Kon & Amir : collectionneurs, DJs et vendeurs de disques
Interview

Kon & Amir : collectionneurs, DJs et vendeurs de disques

Kon et Amir sont à la fois collectionneurs, DJs, vendeurs de disques, amateurs de belles boucles sonores, programmateurs musicaux ou crate-diggers. Mais ce sont avant tout deux passionnés de musiques, toujours prêts à faire partager leurs nouvelles trouvailles.

Ayant grandi en écoutant les enregistrements audiophiles, de forcément piètre qualité, à partir de ma télé/double lecteur enregistreur de K7 de Rapline, l’émission des noctambules de la petite chaîne qui montait à l’époque, c’est peu dire que je fus heureux lorsque les mixtapes commencèrent à bourgeonner un peu partout sur Paname, transformant les murs des magasins en une fantastique jungle musicale. Ce n’est pourtant que bien plus tard que je tombais sur une K7 à la pochette toute simple (un train graffité de NYC), sans tracklisting, mais avec des promesses énormes : On Tracks Volume 3 !

Et là, je redécouvrais le monde du Hip-Hop, les talents de défricheurs sonores de ces artisans des machines, le génie de la création à l’action lors de ces sublimations des 3 secondes qui font la différence au milieu d’un morceau de jazz plutôt fade. Les samples de mes producteurs préférés y étaient tous présents, rassemblés par pseudo parties, et les claques soniques se succédaient tout au long de cette K7 que j’ai aujourd’hui usée jusqu’au bout. Le mix était plutôt sommaire, les deejays laissant jouer le sample, et passant ensuite au suivant. Kon & Amir voulaient avant tout montrer qu’ils avaient eux aussi des disques, insinuant par la même à Muro que son auto proclamation du King of Diggin‘ était plutôt présomptueuse. Mais l’intérêt n’était pas là. Il s’agissait de dévoiler au monde entier les secrets les mieux cachés au sein des arsenaux des producteurs : leurs disques. Sans tracklisting donc, le but n’étant pas d’entraîner les beatmakers dans des marasmes judiciaires suite à l’utilisation non déclarée de tel artiste ou compositeur.

Les deux amoureux du vinyle se sont rencontrés à Boston, dont ils sont tous les deux issus, en 1996. A Biscuithead Records plus précisément. Amir discutait avec le propriétaire de magasin lorsque Kon s’immisça dans la discussion, évidemment musicale, pour finalement se rendre compte à la fin de la journée qu’ils avaient passé tout le temps à parler de disques, qu’ils partageaient plusieurs amis, et très logiquement décidèrent de l’être également.

En plus de leur légendaire série On Tracks, ils ont également sorti un superbe mix de grooves européens prouvant que leurs oreilles sont très vagabondes.

Ils sont aujourd’hui présents à Paris pour la sortie de leur deuxième compilation officielle: King of Diggin’, en compagnie de Muro, qui sort sur BBE. Un voyage musical différent de leur premier, The Cleaning, sorti sur le label que Wes Jackson venait de lancer, Uncle Junior. Le boss de Seven Heads souhaitait en effet élargir l’éventail de musique qu’il proposait jusque là, et c’était pour lui l’occasion parfaite de le réaliser. The Cleaning était peut être plus représentatif des goûts des deejays, davantage festif et homogène, versé dans le disco et la funk, avec des tracks, certes rares pour certains, mais définitivement appréciables et avec une forte propension à faire danser la génération qui avait grandi en écoutant Tribe.

Rendez-vous avec ces diggers invétérés au sein de l’appartement hautement chaleureux de Victor, collectionneur passionné qui fournit les japonais et autres grosses platines du monde du vinyle depuis plusieurs années. Histoire de lier l’utile à l’agréable, Kon se sentant véritablement tel un enfant dans une confiserie lorsqu’il parcourt les étagères remplies de disques rares.


