Decimo : à l’instinct
Interview

Decimo : à l’instinct

Alors qu’il a clos sa trilogie d’EP Symphonia en 2023, retour avec Decimo sur cette série et particulièrement son dernier volet.

Photographies : Fabio Rabarot pour l’Abcdr du Son

Présent depuis environ 5 ans dans le paysage du rap français Decimo a sorti en décembre 2023 le troisième volume de sa trilogie : Symphonia. Après avoir mis un silence dans sa partition entre la sortie de ses anciennes mixtapes K.E.L.L.O.G.Z et les trois opus de Symphonia, le rappeur reprend les notes de plus belle en amenant une cadence plus soutenue. 

Peu importe les différentes sonorités sur lesquelles l’artiste évolue, c’est une brutalité naturelle qui émane de son rap, notamment sur Symphonia Vol.3. L’univers principalement trap de Decimo est ici parsemé d’influences caribéennes, de mélodies brumeuses ou bien de boom bap. Au-delà des sonorités, c’est l’écriture qui se révèle comme l’épine dorsale de son squelette artistique. La plume affûtée, Decimo façonne des histoires, tisse des récits parfois imaginaires mais tous empreints de réalité. Les 6 titres composant ce troisième opus permettent de clore une étape dans le parcours du rappeur, avec à ses côtés ZKR et Favé.

À travers la trilogie Symphonia, Decimo prête attention à son environnement, ses engagements, son parcours, ses émois et s’abandonne à griffonner.


Abcdr du son : Tu as sorti le volume 3 de Symphonia début décembre. Est-ce que tu l’as écrit en même temps que les deux autres volumes ? 

Decimo : Ce volume, je l’ai fait indépendamment des deux autres mais il y a des sons que j’avais déjà écrits alors même que le volume 1 n’était pas sorti comme « Général Li Shin » par exemple et « Temps en temps ». Les autres je les ai écrits directement pour ce volume 3. 

A : Pourquoi tu n’as pas voulu mettre les titres déjà écrits dans le volume 1 ? 

D : Parfois, on se dit : « on garde les bastos pour plus tard. » J’étais d’accord avec ça, à la base « Général Li Shin » je ne voulais même pas le mettre dans l’EP et le garder pour la mixtape mais en vrai ça collait bien avec l’EP donc j’ai envoyé la bastos. 

A : La continuité visuelle et sonore de Symphonia sur trois volumes, c’était quelque chose que tu recherchais ? 

D : Pas forcément. J’y suis allé au feeling, j’ai écrit comme ça en me disant : « volume 1, 2 et 3. » Il y a quand même des sons pour lesquels je savais sur quel volume j’allais les mettre.

A : Comment tes influences ont évolué pour ces trois opus ? On sent un changement par rapport aux mixtapes K.E.L.L.O.G.Z. 

D : Déjà avec K.E.L.L.O.G.Z c’était vraiment le pur délire. J’étais sous bracelet, je rappais pour rapper. Grâce à Dj Bellek et Morning Glory j’ai commencé à me professionnaliser donc j’ai essayé d’autres choses. Puis plus le temps avance, plus t’écoutes de la musique, plus tu grandis musicalement. J’ai pas délaissé la drill. La grime ce sera à vie je pense et même si j’aime trop ça j’en ai encore jamais fait. Je ne suis même pas sûr de pouvoir le faire, il faut dire la vérité. [rires] Je pense que je suis toujours le même dans mes influences mais j’ai juste pris le temps de me professionnaliser et ça s’est mis en avant. Pour moi, de A à Z j’ai toujours les mêmes influences et c’est juste mon son qui a évolué, qui a mûri.

A : Ta professionnalisation est passée par quelles étapes ? Un travail d’écriture ? Aller au studio plus souvent ? 

D : Aller au studio plus souvent déjà, j’avais connu que des studios miteux en vrai. J’écrivais beaucoup plus aussi mais c’est le fait de poser au studio qui m’a aidé. 

A : Dans ce que t’écoutes aujourd’hui, quelles influences restent ? 

D : À l’ancienne vraiment, Snoop Dogg, Erykah Badu, Mary J. Blige. J’écoute plus de R&B que de rap et aussi beaucoup de J-Pop. J’écoute plus de J-pop que de rap français ! Je fais ma petite bibliothèque à l’ancienne. 

