Sylvain Bertot : « Je trouve le rap français très premier degré »
Interview

Sylvain Bertot : « Je trouve le rap français très premier degré »

Serial chroniqueur pour plusieurs sites/blogs, dont aujourd’hui Fake for Real, codotusylv aka SylvOne aka Sylvain Bertot publie un beau livre chez un bel éditeur. Avec un triple pari : offrir une vue panoramique tout en affichant des partis pris, et consacrer le rap comme une musique légitime.

Abcdr du Son : Sur ton site Fake For Real, tu as fait pas mal de recensions de livres publiés par Le Mot et le Reste, l’éditeur chez lequel sort Rap, Hip-Hop. On suppose que c’est de là que l’idée du bouquin t’est venue… Mais quelle est plus précisément l’origine du projet ? Tu as soumis un manuscrit à l’éditeur ou c’est lui qui t’a contacté après avoir lu tes chroniques ?

Sylvain Bertot : C’est moi qui lui ai soumis, mais c’était alors un projet complètement différent. Sur Fake for Real, POPnews et les autres sites auxquels j’ai contribué, je parle du hip-hop en général, mais surtout de la scène rap indé apparue à la fin des années 1990 : c’est le sujet que j’ai pas mal creusé ces dernières années, et à l’origine je voulais surtout écrire là-dessus. J’étais pas complètement sûr que ça intéresse beaucoup – c’est quand même une micro-scène, un micro-sujet, ça concerne pas forcément beaucoup de monde – mais j’ai tenté le coup, avec un premier bouquin, non publié, qui était plus ou moins une compilation de chroniques que j’avais faites par le passé, plus une introduction, mais qui portait vraiment sur le rap indé de la fin des années 1990 : Fondle’Em, Def Jux, Anticon, etc.

Quand j’ai voulu soumettre ça à des éditeurs, j’ai tout de suite visé Le Mot et le Reste parce que j’aimais bien ce qu’ils avaient fait par le passé. J’avais chroniqué les livres de Philippe Robert qui étaient pas mal et j’aimais bien le format, sobre et austère, ça me va bien… Je les ai contactés directement, il y a environ un an [l’interview a eu lieu en mai 2012, NDA]. Ils étaient intéressés, sauf qu’eux cherchaient quelqu’un qui puisse faire la même chose que Philippe Robert, mais sur le rap. Ils m’ont donc proposé de faire quelque chose qui ne porte pas seulement sur le rap indé, mais plutôt sur l’histoire du rap en général. Sur le coup j’ai pas tout de suite dit oui : c’était tout de suite un autre projet, d’une autre ampleur. L’histoire du rap je la connais bien, mais ça me faisait sortir de ma zone de confort, il y a des scènes que je connais moins bien… Et puis en discutant je me suis laissé convaincre, je me suis bien pris au jeu et ça m’a motivé.

A : As-tu aussi envoyé le projet à d’autres éditeurs qui font des bouquins de qualité sur l’histoire de la musique, comme Allia ?

SB : J’avais aussi pensé à Allia et au Camion Blanc mais en visant en priorité Le Mot et le Reste, tout simplement parce que j’aimais bien ce qu’ils faisaient, notamment les bouquins de Philippe Robert. J’aimais bien leur maquette, et j’avais opté dès le départ pour une présentation similaire, c’est-à-dire une introduction sur l’histoire du genre puis une sélection d’albums. Ils m’ont recontacté rapidement et ça bien fonctionné, donc je n’ai pas eu besoin d’aller voir ailleurs.

A : Une fois que tu as soumis à l’éditeur cette deuxième mouture « élargie », comment ça s’est passé ?

SB : On a surtout eu pas mal de discussions en amont. Une fois que je lui ai envoyé la première version vers Noël dernier, il m’a laissé libre. Il a seulement eu quelques remarques de forme, quelques suggestions aussi, une notamment sur le rap français…

« Le rap français, j’en dis pas que du bien… mais pas que du mal non plus. »

A : … J’allais justement y venir : tu n’es pas connu pour être spécialement bienveillant envers le rap français, pour le dire gentiment… A-t-il une place dans le bouquin ?

