Au coeur du son Anfalsh
Production

Au coeur du son Anfalsh

Derrière les sorties Anfalsh, il y a deux concepteurs sonores : Hery et Laloo. De Sheryo à l’Asocial Club, les deux compositeurs racontent leur travail avec Casey et consorts.

Les albums sur lesquels ils ont travaillé se comptent sur les dix doigts. Et pour cause : Hery et Laloo sont les compositeurs attitrés du collectif Anfalsh. Une meute de « primates des Caraïbes » qui n’a sorti que quatre longs formats en plus de dix ans d’existence, mais en visant toujours juste. Si les mots sont savamment pesés – et pesants – chez Casey, B.James et Prodige, les compositions de Laloo et Hery ont parfaitement épousé la noirceur du groupe de la banlieue Nord : leurs instrumentaux sont crasseux, sombres, claustrophobes.

S’ils se montreraient probablement incapables d’exprimer un avis tranché sur leur travail, leur collaboration avec Casey sur son deuxième album Libérez la bête a parfait une certaine alchimie entre l’univers acerbe de Zeyc’ et des productions brumeuses. Pourtant, les deux compositeurs du Blanc-Mesnil montrent des nuances dans le détail de leur discographie. La chaleur et le groove de leurs beats sur le premier et unique EP de Sheryo a débordé à quelques reprises, comme sur le manifeste « Chez moi » de Casey ou le « Alpha Lima » de Al.

Ne cherchez pas à distinguer leurs visages sur les quelques clichés qui accompagnent cet entretien : Hery et Laloo restent encore plus discrets que les rappeurs avec qui ils travaillent. Les deux comparses souhaitent garder séparés leur alter-ego musical de leur vraie identité, tous deux menant des activités professionnelles éloignées de l’industrie du disque. S’ils font de la musique comme des artisans, ce n’est ni par posture, ni par conviction : le rap est simplement resté chez les deux séquano-dyonisiens une passion.


Abcdrduson : À quel moment vous vous êtes rencontrés ?

Hery : À l’adolescence, je pense. On s’est croisé sur des terrains de basket.

Laloo : On se connaissait tous de vue. Casey était à l’école avec toi, c’est ça ? [Hery acquiesce] C’est après, quand on a commencé à faire du rap, qu’on a plus fait connaissance. Moi, j’habitais aux Tilleuls [quartier du Blanc-Mesnil, NDLR], donc j’ai commencé avec les mecs des Tilleuls, Les 4 Fantastiks, sur des maxis [Super Hero Flow en 1997 et Prévient ton crew en 1999, NDRL]. Et puis Hery, lui, travaillait déjà avec Sheryo et Casey.

H : Ouais. Je crois même que le lien s’est fait avec des mecs des Tilleuls aussi, puisque c’est là où habitait Casey. Mais la connexion avec Laloo s’est faite bien après.

L : C’était quand on a commencé à bosser sur le Ghetto Trip de Sheryo. C’est d’ailleurs la première fois que je travaillais avec Sheryo.

A : Avant de travailler sur Ghetto Trip, qui est visiblement un des premiers pas importants dans votre discographie, à quel moment vous vous êtes mis à la musique exactement ?

L : Moi, c’est par le biais d’un pote avec qui on kiffait le rap. Comme il avait un peu plus d’oseille, il a acheté un sampleur vers 96 ou 97, un Atari.

H : J’ai commencé sur les platines, en tant que DJ dans des après-midi… dansantes [sourire]. Ce n’était même pas le scratch, beaucoup plus du mix, de l’animation. Et petit à petit, j’ai glissé vers la production, en m’achetant un sampleur. Comme des mecs venaient chez moi rapper sur des faces B, on a voulu aller plus loin. D’ailleurs, au départ, Casey, Sheryo, et d’autres, faisaient partie d’un grand collectif, c’est assez complexe. Le collectif s’est dispersé, et certains sont ensuite devenu Les 4 Fantastiks, d’autres les DSP.

A : À ses débuts, Casey ne faisait pas partie d’un groupe qui s’appelait Spécial Homicide ?

H : Si. En fait, elle venait chez moi avec Sheryo juste pour poser, mais tout ce qui était son, c’était avec un mec de Sarcelles, avec qui elle formait Spécial Homicide. Chez moi, c’était juste pour s’amuser.

A : Vous aviez des influences, des modèles en particulier à vos débuts ?