A : Pourquoi le R&B te touche autant ? 

D : Je crois que c’est à cause de mes parents, j’ai grandi dedans, j’ai été bercé par ça. C’est une musique qui me touchera toujours et pour moi c’est la meilleure musique du monde. Le R&B est incomparable en termes d’émotions. Des sons des années 90 sonnent encore bon aujourd’hui. C’est incontournable. 

A : Est-ce que tu aimerais faire du R&B ? 

D : Ouais j’aimerais trop. J’aimerais trop mais c’est mort ! [rires] Il ne faut même pas tenter, c’est le génie, c’est la voix, c’est le talent à l’état pur. Le R&B, le vrai, c’est impossible. Sans dire que ceux qui en font aujourd’hui le font mal, mais quand tu regardes par exemple Lauryn Hill ou même Alicia Keys, l’héritage du Blues en vrai c’est pas « venez on va dans la cabine on chantonne » [rires] J’aimerais bien mais bon… dommage. 

A : T’as forcément dû essayer d’en faire un peu non ? 

D : On va pas se mentir bien sûr, dans la douche, chez moi, partout, t’es obligé ! 

« J’aime trop la musique, il faut que je m’en détache. »

A : Alors pourquoi le rap au final ? 

D : À la base c’est le défi ! Grand défi entre potes et puis c’est parti en couilles. [rires] En vrai j’avais pas forcément envie d’en faire mais vu que j’aime trop la musique, que Dieu me pardonne j’aime beaucoup la musique, je me suis fait attraper. 

A : Tu parlais de « talent » dans le R&B, tu penses l’avoir dans le rap ? 

D : Non. Je ne pense pas, mais je ne suis pas nul. Je ne suis pas dégueu. C’est le travail et l’amour de la musique. Pour moi ce sont les bases. Pour être un bon rappeur tu ne peux pas sauter des cases. Il y a des morceaux qu’il faut écouter, c’est comme un mec qui aime des films et qui veut en faire, il est obligé de regarder des classiques. Il y a aussi cette question de talent mais c’est quand même beaucoup de travail. On ne doit pas oublier d’où vient le rap. 

A : Trois sons pour toi qui sont classiques ? Qui ont été importants dans ta construction musicale ? 

D : Lauryn Hill « Lost Ones », Micheal Jackson « Rock With You » et Biggie « Everyday Struggle ».

A : On va rentrer en profondeur dans Symphonia vol.3 que tu ouvres avec une référence à Li Shin (« Général Li Shin »), un personnage qui impose la bravoure et le courage. Tu peux m’expliquer le lien que tu as avec ce personnage ? 

D : Je l’ai découvert dans le manga Kingdom, dès que je l’ai vu je ne savais pas qu’il retraçait l’Histoire de la Chine. Au début, je le regardais pour le regarder. J’ai commencé à suivre le personnage Shin et puis je suis tombé sur des commentaires qui disaient que ça retraçait la période de l’unification de la Chine et ses sept royaumes. C’est ce général qui a unifié la Chine. Déjà pour ne pas me spoiler j’ai pas trop regardé l’histoire mais j’ai vraiment kiffé. Il y a forcément des libertés prises dans le manga, mais si vraiment c’était la vraie vie du général, c’est archi marquant. J’ai pas envie de spoiler parce que peut-être que des gens iront regarder après mais c’est incroyable. Sa vie, son histoire ont laissé une trace et c’est une putain de trace ! 

A : Laisser une trace, ça t’inspire pour ta musique ? 

D : En vrai même pas. J’en ai un peu rien à faire de laisser une trace ici mais je comprends ce que tu veux dire. Pourquoi pas un tout petit peu. Je vais peut-être pas unifier les 7 royaumes mais une petite trace de pneu par là et c’est tout. [rires]

A : Dans ce son tu dis : « c’est pas le retour j’suis pas parti » sur un ton un peu revanchard. On t’a fait ressentir que t’étais parti ? 

