Interview

Loopjackerz

Chercheurs de boucles invétérés, les « frères de sons » Julius et Paul Poule ont livré avec la compilation « Loopjackerz » un bel hommage aux samples qui ont jalonné l’histoire du rap français. Les deux producteurs reviennent sur ce projet et évoquent avec passion leur vision de la production et du crate diggin’.

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La compilation Loopjackerz 

Abcdr du son : Pourquoi avoir sorti ce mix en vinyl et non en CD ou tape comme c’est habituellement la cas ?

Paul Poule : En tant qu’amoureux du vinyle, on tenait absolument à le faire dans ce format, malgré les difficultés plus nombreuses rencontrées à la réalisation du 33 tours. Je pense notamment à la durée limitée qu’impose par nature ce support, mais aussi au mastering qui est différent et qui doit être réalisé par un vrai professionnel. Mais le jeu en valait la chandelle…

Julius : Ouais, et puis y a aussi le fait que les mixtapes c’est trop underground, les ventes sont vraiment ridicules, c’est pas toujours facile de se les procurer, etc. Les CD c’est l’inverse mais pour être bien distribués ça peut poser des problèmes à cause des droits d’auteurs. Le maxi vinyle était placé entre les deux, c’est ce qui nous a paru être le bon choix même si malheureusement tout le monde n’a pas de quoi écouter des vinyles chez lui.

A : Comment s’est opérée la sélection finale des morceaux ?

J : On avait chacun une grosse liste d’extraits intéressants, on s’est concertés et pour les samples qui figureraient sur le maxi on a gardé ceux qui font référence aux morceaux de rap les plus connus, mais aussi à ceux issus des albums qu’on estime être des « classiques » du rap français ou pas loin, tout ça pour que notre disque soit le plus intéressant possible et qu’il touche un maximum de monde.

P : Avec le recul, on peut dire que la phase « sélection des samples » a été celle qui a créé le plus de discordes entre nous : parfois lorsque je tenais à insérer un sample, Julius me faisait remarquer qu’il n’avait pas vraiment sa place dans le mix, soit parce que le rap qui utilisait ce sample n’était connu que des amateurs éclairés, ou bien plus simplement parce que le sample faisait tâche parmi les autres. Il a donc fallu sélectionner intelligemment les extraits afin que le tout soit cohérent.

A : Le mix est sobre, les passages très courts… Pour quelle raison ?

J : On est DJ ni l’un ni l’autre mais on tenait à tout faire nous-même, ça explique le fait que le mix soit assez simple, sans fioritures. En même temps c’est pas plus mal, le mix n’est pas mauvais, l’intérêt du disque c’est les samples tout simplement. Et puis on tenait à ce que les extraits soient bien audibles et distincts, qu’il n’y ait pas d’ambiguïté pour que l’auditeur ne soit pas perdu comme dans certains mix un peu du même genre où les instigateurs superposent plusieurs extraits, rajoutent des sons ou des scratches, ou redécoupent carrément le sample ! Pour la longueur, on a voulu mettre beaucoup d’extraits donc on était un peu limité en temps, et puis ça nous a paru bien comme ça : le passage samplé plus quelques mesures de la suite, c’était pas vraiment la peine d’en mettre plus.

P : La sobriété s’explique aussi par le nombre des extraits présents. Avec 80 passages différents, on ne voulait pas faire un mix pour la performance technique (qui aurait de toute façon été très vite trop répétitive) mais surtout un truc agréable à entendre, fluide et qui s’écoute tout seul…

A : Les morceaux originaux restent anonymes : est-ce une manière de protéger les artistes ou une volonté de garder secrètement l’identité de vos trouvailles ?

P : On a hésité (l’espace de quelques minutes) à dévoiler les titres qu’on allait utiliser, mais ça nous aurait causé plus de problèmes au niveau des droits qu’autre chose. Mais la question ne s’est pas posée bien longtemps : en tant que beatmakers, on aurait très mal réagi si quelqu’un balançait comme ça les titres samplés dans des instrus à nous. Quoiqu’on puisse penser de ce disque, on a surtout voulu rendre hommage aux gars qui ont fait ces sons, on ne pouvait pas décemment leur faire un tel coup de pute ! Pour ce genre de bassesses, faudra pas compter sur nous… Autant ça me dérange pas de partager des infos sur les samples utilisés par des cainris car elles finiront tôt ou tard sur le net, autant je me vois pas faire ça avec mes « collègues » beatmakers français…

J : C’est aussi pour que le maxi garde un maximum d’intérêt. C’est une manière de pousser les gens qui auraient pu se contenter de la liste à écouter notre disque. L’intérêt de ce maxi c’est juste divertir, diffuser de la bonne musique et montrer au public comment quelques instrus de rap français ont été conçues, c’est pas d’éduquer les gens sur la musique. C’est pas en voyant 80 noms de morceaux sur une pochette que ta culture musicale se développe de toute manière.