L : Dans le grand groupe dont je faisais partie aux Tilleuls, il y avait une émulation assez incroyable. Les mecs tapaient des CDs, ils avaient des collections de fou [rires]. Les premiers Fat Joe, les Mobb Deep, les Cypress Hill : c’est ce qui m’a bercé.

H : Sincèrement, je n’ai pas de souvenirs particuliers. Comme je faisais des soirées, je passais du rap, de la funk, de la disco, de la variété. J’écoutais du rap, c’est ce que je préférais, mais je ne me rappelle pas avoir eu d’influences précises. Je voulais sortir un son qui ressemble à quelque chose. Je me cherchais plus que j’essayais de sonner comme la East ou la West Coast. J’essayais plein de choses.

« C’est l’absence de concessions qui nous réunit. »

A : Par la force des choses, vous êtes devenus les compositeurs attitrés de l’équipe Anfalsh. C’est par cette proximité dont on parlait, ou c’est aussi parce que vous partagez une certaine vision de la musique ?

H : Il y a un peu des deux. Le fait qu’on s’est retrouvé géographiquement a joué, mais ça n’aurait pas tenu si on n’avait pas la même vision de la musique. C’est l’absence de concessions qui nous réunit, on fait ce qu’on aime comme musique, quelque chose qui est rarement dansant. C’est ce qui fait que le noyau a tenu.

A : La première sortie vraiment officielle d’Anfalsh a été celle de Sheryo, Ghetto Trip 1er EP.zode. Il a été la locomotive de tout ça au début ou c’était juste un hasard qu’il sorte en premier ?

L : C’est plus une coïncidence. Hery taffait régulièrement avec lui. Le son qu’il m’a pris [« Quand j’galère », NDLR], il est tombé dessus via un pote qui l’écoutait en voiture. Du coup, comme j’étais pas mal sur les platines à cette époque, il m’a proposé d’être DJ pour ses premiers concerts.

H : Sheryo n’était pas forcément le moteur. Par contre, il écrivait beaucoup, il aimait rapper, donc il a eu le premier projet. Mais à l’époque, Navea, Oxy, était aussi des moteurs. Je les voyais peut-être plus que Sheryo, par exemple.

A : Quels souvenir vous gardez de ce travail sur Ghetto Trip ?

L : C’était une découverte pour moi. Déjà, du travail de Hery. Je kiffe vraiment « Ghetto Trip », l’instru est mortel. C’est là où j’entends vraiment le son de Hery.

H : Et inversement pour moi avec Laloo. C’étaient nos premiers studios. Avant Ghetto Trip, il y a eu un projet, Ghett’Out, une compilation où j’ai produit un titre [Dynamit Klick, « Ghett’Out Squad », NDLR]. Mais c’était vraiment la première fois où on était en studio avec un vrai ingé. C’est la première fois que l’oseille venait de nous. On avait un projet dans les mains, donc j’en garde un super souvenir. On se découvre entre nous, et on découvre le studio. Lorsque le disque est sorti, j’étais content, parce que c’était le premier support sur lequel on entendait Sheryo – et qui lui a permis de signer chez Virgin. Quand j’ai été en maison de disques faire écouter le titre « Ghetto Trip », le type à qui je l’ai passé a flashé dessus et l’a mis en boucle. C’était une fierté : on n’était pas fous !

A : Pourtant, toi Hery, tu avais déjà fait des placements de prods avant, comme sur l’album de La Clinique ou Hexagone 2001.

H : Ces albums sont sortis avant, mais tout ce qu’on a fait avec Sheryo a été enregistré bien avant ces placements. Le temps qu’on trouve un contrat, qu’on le signe… On est sur un projet qu’on porte tout seul. Rien que le temps de trouver un studio, se réunir… Les autres placements dont tu parlais, c’était des projets avec un peu plus de moyens, donc ça allait plus vite !

A : Sheryo avait cette réputation d’être très fort en impro : vous confirmez ?

H : Oui, il était très fort, il n’y a rien à dire là-dessus ! Il l’est sans doute toujours d’ailleurs, on ne le côtoie plus… En improvisant, il rappait mieux que d’autres qui écrivaient [sourire]. On va peut-être se recroiser un de ces quatre, mais on ne travaille plus avec lui.

L : C’est au moment où Anfalsh a splitté. On s’est perdu de vue après.

A : Suite à l’engouement autour de Sheryo, il y a un creux dans votre discographie. Vous ne revenez qu’en 2006 avec le premier EP de Casey, Ennemi de l’ordre. Pourquoi ?