D : Ouais ! T’as touché dans le mile. J’ai eu ma période de développement puis pause sans rien. Je sortais des clips mais ce n’était pas ce que je voulais faire en vrai. En gros t’es dans un quartier, t’as « buzzé » un peu et les gens ils se disent : « mais wesh lui il sort rien, les autres ils sortent des trucs » etc. C’est super frustrant parce que beaucoup de personnes pensaient que j’avais arrêté. Une phrase qui m’a vraiment choqué, c’était un quartier entier près du mien qui disait : « ouais Decimo il a arrêté le rap. » Et ça m’a grave touché. J’étais pas bien quand j’ai entendu ça. C’était juste le petit pic pour leur dire « j’suis encore là bande d’enculés ! » [rires] 

A : Dans « Muito Frio » tu pars sur une ambiance dancehall, tu n’as pas l’habitude de poser sur ce genre de prod. Tu veux en faire plus ? 

D : Ouais c’est grave ce que j’écoute en ce moment. C’est ce que font les Anglais dans le style afro swing, genre Pa Salieu ou J Hus et j’avais envie de le faire. Comme je t’ai dit j’écoute beaucoup de choses différentes, parfois j’écoute du rock, du métal même ! 

A : T’écoutes qui en métal ? 

D : Non je te dis pas. [rires]

A : C’est trop sombre ? [rires]

D : J’écoute qu’une minute, après il y a la minute qui part en couille et j’arrête là. 

A : Sur les trois volumes de Symphonia tu voulais composer avec d’autres univers musicaux ? 

D : Oui bien sûr ! Sur le volume 2 par exemple avec le son « Ashawo ». Au vu de mes origines Nigérianes j’écoute beaucoup d’afro depuis que je suis petit et j’ai tenté. Comme je disais, le studio m’a professionnalisé, donc dans ma période où je ne sortais rien j’en ai profité pour tester à gauche, à droite et voir ce qu’il était possible de faire. J’étais dans les meilleures conditions pour pouvoir tester. Les beatmakers avec qui je travaille aussi comme mon pote Isma, mes gars Ju, Skillano, Bellek et Skiz m’aident et me canalisent. 

A : Sinon tu pars trop loin ? 

D : Ouais ! Il y a eu des moments où je voulais faire de la J-Pop carrément je leur ai dit de sampler un petit opening de Naruto eux ils étaient dépassés. [rires] Mais parfois on le fait quand même ! 

« Dans ma période où je ne sortais rien j’en ai profité pour tester des choses. »

A : De ce que tu me dis ça me fait penser un peu à l’univers de Diddi Trix, avec qui t’as rappé sur « Même pas ».

D : Mais carrément, il est comme moi Diddi. On a les mêmes influences, c’est trop mon gars. J’aime bien quand tu connais Mary J. Blige, des sons à l’ancienne, que tu connais l’héritage de cette culture. 

A : En parlant d’héritage justement, tu es parti sur une prod boom bap avec ZKR, est-ce que c’est quelque chose que vous avez en commun ? 

D : Oui et non. Ce mec c’est un cyborg. Il est extrêmement fort, le rap français devrait le remercier. En vrai, moi je voulais le tirer dans un délire trap mais il est resté bloqué dans son délire à l’ancienne. Le boom bap c’était le juste milieu entre lui et moi parce que le boom bap ça ne bougera pas. C’est le rap. Et avec ZKR c’était super fort de le faire. 

A : Quand t’as commencé à rapper t’avais déjà rappé sur du boom bap ? Ou c’était la première fois sur ce titre ? 

D : Franchement j’ai même pas commencé sur de la boom bap. Selon moi c’est le plus facile à rapper parce que c’est le rap pur. Normalement si t’arrives à rapper sur de la two-step pour moi le son boom bap tu le plies. J’en fais toujours parce que c’est important de rapper sur les bases de ce qu’est le rap aujourd’hui. 

A : Une des caractéristiques qui m’a attrapée lorsque j’ai découvert ta musique c’est ta manière d’écrire. Tu peux me parler de la place que tu donnes à l’écriture dans ton rap et en dehors ?  

D : C’est une place très très importante pour moi. Ça s’est un peu perdu, on dit que la prod fait 70% de ton titre aujourd’hui mais l’écriture c’est quand même trop important. C’est pas pour faire le grand frère, avant je m’en battais les couilles, mais en grandissant je me suis dit que les gens qui m’écoutaient ne voulaient pas écouter de la merde tu vois. Ça dépend qui tu vises mais même si tu vises des petits, bah écris quelque chose en fait. Écris pas de la merde, sois compréhensible. T’es pas obligé de caler 7 punchlines mais tu dois bien construire ce que tu dis. C’est dommage, il y a beaucoup de « pipi caca » maintenant quand même. 

