Chronique

Jonwayne
Cassette on Vinyl

Stones Throw Records - 2014

Jonwayne n’a pas seulement le sens de la formule : il a aussi le sens de l’image, bien aidé en cela par le graphiste maison Jeff Jank. On l’a vu avec la pochette du perfectible mais remarquable Rap Album One qui, avec son cracker (double référence à la couleur de peau et au tour de ventre du rappeur), aurait dû figurer dans nos « pochettes de l’année » 2013. C’était déjà le cas avec la trilogie de cassettes qui l’ont précédé, faisant respectivement un clin d’œil à Marlboro (ce qui a valu au label quelques ennuis avec Philip Morris…), Coca-Cola et Apple. Dans ces cassettes à l’écho confidentiel, la recrue de Stones Throw, découverte par beaucoup grâce à sa prestation sur l’album collectif Quakers (« Smoke »), a pioché neuf morceaux. Remasterisés pour l’occasion, presque tous produits par l’intéressé (seul « Altitude » fait exception), les voici pressés en vinyle et – souci visuel toujours – enveloppés d’une pochette en forme de cassette grand format.

Difficile de savoir vraiment si cette pioche a été bonne sans avoir écouté les supports d’origine. Ce qui est sûr, c’est que Cassette on Vinyl ne détonne pas par rapport à Rap Album One. L’écoute confirme le bien que l’on pouvait penser de ce californien amateur de Bukowski, exhumé au début de « Ode to Mortality » et auquel un court morceau à son nom rend hommage, au son d’une boucle de synthé que ne renierait probablement pas MF Doom. Au programme : piano, voix samplées et trafiquées, inserts vocaux et beats chétifs (Jonwayne ne rechignant d’ailleurs pas à rapper plus ou moins a capella). Mais ces éléments principaux sont à chaque fois agencés de manière différente. Les notes montant vers l’aigu et entrecoupées de « Ode to Mortality » ont peu à voir avec la splendide ligne de piano qui donne à « Curious » sa touche mi-entraînante mi-désabusée, ou avec celle qui charpente « Cool runnings » faute de rythmique sur les trois-quarts d’un morceau relevé par une belle performance de Zeroh. De même que la voix limite gospel du boom-bap assez classique « Gross » n’est pas celle qui emprunte aux Four Freshmen sur « Passing Fancies », et encore moins celle pitchée qui ouvre le bien nommé « Raw Shit » avec Jeremiah Jae, présent sur trois morceaux. L’album déploie ainsi une vaste palette d’ambiances, allant du forcément aérien « Altitude », avec sa mélodie caressante, au rugueux « Blaq Prussian », rendu encore plus pesant par quelques notes caverneuses débarquant en plein milieu, une minute finale un peu dissonante enfonçant le clou.

La voix singulière de Jonwayne, facilement reconnaissable, cimente tout ça solidement avec l’aide d’une poignée de complices triée sur le volet. Faussement monotone, précise dans ses placements et habile dans ses inflexions, elle est la marque d’un très bon rappeur, comme le premier couplet de « Gross », qui ouvre le disque sur un tempo assez rapide, le démontre rapidement. Pas dénuée d’humour, loin de là, elle sert un propos au ton souvent grave ou grinçant, entre désenchantement et plaisir de profiter de la vie, bribes autobiographiques et projections poétiques, sans oublier un egotrip de bon aloi. Il est un peu frustrant que cette belle mécanique s’arrête au bout d’à peine trente-trois minutes. Mais c’est toujours un plaisir de voir quelqu’un briller dans un genre tout en collant si peu, au moins en apparence, aux clichés qui lui sont attachés. « I hear folks blew my flow on the mic, funny thing, ‘cause they’re nowhere in sight, they must be damn good ventriloquists…« 

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