L : Les choses de la vie. Personnellement, j’ai eu ma fille en 2003. Après, on n’a jamais été à la recherche de plans particuliers. Mais c’est vrai que le temps passe.

H : Comme Laloo l’a dit, on n’était pas à la recherche de placements, à frapper à des portes et demander « y’a pas moyen ? ». Donc notre activité était aussi liée à celle d’Anfalsh.

L : Les mixtapes Que d’la haine, par exemple, ce n’étaient quasiment que des faces B, des extraits de concerts… C’étaient plus des projets à eux, quelque chose de spontané.

H : Alors si pendant quatre ans ils ne sortent que des mixtapes, nous, forcément, on va moins parler de nous, puisqu’on travaille plutôt sur des projets types maxi ou albums. Pour autant, on était toujours en contact avec eux, on continuait à se voir, parler musique, écouter des sons. D’ailleurs, on a fait un album avec Sheryo quand même ! C’était entre sa signature chez Virigin et le moment où on lui a rendu son contrat, du coup ça n’est jamais sorti. Mais c’était un gros projet sur lequel on a travaillé sur ce laps de temps.

A : À quel moment vous commencez à retravailler avec Casey ?

H : Au moment où elle était chez Doeen Damage, elle avait un DJ qui lui faisait des sons, à Sarcelles. Du coup on n’a pas beaucoup bossé avec elle avant 2005 ou 2006.

A : Parlons-en : comment s’est passé le retour aux affaires avec Casey pour son maxi Ennemi de l’ordre, puis son album Tragédie d’une trajectoire ?

L : Assez simplement. Elle a eu envie de retravailler avec nous, et ça s’est fait naturellement.

H : Le maxi s’est préparé plus dans le temps. Elle avait bloqué des sons à nous depuis un bout de temps. Par contre, pour l’album, ça s’est fait dans un temps plus court. Du coup pour le maxi j’avais eu une petite appréhension, en me disant que ça avait peut-être mal vieilli, et finalement pas tellement.

L : Sur la même période, il y a eu la mixtape Hostile au stylo, qui s’est faite super rapidement aussi, en deux mois. Et pourtant on a eu un gros boulot pour compiler tout ça, il devait y avoir soixante-dix ou quatre-vingt pistes à mixer.

H : Mine de rien, sur ce laps de temps où on bossait avec Sheryo, on avait fait des choses aussi avec Casey, qui se sont retrouvées sur des compilations, ou plus tard, certains inédits placés sur sa mixtape.

A : Il y a des prods que vous retenez en particulier sur le maxi et l’album de Casey ?

L : Pour moi, il y a « Pas à vendre », « Chez moi », et « Banlieue Nord ».

H : Après, je ne sais pas si c’est le cas de Laloo, mais elle a choisi des sons par exemple que moi je n’aime pas [sourire].

L : Ah si ! Je n’aime pas « Une lame dans ma veste », je la trouve bizarre [sourire].

H : Mais le morceau rend bien ! Moi, des miens, je n’aime pas « Comme un couteau dans la plaie ».

L : Moi je l’aime bien celui-là [rires]. Comme quoi !

A : Tu parlais de « Chez moi », Laloo : c’est clairement un morceau important dans la discographie de Casey.

H : La musique, les paroles, le fond et la forme : ça colle, ça veut dire quelque chose. Et les gens qui connaissent ce dont elle parle s’y retrouvent.

L : Quand j’ai écouté en studio ce qu’elle avait fait de mon instru, ça a été une évidence.

A : Ces deux projets, ça a relancé quelque chose avec Casey, au niveau artistique et humain ?

H : Il y a en effet quelque chose dans la musique, mais surtout dans les rapports humains. On se voit souvent – et ça concerne aussi B.James ou Prodige – sans parler forcément de musique. Ce qui fait que ces gens, qui sont sollicités aussi par d’autres producteurs, préfèrent aussi travailler avec nous pour leurs albums. Nous, ça nous convient, parce que comme je te le disais, on n’est pas du genre à aller courir après les placements. On préfère travailler en famille.

A : À partir de cet album, vous commencez à composer un peu plus. Comment s’est faite la transition ?

H : Ce n’était pas forcément pour coller à ce qui se faisait. Étonnamment, de mon côté, c’est parce que j’ai commencé à avoir un peu plus d’oseille pour investir, donc j’ai acheté un expandeur. Le sampling, c’est assez restreint, c’est compliqué. Là, j’ai pu commencer à jouer un peu.

