Trente minutes avec Triptik
Interview

Trente minutes avec Triptik

Deux ans après qu’ils nous aient annoncé la reformation du groupe, Triptik revient enfin avec un nouveau projet dans les bacs, le sobrement intitulé Depuis. Entre enthousiasme et anxiété, Dabaaz et Black Boul’ sont revenus avec nous sur la conception de cet EP et les attentes qu’il suscite.

Photographie : Yann Stofer

En fait, le titre de cet article est légèrement mensonger. On n’a pas vraiment passé trente minutes avec Triptik mais plutôt une bonne heure et demie dans les locaux de Qhuit. Une heure et demie durant laquelle nous les avons confrontés à trois rappeurs de la nouvelle génération pour une table ronde inédite dont la retranscription vous sera livrée prochainement. Un peu avant de débuter cette table ronde, nous avions donc pris un moment pour évoquer la sortie de Depuis, nouvel EP du groupe qui marque officiellement leur retour dans les bacs. Entre enthousiasme et anxiété, Dabaaz et Black Boul’ sont revenus sur la conception de ce disque.


Abcdr Du Son : Vous venez de sortir un nouvel EP estampillé Triptik. Comment vous vous sentez après être resté autant d’années sans sortir de projets tous les trois ?

Dabaaz : On a beaucoup de mal à cacher notre joie [Sourire]. Il y a un vrai mélange d’excitation et d’anxiété.

Black Boul’ : Ce genre de stress des exams !

D : On est un petit peu dans un état second et, sans attendre des merveilles de cet EP, on est très curieux de voir comment il va être accueilli, de savoir si ça va nous donner de l’énergie pour la suite, quelles sont les éventuelles erreurs qu’on a pu faire… On est en perpétuelle auto-critique, surtout le jour de la sortie [NDLR : l’interview s’est déroulée le 25 juin 2012, jour de la sortie de Depuis]. En tout cas, on est très content de sortir ce disque.

A : Lorsqu’on vous avait rencontré en 2010, vous disiez que l’idée d’un nouveau projet Triptik vous effrayait…

D : [Il coupe] On n’avait rien fait depuis dix ans ! Même si on était en contact, on n’avait pas réécrit de textes ensemble, on n’avait pas fait de prods ensemble… On ne savait pas du tout quelle allait être la première note, à quoi ressemblerait le premier refrain… On était capable de dire qu’on allait retourner en studio mais ça n’allait pas plus loin que ça. Est-ce qu’on allait réussir à sortir quelque chose qui serait à la hauteur ? Ça aurait été affreux si on n’avait pas réussi à se mettre d’accord sur un titre par exemple.
A l’époque de cette interview, il n’y avait qu’un concert de prévu et on devait reprendre l’ancien répertoire avec DJ Pone donc c’était confortable ! C’était davantage pour se faire plaisir. Maintenant, on savait qu’on allait refaire des trucs ensemble.

A : Comment la mécanique se remet en route après autant de temps ? Même si vous aviez tous les trois travaillé de votre côté, j’imagine que le groupe s’appréhende différemment…

D : Dès que Drixxxé balançait un beat, on se mettait à écrire. C’était aussi simple que ça. Il n’y a que les morceaux les plus intimes qui ont été écrits avant même qu’on ait des instrus.
Dès les premières évocations de thèmes, on est tombé d’accord. Dès les premiers beats lâchés, on a commencé à imaginer les morceaux. La première surprise, après l’inquiétude de 2010, c’était de voir que ça fonctionnait encore [Sourire].

A : Quand l’un de vous posait un couplet en studio, est-ce qu’il vous arrivait d’avoir peur de la réaction de l’autre et de vous demander s’il vous trouverait encore au top ?

B : Non parce que, là-dessus, on se fait confiance.