A : Comment tu imagines ton écriture toi ? Tu visualises ce que tu vas dire, où tu vas le dire ? 

D : En vrai je ne sais pas si tu vas comprendre mais j’écris ma première phrase et je laisse vagabonder mon esprit. J’écris en pensant après j’essaie de faire des liens et je le fais un peu comme une histoire. C’est comme si tu me donnais un mot en me demandant d’écrire une histoire et qu’à partir de ce mot, il y en a plein d’autres qui découlent alors je les écris. Je ne réfléchis pas sur une punch à donner. 

A : Tu écris avec ou sans la prod ? 

D : J’aime bien le faire avec la prod. Parfois ça m’arrive d’écrire des petites phrases sans prod que je garde sur le côté. Dès que je trouve une prod je regarde dans mon carnet où je les ai écrites et je vois si ça peut m’inspirer. 

A : T’as un carnet quand même ? 

D : Non même pas, quand je dis dans le carnet c’est dans « Notes » sur le téléphone. On parlait d’héritage mais quand même ! [rires] 

« C’est important d’écrire, de dénoncer, de faire son combat dans la musique. »

A : Dans « Bipolaire » tu dis : « le drame est inspiré de Shakespeare, le quartier ça s’empire », est-ce que tu lis ? 

D : Bien sûr. J’ai commencé à l’école, j’avais un très bon prof de français à l’école, une sorte de Onizuka. Il a toujours fait passer le rapport humain avant. Il nous a donné des livres à lire, tu connais t’es au collège t’as pas envie. Au final je l’ai lu, c’était Yvain le chevalier au lion, je ne vais jamais oublier. Après j’aime lire les mangas, j’ai lu des livres de psychologie, puis petit à petit j’ai commencé à lire des classiques genre Victor Hugo etc… Mais je préfère les mangas ! 

A : Shakespeare est bien connu pour ses tragédies, que tu relies au quartier dans la même phrase. Pour toi c’est une tragédie de grandir au quartier ? 

D : Oui. Dans tous les quartiers. On voit tellement de drames qu’on ne les réalise pas, c’est ça qui en devient une tragédie. Regarde je vais pas t’apprendre mais Salât Janaza [prière mortuaire en Islam, également connue sous le nom de prière funéraire, NDLR] t’en vois au moins trois par semaine dans un quartier, en tout cas dans le nôtre. T’entends des histoires depuis que t’es petit, tu vois ça, puis ci… Premier mort que j’ai vu c’était à 10 ans, c’était un suicide. On ne réalise pas tellement c’est banalisé, c’est ça la tragédie. Une tragédie de mon quartier de Val Fourré à Mantes-la-Jolie, s’il se passe dans un quartier blanc, riche, ils vont en parler trois mois. Nous ça dure 24h. Même Shakespeare c’est un petit, s’il était vivant il pourrait venir dans un de nos quartiers pour s’inspirer de nous. Je pèse mes mots. 

A : Cette prise de parole est importante dans ta musique.

D : Bien sûr. Faut pas oublier d’où vient le rap. On doit dénoncer, dire ce qu’il se passe. Je vois ça comme une passation de mentale. Parfois mes textes c’est comme ci je te donnais un bout de ma mentale, sans te dire d’être comme moi, mais juste : sache que je suis comme ça. Je pense que tous les artistes devraient faire ça. Ils devraient donner leur état mental. C’est pour ça que c’est important d’écrire, de dénoncer, de faire son combat dans la musique. Fais pas de la musique pour faire de la musique, c’est mieux. 

A : En clamant haut et fort ces événements dramatiques, c’est ta manière de déjouer la tragédie ? 

D : Franchement oui, c’est apporter sa pierre à l’édifice. Même si la pierre est riquiqui, pose-la. Peut-être que y’a deux personnes qui t’écoutent et tu vas changer leur vie. Après Astaghfirou-Llah, c’est de la musique. Dans un texte je disais en gros t’es fan, tu m’écoutes mais ne m’adore pas. Reste sur Terre, on est pareil toi et moi. Si je peux apporter du changement à quelqu’un, sachant que je ne suis pas le meilleur des hommes, c’est avec grand plaisir. 

A : Est-ce que t’es encore au quartier aujourd’hui ? 