Abcdr Du Son: La première mixtape comportant des samples remonte à quand pour toi ?

Amir : C’était en 1994. Travelling Through Sampleland de DJ Shame. C’est la première mixtape du genre que j’ai entendue. Il y a eu Kid Capri en 1988 sinon, avec sa 52 Beats, où il mixait les Ultimate Breaks and Beats.

Ab : Il y a aussi le mix de Q-Bert dans le même genre, Demolition Pumpkin’ Squeeze Music ?

A. : Ah mais c’était plus tard ça. On allait le distribuer à l’époque en plus, quand j’ai commencé à bosser chez Fat Beats et c’était en 1996. Et arrive ensuite Muro.

Ab : King of Diggin’. Avec son jack du logo de Burger King.

A. : Yep ! D’ailleurs, en parlant de japonais, j’ai une amie, Nao qui me disait récemment [NDLR : imitant un japonais parlant très mal anglais] : « Tu fais album avec DJ Muro ? Tu dois être très connu chez toi ! » Je lui disais : « Uh, pas vraiment. » C’est vraiment le roi là-bas. On a plus vendu d’albums au Japon que dans n’importe quel autre endroit. 6,000 CDs pour la première semaine là-bas. Et seulement sur le nom de Muro, car on m’a dit qu’il vendait à l’aise entre 20,000 et 30,000 copies à chaque fois qu’il sortait quelque chose.

Ab : Comment ça se fait qu’il soit si populaire ?

A: Il est dans la musique depuis tellement longtemps. Il travaillait avec DJ Krush au tout début, c’était l’un des membre de son groupe, il a commencé à se tourner vers la production hip-hop, et s’est consacré au beatdiggin’,

Ab : Il s’est rendu à NYC où il a rencontré tout le D.I.T.C. et les a ramenés chez lui.

A. : Oui, je parlais de ça avec Victor justement, lorsque Lord Finesse va au Japon : il y va souvent car Muro le connecte avec des groupes japonais. Il va alors faire quelques beats pour eux et récupérera 10 ou 20,000 dollars, et dépensera tout l’argent dans les disques les plus rares qu’il puisse trouver.

Ab : Il va dans son shop, malin le Muro !

A. : En fait le shop de Muro n’est pas si bon que ça. Sounds of Blackness juste au dessus est bon ! Il y en a un autre qui était bien, mais il a fermé, c’était Bamboo Trigger. C’était juste au dessus de Dance Music Record. Un gros mec, style buddha, toute la journée à soupirer « Ohhhhhh. » C’était vraiment drôle en fait, le shop était super petit, et je regardais les couvertures des disques aux murs en me disant : « wow, ce mec a vraiment des disques de malade« . Certains de ces disques, je ne les avais jamais vus de ma vie. Je commence à en sortir quelques uns. Et le gars me demande : « ohhh, toi Amir ? » « De Kon &Amir ! Ohhhhh ! Chouettes tapes !« [rires]

Apparemment, il y a pas mal de mecs là-bas, de mon âge, 36, 37, 38 ans, qui ont commencé à venir aux USA pour acheter tout plein de disques. Ils allaient dans des shops, comme Groove Merchant à San Francisco, et ils prenaient tous les bons disques. Ils allaient dans tous les entrepôts et achetaient tout ! C’étaient des Japonais dont le métier était de se déplacer un peu partout aux USA et racheter des collections entières. Ils avaient des chèques ou du cash avec eux. C’est pourquoi tous les disques sont au Japon.

« Je suis toujours surpris lorsqu’on me dit que ce que nous faisons est mortel. Car pour moi, ces débuts difficiles sont toujours présents. »

Amir

A : Si vous écoutez les Anglais, ils vous diront que ce sont eux les premiers. Ils sont assez arrogants en fait lorsqu’ils collectionnent. J’ai un problème avec ça des fois. Le Japon est vraiment incroyable pour les disques.

Ab : C’est l’endroit le plus dingue pour les disques ?

