Chronique

Triptik
Depuis

MPC Productions - 2012

Il y a des vieux cons qui trouvaient que les Triptik n’avaient jamais été meilleurs qu’ensemble et peut-être même à leurs débuts, étaient moyennement convaincus par leurs escapades en solo, prenaient plus de plaisir à réécouter « Triptik (Oïkatotshiba) » (sur L’ébauche), « Panam » (sur Microphonorama) ou « Hip-Hop » (sur TR-303). Pour ceux-là, ce nouvel EP pouvait être à double tranchant : d’un côté le plaisir de voir se reformer l’un des groupes les plus attachants du rap français, de l’autre la crainte d’une formule réchauffée ou, pire, trop éloignée de leurs bases de départ. Coup de bol : le trio a trouvé un point d’équilibre. Depuis est dans l’ensemble une réussite à saluer, même si tous les morceaux ne suscitent pas la même adhésion.

D’abord, un EP qui débute par une mise en jambes scratchée du KRS One de « 1, 2 Pass it » (intro qui se termine par un écho à l’un de leurs morceaux phares, « t.r.i.p.t.i.k. ») ne peut pas être mauvais. Surtout lorsqu’il se clôt (faussement en fait, car suit un morceau non crédité sans être caché – problème de sample ?) par une outro du même genre également signée DJ Gero.

Ensuite, Depuis a la bonne idée de jouer la carte de la diversité, même si c’est plus manifeste dans la couleur musicale que dans les thématiques des morceaux. De la célébration des retrouvailles enrobée de cuivres accrocheurs (« Ça fait plaisir ») à l’egotrip en mode battle sur fond de riff de cordes en chute libre (« Pas de doute »), de la love song décomplexée entamée par une voix soul langoureuse et paisiblement ponctuée par de discrètes notes de piano sur « La moitié de moi » à l’alliance synthé/guitare électrique et la rythmique rentre-dedans de « En haut » (et dans un autre genre, de « L’esprit du débutant », qui achève le EP sur une note épique), on passe par des ambiances bien distinctes, malgré quelques points communs (les voix pitchées ici et là). Drixxxé, dont on retrouve la touche (il utilise d’ailleurs le même sampleur qu’aux débuts du groupe), parsème suffisamment ses instrus de petites ruptures et variations pour qu’ils ne souffrent pas d’être trop linéaires.

Enfin, la complémentarité entre Black Boul et Dabaaz est toujours aussi évidente. Les deux partenaires ne se contentent pas de se partager leurs couplets en mode automatique ; à l’occasion ils entrecroisent leurs flows. Ils n’ont d’ailleurs pas à rougir de la comparaison avec Deen Burbigo et 3010, tous deux invités sur « Pas de doute », dominé par la prestation de Black Boul. Bref, ce retour sonne tout sauf artificiel ou opportuniste, de la part de rappeurs qui, ayant pris de la bouteille (dix ans déjà après le « J’ai passé l’âge » partagé avec Octobre Rouge…), s’autorisent à aborder des thèmes plus sérieux sans se départir de leur décontraction.

Plaisant, travaillé, Depuis augure bien de la suite, c’est-à-dire d’un album désormais fermement attendu. Quelques regrets nuancent cependant le tableau. D’abord, les scratches sont tellement appréciables quand ils arrivent (un cut de Xzibit remplace ainsi avantageusement tout refrain lourdingue sur « Papa », qui aurait risqué de plomber un morceau traitant avec justesse de la paternité) qu’on aurait aimé en trouver encore plus, particulièrement sur les morceaux musicalement les moins séduisants. Ils se seraient particulièrement bien accordés à l’instru old school, avec ses percus et ses clochettes eighties, d’un « Bande de followers » qui, malgré son charme rétro et l’humour du texte, est un peu trop décharné pour être pleinement efficace. Ils auraient aussi pu épicer « La moitié de moi » : s’il a le mérite de prendre à contre-pied la beauferie sexiste dont le rap n’est pas avare, le track souffre d’une certaine mièvrerie textuelle, accentuée par la caractère doucereux de la prod’.

Ces bémols n’empêchent pas Depuis de constituer une bonne pièce de plus dans une discographie qui, comme le rappe Black Boul, ne compte pas trop de cadavres. Les retours réussis ne sont pas si nombreux, les rappeurs (français) à bien vieillir non plus.

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