D : Après, il a pu y avoir une petite appréhension mais, en tout cas, il n’y a jamais eu de problème. D’ailleurs, je crois qu’il n’y a jamais eu aussi peu de problème [Sourire]. Les autres albums étaient beaucoup plus laborieux.
On était aussi très occupé chacun de notre côté. A partir du moment où on a décidé de se retrouver en studio, Drixxxé venait de signer en maison de disques pour McLuvin, Greg sortait son EP avec Djunz, j’étais engagé avec la marque de fringues Poyz & Pirlz qui m’a demandé beaucoup de travail et de temps… C’est bien, on a dit à tout le monde qu’on revenait mais qu’est-ce qu’on fait ? [Rires] On a vite retrouvé l’alchimie mais les séances de travail étaient parfois espacées de plusieurs mois parce qu’on était rarement disponibles tous les trois en même temps.

B : Ce qui est génial aussi c’est qu’on est beaucoup plus autonome que dans le passé. Du coup, on n’avait pas forcément besoin que les autres soient systématiquement présents quand on allait poser un couplet.

D : De toute façon, on n’a jamais écrit l’un à côté de l’autre ou débattu des morceaux pendant des heures. Parfois, on trouve une idée, chacun part de son côté et on revient avec des couplets finis quelques jours plus tard.

A : Quand tu dis que le projet a posé moins de problème que les précédents albums, est-ce que ça n’est pas dû au fait que vous êtes plus matures et que vous prenez moins le rap au sérieux que dans le passé ?

B : A l’époque, on misait toute notre vie sur Triptik et on n’avait aucun autre exutoire. Toute notre musique était concentrée sur Triptik.

D : On attendait le contrat providentiel, la licence qui allait nous sortir de la merde… On rêvait à haute voix et, mine de rien, on a réussi à tenir longtemps comme ça. A chaque fois, on avait des satisfactions parce qu’on passait des palliers mais il manquait quelque chose et c’est ce qui nous a épuisé.
Dix ans après, on n’a pas les mêmes attentes vis-à-vis du rap. Déjà, on y investit beaucoup moins d’argent parce qu’on est capable de sortir un album et des clips avec un budget largement inférieur à celui de l’époque. Depuis est un vrai EP indé comme à l’époque… Sauf qu’à l’époque, ça coutait beaucoup plus cher. Aujourd’hui, on est capable d’avoir des choses super pro sans une grosse maison de disque derrière et sans casser la tirelire. Si j’avais investi dix mille euros dans le projet, je pense que je serais moins détendu ! [Rires]

B : C’est clair et, de toute façon, ça n’était même pas envisageable.

D : Aujourd’hui, on commence à se débrouiller avec les activités externes au rap mais c’est très récent. On a plusieurs sources de revenus et ça commence à enfin sentir bon pour nous mais on n’est pas habitué à cette situation. Drixxxé bosse pour des musiciens et place pas mal de prods, Greg peut tourner en solo, j’ai ma marque de fringues et les soirées…

A : Vous êtes tous les trois autonomes et indépendants de Triptik finalement.

D : Voilà et c’est une autre façon d’aborder la chose. Le fait d’avoir ce passif nous permet de galérer beaucoup moins qu’il y a quinze ans pour trouver des scènes. On n’a jamais vraiment eu d’embrouilles avec qui que ce soit et ça paye aujourd’hui. Les choses se passent beaucoup plus facilement aujourd’hui et on met beaucoup moins « nos vies en danger« . On a évacué le risque de se surendetter ou de taper une dépression nerveuse… C’est arrivé à beaucoup de gens dans le rap français parce que tu ne peux pas éviter certaines questions à partir d’un certain âge : « Est-ce que tu arrêtes ? Est-ce que tu continues tout en étant blasé ? » Aujourd’hui, on est à l’aise et le rap a aussi évolué pendant toutes ces années. La nouvelle génération qu’on avait vu venir et qui a explosé avec Internet nous a permis de faire pas mal de nouvelles connections. Quand 1995 et Rap Contenders ont explosé, on lançait les soirées Can I kick it donc ça participé à toute cette effervescence générale.