A. : Ce serait un match nul avec la Suède en fait.

Ab : Ah oui, tu es allé à Record Mana aussi ?

A. : Oui ils ont vraiment beaucoup de bons disques. J’ai un autre pote, Mad Mats, qui a monté son label, Raw Fusion. Il m’a dit que le disque de Melvin Price, c’était lui qui l’avait trouvé car Melvin Price était conducteur de taxi à Stockholm. Un jour, dans un taxi justement, on parlait de comment on enregistrait les disques autrefois. Je lui ai demandé si je ne pouvais pas par hasard passer chez lui. Ce que j’ai fait, et il m’a carrément donné tous ses disques, qui traînaient là par terre. C’est également lui qui est à l’origine de la diffusion d’un très bon disque, du jazz suédois de 1971, Slomano ou quelque chose d’approchant, je sais pas le dire en fait. Il me l’a donné aussi. C’est un disque vraiment super rare, qu’ils vendaient uniquement à leurs shows. Il m’a raconté qu’il le voyait un peu partout à l’époque en Suède. On ne le trouve plus du tout aujourd’hui. Il y a des fans de jazz qui m’ont proposé 1500 dollars pour ce disque, mais je l’ai gardé. Car je l’aime. Je ne veux pas m’en débarrasser.

Ab : Même contre des cassettes rares de kung-fu.

A : Ah oui, je les collectionne. J’en ai déjà pas mal en fait. J’essaie de les faire convertir en DVD. Car lorsque j’ai commencé j’avais un peu tout en VHS.

Ab : Vous vous êtes rencontrés comment Victor et toi ?

A. : On s’est peut être vus avant mais il nous a contactés via notre page myspace. « J’ai vu que alliez venir sur Paris, j’aime bien ce que vous faites. » Ça m’étonne toujours le fait que des gens dont je n’ai jamais entendus parler nous disent qu’il apprécient ce que ce que nous faisons. Car lorsque nous avons commencé à faire notre truc, je faisais les copies des K7 chez moi, et je n’avais qu’un double lecteur de K7, c’est tout. Je faisais 100, 200 copies, écrivais mon numéro de pager « Amir Contact » au cas où des gens en voudraient d’autres. Je les filais un peu partout, et les gens me répondaient « C’est nul ! Pourquoi les gens voudraient-ils d’une K7 avec juste des breaks ? Vous avez même pas de tracklisting ! » L’accueil a donc été un peu froid au début. C’est pourquoi je suis toujours surpris lorsqu’on me dit que ce que nous faisons est mortel. Car pour moi, ces débuts difficiles sont toujours présents.

Ab : Vous avez tout re-pressé en CDs ?

A. : Oui, parce que les gens n’achètent plus vraiment de K7. Wow, ils ont ralenti grave le morceau. Je me rappelle qu’une fois on est allés à un festival, en 1998, et j’avais pas mal de On Tracks Vol. 2 sur moi dans l’intention de les vendre. A la fin de la journée, j’ai dû les donner car tous les gens me disaient « Pourquoi je vais acheter ça ? » [NDLR : Il rigole.]

Ab : Vous étiez là pour passer du son ?

A. : Nope. C’était via Crazy Legs, je le connais, et il m’a d’ailleurs demandé si je pourrais venir mixer des breaks l’année prochaine. J’essaierai. Mais donc au début, c’était plutôt « Allez vous faire Foutre ! Ils sont nuls vos trucs ! »

« Le fait d’apprécier la musique et de faire le deejay m’a permis de voyager à travers le monde entier gratuitement. »

Amir

Ab : A quel moment vous avez commencé à ressentir une certaine reconnaissance ?

