Interview

Koria

Son nom ne vous dit peut-être rien, mais vous avez sans doute déjà aperçu ses pochettes dans les bacs à disques. A 24 ans, le graphiste et photographe Koria fait partie de ceux qui mettent en image le rap français. Très demandées, ses réalisations immortalisent à leur manière le rap d’aujourd’hui, entre création artistique et têtes de gondoles.

Abcdr du Son : Comment te présenterais-tu, toi et ton activité ? Qui est Koria ?

Koria : Koria, c’est un photographe et un graphiste, qui vit de ses deux activités. Je suis à mon compte depuis bientôt un an. Je travaille principalement dans le milieu hip-hop : tout ce qui est photo pour les pochettes d’albums, mais aussi pour les magazines. Je bosse pas mal avec Warner, EMI et Because avec qui j’ai travaillé récemment pour l’album Les Liens Sacrés des Neg’ Marrons.

A : Ton point de départ, c’est le hip-hop ou les arts graphiques ?

K : J’ai envie de dire les deux, mais je suis venu au hip-hop avant de m’intéresser à l’image. Les premiers groupes que j’ai pu écouter, c’était IAM, NTM, la FF… Quand le rap commençait à avoir un essor assez important. Petit, je dessinais toujours, je gribouillais des trucs à gauche à droite, mais le jour où je me suis rendu compte que je pouvais allier les deux – l’image et le hip-hop – ça a été une révélation. Je me suis dit « C’est ça que je veux faire ».

A : Es-tu passé par la case graffiti, comme d’autres graphistes ?

K : Ouais, mais vraiment moins que certains. Effectivement j’y suis passé, mais c’était plus sur papier, je suis allé tagger deux-trois fois sur des murs avec des potes, mais ce n’est pas le truc qui m’a bercé. J’ai essayé, c’est clair que ça m’a plu, mais à court terme.

A : Tu es assez jeune mais ton book est déjà bien rempli. Quelles ont été les étapes ou les rencontres déterminantes dans ta carrière de graphiste ?

K : Il n’y a pas vraiment eu de rencontres déterminantes, hormis des gens qui ont su me mettre en avant. Des groupes comme Futur Proche, par exemple. Ils ne m’ont jamais lâché. Depuis le début, ils m’ont fait confiance et ont beaucoup parlé de moi autour d’eux. Aujourd’hui, je suis conscient que ça m’a vraiment porté. Après oui, j’ai fait de grosses rencontres qui, certainement, m’ont permis de travailler avec telle ou telle personne, mais je n’ai jamais été associé à quelqu’un. J’ai toujours bossé avec tout le monde. Quelque part, je me suis fait un peu tout seul.

A : As-tu suivi une formation pour devenir graphiste ?

K : J’ai fait quatre ans de formation : une année de prépa’ + trois ans en communication visuelle sur Paris. Une école privée. Au bout de deux ans d’étude, j’ai commencé à travailler à côté sur des pochettes de hip-hop. Bon là, c’était un petit peu catastrophique ! C’était les débuts… J’ai commencé assez tôt. Ca fait cinq-six ans maintenant, mais ça fait un ou deux ans que je suis vraiment régulier et que je commence à tourner.

A : Quel regard portes-tu sur tes premiers travaux ?

K : C’était marrant [rires]. Le premier projet s’appelait « Algérie Solidarité », avec plein de têtes d’affiche. Je les croisais en studio, c’était ouf’ pour moi : j’avais 19 ans, j’arrivais, je croisais les têtes que j’écoutais quand j’étais petit. Ensuite, j’ai fait « Il faut sauver le rap français ». Deux-trois trucs comme ça, puis j’ai entamé des projets plus sérieux, comme les mixtapes à Diomay. Là, j’ai commencé à avoir ma petite « patte ».

A : Ton meilleur souvenir ?

