Mixtape

Boulogne, une école du rap français

Au printemps dernier, Boulogne, une école du rap français par Nicolas Rogès venait garnir les bibliothèques de la rédaction de l’Abcdr. En voici la bande son, par Bachir.

et En collaboration avec Nicolas Rogès.
Visuel par zo.

À l’Ouest immédiat de Paris, par delà le seizième arrondissement et la Porte de Saint-Cloud, se dessine une ville dichotomique : Boulogne-Billancourt. Près de 120 000 âmes l’habitent, et quelques fantômes aussi. Le premier de ces spectres, celui qui s’annonce dès les premières pages du livre de Nicolas Rogès, est celui de Louis Renault. C’est surtout celui de ses usines, bâties sur l’Île Seguin, allant jusqu’à s’étendre sur une centaine d’hectares et faisant suer le front de milliers d’ouvriers des décennies durant. L’ombre de ces manufactures automobiles persiste après le déclin industriel des Hauts-de-Seine. Au labeur prolétaire succèdent les crises économiques, la détresse sociale et des cicatrices visibles dans le paysage. Des quartiers prétendument prioritaires jetés près des usines Renault, tandis qu’à côté l’argent coule à flot, Boulogne-Billancourt figurant en bonne place au classement des villes les plus riches d’île-de-France. Il y a le quartier cossu des Princes-Marmottan, puis il y a ceux, pauvres, du Pont-de-Sèvre, du Square de l’Avre, du Square des Moulineaux. Entre eux, il y a des mondes.

Ce sont ces espaces, et à nouveau les ombres qui peuvent les envelopper, qui sont au cœur de Boulogne, une école du rap français. Publié en mai dernier chez JC Lattès, l’ouvrage revient sur trente ans d’histoire musicale au sein d’un périmètre aussi restreint. Au pied des tours, à Boulogne comme partout ailleurs, à Boulogne plus que n’importe où ailleurs, le hip hop a été chéri dans les années 1990. On a dansé, on a samplé, on a rappé. On a revendiqué son territoire, fièrement, à la Défense, au Trocadéro, ailleurs encore et chez soi aussi. Mais surtout, à Boulogne-Billancourt, on a transmis, diffusé, directement ou pas, que ce soit aux amis, à la famille, aux petits du coin. Pour peu qu’ils aiment le rap – et d’après les témoignages récoltés par Nicolas Rogès, s’ils sont Boulonnais ils n’ont pas vraiment le choix- les gamins évoluent eux aussi derrière des ombres. Imposantes, intimidantes, ce sont celles des tauliers. Depuis le 126 Rue Castéja, les Sages Poètes de la Rue ont impulsé il y a trois décennies un mouvement continu qui les relie à Tissmey aujourd’hui. Entre eux, des noms par dizaines se côtoient. Quand le jeu des sept familles du rap français a été distribué, celle de Boulogne-Billancourt était semble-t-il plus fournie : Dany Dan, Booba, LIM, Salif. Ne citer qu’eux, c’est déjà prendre la mesure de ce qu’incarne la ville dans l’histoire du rap hexagonal. Dans un souci d’exhaustivité, autant convoquer aussi Mala, Zoxea, Ali, EXS. Certes oui, mais alors il ne faut pas écarter Sir Doum’s, Melopheelo, Tuerie… Non, le compte n’y est toujours pas.

Boulogne-Billancourt est une pépinière de talents. Ils sont tantôt éclairés par l’intelligence d’un King, tantôt éblouis par l’éclat d’un Pape, tantôt cachés par l’aura d’un Duc. Mais tous, de 1993 à 2023, jouent leur partition, piochant alternativement dans la légèreté poétique des Sages Po’ ou dans la brutalité urbaine de Mo’vez Lang, revenant ainsi souvent à la dualité de Lunatic. Pour mieux percevoir les liens entre tous ces noms, la lecture de Boulogne, une école du rap français est des plus enrichissantes. Si l’analyse purement géographique d’une musique s’avère être une impasse, puisque jusqu’à preuve du contraire, ni les briques ni les plaques de rue n’ont de flow,  elle se fait pertinente lorsqu’elle fait place aux liens entre les habitants. C’est le cas dans ce travail de Nicolas Rogès, dont l’Abcdr avait pu profiter d’une démarche similaire à Compton par le passé.

S’il ne doit manquer qu’une chose aux 340 pages du livre, c’est une bande son. C’est pourquoi Bachir, le DJ favori de ce site, s’est chargé, en compagnie de l’auteur, d’établir une sélection mixée accompagnant Boulogne, une école du rap français. Elle compte dix-huit titres, selon une logique rythmique faisant se succéder brillamment “Le givre et le vent” (Tuerie) et “De mauvaise augure” (Booba), puis un peu plus loin “Nique le monopole des grands” (Less du Neuf et la FF) et “Dis leur” (LIM), pour ne citer que ces deux transitions hautement qualitatives. Aux quelques heures de lecture du livre de Nicolas Rogès, sera donc à ajouter une heure d’écoute de cette mixtape, qui l’illustre autant qu’elle le met en perspective.

Tracklist

  • Les Sages Poètes de la rue – « On inonde les ondes »
  • Kohndo – « Amour et peine » (3’30)
  • Ali – « La bonne nouvelle » (7’30)
  • Tuerie – « Le givre et le vent » (10’10)
  • Booba – « Mauvaise augure » (12’35)
  • Nysay – « La rue tue » (15’15)
  • Zoxea – « Chacun sa voie » (17’10)
  • Lunatic – « La lettre » (21′)
  • Beat 2 Boul – « Dans la sono » (24’45)
  • Less du Neuf  – « Nique le monopole des grands » ft. Fonky Family (27’50)
  • LIM – « Dis leur » (32’40)
  • Mo’vez Lang – « La vie est pleine de surprise » (36’20)
  • Les Sages Poètes de la rue – « Le train de minuit » (40’40)
  • Sir Doum’s – « Je lutte en rimant » (44’50)
  • Tisssmey – « Reset » (48’55)
  • Malekal Morte – « Stargate » (52’50)
  • Dany Dan – « La ville » (56’35)
  • Mala – « Izi cash » ft. Bram’s (59’35)
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