A. : Je dirais On Tracks Volume 4. Ça nous a pris 4 volumes pour commencer à « percer. » Les gens ailleurs ont apprécié les mixes dès le début. On Tracks Volume 1 s’est très bien vendu au Japon. Il y avait ce mec que je connaissais qui m’a dit : « je te prends tout ! » Au début, je me suis dit « cool » puis « ahhh, il faut que j’en represse maintenant ! »
C’est avec ces K7 que j’ai rencontré Pete Rock aussi. Un jour, j’étais à A-1, à NYC, j’avais une copie de On Tracks sur moi, je l’ai reconnu, et je me suis dit : « est-ce que je dois lui donner ? » J’étais sur le point de sortir et j’ai pensé « Ah, vas-y. » Alors je me suis présenté : « désolé de vous déranger. Je sais que vous écoutez des disques, … » et je lui ai expliqué un peu le concept. Quelques jours plus tard, je reçois un message sur mon pager, d’un dénommé Pete. J’avais oublié que j’avais rencontré Pete Rock. Alors j’ai rappelé : « Quelqu’un a appelé Amir, un certain Pete. » « Yo, wass’up, this is Pete Rock. »

J’ai pris le combiné dans mes mains pendant un moment, en me disant « Merde, mais c’est PETE ROCK !!! » « J’arrive pas à y croire mec, c’est mortel ce que vous faites. T’es dans le jazz aussi, parce que mon père était dedans à fond ».

On a commencé à parler, et c’était parti. Je suis allé chez lui, on parle tout le temps de disques. C’est dingue !

A l’époque où j’ai eu mon diplôme, en 1994, si quelqu’un m’avait dit que je serais plus tard en France pour mixer, je lui aurais répondu « Nah, t’es fou ! Comment ça pourrait être possible ? » On ne sait jamais où la vie va vous amener. Le fait d’apprécier la musique et de faire le deejay m’a permis de voyager à travers le monde entier gratuitement.

Ab: T’as donc rencontré beaucoup de personnalités de la musique avec les tapes ou en bossant à Fat Beats [1] ?

A. : Les deux en fait. Lorsque je travaillais avec Fat Beats, je voyais Diamond D et tous ces mecs venaient me voir. Je lui ai filé une K7 un jour, et il est revenu en me demandant : « la K7 est vraiment mortelle, mais pourquoi tu n’as pas mis les parties que j’ai utilisées pour tel ou tel track ? »

« Hum, Diamond D, c’est pas vraiment une tape sur tous tes samples. »

Ab : Il était vexé ?

A. : Nah. Mais si tu connais Diamond D, tu sais qu’il est comme ça, assez arrogant, qu’il pense que tout doit tourner autour de lui. Je ne pense même pas qu’il s’en rende compte.

Ab : Il s’entendrait bien avec Julian des Creators alors !

A. : Probablement, mais ils rentreraient forcément dans une grosse bagarre. J’ai rencontré Showbiz, Finesse, K-Def. J’ai croisé beaucoup de producteurs. Pas mal de gens avec Fat Beats ou même juste en sortant. Le meilleur moment c’est quand j’étais à une fête avec Q-Tip, Just Blaze mettait le son. Just Blaze est un bon deejay.

Ab : Ah carrément, il peut scratcher en plus !

A. : Yep ! Donc il s’est approché, et m’a dit : « Je suis un fan des On Tracks depuis des années. » « Vraiment ? Merde, Just Blaze comment t’as connu nos K7 ? »

Ceci dit, j’ai un truc à dire à propos de Just Blaze. [NDLR : Victor met alors la B.O. du Hanged Man de Alan Tew]

Mon pote Ramon est à l’origine du Just Blaze que l’on connaît aujourd’hui. Le premier gros morceau de Just qu’il a fait est extrait d’un KPM que Ramon lui a filé. Ramon lui a dit « Okay, je te file ce disque, t’essaies d’en tirer quelque chose, je vais continuer à te passer des skeuds si tu me donnes un petit quelque chose en échange. » Just Blaze a utilisé le disque, en a tiré son premier hit, ne l’a jamais rendu et n’a certainement pas filé d’argent à Ramon, qui est toujours vert à ce jour. Je dois dire que c’est vraiment pas cool. C’est pourquoi c’est pas facile dans ce milieu.

