Soul G
Interview

Soul G

Co-réalisateur avec Kool M de la quasi-totalité des productions de La Rumeur jusqu’au second album du groupe Regain de Tension, Soul G fait partie de cette génération de précurseurs qui ont appris à évoluer sur un chemin non balisé. Rencontre avec un DJ/Producteur éclectique et passionné.

Abcdr : Comment es-tu venu au Hip-Hop ? Directement par le Djing ?

Soul G : Ça remonte là ! [rires]. En fait j’ai commencé par la danse en décembre 1983… mais avant on avait entendu parler d’une tournée avec notamment Afrika Bambaata, Futura 2000 et Crazy Legs et j’avais vu le film Flashdance au ciné avec Mister Freeze et les NYCB. Sinon, j’ai commencé le Djing avec Kool M en 1985.

A : Quel souvenir gardes-tu de cette époque de découverte ? Quelque part c’était les prémices de beaucoup de choses…

S : C’était merveilleux, avec effectivement beaucoup de découvertes. L’existence des feutrines, du scotch, de la petite pièce sur la cellule, on ne connaissait rien de tout ça. Il n’y avait pas de vidéos et de sources d’infos accessibles aussi facilement qu’aujourd’hui. Donc oui, on a découvert par nous-même beaucoup de choses…

A : Vous avez tout appris tout seuls ?

S : Oui…et non. On a fini par être un petit groupe avec Crazy B, Faster Jay, il y avait déjà Kool M qui est un ami d’enfance, et d’autres potes. On s’échangeait des tuyaux. Je pense que le plus dur c’était de comprendre comment étaient fait les sons, c’était difficile à assimiler, dans le sens où il n’y avait rien avant. Quand, par exemple, on a commencé à comprendre que certaines musiques rap étaient piquées sur des disques de Soul ou de Jazz, c’est devenu encore plus intéressant ; surtout quand on écoutait par hasard un original.

A : Avant que le rap prenne de l’ampleur, tu étais déjà intéressé par d’autres musiques ?

S : Oui, avec Kool M, on écoutait beaucoup de Funk, à la radio notamment sur Radio Show ou Radio 7…

A : Quelle est la première production qui t’a marquée ?

S : Le premier album de Gang Starr, en 1989, No more Mr. Nice Guy, m’a beaucoup marqué, mais il y en a d’autres…

A : Rétrospectivement, quel regard portes-tu sur tes premiers instrus ?

S : Pour apprendre à se servir du matériel, au départ, c’était vraiment dur, alors les premiers sons ça devait pas être terrible [rires].

A : Quelles étaient tes premières machines ? Avec quoi travailles-tu actuellement ?

S : En fait, avec Mehdi on a toujours fonctionné en binôme, et quand on a voulu faire du son et qu’on avait chacun un peu d’économies, on a acheté un sampler, le S950, un Atari, Cubase et on s’est lancé. Tout ça c’était en 1988-1989. Enfin juste avant, j’avais acheté un sampler pour guitariste, ça s’appelait le U4, ça samplait quatre secondes si ma mémoire est bonne. Aujourd’hui, j’utilise le 6400 Ultra de EMU et toujours le S950 et toujours l’Atari avec Cubase…

A : Avec le développement des logiciels de production assistés par ordinateur, on a envie de considérer qu’il y a une forme de démocratisation de la production. Le succès de 9th Wonder, qui utilise un logiciel relativement accessible, Fruity Loops, illustre bien cela, qu’en penses-tu ?

S : Tant mieux si la production musicale se démocratise, à mon avis elle n’a pas vocation à être réservée à une élite. Et puis, la sélection, si sélection il y a, se fera d’elle-même de toute façon.

A : Tu as sorti deux disques de breakbeats en solo, ‘Scratch Action 1 et 2, quel était l’objectif de ces sorties ?

S : A l’époque, il y avait peu de breakbeats, on voyait ceux de Q-Bert et comme on s’entraînait pas mal avec Crazy B et d’autres, à un moment, j’ai eu envie moi aussi d’en sortir en solo. Avant j’avais fait les Back to the beat en 93-94 avec, notamment Kool M et Goz, mais là c’était un peu différent, on faisait appel à des DJs pour des remixes et autres. On avait fait aussi une série spéciale training, en accord avec le DMC, et là c’était vraiment du breakbeat avec des instrus, des sons, des phrases…

A : Aujourd’hui, où trouves-tu tes kits de batterie ? Es-tu pour ou contre l’utilisation de kits issus du rap ?