A : Peu de titres datent d’après 2000 et la compilation semble presque nostalgique d’une époque révolue. Aujourd’hui, le sample a-t’il encore sa chance ?

J : Bien sûr qu’il a encore sa chance ! Disons qu’aujourd’hui les belles boucles évidentes « inédites » dans les vieux disques ça devient très rare et que la plupart des beatmakers qui samplaient sans réelle conviction il y a 10 ans se sont tournés vers les synthétiseurs en partie à cause de ça. Il reste maintenant deux alternatives à quelqu’un qui souhaite sampler : acheter un nombre énorme de disques pour trouver LA boucle, ou « sampler différemment« . On essaye de faire les deux.

P : Je me répète, mais ce disque est (à quelques exceptions près) un hommage aux beats qu’on a kiffés, alors malheureusement il n’y a quasiment que des sons de la belle époque, pas si lointaine, où la boucle jouait le beau rôle… En ce qui me concerne, on peut parler de nostalgie, oui. Le sample ne mourra pas comme ça du jour au lendemain, car il reste fort heureusement des irréductibles du sampler qui rejettent en bloc toutes formes d’expandeurs et synthés quels qu’ils soient ! C’est pas forcément la meilleure des philosophies non plus (même si elle me correspond assez, je dois l’avouer), faut savoir trouver le juste équilibre entre les deux… Mais personnellement j’ai toujours du mal à comprendre tous ces beatmakers actuels qui prétendent ne plus vouloir sampler des disques pour justifier une quelconque évolution artistique et vont jusqu’à se qualifier de « compositeurs » alors qu’ils ne savent pas enchaîner deux accords sur un clavier, c’est d’une absurdité ! Si encore ces mecs savaient créer une mélodie, mais non… ils se payent des claviers à plus de 1500 euros, pour au final utiliser toujours les mêmes sons synthétiques, qu’ils jouent à l’aide d’une main en n’utilisant que 9 ou 10 touches au grand maximum! Ok, je sais bien que le rap n’a pas à être mélodieux pour que la musique soit bonne, ce n’est pas ce que je lui demande d’ailleurs, mais il y a des limites à la cacophonie quand même ! En fait je crois que j’ai surtout un problème avec les synthés modernes utilisés dans les productions actuelles, si c’était des sonorités de vieux synthés analogiques ou d’autres claviers « à l’ancienne » (Rhodes, clavinet ou piano électrique par exemple), ça sonnerait tellement plus chaleureux, et je suis persuadé que ces mêmes « mélodies » sonneraient tout de suite mieux comme par magie… Je demande pas de la virtuosité dans chaque beat au synthé, mais ce qu’on entend aujourd’hui à la radio prendra un énorme coup de vieux dans même pas 10 ans ! On en rira comme on peut rire aujourd’hui de toutes ces sonorités des productions pop des années 80 qui sonnent tellement cheap! C’est un problème inévitable, inhérent au fait de tout miser sur l’originalité d’une sonorité, dès que cette sonorité ne surprend plus, elle commence à mal vieillir…

Toutes proportions gardées, on pourrait aussi comparer ça à un certain jazz-funk apparu vers la fin des années 70, qui s’est amouraché des synthés et qui a usé et abusé de ces sonorités nouvelles pour l’époque… beaucoup y ont succombé, et ça a donné des albums trop brouillons, pas toujours écoutables et lourds à digérer, surtout avec le recul… OK, ça sonnait frais sur le moment, mais aujourd’hui, plus personne ne veut écouter ces disques ! Sans trop m’avancer, je pense que ça fera pareil pour le rap d’aujourd’hui quand on le réécoutera dans quelques temps… mais en pire, car les claviéristes du rap d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec ceux du jazz-funk de cette époque… Donc au mieux, on pourra prendre du plaisir à écouter le rap d’aujourd’hui en lui trouvant un côté kitsch qui fera son charme, comme on le fait aujourd’hui avec une certaine pop des années 80… J’exagère peut-être un peu, car il y a toujours des exceptions, mais j’ai malheureusement l’impression que l’âge d’or du rap est passé, tout comme l’âge d’or de la Soul et du Funk sont passés… Il y aura toujours de bonnes choses dans chaque genre musicaux, mais force est de constater que le rap n’est plus à son apogée en matière de qualité… Mais le fait que cela coïncidence avec la mise en retrait du sample n’est peut-être pas anodin, c’est tout. Je dis ça sans prétention d’ailleurs, je ne dis pas que sous prétexte que je sample plus que je ne joue je ferai forcément des beats terribles.