SB : J’en parle assez peu, pour deux raisons. D’une part parce que je voulais vraiment avoir une optique internationale, or autant le rap français c’est important en France, autant au niveau global ça l’est nettement moins. D’autre part parce que le rap français, personnellement, sans rejeter tout, c’est beaucoup moins mon truc que le rap américain ou même d’autres pays. Il y en a un peu quand même : 5 albums de rap français sur 150 albums en tout. Et dans l’intro il y a un passage sur le rap français. J’en dis pas toujours que du bien… mais pas que du mal non plus.

A : Comment as-tu choisis ces cinq albums ? La sélection a-t-elle été difficile ?

SB : Oh non, parce que j’en aime pas tant que ça, donc il n’y avait pas un choix monstre ! [rires] Il fallait quand même essayer d’être représentatif, mais je ne suis pas sûr de l’avoir été. J’ai simplement pris cinq albums de rap français que j’aime bien [NDA : il s’agit de Métèque et Mat d’Akhenaton, Conçu pour durer de La Cliqua, Mauvais œil de Lunatic, Peines de Maures – Arc en ciel pour daltoniens de La Caution, Des lumières sous la pluie de Psykick Lyrikah].

A : Qu’est-ce qui te bloque dans le rap français ?

SB : Je pense qu’on a de très bons rappeurs, en termes de pur rap, des gens qui ont de la gouaille, du flow… Mais très souvent je suis moins convaincu par les beats. Il y a, je crois, un héritage de la variété française et de la chanson réaliste française, avec une survalorisation du texte qui conduit à ce que ça ne soit pas au niveau musicalement. Et puis je trouve souvent (même s’il y a des exceptions) le rap français très premier degré, alors que dans le rap américain, même le plus dur, il y a plus d’humour, de second degré. Au final j’y trouve rarement mon compte. Des gens qui avaient les mêmes goûts que moi en rap américain ont essayé de me convertir à l’époque de Hip-Hop Section, ça a marché de temps en temps mais rarement [rires]. Aussi, joue sans doute le fait que quand tu comprends immédiatement les paroles, tu te rends compte que les rappeurs français ne sont pas forcément de grands penseurs… C’est pareil en anglais mais ça choque plus dans ta langue.

A : Quelle est la part, plus généralement, du rap hors États-Unis dans ta sélection ?

SB : J’ai pas compté, mais il y a pas mal d’albums de rap anglais, peut-être six ou sept, deux albums de rap japonais, pas mal d’albums canadiens puisqu’il y a là-bas une grosse scène de rap indé, un album de rap australien… Mais au total c’est pas énorme, l’essentiel ça reste quand même le rap américain/états-unien.

A : À propos de cette scène rap indé américaine que tu connais très bien, on a l’impression d’un enthousiasme puis assez vite d’un essoufflement…

SB : Ça dépend si on parle de la scène « alternative » américaine ou de ce qui a été plus ou moins son équivalent en France. Hip-Hop Section traitait des deux. À l’origine il y a eu d’abord NuSkool, qui ne parlait que de rap indé américain, ensuite une petite communauté s’est formée autour, ça s’est donc étendu et on a essayé de parler de la scène qui tentait de se créer alors, autour de TTC & Co. par exemple. Cette scène indé « à la française » n’a pas vraiment duré, même si la plupart des artistes concernés ont une postérité et continuent à faire des choses : ils font des choses différentes, la scène a un peu explosé… Les acteurs ont survécu mais la scène en tant que telle, non, et moi-même d’ailleurs je m’en suis un peu détaché.

