Keira Maameri : She’s Muslim, Don’t Panik
Interview

Keira Maameri : She’s Muslim, Don’t Panik

Elle a la trentaine rayonnante de celles qui savent ce qu’elles ont dans le ventre. Son métier c’est chercher, écouter, filmer. Rencontre avec la réalisatrice de Don’t Panik, un documentaire à la rencontre de quatre des épouvantails de ce temps : l’islam, le rap, l’islam et l’islam.

Abcdr Du Son : Qui es-tu, Keira Maameri ?

Keira Maameri : Qui suis-je ? Houlala, c’est un peu compliqué… Pour faire super simple, je suis moi. Mon parcours scolaire a été super académique. Je suis allée à l’école où j’ai obtenu tous les diplômes possibles et imaginables, pour finir sur un Master en Cinéma dans une fac parisienne. Je suis tombée dans le hip-hop à cause de mon grand frère, Hamid. Il a eu la bonne idée de laisser trainer une K7 d’IAM, alors que l’album … De la planète Mars, n’était pas encore sorti. « Tam-tam de l’Afrique » m’a juste traumatisée. Sans mon frère et sans les « Tam-tams… », je serai quelqu’un de normal aujourd’hui ! A partir de là j’ai toujours plus ou moins baigné dans la culture hip-hop mais sans jamais avoir été une quelconque activiste. Je n’ai jamais été danseuse, rappeuse, DJ, graffeuse – cela dit, petite, je piquais quelques poscas en cachette à mon frère pour poser « zephyr » ça et là… Mais même mon frère l’ignore, alors chut [Rires] ! C’est mon amour pour le cinéma et pour le hip-hop qui fait que j’en suis là aujourd’hui, à faire du documentaire sur des MCs ou sur la culture. Certes je ne parle pas que de hip-hop avec eux dans mes films, mais j’ai besoin de leur donner la parole. J’ai besoin que les gens, d’une manière générale, se rendent compte et donnent de la valeur et à ce mouvement et à ces personnes. Quand on sait ce que faire des documentaires génère comme argent – pas peu, juste pas du tout -, sans même parler du hip-hop en France… On se doute que faire des films sur notre culture, ce n’est ni par vénalité, ni pour rechercher la célébrité… Enfin bon !

A : Quelles réflexions t’ont conduite à vouloir réaliser Don’t Panik ?

K : Je pense que ce n’est pas tant une réflexion que mon expérience de vie. Je suis juste fatiguée qu’on malmène les miens. J’en suis d’autant plus touchée qu’il y a peu de personnes qui prennent la parole alors que, en toute honnêteté, n’importe qui avec un minimum de réflexion se rendrait compte de la cabale menée contre l’islam aujourd’hui. C’est pareil pour le hip-hop. Qui, aujourd’hui, donne réellement du crédit à cette culture ? A partir du moment où on ne nous considère pas à notre juste valeur, c’est à nous-mêmes de prendre les « armes ». N’ayez pas peur, ce n’est qu’un documentaire ! Je pense souvent à un poème allemand de Martin Niemöller, qui commence comme cela : « Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste… » et se termine par « Puis ils sont venus me chercher, et il ne restait personne pour protester« … A bon entendeur !

A : Entreprendre un documentaire sur le rap et l’islam, par les temps qui courent, c’est bankable ?

K : Documentaire, rap, islam. Dans toute cette phrase il  n’y a rien de bankable. Le genre documentaire est le « parent pauvre » de l’industrie cinématographique. Le rap, lui aussi, est perçu comme le misérable dans le genre musical français. Et l’islam est stigmatisé dans le monde occidental comme étant la religion la plus rétrograde pour l’être humain… Alors oui, ça pourrait être bankable mais, pour cela, il aurait fallu que je traite toutes ces données dans un autre axe [Sourire].

A : A quelles difficultés t’es-tu retrouvée confrontée ? Y’a-t-il au contraire eu des « bonnes surprises » ?