Ab : Tu penses quoi de la musique de maintenant ?

A. : Je n’aime pas le hyphy. Je n’aime pas les beats. Je trouve que les beats partent un peu dans tous les sens. Et je ne comprends rien à de ce qu’ils disent. Comme « Ghostride the whip. » Tu sais ce que c’est ?

Ab : Aucune idée.

A. : Ah, c’est quand des gars courent à côté de la caisse, et que la voiture avance, mais qu’il n’y a personne dedans, c’est comme si un fantôme était dans ta caisse. Les gens se mettent à danser devant. C’est complètement dingue. Pas mal de la culture Hip-Hop aux USA aujourd’hui cherche quelque chose de vraiment nouveau car la plupart de la musique actuelle est vraiment dans un triste état. C’est pourquoi je pense que c’est le bon moment pour quelqu’un comme moi, ou n’importe qui faisant de la bonne musique, de ramener la musique d’avant, car les gens ont soif d’autre chose, de différent de toute cette merde. Combien de fois je vais devoir écouter 50 Cent ou Jay-Z ? Je veux dire, j’aime bien certaines de ces nouvelles chansons mais je n’ai pas envie de les écouter tous les jours. La plupart des labels payent pour voir leurs morceaux passer sur les ondes. C’est tellement évident que tout le monde le fait, mais personne ne dit rien, car il y a tellement d’argent en jeu… Je n’aime pas le hyphy, la snap music, le crunk, je n’aime pas le reggaeton. Le truc qui est marrant, c’est que si vous ne mettez pas cette musique dans un club, les gens vous regardent en se disant « Tu n’es pas un bon deejay ! »

Ab : T’écoutes quoi alors ? Les disques que tu viens d’acheter ?

A. : Ces derniers temps, j’ai beaucoup écouté de musique brésiliennes, car la fille que je vois en ce moment est de là-bas.

A. : Tu l’as rencontrée là-bas ?

A. : Nan, en achetant des disques. Elle cherchait des trucs indés hip-hop. Elle connaît des artistes de cette scène, comme L-Fudge par exemple. C’est marrant, la plupart des disques qu’elle me citait sont sur Fat Beats. Elle me disait : « Comment tu connais tout ces disques ? » « Ah, tu sais… »

Ab : Vous avez sorti la plupart des trucs indés de l’époque en fait avec Fat Beats.

A. : Yep ! A la fin des années 90, j’étais là-bas à sortir plein de trucs. Je bossais avec D.I.T.C. Nommez un artiste, des grandes chances que ce soit moi soit derrière.

« La plupart du temps j’envisageais la musique comme un pari. »

Amir

Ab : Comment tu décidais que tel artiste était bon et pas un autre ?

A. : Pour vous dire la vérité, la plupart du temps j’envisageais la musique comme un pari. Je me disais « Je vais écouter ça, et si je l’aime je le sors. Si ça ne vend pas beaucoup, ce n’est pas trop grave, car j’aurais fait prendre conscience à tout le monde que c’est un bon disque« . Lorsque je suis arrivé à NYC, en 1994, je pensais aller à la fac pour obtenir une maîtrise en Sociologie. Et je me suis dit que ce n’était pas vraiment ce que je voulais. Donc j’ai abandonné l’école. J’ai commencé à chercher un job. Je connaissais le shop de disques Fat Beats, et qu’ils voulaient démarrer une branche distribution. J’ai donc été embauché.

Ab : Comment tu les connaissais ?