La scène nord-américaine, elle, où le Canada est très présent, a survécu, mais elle a aussi beaucoup changé. Le rap new-yorkais « puriste » de la fin des années 1990 porté par des labels comme Fondle’Em et compagnie, bon, ça existe encore, mais c’est plus ce que c’était. Il y a eu une suite au milieu des années 2000 avec une phase genre « rap de blanc expérimental intimiste » à la Anticon, c’est une scène qui a donné de très bons disques mais qui a été très peu médiatisée – d’où la création de Fake for Real. Moi c’est des artistes qui me parlaient pas mal, parce qu’en général ils sont marqués par le rock et j’écoute autant de rock que de rap, ma discothèque c’est moitié-moitié, donc je m’y retrouvais. Maintenant cette scène est morte aussi, faute d’exposition et de relais. Mais je défends l’idée que, même si c’est à la fin des années 1990 que le rap indé a surtout été sous les feux des projecteurs, en fait ça a été plus intéressant après.

A : Tu parlais tout à l’heure d’être « représentatif » : c’est parce que l’idée était d’emblée de ne pas seulement faire une sélection purement subjective, même très argumentée ? Tu t’étais fixé un certain nombre de critères pour essayer de faire le panorama le plus complet possible ?

SB : À partir du moment où l’éditeur m’a convaincu de faire un livre sur le rap en général, ça s’imposait un peu. Mais je me suis posé pas mal de questions. Au début, j’ai pensé faire un peu comme Philippe Robert dans Pop, Rock : faire un classement alternatif, c’est-à-dire citer des albums qui ne sont pas habituellement dans les listes des meilleurs albums de tous les temps. Ce qui m’embêtait, c’est que je pouvais trouver pas mal de trésors cachés pour certaines époques ou certains sous-genres, y compris le rap new-yorkais des années 1990, mais je n’aurais pas pu couvrir tout de la même façon, dans des styles que j’aime bien mais que j’ai moins creusé comme le G-Funk par exemple. Et puis si je prenais le parti de faire connaître des trésors cachés, ça me faisait presque revenir à mon projet de départ.

Par ailleurs il fallait quand même que ça interpelle les gens. Des bouquins sur le rap, en France, il n’y a en pas tant que ça finalement. Or, il y a des gens qui veulent se renseigner sur le sujet, qui écoutent d’autres musiques mais veulent un peu mettre le nez dans le rap : ces gens-là, on ne va pas leur imposer directement des albums introuvables. Au final j’ai donc opté pour un mélange des deux, avec des disques coup de cœur, mais en incluant aussi beaucoup de classiques reconnus (même s’il en manque), et en couvrant différentes époques et géographies. C’est donc autre chose que Fake for Real : il y a des albums dans le livre dont je n’ai jamais parlé sur le site.

« Le but était d’être représentatif en termes d’époque, de géographie et de notoriété. »

A : Est-ce qu’en écrivant le livre tu avais en tête un « public cible », par exemple des amateurs d’autres musiques qui ne sont pas complètement hostiles au rap mais conservent encore pas mal de préjugés ?

SB : J’ai visé plusieurs cibles. La première, la principale, c’est effectivement des fans de musique, ou simplement des gens qui s’intéressent à la musique en général et qui sont assez ouverts pour aller voir ce qui se passe dans d’autres genres ; notamment un lectorat plutôt rock, mais pas borné, curieux. En fait c’est déjà à eux auxquels je pensais à l’époque de NuSkool et Hip-Hop Section, j’avais pas toujours le public que je visais d’ailleurs ! [rires] Il y a aussi une deuxième cible venue plutôt au fur et à mesure des discussions avec l’éditeur, qui faisait remarquer le peu de livres qu’il y avait sur le sujet, d’autant que certains comme ceux de Cachin sont épuisés : ce sont les « jeunes qui débarquent« , des jeunes amateurs de rap qui cherchent à se faire une culture.

A : Olivier Cachin avait lui aussi fait paraître un livre basé sur un classement de disques qui visait large : qu’avais-tu pensé de ce bouquin ?

SB : Je ne me souviens plus trop : celui où il commençait avec les Last Poets ? Il y avait pas mal de rap français dedans, non ? [réfléchit] Je l’ai lu, mais il y a longtemps et je l’ai pas chez moi, donc j’en ai pas un souvenir très précis… En tout cas je me suis pas positionné par rapport à Cachin pour tout dire, il vise sans doute un public encore bien plus large que moi [rires]. J’avais ce genre de livres en tête, mais mes sources sont principalement en anglais et je m’adresse quand même plus à de vrais fans de musique.

