En bas d’la page »
  42. « Places gratuites »
  43. « Paire de couilles » (extrait maquette 2019, production Hery)
Fermer les commentaires

1 commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*

  • Jason,

    Super Article 🙂