K : C’est plus un sentiment général : le fait d’avoir pu rencontrer en studio des gens que j’écoutais petit, c’était énorme, même si aujourd’hui je n’ai plus ce regard de fan. J’ai eu aussi des déceptions, des gens que j’ai croisés, pas intéressants… Mais par exemple, il y a deux-trois ans, Cut Killer m’appelle. Il voulait réactualiser ses photos de presse. Je commençais tout juste la photo et il me dit « Je veux faire des photos avec toi ». Moi, limite, je lui réponds « OK, mais moi je commence, je ne suis pas sûr de pouvoir y arriver ». Mais il insiste : « Nan nan, c’est avec toi que je veux les faire ». Sachant qu’avant, il avait fait des photos avec Armen, qui est l’un des piliers de la photo en France. Donc je me suis dit « Bon ben OK, on va y aller hein ! De toute façon, c’est maintenant ou jamais. Si je me plante, c’est sûr qu’il ne me rappellera pas et ça ne va pas me faire une belle image ». Mais ça s’est très bien passé, il a été super cool et on a fait de bonnes photos.

A : Et à l’inverse, as-tu déjà connu de gros ratages ?

K : Je touche du bois, mais jusqu’à maintenant ça a été. Sur une séance photo, je n’ai pas eu de grosses galères au point de ne plus savoir où me mettre. Enfin si : ma séance première photo, avec Futur Proche. En plein hiver. On avait décidé de les faire dehors. Je venais juste d’avoir mon appareil photo numérique. Toutes les photos floues, il caillait… Ambiance horrible. On était mort de rire parce que c’était n’importe quoi. Sur le moment, je n’étais pas content de moi parce que je n’assurais pas du tout, mais aujourd’hui on en reparle avec le sourire.

A : Le net a-t-il joué un rôle-clé à tes débuts ?

K : Carrément. Comme pour tout le monde aujourd’hui : les beatmakers, les photographes, les rappeurs… Internet a fait accélérer les choses pour tous les activistes de ce mouvement. Désormais tout le monde a le mail de tout le monde, tout le monde peut bosser avec tout le monde… Niveau contact, c’est allé super vite. Si j’ose parler de « carrière », le net m’a bien fait gagner cinq ans.

A : Comment abordes-tu chaque projet sur lequel tu travailles ? As-tu une méthodologie particulière ?

K : Je ne sais pas si j’ai une méthode. Aujourd’hui j’ai la chance de ne plus réellement démarcher, ce sont les artistes qui me contactent. C’est une grosse chance. En général, je les rencontre, on discute de ce que l’on peut faire, ce dont ils ont envie et ce que je peux proposer. C’est vraiment un dialogue.

A : La musique en elle-même, elle intervient dans le processus, ou c’est la demande de l’artiste qui prime ?

K : [il sourit] J’écoute… mais malheureusement – enfin non, pas malheureusement mais… du rap ça reste du rap. J’ai quasiment tout écouté depuis une dizaine d’années. Bon, si demain arrive un artiste qui m’étonnera avec sa musique, peut-être que… Mais c’est quand même rare aujourd’hui. Le rap reste très codé.

A : Avec quels artistes as-tu eu les meilleurs échanges ?

K : Au niveau de la création ? [il cherche] … Le truc qui a son importance, c’est les budgets. En fonction d’un budget, on peut se permettre certaines choses qu’on ne peut pas faire avec des indépendants. Par exemple, sur le dernier album des Neg’ Marrons, j’avais quasiment carte blanche pour faire ce que je voulais. Donc là, c’est l’éclate. La séance-photo avec Cesaria Evora a eu lieu au moment du clip, mais niveau déco, en studio, dès que je disais ce qui me plaisais, on me répondait « OK, on le fait ». Il y a une liberté artistique que je ne peux pas avoir avec les indépendants : le budget est raccourci, on fait un peu avec les moyens du bord.

A : Peut-on parler d’argent ? 

K : Bien sûr.

A : Quel est le budget pour une réalisation de Koria ?

K : Pour les indépendants, ça tourne autour de 1000€. Pour une maison de disques, ça peut aller de 3500€ à au-delà. Tout dépend aussi d’autres paramètres : le nombre de pages dans le livret, plein de conneries comme ça… J’exige de tout faire sur un projet. Je ne retoucherai jamais les photos d’un autre, sauf cas exceptionnel. Tout ce qui est livret, sticks, affiches… Je veux que toute la com’ soit gérée par moi.

A : Pour quel motif, autre que financier, pourrais-tu refuser de réaliser un projet ?