A : La compil’ réunit plusieurs familles de rappeurs (Côté obscur, NTM, Secteur ä). De la même façon, peut-on parler de « familles de samples » dans le rap français ?

J : Hum, je suis pas sûr d’avoir bien compris ta question… Les groupes ont plus ou moins leur identité sonore mais ça dépend de leurs beatmakers en fait. IAM ce serait plutôt soul, Oxmo, Solaar et Fabe : jazz, Fonky Family : pop 80’s…

P : Et en même temps, en France on ne peut pas généraliser autant qu’avec les beatmakers américains… A croire qu’un Français est prêt à sampler n’importe quoi pourvu que le résultat soit correct, il tombe sur un disque qui sonne bien, il va le sampler, que ce soit de la bonne vieille variété ou un classique de Soul U.S…. Un Américain par contre va avoir davantage tendance à rester toujours dans un même genre musical… On peut appeler ça de la cohérence dans ses idées, si on veut… Ça n’a pas vraiment d’importance je trouve.

« On a préféré faire un mix de tous ces morceaux plutôt que de faire une compile avec des morceaux entiers, ça nous a permis de faire un disque qu’on estime plus riche. »

Paul Poule

A : Qu’est-ce qui différencie la démarche de Loopjackerz de celle de Kon & Amir ou encore de DJ Marrrtin avec ses Dirty Deezer ?

J : C’est le même esprit que les mix de Kon & Amir, faire découvrir aux gens des extraits des morceaux originaux samplés dans leurs instrus préférées. A la différence près qu’il s’agit ici de samples de rap français. Je ne connais pas DJ Marrrtin par contre…

P : On a préféré faire un mix de tous ces morceaux à la manière d’un DJ Riz plutôt que de faire une compile avec des morceaux entiers, ça nous a permis de faire un disque qu’on estime plus riche, et plus agréable à écouter de bout en bout car les extraits s’enchaînent relativement vite.

A : Envisagez-vous un volume 2 ?

J : On ne sait pas encore, ça dépendra de plusieurs choses, des ventes notamment… Mais rien n’est sûr parce que ça représente quand même un sacré travail mine de rien, et réunir encore une centaine de samples intéressants ne se fait pas en quelques jours.

P : C’est un travail colossal pour la simple et bonne raison que Julius est à Lyon, et moi à Paris, que ça nécessite beaucoup de temps, d’organisation et d’huile de coude. Sans compter qu’il faudrait déjà qu’on rentre dans nos frais… Mais bon, si on écoule tout le stock de Loopjackerz 1, on fera un volume 2 sympathique et surprenant, sans doute…

A : Comptez-vous rester dans le rap français ?

J : Non mais je t’arrête là… Comme je t’ai dit on n’est pas des DJ’s, on est beatmakers avant tout et ce maxi était un peu un délire pour nous et puis un bon moyen de nous faire connaître. Alors bien sûr faut jamais dire jamais mais à priori on ne sortira pas d’autres mix de ce genre à part peut-être éventuellement un volume 2. Et puis les mix de samples de rap américain y en a des dizaines qui sortent chaque année, on aurait pas la prétention de faire ça mieux que les ricains eux même de toute façon.

La recherche de samples 

A : Quels sont vos meilleurs souvenirs de trouvailles de samples ?

J : On en a des mémorables c’est sûr ! Le plus fort c’est quand c’est une boucle que tu cherches depuis longtemps et puis tu tombes dessus par hasard au moment où tu t’y attends le moins. Là comme ça je saurais pas trop quoi dire… si peut-être celui de ‘Pendez-les, bandez-les, descendez-les’ des X-men. J’écoutais le disque comme ça et puis j’me fais « tiens c’est marrant ces percussions ressemblent un peu à celles de l’instru des X » et puis en réécoutant le morceau j’fais « merde, j’crois avoir entendu le sample principal ! » et là je reviens en arrière et ça a confirmé. En fait j’avais pas du tout remarqué le sample à la première écoute.