A. : Mon coloc à l’époque, Shanti des Vinyl Reanimators. Il avait produit un track pour L Da Headtouchta. Il a aussi fait le Energy EP qui est sorti en 1996. Il m’avait dit que cette compagnie, Fat Beats Distribution, venait d’ouvrir il y avait un mois et ils cherchaient des gens. J’ai donc décidé d’aller là-bas. A côté, je connaissais Mos Def et Talib Kweli, car ils avaient une librairie à Brooklyn où je me rendais. Ils y récitaient des poèmes. Ils me disaient : « Yo on a ce morceau. »

« Aight, cool ! On a qu’à le sortir »

Dès que les gens ont commencé à voir qu’on avait des bons disques, ils ont commencé à venir nous voir, me proposer leur musique. Je n’avais plus à démarcher qui que ce soit, on nous sollicitait directement. Il y a pas mal de disques que j’ai dû refuser, car ils n’étaient pas si bons. Il y en a d’autres sur lesquels je comptais qui n’ont pas marché du tout. Et d’autres pour lesquels je saoulais mon boss mais il ne voulait rien savoir. Je devais sortir Fuck The Police de Jay Dee.

Ab : Oh ? Comment ça a atterri chez Up Above alors ?

A. : En fait, la personne que j’avais embauchée s’est barrée, et est partie chez Up Above Records. J’allais voir tout le monde autour de moi, et je leur disais « Oh, j’ai ce morceau de Jay Dee, il faut qu’on le sorte« , car je venais de le rencontrer. Mais le truc c’est qu’il voulait 10,000 dollars pour ce single et mon boss était plutôt du genre « Ahhh, je sais pas trop« . Donc Jay Dee m’a dit « Aight, je le mets de côté en attendant« . Donc un an plus tard, quand le mec est allé bosser chez Up Above, ils l’ont sorti. Je me suis dit « Ah, merde, les gars ! » Mais je ne peux pas trop leur en vouloir, on ne désirait pas le faire de notre côté.

Jay Dee est une autre personne que j’ai rencontrée grâce à Fat Beats et que je respecte beaucoup. La dernière fois que je l’ai vu, deux ans avant qu’il nous quitte, on était en backstage à un show de DeLa. Il me disait qu’il était fan des On Tracks. Il me demandait quand allait sortit le prochain volume. Je lui répondais : »Ah, on essaie de sortir un album en fait »

« Tenez moi au courant ! Je veux bosser avec vous »

Et le plupart de ces gars, Pete Rock, Finesse, j’ai eu tellement de reconnaissance avec ces compilations et le fait de bosser à Fat Beats, qu’ils voulaient bosser avec moi d’une manière ou d’une autre. J’essaie donc de construire à partir de là.

« Une grosse partie de moi s’éloigne du Hip-Hop traditionnel. C’est tellement basé sur l’image que j’en ai vraiment plus grand chose à faire. »

Kon

Ab : Kon, c’est toi le producteur. Amir me disait que vous vouliez sortir un album où tu apporterais tes talents de beatmaker, et lui amènerait les emcees qu’il connaît. On peut attendre quoi d’un tel projet ?

Kon : On peut espérer de la bonne musique déjà. Mais sinon, attendez vous à de l’imprévu en fait. Il y a certains artistes avec lesquels je veux travailler d’un point de vue vocal. Une grosse partie de moi s’éloigne du hip hop traditionnel. C’est tellement basé sur l’image que j’en ai vraiment plus grand chose à faire. Je pense plutôt à quelque chose de dansant.

Ab : Comme ce que Primo a fait avec X-Tina Aguilera ?

K. : Oui, c’est un bon exemple. Voire même ce qu’on pourrait attendre de producteurs house. Je suis un très gros fan de disco. J’imagine que ça serait un large spectre musical. Une grosse part de cette industrie est exténuante. Tout le côté business. Tout le monde se mange les uns les autres. Tu connais 7L & Esoteric ?

Ab : Yep !