K : Aujourd’hui, j’ai presque une image à défendre. Avec Internet, les vidéos et les sites, je suis médiatisé, c’est une chose que je n’avais pas vraiment pris en compte en me lançant dans ce métier. J’ai une image à défendre dans le sens où, si je suis trop accessible, les gens vont dire « Ouais, untel a travaillé avec Koria donc tout le monde peut travailler avec lui ». Et je n’ai pas envie de ça. J’ai envie que les gens disent « Ha ouais, t’as réussi à travailler avec Koria, ça doit vouloir dire que ton projet est carré et qu’il a bien voulu le faire ». Même si on est peu sur le marché – aujourd’hui, on doit être deux ou trois à vraiment tourner – il m’arrive souvent de refuser des projets.

A : Une semaine de travail pour toi, ça se passe comment ?

K : C’est le bordel [rires]. Mais je crois que c’est pareil pour tous les graphistes. On est sur une dizaine de projets en permanence, et ce que l’artiste a du mal à s’imaginer, c’est que quand on commence un projet avec lui, il croit être le seul. Je comprends qu’il ait cette idée en tête, mais ce n’est pas le cas du tout. Sur une journée, je vais bosser sur trois ou quatre projets différents, me remettre sur des trucs qui datent de deux mois, penser à d’autres projets qui arrivent…

A : Quels liens fais-tu entre ton activité de photographe et celle de graphiste ? L’une est-elle le prolongement de l’autre ?

K : Le graphisme est le prolongement de la photo. J’étais graphiste avant d’être photographe, mais j’ai vite compris que je pouvais allier les deux. Avant, je bossais avec des photographes qui me donnaient leurs fichiers, mais je n’étais pas toujours content du cadrage, donc à un moment je me suis dit qu’il fallait que je les fasse moi-même. Aujourd’hui, les deux mouvements sont vraiment complémentaires. Je ne peux pas me dire « Je ne fais que de la photo sans rien retoucher » ni faire du graphisme sans photo.

A : On parlait de l’imagerie très codée du rap français, il y a depuis quelques temps une technique très cotée dont tu t’es fait une spécialité : l’hyper-réalisme. Techniquement et historiquement, d’où vient-elle ?

K : [Un peu pris de court] Alors, je n’ai pas inventé ce grain-là ! On l’a beaucoup vu en peinture. Après, au niveau du grain, j’ai vu des photographes comme Jim Fiscus, Sacha Waldman, des mecs qui sont les pionniers de ce style aux Etats-Unis. Armen s’y est mis par la suite. Moi, je me suis documenté, ce n’est pas que j’essayais de copier, mais c’est un truc qui m’a parlé directement. Je me suis dit « En tant que graphiste, je peux apporter quelque chose aux photos ». Car faire de la photo sans retouche, c’est incroyable. Les gens qui arrivent à faire ça, pour moi, c’est digne d’un autre monde. Ceux qui le font sont très forts, ils ont des années de photo derrière eux, moi ça ne fait que cinq ans. Je suis vraiment un débutant mais quand j’ai vu ça, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à apporter. Pour une fois, je pouvais allier photographie et graphisme. Ca m’a tout de suite plu, je me suis ancré là-dedans tout en essayant de trouver mon style, une façon d’ambiancer mes images.

A : Sans dévoiler tes secrets de fabrication, quels sont les éléments à avoir en tête pour faire de l’hyper-réalisme ?

K : Déjà, j’ai lu sur plein de forums à mon sujet que j’utilisais un plugin spécial. Non, il n’y a pas de filtre et pas de plugin ! Tout est différent en fonction des images. La prise de vue joue par rapport au cadrage et ce que j’imagine derrière, mais il y a surtout un gros travail de post-prod’. Grain, retouche… le gros du travail se fait derrière.

A : Y a-t’il un travail de dessin ? Parfois, on est à la limite de la photographie et du tableau…

K : Non, il n’y a jamais de dessin. Ca aussi, je l’ai entendu : « Oui, le mec il repeint par-dessus ses photos ! ». C’est marrant à entendre. Mais cet effet-là, j’essaie de moins l’accentuer. Aujourd’hui, tout le monde le fait, plus ou moins bien, mais le grand public n’est pas capable de voir si c’est bien réalisé ou pas. Ca m’a vraiment saoulé. Aujourd’hui, j’essaie de prendre plus de recul par rapport à ça, faire un truc plus propre sans aller dans l’extrême de ce délire-là. Tout le monde l’a fait, c’est un peu du déjà-vu maintenant.