K : Sans ne citer aucun artiste, la difficulté la plus surprenante a été pour moi que certains artistes français, et uniquement français, ne voulaient pas faire le film parce qu’il traitait d’islam. Certains trouvaient qu’ils avaient trop parlé de leur foi, et que souvent les médias et le public n’avaient pas tout à fait compris leur démarche. D’autres trouvaient que c’était déjà très dur pour eux de gérer cette question dans leur quotidien, par des attaques et des réflexions que l’on leur manifestait tous les jours. Du coup en parler, en plus dans un documentaire, c’était peut-être trop. Je pense que beaucoup préfèrent ne pas en parler en public et plutôt le vivre dans leur sphère privée… Faut avouer que parler d’islam dans nos sociétés au jour d’aujourd’hui, vu comme nous sommes perçus, ça peut se comprendre. Par contre je pense que ne pas se positionner ne nous rend pas service… Je tiens tout de même à préciser que tous les artistes du film ont été de très belles surprises et de belles rencontres.

« Je suis juste fatiguée qu’on malmène les miens. (…) N’importe qui avec un minimum de réflexion se rendrait compte de la cabale menée contre l’islam aujourd’hui. »

A : Combien de temps s’est-il écoulé entre la genèse du projet et sa finalisation ?

K : A partir du moment où j’ai décidé de le faire et le produit fini, il s’est passé quatre années.

A : Comment s’est opéré le casting de Don’t Panik ?

K : C’est sûrement la partie la plus compliquée, la plus longue et la plus hasardeuse du film. Je ne connaissais pas les artistes du film autrement que par leur art. J’ai écouté beaucoup d’artistes sur le Net ou autres, mais au-delà du kif du rap des uns ou des autres, c’est aussi beaucoup une question de feeling. Après, une fois que j’ai choisi un artiste par pays ou continent, il fallait les contacter et leur proposer l’idée du documentaire qui était dans ma tête. Ne connaissant personne de l’entourage de ces artistes, tu tentes ta chance via Myspace, Facebook et autres réseaux sociaux. Ma seule contrainte était de tenter de répondre aux questions : qu’est-ce qu’être un rappeur ? Qu’est-ce qu’être musulman ? Comment gérer sa foi avec son art ? La question du licite et de l’interdit ? Cela à travers différents rappeurs du monde entier. Les questions sont universelles et pourtant elles apportent des réponses différentes selon le pays dans lequel on vit. Un Algérien ne peut pas penser comme un Américain, ni un Français comme un Sénégalais. Et pourtant il y a tout de même des similitudes.

A : Pourquoi n’y a-t-il pas de femmes interviewées ? Est-ce un choix, en tant que réalisatrice ?

K : Au moment où j’ai commencé mes recherches, je savais que Diam’s était musulmane, mais elle n’en avait jamais parlé publiquement. Du coup je ne pouvais pas lui demander de faire son coming out avec mon doc. Une fois mon film terminé, les médias s’étaient emparés du « cas » Diam’s. Sinon il y a les Poetic Pilgrimage, deux rappeuses anglaises, qui ont un bon niveau… Mais pour traiter de la scène rap anglaise qui plus est des artistes musulmans, en toute honnêteté, il leur faudrait un documentaire à eux seuls, car c’est très particulier, sans entrer dans les détails… J’aurais aimé avoir Shadia Mansour dans le film mais bon !… Sinon, après, je ne vois pas vraiment d’autres rappeuses musulmanes. Je ne pense pas que ce soit un choix de ma part de me dire « pas de fille dans mon film », car je ne pense jamais en termes de fille ou de garçon mais plutôt en termes artistiques. C’est aussi au hasard des recherches, des rencontres… Faut pas trop se prendre la tête sur le fait qu’il n’y ait pas de fille dans ce film. C’est une fille qui le fait, c’est déjà très bien !

A : Y’a-t-il eu des intervenants que tu n’as pas réussi à avoir ?

K : Tous les artistes du film sont ceux que je voulais… Vu comment je me suis bien prise la tête pour les avoir, bah oui ce sont de vrais artistes ! Certains comprendront [Sourire].

A : Aurais-tu par exemple apprécié d’intégrer un Akhenaton dans ce documentaire ? Je crois que Manza puis Médine en parlent à un moment…

K : Philippe Fragione a.k.a Akhenaton  aurait pu être dans le doc si j’avais pu passer outre le barrage de son frère et manager… En fait il n’y avait pas de mauvaise volonté, juste un problème de timing.

A : Quels sont les écueils que tu as cherché à éviter ?

K : Ceux précisément que l’on nous sert tous les jours, dans tous les médias français !

A : Comment s’est instauré le climat de confiance pour que les artistes se livrent face à la caméra ?