P : Ça c’est les plus fortes, j’avoue ! Quand tu te rends compte de la présence d’un sample dans un disque que t’as pourtant déjà écouté plusieurs fois… J’aime particulièrement aussi quand tu regardes un vieux film et que tu rends compte que sa musique a déjà été samplée… C’est d’ailleurs comme ça que je suis rentré dans le bain, avec les vieilles B.O.s de films… Par contre j’ai une assez mauvaise mémoire donc là sur le coup j’ai pas de souvenirs particuliers d’anecdotes concernant les trouvailles de samples qui m’ont le plus marqué… Mais en parlant des samples qu’on a pas reconnu du premier coup, ça me rappelle une anecdote marrante : un jour Julius m’envoie par e-mail un extrait audio en qualité pas terrible en me disant « Écoute ça, c’est le morceau qui a été samplé par DJ Premier pour le morceau ‘The 6th sense’ de Common »… Donc j’écoute le morceau et ça me dit vaguement quelque chose… Par contre, personne ne connaissait le titre original samplé par Primo car le fameux extrait audio provenait du site de Phil alias Soulman (un digger passionné, grand collectionneur de Soul et accessoirement assez fan des prods de DJ Premier), et il avait juste mis un extrait audio en écoute sur son site sans rien dévoiler d’autre… J’étais ensuite persuadé d’avoir déjà entendu ce titre, j’ai donc pensé que je devais posséder ce disque quelque part sur mes étagères… J’ai tout de suite dit à Julius que ça me faisait penser à un morceau des Intruders ou d’Archie Bell, mais après écoute de mes disques, je me suis rendu compte que je possédais pas ce morceau chez moi… puis quelques semaines plus tard lors d’une convention de disques à Paris je retombe sur un disque des Intruders que j’avais déjà eu en ma possession avant et sur lequel j’écoutais surtout leur fameux morceau ‘I’ll always love my mama’ (déjà samplé d’ailleurs lui aussi)… Sur le coup, j’ai senti que c’était probablement sur ce disque que j’avais entendu le fameux morceau que Soulman avait mis en écoute sur son site… donc je rachète le disque (à un prix dérisoire d’ailleurs) et en revenant chez moi, je le met sur ma platine et Bingo ! Je tombe sur le fameux morceau… J’étais enthousiasmé mais j’étais persuadé que le morceau avait été retrouvé entre temps par des mecs sur le net… Malgré tout, et juste au cas où certains mecs sur le net étaient passés à côté de l’info, j’ai posté l’information sur une mailing-list (incontournable à l’époque), et le lendemain l’info avait déjà fait le tour du net sur les forums spécialisés… Les mecs étaient toujours à la recherche de ce morceau en fait… Bref ça c’était vraiment surprenant car ‘6th sense’ est une de mes productions préférées de Primo, je l’ai écouté des centaines de fois… j’avais le disque qui contenait le sample original chez moi et j’avais même pas fait le rapprochement tellement le beat était bien fait…

A : Quel est à l’heure actuelle le disque ou le sample que vous rêvez de trouver ?

J : Hum… j’aimerais bien me trouver le LP Earth Rot de David Axelrod en pressage original mais pas cher quoi. Mais sinon y a rien que je cherche désespérément, je suis pas vraiment un chercheur, j’achète un peu en fonction de ce que je trouve en fait. En samples de rap, il en reste plus des tonnes que je recherche spécialement… En américain y en aurait bien quelques uns utilisés par Premier ou Pete Rock, c’est toujours intéressant de voir comment ils découpent, tout ça… En français je serais curieux d’entendre l’original qu’Akhenaton a utilisé pour ‘La vie de rêve’ du 3ème Oeil, j’aime beaucoup cette instru.

P : Ouais pour les samples qui attisent ma curiosité, c’est à peu près la même chose… Certaines boucles de Pete Rock m’obsèdent encore aujourd’hui, ou alors le sample de ‘Sky’s the limit’ de No I.D…. Et justement, en parlant d’AKH, il y a de magnifiques boucles sur son premier album (un des rares classiques incontournables du rap français à mes yeux) qui m’intriguent toujours autant ! Mais je tomberai sûrement tôt ou tard dessus, car Akhenaton n’a pas pour habitude sampler des trucs vraiment ingrillables, ça reste assez classique…