A : Comment as-tu déterminé le titre de ton livre ? Il est très large et en même temps un peu incertain sur le rapport entre « rap » et « hip-hop », et c’est le sous-titre qui explicite l’objet du livre…

SB : Oui, il y a même deux sous-titres ! [rires] Ce titre, je l’ai pensé dans la foulée de certains de Philippe Robert et compagnie. J’aurais pu mettre seulement « rap » ou « hip-hop », mais j’ai voulu mettre les deux avec une virgule plutôt qu’un « et » pour signifier que c’était devenu la même chose, à peu de chose près… Je précise tout ça dans l’introduction. Ça me fait d’ailleurs penser à un autre public auquel j’ai pensé, à travers mon ancien voisin du bureau : un fan de musique mais qui ne connaissait absolument rien au rap. Il m’a un peu servi de test. En discutant, pour lui ça a été une révélation complète que le rap et le hip-hop c’était grosso modo la même chose. L’idée qu’il avait en tête, comme souvent, c’est que le hip-hop c’est noble, c’est de la culture, alors que le rap c’est un truc agressif… Il y a pas mal de gens qui te disent ça : « je déteste le rap, mais j’aime bien le hip-hop« . C’est aussi pour ça que j’ai voulu recoller les deux mots : ils n’évoquent pas les mêmes choses chez les gens et je voulais brasser large.

A : Pourquoi une sélection de 150 albums, et pas 100 ou 200 ? Est-ce parce que tu actualises parallèlement ta liste des meilleurs albums de rap indé sur Fake for Real en passant justement de 100 à 150 ?

SB : Pour le rap indé, dans la première version du projet, j’étais encore plus ambitieux : j’en avais 250 ! Avec une introduction beaucoup plus courte, puisqu’on ne croule pas sous les sources. Je ne sais plus comment on en est arrivé à 150, mais en tout cas je voulais en écrire beaucoup, rendre compte de la diversité du genre. C’est aussi quelque chose que j’ai testé auprès de mon voisin de bureau : le convaincre à quel point le rap pouvait être divers, autant que le rock, le jazz… Il ne me croyait pas !

A : Quatre albums figurent en couverture : pourquoi ceux-là ? La sélection a-t-elle été difficile ?

SB : Ah ça oui, je me suis arraché les cheveux ! [rires] C’était compliqué… J’ai essayé de trouver le meilleur compromis. Je voulais que toutes les époques soient représentées, et là c’est le cas : les années 1980 avec Run D.M.C., les années 1990 avec Dr. Dre, 2000 pile avec Antipop Consortium, et la fin des années 2000 avec ABN. Je voulais également que toutes les régions du rap des États-Unis soient abordées, et là il y a à la fois du rap new-yorkais, sudiste et californien. Je voulais aussi avoir un album archi-connu, comme The Chronic, à côté d’une pochette marquante du rap indé, connue aussi d’un autre public, comme celle de Tragic Epilogue, et d’une pochette d’un groupe connu seulement par les connaisseurs, ABN. Bref, être représentatif en termes d’époque, de géographie et de notoriété.

A : Et à partir de ces critères, tu es arrivé directement à ces quatre là, où tu avais des possibilités alternatives ?

SB : En fait j’avais proposé plusieurs possibilités à l’éditeur à partir de ces trois critères ; lui de son côté voulait aussi prendre en compte l’impact visuel des pochettes : c’est celles-là qu’ils ont préférées et ça m’a convenu.

A : Quelles sont alors les couvertures auxquelles on a échappé ?

SB : [réfléchit] Je sais plus trop, ça fait déjà deux ou trois mois… Maintenant je suis habitué à ces quatre-là… J’avais dû mettre des choses plus connues pour le rap sudiste et moins pour le rap californien, genre Compton’s Most Wanted. J’avais dû mettre aussi le We can’t be stopped des Geto Boys, pour bien montrer que le bouquin ne parle pas du tout seulement de rap indé intello ! [rires]

A : Sur FFR, tu ne chroniques pas seulement des disques, mais aussi des livres, notamment (mais pas seulement) sur le rap. Tu te souviens du premier livre que tu as lu sur le sujet ? Et le dernier en date ?