A : Comment expliques-tu cet engouement ? L’hyper-réalisme tend à mythifier le sujet, c’est un peu symptomatique d’un certain état d’esprit du rap français…

K : Je pense juste que le rap français, comme au début, n’a pas vraiment innové. Il a toujours porté son regard sur les Etats-Unis, et malheureusement, en termes d’image, c’est un peu le cas aussi. Demain, il se peut qu’un nouveau délire arrive aux Etats-Unis, et en France on va se dire « Wouah, pourquoi on n’y a pas pensé avant ? » – comme d’habitude – et on ira suivre cette tendance. Quelque part, c’est un peu notre faute aussi, nous autres photographes et graphistes.

A : Il y a aussi ce paradoxe du graphiste, qui est à mi-chemin entre l’art et le commerce. Ce n’est pas un peu frustrant par moment ?

K : Si, parce que quand le mec m’appelle et me dit « Ouais, moi je veux qu’on soit au premier plan, derrière je veux des bâtiments, je veux de la rue, je veux ton fameux grain », et bien à force, ça saoule. Effectivement, je suis obligé de répondre à une commande, je ne peux pas innover non plus parce que le mec va me dire « Ha ouais mais nan, t’as été trop loin »… C’est un peu bloquant. Mais bon, je suis conscient que c’est avant tout un boulot. Si demain, je veux faire des photos pour moi-même, je partirai dans des délires personnels, mais là, je suis obligé de répondre à quelqu’un qui me fait une commande.

A : Le projet le plus excitant pour toi, actuellement ou au conditionnel, ça serait quoi ?

K : Les affiches de films. Là, j’ai une porte ouverte chez Europa, la boîte de Luc Besson. Ils m’ont contacté pour travailler sur un film. C’est ce que j’espérais, je comptais les contacter à la rentrée mais ils ont fait le premier pas donc tant mieux. Ca veut dire que je ne me suis pas trompé de métier… Bon, dans le cinéma, c’est beaucoup plus long que la musique : le temps que les budgets se mettent en place, puis le tournage, c’est un bordel… Donc on verra plus tard mais c’est vraiment ce que j’ai envie de faire par la suite.

A : Koria et EuropaCorp, ce n’est pas incohérent… Ils ont beaucoup joué sur la profondeur et les perspectives, et ça se rapproche assez de ton travail dans le hip-hop…

K : Leurs affiches ont toujours une ambiance très travaillée. Je ne m’inspire pas de pochettes d’albums en général, mais vraiment d’affiches de cinéma. En termes de grain, de concept, de mise en page. C’est là que les trucs sont les plus forts. Après, côté cinéma, je n’ai pas de références particulières. C’est surtout au niveau des retouches : des films comme « Le Seigneur des Anneaux », ou même « Harry Potter »… Si on fait attention à la façon dont c’est travaillé, c’est juste incroyable. La lumière, l’ambiance… Ce sont ces affiches-là qui m’inspirent. Il y a tout un univers autour.A : Quelles sont tes pochettes cultes ?

K : [il cherche] Ce sont plus des photographes ou des graphistes, dans la globalité de ce qu’ils ont pu faire. Des mecs comme Dimitri Simon par exemple, pour moi c’est le taulier du rap français. Il a toujours fait des pochettes au top. Je peux comprendre qu’on n’aime pas car c’est un peu trop commercial, mais l’efficacité est là. Il y a aussi le dernier album de Booba, « Ouest Side », les photos d’Armen sont juste chant-mé. Il y a d’autres pochettes qui m’ont marqué, mais là, comme ça, je ne pourrais pas te dire… Si, tout ce qu’a pu faire Rohff, même si le message était un peu fort quand il était assis sur l’Arc de Triomphe, mais la réalisation était très réussie. Mais si tu regardes bien, ce sont vraiment les gros artistes qui peuvent se permettre de bosser avec certaines personnes, et tu peux ressentir ce professionnalisme au final.

A : J’allais te demander quels artistes, selon toi, maîtrisaient le mieux leur image, mais j’imagine que ça correspond aux noms que tu viens de citer : Rohff, Booba… ?