A : Je trouve qu’il y a assez peu d’albums de trentenaires bien dans leur peau. Il y avait eu Thomas Traoré de Grain de Caf et votre EP s’inscrit également dans cette veine, ce côté trentenaire sincère sans tomber dans la moralisation à outrance.

D : On est sincère. Si tu veux parler de ta relation avec ton enfant, ne te cache pas derrière des phrases toutes faîtes et n’essaye pas d’arracher une larme à l’auditeur avec des clichés éculés. Quand tu arrives à coller avec ce que tu vis, tu te rends tout de suite compte que les gens accrochent beaucoup plus.

B : Après, ça ne nous empêche pas de sortir des morceaux plus cons qui vont être rempli de trucs marrants.

D : Même s’il y a moins de morceaux que dans un album, je trouve qu’il y a un peu la même répartition de titres dans Depuis que dans nos autres projets. On essaye toujours de mélanger nos humeurs et les différents titres de sons qui nous parlent. On l’a vraiment pensé comme un mini-album.

« On est en perpétuelle auto-critique, surtout le jour de la sortie. »

Dabaaz

A : C’était rassurant de faire un EP avant un album ?

D : Chaque titre prenait du temps et, qu’on le veuille ou non, c’était à chaque fois un mastering en plus, du travail en plus… On était chaud pour finaliser le projet à telle date, avoir l’opportunité de faire des bons clips et une promo correcte. Quand tu n’es pas complètement sûr de ce que tu fais, un album peut rapidement démoraliser.

B : L’album ajoute une pression supplémentaire dont on n’avait pas besoin pour le moment.

D : Je pense aussi qu’on rentre dans une époque où le EP va être un format privilégié. Les mecs n’ont plus les avances ou les budgets studio qui leur permettent de mettre deux ans à écrire un album, de faire trente titres pour en garder quinze… Aujourd’hui, si tu as deux bons titres, tu as intérêt à les lâcher rapidement pour voir si tu peux buzzer avec, remplir des salles et faire un peu d’argent sur le digital. Tout se fait beaucoup plus au jour le jour donc le EP est un format qui correspond aussi bien à l’ère du temps.
Mine de rien, il faut de la ressource pour un album. A un moment, il y avait une surenchère et tout le monde sortait un double album plus un DVD mais les mecs n’avaient pas les ressources nécessaires pour sortir vingt-trois morceaux intéressants. Un album, c’est au moins douze titres qui se doivent d’être lourds, sur lesquels tu dois avoir un vrai recul… C’est faisable et, selon ce qu’on aura semé avec cet EP, on va très probablement prendre le temps pour repartir sur un album mais c’est un autre travail.

A : Greg, sur « Ça fait plaisir », tu dis « notre histoire n’est pas morte et ça fait plaisir ». Vous avez vraiment cru que Triptik était fini à un moment ?

B : Ah ouais, très clairement. On était tous très éloignés et les a côté prenaient le dessus.

D : Sans se perdre complètement de vue, on a été très peu en contact pendant trois-quatre ans. Ensuite, on a commencé à se revoir un peu timidement, sans trop savoir quoi se dire… Comme avec une meuf ! [Rires] Ça s’est fait progressivement.
Même dans mon album solo sorti en 2007, trois ans après l’arrêt de Triptik, je disais « Triptik c’est dead, j’en porte encore le deuil ». A l’époque, j’y croyais.

B : On a été tellement traumatisé à l’époque qu’on pensait vraiment que le groupe était derrière nous.

A : Aujourd’hui, est-ce que vous arrivez à identifier le public qui vous suit ?

D : J’ai l’impression qu’il y a plus de jeunes que de fans de la première heure. Même pendant nos concerts, on se rend compte que le public est loin d’être composé uniquement d’anciens. Après, il y a quelque chose de simple à observer : les personnes qui vont dans les soirées et les concerts ont plus souvent entre 15 et 25 ans que 35 ans.

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2 commentaires

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  • Rozay,

    Dabaaz! Très bon artiste ! le clip ça fait un bail, un classique!

  • borsalino,

    Une vision épurée du hip-hop ! big up triptik