K. : Depuis toujours, ils ont été connus pour un certain type de rap. Aujourd’hui, ils ont tout renversé. Si t’écoutes le nouvel album, tous les bpms sont à 120, 130. Ils en ont eu marre du hip-hop d’aujourd’hui, pareil pour moi je pense. Ils voulaient faire ce qu’ils ont toujours voulu faire, être plus en harmonie avec eux-mêmes aussi probablement, au lieu d’être coincés dans une espèce d’impasse musicale, ce que les gens ont pris l’habitude d’attendre de leur part en fait. C’est pourquoi je te dis attends toi à ce que tu ne t’attends pas ! Tu peux t’attendre à ce qu’Amir prenne le micro ! Il va chanter en brésilien.

A : Ah oui, j’ai cru comprendre qu’il s’entraînait pas mal [Rires]

[NDLR : Kon finit sa pizza à la mozzarella, Amir en profite pour me relater son histoire préférée.]

A. : J’étais au collège avec cette fille. Elle a ensuite continué à la fac, à Phillie. Et elle habitait juste au dessus de Black Thought. Un jour, elle écoutait On Tracks Volume 1. Et elle m’a dit « Ce mec avec des dreads, il m’a raconté qu’il était dans un groupe, les Roots. » Elle n’aime pas le hip-hop, elle n’y connaît rien du tout. Il est monté et lui a dit « Wow, c’est quoi ce truc ? Il me faut ça. » Elle lui a répondu « Oh, c’est un pote à moi qui a fait ça. » Il était tout fou, il voulait me rencontrer. Quand elle m’a raconté ça, je lui ai dit « Quoi ? Black Thought ? » Car j’adore The Roots. La fois d’après où je suis allé la voir, je suis passé à l’étage du dessous. Je l’ai réveillé, c’était 3 ou 4 heures de l’après-midi, bref. J’en croyais pas mes yeux, Black Thought, l’un des emcees que je respecte le plus, au sein d’un des groupes pour lequel j’ai le plus d’admiration. J’étais fan de leur musique depuis le début. C’est comme ça que j’ai eu mon drop pour le volume 2 d’ailleurs.

Ah, et Ahmir [1], des Roots,.. Un jour où j’étais au Motown Café, à NYC, c’est fermé maintenant. Les Roots y venaient pour jouer. Et Ahmir est donc venu me voir, j’étais dehors :

« J’ai une histoire marrante pour toi : J’ai eu plein de sexe avec tes tapes. »

« Hein ? »

« Oui, je dis aux meufs que c’est moi le Amir des tapes »

« Ah sympa ! Et je peux pas dire aux gens que je suis toi, car ils savent à quoi tu ressembles par contre. »

Et le pire c’est qu’il continue. Mais bon tant qu’il parle de mes K7, c’est pas trop grave.

Beaucoup de gens sont venus nous voir, pleins de reconnaissance. Comme Otis Funkmeyer, qui poste sur soulstrut.com. Il m’a dit qu’il s’était lancé dans le funk grâce aux shows que je faisais à la radio à Columbia University, Accross 110th Street, où je passais plein de rare groove. Il m’a dit qu’il avait enregistré toutes mes émissions.

Ab : Tu as des exemples de producteurs auxquels tu as passé des disques ?

A. : Hum, pas vraiment. Mais beaucoup de producteurs ont samplé direct depuis nos K7. Car on m’appelle « Hey, vous savez ce que c’est car je dois l’utiliser ? » ou « Vous avez la référence car un tel l’a utilisé et il n’y a pas de tracklisting ? » Ces K7 sont vieilles, je n’ai même plus ce numéro de téléphone, donc je me demande comment ils ont eu mon contact. Mais c’est difficile de passer des disques à des producteurs, car la plupart sont assez « cheap », ils ne veulent pas vous filer de thunes alors qu’ils s’en font plein derrière.

Ab : Même pas un crédit ?

A. : Je sais pas. Ils ne pensent plus trop à ça.

Ab : Même le D.I.T.C. ?

A. : J’ai fait des trucs avec Finesse, mais c’est jamais sorti.

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