D : Oui et non. Je suis à côté. [rires] Je suis à 15 minutes. Je suis marié, je ne veux pas que madame ou mes enfants voient ce que j’ai pu voir. Je reste à proximité de mes parents, de ceux que j’aime. J’aime rester lié à ma communauté sans me battre pour des causes bêtes, on ne va pas se tirer vers le bas. J’essaie de faire le maximum mais parfois ce sont des combats perdus d’avance. C’est comme le racisme. On serait tous blancs, le seul mec avec un grain de beauté aurait été racisé. C’est comme ça, mais on fait le maximum qu’on puisse faire. 

A : Tu n’as plus d’espoir ? 

D : C’est fini. Bien sûr que j’en ai eu avant, on était tous jeunes. On rêve de la paix dans le monde, etc… Mais j’ai grandi, il n’y a plus d’espoir. Il y en a mais c’est pour les rêveurs, c’est fini tout ça. J’ai plus l’âge de rêver. Tu rêves encore toi ? 

A : Ouais, je suis une grande rêveuse. 

D : Bon courage hein, moi je ne te dis rien. [rires] 

A : Dans la suite de cette tragédie, tu parles de ton passage en prison. Tu continuais d’écrire là-bas ? 

D : Ouais, et j’ai kiffé écrire en prison. Ça m’a beaucoup inspiré parce que j’étais coupé du monde. Il n’y avait que deux mecs dans ma cellule et j’écrivais. C’était une bonne sensation. Tout le K.E.L.L.O.G.Z. vol.3 je l’ai écrit en prison, en deux semaines. C’était une écriture pure, sans parasite, j’étais tout seul. C’était entre moi et ma feuille.

A : « J’ai pansé mes blessures, j’ai pensé au futur » (« Général Li Shin ») tu as lâché ces bagages qui ont été éprouvants pour toi ? 

D : En vrai oui. C’était important de les déverser quelque part et la musique c’était le seul moyen. La violence, ce n’est plus pour moi. La musique je ne suis bon qu’à ça selon moi. C’était le meilleur moyen de déverser tout ça, par l’écriture aussi. J’aime beaucoup écrire, même en dehors de la musique. 

A : Dans « Dans ses mains » tu dis : « Marécages aux égouts on fait peur comme les gueux » le vocabulaire que tu choisis est marquant, comment cette image t’es venue à l’esprit ? 

D : Même si t’es un renoi, une renoie, un rebeu ou une rebeu intégré.e comme ils veulent là, frère, à leurs yeux tu restes le gueux, le paysan, le clochard bien sale, le miteux, le pestiféré. Tu resteras ça. C’est bien dommage que certaines personnes oublient ça. Le mot « gueux » je l’ai utilisé spécifiquement pour ce sens là. Pour eux, on est des gueux, des parias. J’aime bien utiliser les mots super français pour décrire ces situations justement. C’est leur terme donc il faut l’utiliser. Je peux utiliser le même vocabulaire que ces personnes, on maîtrise bien la langue française. 

« J’ai kiffé écrire en prison,. C’était une écriture pure, sans parasite, j’étais tout seul.  »

A : Dans les moyens de composition de ta musique il y a aussi un rapport à l’image que tu développes. Les trois covers sont réalisées par la peintre Stéphanie Macaigne, c’est toi qui a eu l’idée ? 

D : Au départ, pas du tout. L’idée des trois covers qui évoluent entre une image de moi petit, adolescent et adulte, oui. Mais l’idée de la peinture on l’a vu avec Belleck, Kevin à la direction artistique et le designer Enzo. Ils m’ont soufflé l’idée et j’ai dit oui de suite. On a construit ça ensemble, tout seul je n’aurai pas pu faire mieux. Je n’aurais même pas pensé à ça.

A : Pourquoi développer ce rapport à l’évolution ? 

D : Pour que ça colle avec le terme « Symphonia ». Carrément en commençant le rap je savais que je voulais donner un projet qui allait s’appeler comme ça. L’idée de la symphonie de Decimo j’aimais beaucoup, et c’était la meilleure manière de l’illustrer. C’est un beau mot qui allait avec la peinture. On a pris des photos de moi pour pouvoir travailler tout ça. 

A : Les 3 covers suivent les étapes de ta vie ? L’innocence (Vol. 1), puis l’insouciance de toi adolescent (Vol. 2), pour finir sur le Decimo aguerri (Vol. 3) ? 