K : Ouais, Booba. On parle toujours de lui de toute façon, ça en devient énervant ! Il a compris très tôt qu’il devait profiter de son charisme. Aujourd’hui, c’est vrai qu’il se fait beaucoup cracher dessus, les gens ne sont pas forcément 200% avec lui…

A : En France, j’ai l’impression qu’il y a un tel souci de coller à la réalité, qu’au final les questions d’image passent un peu au dessus de la tête de tout le monde… On attend tellement qu’un rappeur soit fidèle à ce qu’on voudrait qu’il soit que le moindre changement est très mal perçu. C’est d’autant plus criant chez Booba…

K : Booba, quoiqu’il arrive, sera toujours un mec à part. Et le problème, c’est aussi la jalousie affolante qu’il y a dans le rap français. On ne peut pas concevoir que quelqu’un réussisse dans la vie. Alors qu’aux Etats-Unis, c’est tout le contraire : tu viens de la rue, mais tu as réussi à en sortir, donc tu peux parler de ton argent. C’est mortel. En France, c’est impossible. Il faut que tu dises toujours « Ouais, je suis millionnaire, mais j’habite toujours au Pont de Sèvres ! ». Non. Tu ne peux garder ton nouveau rythme avec celui de ton ancienne vie, c’est impossible.

A : Faire la pochette de Booba, c’est donc le Graal du graphiste hip-hop ?

K : Ouais, bien sûr. Je ne vais pas te dire le contraire. Même s’il y a peu de chances pour que je lui fasse une pochette un jour, car il ne va pas faire des albums pendant encore dix ans, je pense qu’il va garder Armen pour l’image. Ce qui serait logique, car aujourd’hui, peu de gens sont à la hauteur d’Armen en termes de photo ou de grain. On verra. Si je suis amené à le rencontrer, je lui parlerai peut-être de ce que je fais, voir s’il y a moyen de faire quelques tafs ensemble – pas forcément des pochettes d’albums, d’ailleurs. Bref, à voir.

[NDLR : L’interview a été réalisée avant que soit diffusée le visuel de « 0.9 », finalement réalisé par un autre graphiste, Fifou]

A : Y a-t’il un autre artiste qui t’inspirerait beaucoup ?

K : En France, il n’y a pas vraiment d’artistes avec qui… [il s’arrête net] Si. J’ai dit une connerie. Seth Gueko. Je l’ai démarché car je suis ce qu’il fait depuis le début, et ce gars-là, il a vraiment un truc. Il a compris que dans le rap français aujourd’hui, la musique ne suffisait plus. Il y a une image à apporter pour que les gens adhèrent au concept. Il y a un vrai truc à faire avec lui. Et quelqu’un d’autre aussi, un mec de Caen qui s’appelle OrelSan. Il travaille avec l’équipe de Skread, 7th Magnitude. Un mec des Casseurs Flowteurs. Va voir son Myspace, c’est un taré, et c’est pareil : en terme d’images, il y a un gros gros truc à faire.

A : Aimerais-tu, à l’image d’un So_Me chez Ed Banger, être aux commandes de l’image de tout un label ?

K : Le jour où j’ai ma propre entreprise et la possibilité de développer des trucs à gauche à droite, je deviendrai D.A. mais pour ma boîte. Mais je ne serai jamais le graphiste ou photographe attitré de telle ou telle société. Jamais. La où je suis le plus heureux, c’est quand je suis libre. Comme je dis souvent : je ne travaille pour personne, je travaille avec les gens. Au tout début, j’ai travaillé pour un label qui s’appelait MKM. Effectivement, j’ai fait mes armes là-bas en apprenant, sans prendre aucune thune. C’est aussi le genre d’expérience qui fait que j’en suis là aujourd’hui, mais ça s’est mal fini, et depuis ce jour-là, je me suis promis que je ne recommencerais jamais. Même si demain, Warner ou EMI m’appellent pour bosser chez eux, je n’irai pas.

A : On parlait tout à l’heure du cinéma, es-tu tenté par la mise en scène ?

K : Pour moi, c’est un peu la suite logique. Je voulais m’y mettre cette année, mais là je suis un peu dépassé par les événements du fait qu’on m’appelle énormément pour bosser sur plein de projets. Je n’ai pas envie de précipiter les choses, je suis jeune, on verra plus tard.

A : Quels conseils donnes-tu à un artiste qui réfléchit à l’image qu’il veut véhiculer ?