L : Moi, j’ai commencé en achetant une MPC, puis plus tard à travailler sur Reason. La MPC m’a aidé à dynamiser les rythmiques, mais c’était une galère pour rejouer les sons [sourire]. Quand je suis passé à Reason, là, j’ai eu des possibilités plus larges en termes de son.

H : Tu vois, c’est un peu des deux : plus de moyens pour changer de matériel, et une adaptation au temps présent, parce que c’est vrai qu’on était un peu à la bourre à un moment – et on l’est sûrement toujours [sourire], ça va tellement vite !

A : Quelque part, ce travail avec Casey vous a relancé un peu, puisque l’année suivante, Laloo, tu as deux productions sur Du Cœur à l’outrage de La Rumeur, « Nature Morte » et « Quand la Lune tombe ».

L : J’avais rencontré Ekoué via Sheryo, j’avais posé des scratchs sur un morceau où ils posaient tous les deux. Comme ensuite j’ai produit « On ne présente plus la famille » avec Ekoué sur l’album de Casey, le contact s’est renoué. Naturellement, il m’a demandé de faire écouter quelques sons pour leur album, et ils ont accroché sur ces deux-là. On est resté en contact, je leur avais laissé des CDs, et du coup ils ont pris des sons pour Nord Sud Est Ouest 2. Je retiens surtout « Quand la lune tombe » et « C’est juste être vivant ». Mais quand j’écoute un de mes sons, ça m’est toujours difficile de me dire « ça claque ! ». J’ai toujours mille questions.

A : Vous avez déjà été surpris par la manière dont un rappeur s’est approprié une de vos compositions ? Sur sa manière de rapper dessus, ce qu’il a écrit ?

L : C’est vrai que quand on fait un son, on ne pense pas à ce que va dire le mec dessus. Le morceau, c’est beaucoup le rappeur qui le fait.

H : Il y a même des instrus que je trouve étonnant que des rappeurs les aient choisi. Par exemple celle d' »Une lame dans ma veste » de Casey : quand on entend l’instru tout seul, c’est très spécial. Alors que quand elle pose dessus, on accroche. On fait parfois écouter des choses sans conviction, mais le rappeur accroche et en sort quelque chose. Ils arrivent à se projeter, ce que je n’arrive pas à faire, parce que je ne suis pas rappeur peut-être.

L : Et l’inverse est vrai aussi : parfois tu crois en un son, mais quand tu le fais écouter… Rien. [sourire]
A : Libérez la bête, le deuxième album de Casey, a une direction musicale plus cohérente que le premier. Vous disiez que vous vous cherchiez au début : vous pensez avoir réussi à vous trouver sur cet album ?

H : Est-ce qu’il n’est pas cohérent par le choix musical qu’a fait Casey, tu vois ? Le premier album, c’était l’euphorie, elle s’éparpillait peut-être un peu plus. Sur le deuxième, elle a peut-être été plus cohérente dans ses choix. Personnellement, sur ce deuxième album, je m’y retrouve moins. Déjà, c’est une période où j’étais moins productif. Je m’étais moins préparé à ce deuxième album. Je ne suis pas spécialement satisfait de mes instrus, même si j’aime bien ce qu’en a fait Casey. C’est pour ça que cette cohérence dont tu parlais, je pense qu’elle vient plutôt des choix de Casey, pas de nous.

A : Tu disais avoir été moins productif : c’est du fait de ta vie personnelle ?

H : Oui. J’ai pris un autre boulot, j’ai acheté un pavillon que j’ai retapé. J’étais moins dans la musique.

L : Moi, c’est le contraire : après le premier album de Casey, j’ai été plus productif. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à maquetter sur l’album de Prodige, vers 2006. Il y a eu les albums de La Rumeur dont on parlait, et celui de Casey. Tout ça a fait partie de la même période, pour moi.

A : En revoyant le tracklisting de l’album, aujourd’hui, quels titres vous retenez et quels autres instrus vous jetteriez ?

H : « Libérez la bête », par exemple, je ne l’aime pas. J’ai été super étonné qu’elle l’ait pris.

L : Alors que moi, je l’aime beaucoup ! En concert, c’est l’un de ses plus gros morceaux.