Il y a un paquet de disques que je rêve de trouver, mais pas à n’importe quel prix évidemment. C’est une des raisons pour lesquelles en France les conventions de disques et les boutiques spécialisées sont un peu boudées par les amateurs éclairés, les prix y sont toujours abusifs… A moins de connaître les vendeurs pour pouvoir profiter de tarifs préférentiels, on ne peut pas y trouver de vraies bonnes affaires… Puis les vendeurs qui exposent en convention vendent un peu tous les mêmes disques, le choix est assez limité. Mais bon, faut pas faire la fine bouche non plus, certes on est pas aux States, mais rien qu’avec les disques que tu trouves ici tu peux faire encore des centaines de beats inédits… Mais bon, c’est un boulot aussi, je comprends que ça n’amuse pas tous les beatmakers de faire la chasse aux bons disques sans pour autant arriver à un résultat extraordinaire… C’est sûrement la raison pour laquelle on délaisse le sample en ce moment, c’est devenu limite élitiste, c’est trop dommage… Donc bref, oui il y a des disques rarissimes qui me font envie, mais je ne suis pas prêt pour autant à dealer avec des vendeurs japonais, anglais ou américains pour payer des sommes folles… même si parfois, il faut savoir mettre la main au portefeuille hélas !

La pire des folies (certains collectionneurs se reconnaîtront) c’est d’échanger ou de revendre un de ses disques rares… sur le coup, tu penses faire une bonne affaire, mais tôt ou tard tu finiras par le regretter et tu te rendras compte que ce disque, sur lequel tu aimerais bien remettre la main, est devenu totalement introuvable ! Ça c’est un coup à devenir dingue… ça m’est arrivé une seule fois, pour un disque que je pensais relativement courant alors que finalement je le retrouverai peut-être jamais… Dans le genre chiant, t’as aussi ce disque que tu aimerais tant sampler (souvent des 45T dans mon cas, je ne sais pas pourquoi!), mais qui est dans un état abominable, que tu aimerais tant retrouver dans un état correct, mais sans succès… Collectionner des disques, c’est un peu comme la quête du Graal, c’est sans fin… Je connais des mecs bien plus vieux que moi, avec 10 fois plus de disques que moi, dont des raretés à ne plus savoir qu’en faire, et qui sont sans cesse à la recherche d’un nouveau disque à ajouter à leur collection… C’est un virus que j’espère ne pas contracter tout de suite, même si on finit tous par finir comme ça… Ça se fait tellement progressivement qu’on le réalise jamais vraiment… mais si tu vis avec une fille, elle, par contre, va vite le réaliser !

A : Le fait de découvrir tous ces matériaux a-t-il démystifié le travail de certains producteurs ? A l’inverse, lesquels ont grandi dans votre estime ?

P : Moi c’est le jour où j’ai découvert que MC Hammer samplait du Prince et du Rick James et que Vanilla Ice samplait du Queen que le travail de tous les producteurs rap en général a été démystifié ! Et dire qu’au début quand j’ai entendu les morceaux originaux qui avaient été samplés, je croyais que c’était l’inverse ! Depuis, il n’y a pas vraiment eu de démystification, on sait que le rap c’est ça, du recyclage plus ou moins bien réalisé… Quand des mecs nous disent, après avoir écouté notre disque par exemple « Putain comment c’est décevant de se rendre compte que les mecs ne se sont pas foulés pour faire ce son ! », j’ai envie de leur dire « Mais mec, réveille-toi, le rap new-school (et pas que lui d’ailleurs), quand c’est du sample, c’est comme ça à 99% : un truc tout bête, qu’il soit US ou français ! »… on peut pas parler de travail phénoménal en matière d’instrus rap, dans la très grande majeure partie des cas, c’est surtout du recyclage… mais j’aime ça, et je vois pas en quoi c’est honteux… je préfère le vol d’une belle boucle, en provenance directe de l’époque où on savait faire de la bonne musique, que la merde actuelle que les médias diffusent, c’est aussi pour ça que j’aime le rap, car en pillant de la bonne musique, t’as moins de chances de faire de la merde qu’en composant un truc original… C’est ma façon de voir les choses, une théorie qui vaut ce qu’elle vaut, je sais, mais je trouve qu’elle tient la route !

J’ai toujours écouté tous les styles musicaux (à titre d’exemple, mon père adore la chanson française à l’ancienne donc j’en ai souvent bouffé étant jeune), et toutes les radios. Mais si je fais abstraction du rap, je peux citer sur les doigts de la main les chansons que j’ai vraiment kiffées dans les années 90… Alors qu’en matière de rap y’a eu des centaines de morceaux qui m’ont marquées… et je parle au niveau purement instrumental hein. Donc j’ai fini par me rendre compte que c’était surtout la musique des 70’s qui me faisait vibrer, et quand je me suis mis à en écouter, j’ai voulu faire à mon tour des instrus… Enfin, c’est surtout une question de préférences et de goûts musicaux, car objectivement je dois avouer qu’il y a toujours de bonnes choses dans la musique d’aujourd’hui, mais dans des proportions bien inférieures à ce qui faisait ne serait qu’il y a 20 ans.