SB : En fait je me suis mis tard à la lecture de bouquins sur la musique, ça doit dater du milieu des années 2000, pas avant. Le premier c’est donc le Jeff Chang (Can’t Stop Won’t Stop), en anglais. J’ai pas tout aimé d’ailleurs. Il va un peu vite vers la fin ; il explique très bien les débuts, la naissance, mais après, quand le rap devient d’une certaine manière plus intéressant esthétiquement, il parle du côté politico-social engagé mais beaucoup moins des genres, des œuvres, de la dimension esthétique, c’est dommage.

Le dernier, je l’ai pas encore fini, c’est The Big Payback de Dan Charnas, qui raconte l’histoire du rap par le business. C’est intéressant mais c’est un pavé, c’est presque de la micro-histoire par moments, il faut avoir du courage pour le lire ! Mais il a un positionnement très intéressant dès le début : dans l’introduction, il renvoie dans les cordes ceux qui accusent le rap d’être un retour en arrière, d’avoir gaspillé tous les acquis de la lutte pour les droits civiques, de renvoyer une image négative de l’homme noir… Et répond : qu’est-ce qui a permis à des Noirs d’avoir des positions importantes dans l’industrie du disque, facilité les connexions entre Blancs et Noirs en touchant massivement les banlieues blanches, etc. ? C’est le rap. Il est peut-être « scandaleux », mais il a contribué au progrès de la condition noire. C’est son point de départ, c’est une thèse un peu provocatrice et j’aime bien ça [rires].

A : Même question pour les disques : quel est le premier disque de rap que tu as vraiment écouté ? Et le dernier ?

SB : Waouh ! [réfléchit] Les premiers disques de rap que j’ai écoutés, c’était ceux qui plaisaient aux auditeurs de rock, donc Public Enemy, De La Soul et A Tribe Called Quest, à cause du sample de Lou Reed. Un peu les Beastie mais pas tant que ça, je m’y suis mis plus dans la période Check Your Head et Ill Communications que dans celle de Licensed to Ill. Ce qui m’a vraiment fait basculer dans le rap, le moment où je me suis mis à ne plus acheter que ça, c’est plus tardif, c’est le Wu-Tang, qu’en plus j’ai découvert après coup avec les albums solos en 1995. Là ça a été le choc. J’ai jamais aimé un groupe autant que le Wu-Tang. J’avais passé la vingtaine mais ça m’a fait à nouveau aimer la musique comme quand j’étais ado. Le premier que j’ai écouté c’était celui d’ODB. Je me suis dit : mais c’est quoi ce truc de dingue ! Je l’ai acheté, j’ai adoré, et après je trouvais que chaque solo était encore meilleur que le précédent.

« L’approche biographique, je m’en fiche : ce qui m’intéresse, ce sont les disques. »

Le dernier… Eh bien en fait je ne suis pas l’actualité au jour le jour, c’est un truc de jeunes et moi j’ai bientôt quarante berges… Dernièrement j’ai bien aimé Action Bronson : il y a sans doute un côté nineties qui m’a interpellé, on retrouve avec lui Ghostface et donc le Wu-Tang, sachant que j’ai préféré Blue Chips à Dr. Lecter. Ou même des trucs un peu gothiques comme Lil Ugly Mane, j’aime bien. Côté indé j’aime bien le dernier Blue Sky Black Death & Nacho Picasso par exemple. Mes gamins aiment bien les trucs anglais genre Dizzee Rascal, ça marche bien pendant les anniversaires [rires].

A : Est-ce qu’en faisant ta sélection, tu t’es surpris en changeant d’avis sur un album avec le recul ?