K : Comme j’ai côtoyé tous le rap français, j’ai vu comment certains se plantaient pendant que d’autres réussissaient, donc j’essaie de guider les artistes avec qui je travaille. « Non, ne te mets pas comme ça, fais vraiment un effort niveau sapes… » L’image est vraiment devenue super importante. Il y a une telle saturation de la musique qu’aujourd’hui, il faut un plus. Et ce plus, c’est l’image. Tu peux arriver avec un putain d’album, mais tu as une image de merde, tu passeras à la trappe comme tout le monde. Malheureusement, c’est la réalité du marché. S’il n’y avait que dix albums qui sortaient dans l’année, peut-être qu’on ferait moins attention à l’image qu’au contenu, mais aujourd’hui non, il faut immédiatement faire une distinction entre chaque projet.

A : Finalement tu peux retrouver dans la peau du Directeur Artistique. Te retrouves-tu parfois en conflit avec la maison de disques ?

K : Je ne suis pas trop en friction avec eux, car ils ont toujours une idée bien définie de leur projet. Ils ne m’appellent jamais en me disant « On a un projet mais on ne sait pas ce que l’on veut faire ». Alors oui, c’est un peu dur de bouleverser tout ça en leur proposant des choses particulières. Ca se passe sur le tas, pendant une séance photo, je fais des suggestions, parfois ils sont d’accord, mais ils préfèrent quand même rester maîtres de leurs idées avant tout.

A : Es-tu inquiété par la disparition progressive du format CD ? 

K : Je ne me rends pas trop compte, mais c’est vrai que ça peut aller super vite. Le téléchargement pose problème, il faut trouver un autre support, il faut avancer. Mon métier va être un peu mis à mal car on va peut-être ne se contenter que d’une pochette et plus de livret ni de dos du CD. Voir une pochette qui se retrouve sur Internet en format 10 par 10, mouais… Aujourd’hui, je ne travaille pas pour que mon CD soit dans les bacs, mais c’est kiffant de voir qu’un projet a abouti, pouvoir le toucher. Donc je me dis : la musique, c’est bien, mais il faut aussi que je pense à m’orienter vers autres choses pour ne pas me retrouver du jour au lendemain à la rue. J’y songe, ouais.

A : Pour finir, quels conseils donnerais-tu à un graphiste débutant, qui bidouillerait chez lui sous Photoshop ?

K : Bosser, bosser, bosser. Il y a cinq ans, Photoshop, je le fumais au moins cinq-six heures par jour. Et je ne me disais pas un seul moment « Oh ça me fait chier ». La motivation, la passion, ça joue beaucoup. La culture de l’image, elle, est plutôt innée. Moi, depuis tout petit, j’ai toujours eu un regard différent sur les affiches dans la rue, au niveau du cadrage, de la lumière, de la retouche. Et puis il faut être capable de trouver son propre style car aujourd’hui il y a beaucoup de copies, et je ne pense pas que ce soit la solution. Il n’y a donc pas de secret : il faut travailler et être motivé.

7 pochettes vues par Koria

Ideal J – Le Combat Continue (1998)

“Je crois que c’est Armen qui a fait cette photo-là. Ideal J, Le Combat Continue, un classique… Après, tout le monde dit “C’est une pochette de ouf“, le message est super fort, c’est vrai. Après… Elle ne me troue pas plus le cul que ça. La photo est magnifique, rien à dire. Mais en tant que graphiste, je prends aussi en compte le logo et le titrage… Pour l’époque, je pense que c’était assez pointu, mais aujourd’hui, au regard de ce qui se fait, je ne trouve plus ça aussi fort qu’avant. Même si le message de la photo reste violent. J’avais envoyé un mail à Armen il y a très longtemps, en le félicitant de tout ce qu’il avait pu faire, en lui disant qu’il m’avait inspiré, juste pour lui dire bravo. Là, je travaille avec des gens avec qui il travaillait avant : les Ghetto Diplomats, la Famille Haussman. On se connaît un peu par des intermédiaires mais je ne l’ai jamais vraiment rencontré.”