D : C’est exactement ça. L’idée, elle était là, j’aime bien que tu l’aie attrapée. Au tout début même je voulais faire le lien avec les sons mais je me suis dit que ça allait être trop. Je voulais ancrer cette évolution, pour moi. La maturité que j’ai prise aussi. 

A : Tu dis « J’ai hâte de sortir tous les disques » dans « Temps en temps ». Tu as marqué la fin de Symphonia ? Le début d’un autre projet ? 

D : Oui, c’est la fin de la trilogie Symphonia déjà. Je veux marquer un début très très puissant, celui de la mixtape. Il y a beaucoup de disques et je pense qu’il y en aura encore plus parce que j’ai encore beaucoup écrit. Ça colle avec la période de frustration dont je te parlais. J’avais déjà la moitié de Symphonia en stock et personne n’avait encore écouté. Je suis une sorte de fatigue ambulante. Je viens au studio, je pose, je reste, je repose, et je produis beaucoup de musique. On ne gardera pas tout mais j’aime faire beaucoup de musique. 

A : Tu te vois rester dans la musique alors ? 

D : Clairement j’ai envie d’arrêter. Je ne me vois pas m’éterniser dedans, on verra. J’aime trop la musique, il faut que je m’en détache, ça va être dur mais on va essayer de combattre [rires]. 

A : Pourquoi t’aimerais t’en séparer ? 

D : Se mettre à l’écart de tout ça. Ce n’est pas une histoire de « le monde il est méchant », le monde il est méchant partout. Ce n’est pas le monde la musique qui est comme ça, c’est partout la même. Je veux m’écarter de tout ça pour la paix intérieure, c’est mieux. Religieusement parlant, humainement même. On ne réalise pas mais la musique ça influence beaucoup. Ça influence les cœurs et c’est dangereux je trouve. En tout cas mon cœur a beaucoup été influencé par la musique donc il vaut mieux s’en détacher un jour, tôt ou tard on verra bien. 

A : Ça t’as influencé de manière positive et/ou négative ? 

D : Les deux. Mais c’est plus le positif qui m’a fait peur. Une musique me rend heureux, c’est une dinguerie ! On réalise pas mais c’est une dinguerie, des fois je prenais le train sans musique et ce n’était pas possible. J’ai une musique pour faire ça, une musique pour ma clope, etc… c’est une dinguerie.

A : C’est délaisser la musique pour se diriger vers autre chose ? 

D : Franchement écrire un livre ça me tente. Je te parle sérieusement. C’est pour ça que mon prof de français je ne l’oublierai jamais. Les exercices d’expression écrite je tuais ça. Une fois j’ai inventé une histoire et ils ont convoqué les assistantes sociales parce qu’ils pensaient que ça n’allait pas chez moi. Mes histoires avec des dragons qui tuent d’autres dragons, etc… ils ont cru que j’avais des problèmes dans ma tête. Donc ouais un livre pourquoi pas. 

A : De ce que tu me dis, ton moteur c’est pas tant la musique mais c’est imaginer des histoires en fait ? 

D : Oui trop. J’ai une maladie. [rires] Je pense trop. Ça m’emmène trop loin. Même un OST d’un animé ça me fait imaginer plein de choses. J’aime bien mettre l’image de ce que j’ai en tête dans la tête d’une autre personne.

A : J’ai une dernière question, est-ce qu’il y a un son qui te touche particulièrement ? 

D : SWV – « Rain » c’est celui qui me tue le plus. Émotionnellement il me termine vraiment. Il me touche à cause des voix, de la prod, des paroles, c’est vraiment tout. dans la prod il y a un son de pluie et ça me tue. Pour moi c’est le son parfait. Il m’emmène vraiment loin. C’est pour ça que c’est dangereux la musique. Je pense à mon passé, à mon futur, j’imagine beaucoup. Ce son je l’ai écouté 11 fois de suite sur un trajet.

A : Parfois ça touche autant parce que c’est relié à un moment. 

D : Oui c’est toujours relié à un moment ! En tout cas moi c’est ma musique… Ah !! T’es forte hein, là tu m’as demandé : « à quel moment cette musique elle m’a frappé ». Non bien bien mais je ne vais pas te le dire, ça me brise le cœur. [rires]

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