A : Considérez-vous le crate digging comme une forme d’art ludique consistant à remonter le temps et à comprendre le rap ?

J : Certains le perçoivent comme ça, pas nous. Si on fouille dans les vieux disques c’est avant tout pour trouver de la matière première pour nourrir nos sampleurs et par amour pour la vraie musique. Après si on tombe sur des disques utilisés dans des morceaux de rap tant mieux, mais c’est pas une fin en soit. D’ailleurs vu le prix des disques en France il faudrait être bien riche pour vouloir jouer à ce jeu.

A : Beaucoup de gens ne voient pas la différence entre un disque dur remplis de mp3s et une collection de vinyles acquises au fil du temps et des recherches. Pensez-vous que le caractère sacré de la musique est aujourd’hui remis en cause pas sa plus grande accessibilité ?

P : J’ai rien contre les mp3, et d’ailleurs je suis sûr que tous ceux qui possèdent un ordinateur un tant soit peu moderne ont forcément des mp3 sur leur disque dur. J’aime pas trop parler de « caractère sacré » de la musique… la musique est ce qu’elle est, elle sera bonne quelqu’en soit le format… Si t’es pas très exigeant tu peux te contenter de mp3… ça m’arrive de le faire pour certains disques auxquels je ne tiens pas forcément plus que ça… Mais si c’est un album qui me tient à cœur, je le veux en vinyl, et rien d’autre !

J : C’est vrai que pas mal de choses ont changées avec la montée en puissance d’Internet ces cinq dernières années. Maintenant n’importe qui peut avoir accès gratuitement à une quantité incalculable de musique sans avoir besoin de lever le petit doigt. Certains ont l’impression d’être des collectionneurs en stockant un nombre énorme de mp3s, tant mieux pour eux… Mais cela ne remet rien en cause, la musique reste la même, ça n’est pas parce que tout le monde peut télécharger un album rarissime que ça enlèvera de la valeur au vinyle par exemple.

La production

A : La compilation « Loopjackerz » montre que beaucoup de samples sont souvent issus des 2 ou 4 premières mesures d’un morceau. Et il est de bon ton de moquer le minimalisme musical dans le rap, particulièrement en France. Qu’en pensez-vous ? Et quelle est votre vision d’une production réussie ?

J : C’est vrai que beaucoup d’instrus ont été faites très simplement avec une boucle facile qui tourne sur elle même pendant 4 minutes. Mais quand le sample est bon et que c’est bien fait ça peut suffire. C’est comme ça, c’est le rap, un art de récupération, minimaliste… Mais parfois certains beatmakers essayent d’aller plus loin. Pour moi une production réussie c’est une production basée sur un bon sample bien trouvé, que personne ait l’idée d’utiliser, parce qu’il vient d’un disque rare ou parce qu’il a été découpé de manière créative. Il faudrait ajouter à ça quelques autres samples venant de disques différents s’accordant parfaitement avec le sample principal. Ca ressemble beaucoup à la plupart des instrus de Pete Rock en fait.

P : Pour être vraiment honnête, j’adore cette musique qu’est le rap, mais je pense pas qu’on puisse considérer les mecs qui la font comme des musiciens. D’ailleurs en temps normal je déteste utiliser le terme « producteur », je trouve ça un peu trop prétentieux. J’adore toute la philosophie originelle qui consiste à faire du vieux avec du neuf, c’est vraiment ce délire « art de récupération » minimaliste mais tellement efficace qui me plait… On se prend pas la tête, on prend une boucle, on rajoute un beat, quelques samples en plus éventuellement pour agrémenter le tout, une légère modification par-ci, quelques variations dans le séquençage par-là et c’est parti… C’est ma définition d’un beat idéal, rien de moins! Dans ce genre-là, j’aime bien Madlib par exemple qui correspond bien souvent à ça (même s’il fait aussi autre chose, c’est dans ce style-là qu’il me plaît particulièrement). L’autre force de Madlib, c’est que ses boucles sont à priori pas extraordinaires, rien de vraiment très mélodieux ou d’inoubliable dès la première écoute, et pourtant ces mêmes boucles qui semblaient anodines à la première écoute dégagent très vite une atmosphère bien particulière, et tu peux écouter ses beats des centaines de fois avant de t’en lasser ! Et ça c’est très fort ! Les boucles ultimes qui niquent tout et qui te rentrent très vite dans la tête, c’est aussi celles qui te saoulent le plus vite… alors que dans un beat « à la Madlib« , les boucles ne paient pas de mine comme ça, mais pourtant elles sont toujours aussi bonnes à chaque écoute…