K : Je suis sympa comme fille ! Je plaisante, sérieusement il n’y a qu’eux pour répondre à cette question… Tout ce que je peux dire, c’est que c’est beaucoup de travail et de patience. J’ai aussi beaucoup appris de mon documentaire de 2001, intitulé A nos absents. J’avais réussi à l’époque à faire parler des artistes sur la mort. Obtenir cette fois des réponses sur la foi ne me semblait donc pas insurmontable [Sourire]…

A : Dans le documentaire, Médine dit : « Aujourd’hui, il ne suffit pas d’arriver et de chuchoter à l’oreille des gens. Il faut leur gueuler dessus. » Est-ce ton approche à toi aussi, sur ces sujets ?

K : Houlala ! Moi je ne gueule sur personne. Je dis juste assez gentiment ce que j’ai à dire et je cherche plutôt à donner une version qui me paraît plus juste de ce qui existe et de ce que tellement d’autres cherchent à dénaturer par n’importe quel moyen.

A : Corrige-moi si je me trompe mais j’ai été frappé de voir la relation assez apaisée qu’entretiennent avec la religion des artistes comme l’Algérien Youss et le Sénégalais Duggy Tee – notamment sur l’aspect « hallal » (autorisé) ou « haram » (illicite) de la musique , par rapport à celle plus conflictuelle des autres intervenants, musulmans de France, de Belgique, de Suède ou des Etats-Unis. Est-ce que le statut de minoritaire influe sur ce rapport à la foi, à la justification permanente ?

K : Bravo et bien vu ! Il est effectivement question d’être minoritaire au sein d’une majorité. Depuis que nous sommes petits, on nous rappelle que l’on n’est pas chez nous et que nos pratiques voire nos croyances ne sont pas normales. Du coup notre propre perception de nous-mêmes au sein du groupe est altérée et surtout conflictuelle, pas en paix… En tout cas dans un premier temps. Maintenant, l’Algérien Youss et le Sénégalais Duggy Tee vivent en tant que musulmans dans un pays musulman au sein de musulmans. Les questionnements ne peuvent pas être les mêmes. Le mal-être que les autres connaissent et tout ce qui va en découler, ces Africains-là ne peuvent presque pas le comprendre… Même si le Belge, le Français et le Suédois se ressemblent plus ou moins, le cas de l’Américain est aussi très différent. D’après ce que j’ai pu voir et discuter avec lui, et ce même après le 11 Septembre, les musulmans américains connaissent peut-être un meilleur sort que celui des musulmans de France…

A : « Si, pour que ma foi soit forte, tu dois forcément croire comme moi, ça veut dire que je suis faible dans ma propre foi » : Hasan Salaam dit des paroles très fortes sur le prosélytisme… De son côté, le sociologue Farid El Asri qualifie Médine d' »épouvantail attractif »… Quelles sont les réflexions qui t’ont le plus marqué au cours de ce tournage ?

K : Je ne dirais pas vraiment que leurs réflexions m’ont marquée, car tout ce qu’ils disent je le sais. Je ne découvre rien… Par contre j’ai été touchée par le fait que tous m’aient accordé leur confiance. Qu’il y ait vraiment eu cet échange simple et honnête entre deux êtres qui ne se connaissent pas mais qui se comprennent et se font mutuellement confiance… Maintenant, quand l’anthropologue Farid El Asri parle d’ « épouvantail attractif  » c’est justement pour dénoncer le fait que beaucoup – et même trop – restent sur l’apparence de Médine. Il est heureusement bien plus qu’un simple homme barbu. C’est un rappeur qui défend ses positions, et pas uniquement religieuses… De son côté – et Hasan Salaam a raison de le rappeler -, le but du musulman n’est pas de convertir la terre entière, il veut juste vivre sa foi tranquillement. Ce film s’adresse aussi bien aux musulmans qu’aux non musulmans.

A : Ce documentaire achevé, as-tu le sentiment d’avoir fait le tour des questions qu’il soulève ?

K : Pas du tout, et même loin de là. En 1 h 15 je ne peux malheureusement pas parler de tout. La monteuse Hélène Lanfranchi et moi-même avons surtout essayé de faire en sorte de parler et d’expliquer certaines choses un peu compliquées pour des non-connaisseurs, que ce soit du rap ou de l’islam. Ce qui est sûr et je peux l’affirmer, c’est que c’est un film accessible à tous.

A : Où est-il possible de le voir ?

