le Coup monté de la Rumeur

Avril 2002. À quelques jours des élections présidentielles, La Rumeur sort son premier album : L’Ombre sur la mesure. Il est l’aboutissement de quatre formats courts, nés dès 1996, et avec lesquels le groupe s’était progressivement dévoilé au rap français. Le premier d’entre eux s’appelait Le Poison d’avril et Ekoué, jusque-là aperçu avec Assassin, avait l’honneur d’ouvrir le bal en envoyant en pleine figure les rimes de « Blessé dans mon égo. » Dès ce premier EP, les choses étaient claires : La Rumeur ne fera ni ne dira ce que font ou disent les autres. Immédiatement, elle affirmait ses thèmes fondateurs : la banlieue, l’errance, l’histoire honteuse de la République, l’immigration ou les mirages de l’intégration. Le groupe l’aura fait sans relâche trois volets durant, agrémentés d’un entre-volet dans lesquels tour à tour Ekoué, Hamé, Le Bavar et Le Paria rappaient des paroles gravées dans tous les bétons. Ceux qui emprisonnent, ceux qui enferment et renferment sur soi, ceux qui sont les oreilles muettes seules à entendre les maugréements des mis à l’écart, ces bétons qui absorbent les coups d’un son sourd ou le bourdonnement du travail à la chaîne. Dès 1996 et ses premiers titres, La Rumeur avait décidé de rapper le hors-piste, celui dans lequel le rap français en voie de normalisation commençait à ne plus oser mettre les pieds.

C’est ce rap ferraillé de convictions et rappelant que les perdants ont une voix que cet article espère explorer. Mais il espère aussi raconter que l’influence de La Rumeur ne se résume pas seulement à une ligne de conduite mais à un tout musical, singulier dans le rap français. Un sens de la production à contre-courant des canons de l’époque. Une écriture multi-facettes, appliquée, impliquée et fleurie d’argot par quatre personnalités très fortes. Une osmose entre le travail de beatmaking et les univers développés par chacun des rappeurs. Une façon de se poser sur l’instrumental, bien plus sentencieuse que faussement nonchalante. Une urgence telle qu’il faut prendre le temps de choisir les bons mots pour désigner chaque chose, chaque fait, chaque sentiment. En bref, une musique qui raconte aussi bien les blessures personnelles que celles de l’Histoire, tout en ayant la capacité de faire naître des images et des atmosphères chez celui qui l’écoute.

Vingt ans après leur premier volet, quinze ans après leur premier album et encore une fois en période électorale, c’est Kool M, coproducteur de l’ensemble des titres de La Rumeur entre 1996 et 2002, qui raconte, malgré l’absence de son complice Soul G, la naissance d’un clan, d’une famille, qui n’aura jamais laissé le rap parler à sa place. Un entretien éclairé par les témoignages de douze personnalités liées de près ou de loin à la trajectoire du groupe. Qu’ils furent complices du parcours de La Rumeur, témoins privilégiés d’une époque, ou simplement influencés en tant qu’auditeurs ou rappeurs, tous illustrent avec leurs propres mots la musique et l’influence du groupe, du milieu des années 1990 au début des années 2000. Avec pour espoir de donner encore un peu plus de profondeur à cette ombre qui hante depuis maintenant vingt ans les mesures du rap français. Bienvenue dans le coup monté par La Rumeur.

Un entretien avec (par ordre d’apparition) : Kool M (La Rumeur), DJ Fab (EJM, La Caution), Guts (Boulogne Posse, Alliance Ethnik), Max (animateur radio, passé par Fun Radio), DJ Duke (Assassin, Street Trash Records), Olivier Megaton (réalisateur), Thomas Blondeau (journaliste), Viktor Coup?K (Kalash), Arm, Marc Nammour (La Canaille), Nordine Iznasni (militant, membre historique du MIB), Demi Portion, La Gale.