S : Non, quand j’entends une caisse claire isolée, je vais la prendre point. Je ne me pose pas de questions de ce genre. L’essentiel pour moi c’est qu’elle pète. Et puis, quand tu vas échantillonner ton kit de batterie, tu vas pouvoir lui donner un autre son, soit en jouant sur les filtres, soit en réglant la fréquence d’échantillonnage…

A : Où trouves-tu généralement tes samples ? Dans des genres musicaux bien précis ? Un peu partout ?

S : Je pioche souvent dans l’easy-listening, des gens comme Fausto Papetti, là je viens te donner un gros nom ! [rires] Non, enfin il est connu. Il faisait pas mal de reprises de classiques des années 60-70. Après, évidemment le Jazz, la musique française, la musique exotique…mais je ne me fixe pas de limites en la matière.

A : Je crois savoir que tu joues de plusieurs instruments ; que t’a apporté la connaissance de ces instruments ?

S : Oui, je joue du clavier, de la basse et du sitar indien. Après, chronologiquement, c’est le fait de composer du rap qui m’a amené à jouer un instrument. Au départ, je me contentais de sampler et je ne savais pas du tout jouer. En fait, parfois sur une boucle, j’avais besoin d’une basse que j’entendais mal, alors j’essayais de rejouer la même ligne. J’ai appris comme ça et de fil en aiguille j’ai appris quelques gammes au synthé, mais je ne suis pas un très bon musicien, ça m’aide juste à la composition.

A : Es-tu intéressé par le turntablism, et cette forme de démonstration technique, aussi extrême puisse-t-elle paraître ?

S : Oui c’est un mouvement qui m’intéresse, mais j’ai lâché à un moment, quand ça devenait trop technique et que ça demandait vraiment beaucoup de temps pour pouvoir suivre et reproduire ces techniques. Sinon, j’aime beaucoup Q-Bert, Mix Master Mike, Toadstyle. J’ai vu une vidéo de John Cage, il utilisait une pédale qui samplait, c’était simple mais plutôt impressionnant musicalement parlant. Avec cette pédale, il empilait au fur et à mesure des bribes de morceaux pour en composer un nouveau.

A : Quelle valeur accordes-tu à des compétitions comme les DMC ou les ITF ? C’est quelque chose qui t’intéresse ?

S : Je trouve ça intéressant dans le sens où ça permet de faire progresser les DJs et les techniques. La compétition est une bonne émulation pour faire progresser chacun. Sans compétition, je ne pense pas qu’on en serait là aujourd’hui.

A : Tu as aussi ton propre label, Magoo Records, sur lequel était sorti Pineapple Corner, peux-tu nous le présenter d’avantage ? Quel est son objectif ?

S : Je bosse depuis sept ans avec un ami, Tony Match, dans l’électro. On a monté ce label il y a trois ans pour développer et crédibiliser nos productions. Aujourd’hui, on produit nos albums, on travaille sur des DVD de marques, on travaille avec des gens du monde entier. Enfin, on essaie de produire et développer des artistes comme Liv, une chanteuse danoise ou Kaori, une chanteuse japonaise.

« Je pense que cette histoire de procès et l’euphorie de la tournée ont fait qu’on a eu envie d’avoir des sons plus patates. »

 

A : Le remix est t-il un exercice qui t’intéresse ? Quels sont les morceaux que tu aimerais particulièrement remixer ?

S : Je n’en ai jamais sorti dans le commerce, mais ce n’est pas que ça ne m’intéresse pas, c’est juste qu’on ne m’a jamais proposé de le faire…enfin en même temps je n’en ai jamais proposé non plus, en tout cas dans le rap.

A : Que penses-tu des albums composés entièrement d’instrumentaux ? Le label anglais BBE avait commencé à sortir plusieurs albums sur ce concept, avec notamment Jay Dee, Marley Marl, Pete Rock,…

S : J’aimerais bien en faire un aussi [rires]. Dans ce registre, j’ai beaucoup aimé la BO de « Ghost Dog », c’est ma référence en la matière. Après, si ce type de projet est intéressant, c’est vraiment difficile à vendre…

A : Quels sont les producteurs dont tu apprécies tout particulièrement le travail ?

S : Je suis un peu largué niveau actualité, j’ai arrêté d’écouter du rap depuis quelques années. Sinon, du classique, Pete Rock, Premier, Marley Marl, Rza…A : Comment se passe, généralement, la collaboration avec les MCs de La Rumeur ? Tu leur soumets une série de productions déjà bouclées ?

S : Généralement, je fais une pléiade de sons et je les laisse choisir ce qu’ils préfèrent dans le lot. Après, parfois ils ont déjà un texte et veulent une ambiance bien spécifique, je prépare alors quelque chose qui correspond.

A : Est-il important pour toi, en tant que producteur, d’appartenir à un groupe ?