SB : Ça m’a fait ça, mais avant le bouquin. L’écoute ça réclame une certaine éducation : quand tu viens du rock avec un certain moule ça t’apprend à apprécier certains sons, mais pour d’autres, il faut un certain temps. Moi au début, très clairement j’étais plus rap new-yorkais puis rap indé : plus c’était bizarre plus ça me plaisait, ou plus c’était intimiste-émo-à guitare plus ça me parlait, et c’est sur le tard que je me suis mis au rap west coast et sudiste, à part les « gros », comme OutKast que j’ai toujours adoré parce qu’il y avait un côté rock qui m’interpellait. Plus tard je me suis surpris à aimer des trucs comme Compton’s Most Wanted, B.G. Knocc Out & Dresta…

A : Tu as évoqué plusieurs fois les livres de Philippe Robert : avais-tu d’autres références ou points de repères pour l’écriture ou la construction, y compris des repoussoirs, des trucs que tu voulais éviter ?

SB : Sans penser à un bouquin ou un auteur en particulier, ce que je voulais absolument éviter c’était quelque chose de trop factuel. Les biographies par exemple, même d’artistes que j’aime bien, je m’en fiche. L’approche biographique je m’en fiche si ça éclaire pas le disque dont on parle. Ce qui m’intéresse, c’est les disques. Je voulais aussi qu’il y ait des convictions. Sur Fake for Real je peux dire ce que je veux et me permettre d’être polémique ; dans le livre je suis plus diplomate, mais il y a quand même des convictions : par exemple sur le rap français, dont je ne dis pas que du bien.

A : As-tu un regret pour ce livre : quelque chose que tu n’as pas pu caser, ou que tu remets à plus tard ?

SB : Ah, j’en ai plein : dès que j’ai rendu le livre, j’ai eu des doutes sur ma sélection ! Pourquoi j’ai pas mis tel ou tel disque que j’aime bien, etc. Au bout d’un moment, il faut savoir s’arrêter. Mais j’ai presque peur de relire le bouquin une fois qu’il sera sorti : si ça se trouve je ne serai déjà plus d’accord avec des choses que j’y ai mises [rires]. Sachant que je l’ai fait lire avant à des gens dont l’avis compte, même si on n’est pas forcément d’accord.

A : Vu ton expérience à long terme sur différents sites, est-ce que tu sens des changements dans le lectorat, un renouvellement ou des décalages générationnels, qui font que tu n’as pas les mêmes retours sur Fake for Real que sur Hip-Hop Section par exemple ?

SB : Je pense en fait que la génération a vieilli avec moi : dans Hip-Hop Section il y avait pas mal de gens (très) jeunes, sur Fake for Real ce sont les mêmes, enfin pas exactement les mêmes mais la même génération. Je n’en suis pas sûr, mais je pense pas qu’il y ait eu beaucoup de renouvellement, c’est souvent le même profil. Sur HHS il y avait des gens qui avaient quinze ans. Aujourd’hui sur Fake for Real ce n’est pas le cas, ça m’étonnerait.

A : C’est important : ça joue beaucoup sur l’état des goûts dominants à une époque donnée…

SB : Oui, quand tu as 15 ans et que tu commences à te faire ta culture musicale, tu la fais par rapport aux gros médias. Si tu as un site qui n’est pas lui-même relayé par les gros médias et qui ne parle pas lui-même des choses dont parlent les gros médias, il y a aucune chance que la connexion se fasse.

A : À ce propos, est-ce que tu évoques dans l’intro la façon dont les médias généralistes, ou même plus spécialisés, traitent du rap ?

SB : J’en parle mais surtout concernant les livres, à propos du fait que l’appréhension spécifiquement esthétique du rap est en fait assez récente, ou plutôt qu’elle s’est effacée à partir du moment où le rap s’est mis à véhiculer des messages, ce qui est regrettable. C’est pour ça que je voulais me centrer sur le genre lui-même. Le rap c’est un objet esthétique pour moi. Sociologiquement le rap ça me dit rien : j’habite à la campagne, je suis « gaulois », je réponds pas au stéréotype du fan de rap que les gens ont en tête…

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