Fonky Family – Si Dieu Veut… (1997)

“Un peu pareil qu’Ideal J. C’est un album que j’ai saigné… Tu ne peux même pas t’imaginer. C’est Tous des K qui avait fait le graphisme. Eux aussi m’ont énormément inspiré à mes débuts. C’est marrant, il y a cinq ans, je t’aurais dit “C’est un truc de ouf !” parce que c’était la FF, c’est global. Mais aujourd’hui… La photo est-elle vraiment en rapport avec leur message ? Ce serait une bonne question à leur poser, ou alors j’ai vraiment pas capté le truc. Même au niveau du lettrage de la FF… En même temps, c’est peut-être leur côté fougueux, ils étaient jeunes. Mais en tout cas, c’est très différent de tout ce qu’ils ont pu véhiculer comme image. En terme de communication, ce contre-pied, c’est un risque à prendre : une meuf un peu sexy en train de fumer sur un canapé… Dans la rue, au Panier… Faudrait leur demander pourquoi ce choix.”

TTC – 3615 TTC (2007)

“OK OK, TTC. Alors ça, je crois que c’est Akroe. Graphiste très très très très fort. En graphisme pur, le gars a vraiment du talent. Ça va bien avec TTC. Je ne suis pas un fan, il y a des morceaux qui me parlent plus que d’autres. Artistiquement, ils ont osé, il y a des trucs pas mal, et ce n’est pas dégueulasse non plus comme on peut entendre les gens dire. Je suis allé les voir en concert, on m’avait invité, et j’ai été agréablement surpris. Mais en tout cas, toute leur com’ : chapeau. Très très bien. Ils ont toujours essayé des trucs différents, et ça a toujours fonctionné. Mais Akroe n’est pas une source d’inspiration. On reconnaît tous ses travaux, et je n’ai pas envie d’aller sur son terrain, ça ne m’intéresse pas et vis-à-vis de lui, ça ne se fait pas.”

Nas – Illmatic (1994)

“Ce n’est pas ma préférée de Nas. Pour moi c’était celui d’après, It Was Written. Mais tout le délire des têtes en transparence, c’est chant-mé. Après, là, le logo il est quand même bien dégueulasse ! C’est à l’ancienne. J’ai entendu plein de gens dire “Ma pochette préférée en rap américain, c’est “Illmatic” !“. Bon… Peut-être à l’époque [rires] ! Mais il y a quand même eu une grosse évolution jusqu’à aujourd’hui. Mais malgré tout, les pochettes restent des classiques quand les albums marquent leur époque.”

Stones Throw – Chrome Children (2007)

“Alors, je crois avoir déjà vu cette pochette… Ce n’est pas du tout mon délire. Même si le mec a vraiment sa touche, et même si c’est très bien réalisé, c’est vraiment trop en marge de ce qui se fait. Moi, c’est vrai que je suis plus dans tout ce qui est vendeur. Je suis obligé de travailler une image attractive pour les gens, et ça, ça va à l’encontre de tout ça. C’est plus un plaisir, un délire artistique, mais ce n’est pas ma came. Après, c’est très bien réalisé et je comprends que ça puisse plaire.”

OutKast – ATLiens (1996)

“C’est le premier album ? [NDLR : le deuxième] Quand tu vois, aujourd’hui, ce qu’ils arrivent à faire en termes d’images, là c’est l’opposé. Là c’est vraiment… Bon après, c’est vraiment le délire comics, mais bon, non, ce n’est pas ma came. La bande dessinée ne fait pas partie de mes inspirations. J’en ai lu comme tout le monde : Astérix, Tintin, j’ai tout écumé… J’ai toujours dessiné quand j’étais petit, mais j’ai laissé le papier de côté pour me concentrer sur l’ordinateur. Je ne suis pas sensible au dessin.”

Big Bear – Doin’ Thangs (1998)

[il se marre] Qu’est-ce que c’est ?! Big Bear ? OK. Un grand classique ! Je n’avais jamais vu cette pochette. Vraiment. Tout ce côté bling-bling qui n’est jamais réellement arrivé en France. Ca ne correspond pas à la façon dont le rap se fait ici. Même si aujourd’hui, cet aspect est resté dans les mixtapes, ce n’est pas arrivé pas ici, car ce n’est pas du tout le même type de rap. Et c’est… C’est marrant. Mon avis ? C’est à chier ! Je suis désolé mais non… C’est pas permis. Après, pour le côté décalé, ils sont à fond dedans, mais tu vois, l’ombre portée en blanc, les petits bling-blings, le détourage, c’est dur. Très dur.”

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