Mais j’aime aussi l’originalité dans la façon de faire ses sons, il y a des mecs pour lesquels on peut parler de composition comme DJ Premier par exemple, ou, pour citer un français, ce qu’a pu faire NikkFurie sur le premier album de La Caution… J’aime beaucoup ce genre-là, à mi-chemin entre la compo et la bonne vieille boucle classique… Là c’est tout de suite beaucoup plus impressionnant au niveau du travail fourni, faut être honnête. En ce qui me concerne je fais des sons assez basiques, car c’est ceux que j’ai toujours préférés, mais je mets un point d’honneur à trouver des boucles inédites et tout seul comme un grand… C’est surtout un gros travail de recherche de sample en amont en fait, mais techniquement ça reste assez classique (enfin, y’a toujours des exceptions bien sûr, mais là je généralise).

A : Pour vous, un producteur qui sample du mp3 doit-il être cloué au pilori ?

J : Personnellement j’attache de l’importance à une certaine éthique du sampling. Uniquement du vinyle, pas de disques récents, pas de samples que je sais avoir déjà été utilisés etc… Alors le mp3 faut pas m’en parler ! C’est vrai que ces « règles » sont très strictes et peuvent paraître bizarres, mais c’est comme ça. Maintenant ça c’est pour moi, je conçois tout à fait que d’autres beatmakers ne les appliquent pas. Mais sampler du mp3 je trouve ça abusé quand même, sans même parler de la qualité qui sera forcément limitée, ça veut dire sampler quelque chose qui a été enregistré par quelqu’un d’autre, ne même pas être sûr à 100% de son authenticité, faire ça sans avoir tenu la pochette dans ses mains, tout ça… C’est ne pas respecter ce qu’on sample. Je ne pense pas qu’un beatmaker qui fasse ce genre de chose puisse être pris vraiment au sérieux.

P : Sans vouloir jouer la carte de l’élitisme, j’irais même plus loin en disant qu’à mes yeux, ce sont 2 choses incompatibles ! Un producteur qui sample du mp3 ? C’est un véritable paradoxe ça ! Sans vouloir insister, je trouve ça totalement absurde, vraiment ! Comment justifier une telle paresse ? C’est comme si un artiste, plutôt que de peindre avec son pinceau et de la peinture à l’huile sur sa toile, décidait de prendre sa souris et de dessiner un truc sur son ordinateur avec un logiciel d’édition graphique puis qu’il l’imprimait ensuite en estimant avoir la même chose que le peintre traditionnel. Certes, le mec avec son ordi aura créé un truc, avec un résultat probablement très satisfaisant, mais ce n’est pas comparable car la méthode compte tout autant que le résultat dans ce domaine (ce n’est que mon avis bien sûr)… Désolé, l’image est foireuse, mais c’est l’idée de base même qui me semble saugrenue !

A : En dehors de toute considération contractuelle, pensez-vous qu’un producteur doit faire connaître les morceaux qu’il sample ?

P : Si tu samples un morceau vraiment connu, c’est malhonnête de ne pas le déclarer, par respect pour l’artiste… alors que si t’as utilisé un disque sorti de nulle part, ou une rareté quelconque, ça ne sert à rien de le déclarer, à moins de vouloir tuer le mystère autour de ton sample. Ce serait dommage.

A : Le fait de toucher des droits sur une production dont on n’a pas déclaré la source et payé les droits d’auteurs est-il légitime pour vous ?

J : Tout dépend de la situation. Si c’est Dr. Dre qui s’est contenté de boucler un sample et qu’il fait payer ça les sommes qu’on sait, c’est sûr que c’est un peu déplacé. Si par contre c’est un gars de ton quartier qui se fait acheter son instru dans laquelle il a fait quelque chose d’interessant avec un sample, alors là oui je pense que ça peut être légitime.

A : En tant que producteurs, quels enseignements avez-vous tiré de vos découvertes ? Ont-elles influées sur votre manière de produire ?

J : Sûrement. Quand tu découvres comment Premier a construit son instru de ‘Full Clip’ par exemple, ça peut pas te laisser indifférent ! Sans parler de copiage ça te permet de voir un peu tout ce que d’autres arrivent à faire avec un sampleur.