K : Le documentaire est tout jeune. Il a été projeté la première fois en mai 2010 à Montpellier, puis deux fois à Paris, une fois à Metz… Il sera projeté à l’Institut du monde arabe le 26 mai prochain.

A : Peux-tu nous parler de ta structure, Derniers de la classe productions ?

K : Ce n’est pas ma structure mais celle de ma binôme, la monteuse de tous mes films, Hélène Lanfranchi, ainsi que celle de son mari Régis Amétis. Hélène est une ancienne danseuse debout et Régis est web-designer – et ancien graffeur, entre autres. Tous deux ont eu une vraie envie d’aider ceux qui voulaient faire des choses, que ce soit en audiovisuel, sites web, flyers, etc., pour un public qui n’a pas les moyens de le faire faire aux tarifs pro. Du coup ils apportent leur savoir faire et leur carnet d’adresses pour permettre que les projets des uns et des autres aboutissent. J’ai rejoint la structure une ou deux années plus tard, à leur demande et pour aider à mon tour. Mais à part filmer, je ne suis pas d’une aide particulière, faut avouer !

« Depuis que nous sommes petits, on nous rappelle que l’on n’est pas chez nous et que nos pratiques voire nos croyances ne sont pas normales. »

A : En 2001, tu réalisais A nos absents, un documentaire sur la place accordée aux disparus dans les textes de rap en français. Puis tu as notamment sorti en 2005 On s’accroche à nos rêves, un autre documentaire qui traitait des femmes dans le hip-hop. Quels disques, quels morceaux, quels artistes t’ont conduite à vouloir plancher sur ces sujets ?

K : Mon doc A nos absents est une dédicace à la Fonky Family, avec leur son « Aux absents » dans leur album Si Dieu veut. Il y avait aussi Saïan Supa Crew avec « KLR », Cormega  avec « Fallen Soldiers », Mariah Carey & Boyz II Men avec « One Sweet Day », Diana Ross avec « Missing You », K.Special & Djaz  avec « J’deviens ouf ». Bon ça m’embête presque de le citer et peut-être même plus que la Mariah, mais ça a fait partie des morceaux que j’ai épluchés pour le doc : P.Diddy & Faith Hill & 112 pour « I’ll Be Missing You ». Idem pour Hasni avec « Galou Hasni Met », le 113 avec « Sans Retour »… Pour On s’accroche à nos rêves, il suffit de prendre toutes les artistes femmes du monde entier et la liste est longue ! Beside, B Love, Saliha, Diam’s, Lady Laistee, Keny Arkana, Sté, Casey, Bam’s, Miss Kaëly, Black Barbie… pour les principales Françaises.

A : Qu’écoutes-tu aujourd’hui, en rap ?

K : Je n’écoute pas que du rap, pour commencer. Après, si je commence à citer du rap, je ne vais pas pouvoir me contenter des trois points de suspension qu’on met à la fin d’une phrase inachevée. J’écoute Casey, Mos Def, Booba, Talib Kweli, Tiers Monde, Hezekiah, Milk Coffee & Sugar, Invincible, Brav, Lupe Fiasco, Zoxea, Redlight Boogie, Nakk, Stalley, Flynt, Stic.man, Keny Arkana, Black Milk, L’Indis, Demi Portion, Pharoahe Monch, Hasan Has, Miss Kaëly, Némir, Jeff Le Nerf, Speech Debelle, Oussen & 13K, Utopie, Jean Grae, Tedy Blow, Seth Gueko – que je viens à peine de découvrir -, Rocé, Mohammad Dangerfield, Al, Kadaz, Blitz the Ambassador, O’nassim, Boog Brown, Kohndo, Immortal Technique, Eternia, B. Dolan… Et voilà les trois points de suspension [Rires] !

A : Que n’écoutes-tu pas [Sourire] ?

K : No name [Rires] !

A : En tant qu’auditrice, qu’aimerais-tu davantage entendre, comme thèmes ?

K : Moi je ne veux rien écouter de particulier, je fais confiance aux artistes pour nous proposer. Je verrai bien ce qui me plaît !

A : En tant que réalisatrice, quels sont les prochains sujets que tu aimerais, toi, creuser ?

K : Le football. C’est un peu vague mais grosso modo ce qui m’intéresse encore une fois c’est de parler de la société française. Sur fond de football je voudrais parler de la France… raciste. Affaire à suivre.

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