S : A mon avis, faire partie d’un groupe te permet d’échanger des idées et de créer une identité en tant que groupe. De la même façon, être tout seul te permet de t’affirmer en tant qu’individu.

A : Envisages-tu un jour de produire pour un autre groupe que La Rumeur ?

S : Je n’ai rien de prévu à ce niveau là, à part pour Casey mais là c’est autre chose. Après, on ne m’a jamais proposé de produire pour quelqu’un d’autre que La Rumeur, je ne sais pas, peut-être je ne suis pas assez communicatif ou mes sons n’intéressent pas les autres rappeurs. Enfin, il doit y avoir un truc, mais ce n’est pas bien grave tout ça.

A : Quelle est la production dont tu es le plus fier ?

S : Je suis très satisfait de ‘Le cuir usé d’une valise’, musicalement parlant le résultat me plait bien, mais j’ai aussi un excellent souvenir du contexte, de la façon dont on l’avait fait. J’aime bien aussi ‘Le coffre fort ne suivra pas le corbillard’ ou ‘Nous sommes les premiers’.

A : Avant ce nouvel album, tu co-signais et réalisais avec Kool M l’ensemble des productions de La Rumeur, comment se passait votre collaboration ?

S : C’est assez compliqué à vrai dire. On bossait ensemble et on ne bossait pas ensemble. On a fait certains titres à deux, et d’autres chacun de notre coté. Au début on a beaucoup travaillé ensemble, mais après le temps et la maturité ont fait que chacun avait besoin de composer tout seul. Pour L’ombre sur la mesure, on a composé chacun de notre coté et on s’est fait écouter nos morceaux avant de les présenter aux autres.

A : Au-delà de l’amitié avec Mehdi, j’imagine que travailler à deux sur un projet commun c’est aussi beaucoup de prises de tête et de compromis ?

S : Oui, c’est ça qui a fait qu’à un moment donné, on est parti chacun de notre coté. Je faisais des concessions, lui aussi et au final on avait des morceaux où chacun était un peu frustré. C’était difficile d’être tous les deux pleinement satisfaits.

A : Tu as réalisé seul l’ensemble des productions de Regain de Tension, comment as-tu appréhendé ce travail en solo ?

S : En fait, au tout départ, quand on a acheté ensemble notre matériel, on bossait à deux. Mais quand Mehdi partait en vacances, moi je partais très peu, alors je récupérais le matos chez moi et je bossais tout seul. Donc cette approche en solo, elle s’est faite progressivement et depuis des années.

Après j’ai fait toutes les productions de Regain de Tension pour la simple et bonne raison que la vie professionnelle et privée de Mehdi a changé. Il n’avait vraiment pas le temps de s’impliquer pleinement là-dedans. Il s’est par contre occupé du développement du label. En fait, j’avais aussi produit, tout seul, les quatre inédits, sorti sur maxi et sur la réédition du premier album. On a indiqué ces changements dans les crédits, uniquement pour ce deuxième album qui constitue une forme de rupture.

A : Regain de Tension n’a musicalement pas grand chose à voir avec son prédécesseur, comment c’est décidé ce changement d’atmosphère et dans quelle mesure es-tu intervenu dans cette décision ?

S : Après le premier album et la tournée, on a eu tous envie d’avoir des sons plus pêchus, on était dans une ambiance plus rentre-dedans. Je pense que cette histoire de procès et l’euphorie de la tournée ont fait qu’on a eu envie d’avoir des sons plus patates. A titre individuel, j’avais aussi envie de faire quelque chose de différent, comme ça, même si j’aime aussi toujours faire des morceaux plus jazz.

A : J’imagine que ton vécu dans des musiques plus électroniques t’a aidé pour produire cet album…

S : Oui, en fait cet album comporte très peu de samples mais beaucoup de compositions. Ça a commencé avec ‘P.O.R.C’. Tiens, d’ailleurs j’avais lu sur un forum que mon sample était grillé, que des gens connaissaient l’original, ce qui m’a beaucoup intrigué à vrai dire. Enfin, ce travail de composition n’était pas nouveau pour moi, il s’inscrit quelque part dans la lignée de ce que je peux en faire en électro. Le principe est le même à vrai dire, seul le BPM a changé.

A : Considères-tu qu’un sample doit demeurer un mystère ou n’hésites-tu pas à en dévoiler l’origine ?

S : Je considère assez normal d’avoir envie de conserver son petit jardin secret et bon, par rapport aux maisons de disques et aux droits, je pense qu’il est toujours préférable d’éviter de se faire griller. J’évite aussi d’aller dans une direction où tout le monde peut aller.

A : Pour finir, qu’est-ce qui tourne sur ta platine en ce moment ?

S : En électro, Kelpe et Alice Russelle, en oldies, Gabor Szabo et Max Greger.

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