P : Je sais pas trop… De mon côté j’aime tellement la simplicité que j’ai jamais vraiment changé de manière d’appréhender mon sampleur…

A : On connaît peu vos productions, et vous tenez à rester discrets quant à vos projets. Le crate digger-producteur souffre-t-il d’un complexe ?

J : Non, si les gens ne connaissent pas nos productions c’est tout simplement parce qu’on a rien sorti de concret pour le moment. Mais on y travaille actuellement, chacun de notre côté, Paul Poule à Paris, moi à Lyon.

J : Non je ne vois pas quel genre de complexes on devrait faire, pas plus que les « beatmakers synthétiques » qui sont à la mode actuellement.

A : Que pensez-vous de la « théorie » selon laquelle les vrais diggers ne peuvent pas produire car ils passent tout leur temps et leur énergie à rechercher des disques ?

J : C’est vrai qu’on passe au moins autant de temps à écouter des disques qu’à « beatmaker » concrètement et que trouver une belle boucle « inédite » nécessite des heures de recherche mais il faut aussi savoir faire preuve d’imagination. Écouter beaucoup de disques ne suffit pas pour faire un bon beatmaker mais ça c’est pas un scoop.

P : C’est comme les mecs qui achètent sans cesse du nouveau matos, mais qui ne font jamais rien avec… J’avoue que trouver des samples représente (en ce qui me concerne du moins) 60% du boulot si ce n’est plus… Mais je ne néglige pas le « beatmaking » à proprement parler… Disons que ça fonctionne par période… Parfois je vais passer 4 mois sans toucher le sampleur pendant lesquels je vais accumuler de la matière à sampler, et après je vais passer des mois sans dégotter un seul disque mais en squattant la machine et voir ce que je peux faire avec ce que j’ai trouvé avant…

A : Pour finir : un top 10 de vos « morceaux samplés » préférés (et les titres de rap qu’ils ont engendrés) :

J : (sans ordre)

– Norman Connors ‘You are my starship’ / Mobb Deep ‘Trife life’
– Bob James ‘Nautilus’ / Jeru The Damaja ‘My mind spray’
– Barry White ‘Mellow mood (PT. I)’ / Raekwon ‘North star’
– Donald Byrd ‘Think twice’ / A Tribe Called Quest ‘Footprints’
– The Brothers Johnson ‘Tomorrow’ / O.C. ‘Far from yours’
– Isaac Hayes ‘Walk on by’ / The Notorious B.I.G. ‘Warning’
– Ahmad Jamal ‘The awakening’ / Pete Rock & CL Smooth ‘It’s on you’
– Lafayette Afro Rock Band ‘Hihache’ / Wu-Tang Clan ‘Wu-Tang Clan ain’t nuthing ta f’ wit’
– Roy Ayers ‘We live in Brooklyn baby’ / Digable Planets feat. Guru ‘Borough check’
– Billy Brooks ‘Forty days’ / A Tribe Called Quest ‘Luck of Lucien’

P : Je pourrais faire une liste rien qu’avec des prods de DJ Premier ou Pete Rock pour cette réponse !

– Michael Mc Donald ‘I keep forgetting’ & Bob James ‘Sign of the times’ / Warren G ‘Regulate’
– Dave Grusin ‘Modaji’ / Pete Rock ‘Soul Survivor’
– Dorothy Ashby ‘Windmills of your mind’ / Rahzel ‘All I know’
– Intruders ‘Memories are here to stay’ / Common ‘the 6th Sense’
– Bobby Caldwell ‘My Flame’ / Notorious B.I.G. ‘Sky’s the limit’
– Bernard Wright ‘Haboglabotribin’ / Snoop Doggy Dogg ‘Gz and Hustlaz’
– Michel Gonet ‘Flower Dance’ / entre autres : Promoe ‘Off the record’ (la définition même de la boucle parfaite pour moi !)
– Zapp ‘More Bounce to the Ounce’ / EPMD ‘You Gots To Chill’
– Les McCann ‘Roberta’ / Afu-Ra ‘Whirlwind thru cities’
– Isaac Hayes ‘Vykkii’ / MF Doom ft. Kurious ‘?’

Hors-concours (car c’est pas du rap) :

– Edwin Birdsong ‘Cola Bottle Baby’ / Daft Punk ‘Harder, Better, Faster, Stronger’ (comme pour Michel Gonet, c’est une des boucles les plus dingues que j’aie entendue dans ma vie).

En fait y’en a des centaines, mais j’ai essayé de trouver un compromis entre des morceaux originaux que je kiffe et dont ont découlé de bons morceaux de rap…

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