H : Je travaille beaucoup de nuit. Ce titre, quand je l’ai réécouté le matin, je me suis dit « non ». Mais je l’ai quand même fait écouter à Casey, comme je ne produisais pas beaucoup. Elle l’a pris et en a fait quelque chose, mais je n’aime toujours pas mon instru. Alors qu’au contraire, « Rêves illimités », c’est un morceau que j’aime bien : la prod, le son, ce qu’il dégage, ce qu’elle raconte sur elle. La musique colle bien à ce qu’elle a fait, et je dirai même qu’elle rajoute un vrai cachet à l’instrumental. Le morceau « Regard glacé » a été fait en deux fois si je me souviens bien. La première fois, on l’a écouté : ça n’avançait pas, c’était bizarre au niveau du mix. La deuxième fois, c’était mieux, mais c’était pas encore ça. On l’a laissé quand même, parce qu’au bout d’un moment ça a un coût. Mais c’était pas comme la mise à plat qu’on avait fait ici. On reste vigilant, parce que ça se joue à peu de choses, comme un élément plus fort que les autres.

L : Après, pour le mix, c’est pareil qu’avec les rappeurs : on bosse en famille. Pour la plupart des projets sur lesquels on a bossé dernièrement, c’est soit Reptile, soit DJ Sax. Pour revenir à l’album de Casey, un morceau que je ne trouve pas terrible de mon côté, c’est « Premier rugissement ». Ceux que je retiens, c’est « Créature ratée » et « Apprends à t’taire ».

H : Il est vraiment bien, « Créature ratée ». Quand on l’écoute comme ça, franchement, je ne m’imagine pas pouvoir rapper dessus. La rythmique est super décalé. Mais ce que Casey a réussi à faire… chapeau !

« Ça me va quand on a deux ans pour faire un album : ça veut dire que les morceaux choisis sont les bons. »

A : Il y a en tout cas quelque chose de récurrent dans vos productions sur cet album, c’est qu’elles sont beaucoup moins marquées par des gimmicks. Elles jouent beaucoup plus sur des ambiances.

L : C’était un peu voulu, oui. Je m’étais plus trouvé. J’ai beaucoup plus composé et moins samplé, c’est pour ça aussi.

A : Vous avez déjà eu des problèmes pour les samples d’ailleurs ?

H : Non, jamais. [Laloo acquiesce] Déjà, il y a le nombre d’exemplaires vendus qui font qu’on ne s’intéresse pas forcément à notre travail. Et puis je découpe suffisamment les samples pour faire en sorte que ça ne se reconnaisse pas. Ou alors tu connais l’original et ça te donne un indice en écoutant.

A : Ça m’était arrivé avec un morceau de Casey justement, où tu samples Mike Brant.

H : Voilà. Parce que sinon, sur « Banlieue Nord », c’est Michael Jackson, mais je l’ai découpé, puis joué avec. C’est pour ça que c’est compliqué de venir réclamer des droits : je rejoue souvent le sample avec des tonalités et des rythmes différents. On ne retrouve pas la mélodie initiale. Du coup, on n’a jamais rien déclaré. Par contre, je nomme souvent mes instrus du nom du sample principal que j’ai utilisé : « Marie Laforêt », « Mort Shuman », ça se trouve même « Mike Brant », mais je dois en avoir au moins sept avec ce nom-là [sourire]. Il y a des artistes comme ça chez qui je trouve beaucoup de choses. Alain Barrière aussi, bizarrement. François De Roubaix, également. Laloo, lui, il trouve beaucoup plus dans le jazz, Nina Simone.

L : Avec Reason, ce qui est bien, c’est que tu découpes le sample et tu joues comme tu veux avec, c’est très visuel et tu le fais très rapidement.

H : Alors que moi je le fais encore à l’ancienne : je sample, je re-sample, je renomme jusqu’à trouver ce que je cherche. Une génération d’écart [sourire], mais je m’y mettrai un jour.

A : Vous travaillez depuis longtemps ensemble sur les mêmes projets. Vous vous voyez souvent ? Vous vous organisez des sessions de travail ?

L : Dernièrement, oui.

H : Ça a changé depuis un an et demi. On se voit régulièrement le dimanche, pour discuter de son, parfois d’autres choses. C’est à l’initiative de Casey en fait, puisqu’on travaille sur son projet. Elle s’est dit que ce serait bien d’écouter, de discuter, savoir ce qui plaît ou non, et elle n’a pas tort. Parfois Laloo me fait écouter un truc, je me dis « ça, c’est bien! ». Ça donne des idées, ça me discipline, parce qu’on sait qu’on se voit le dimanche, donc il faut que j’ai de la matière à faire écouter.

L : Si on se dit seulement « on fait des sons et on se voit quand on en a », il se passe un an [sourire].

H : On est assez sérieux, ça avance bien. On produit beaucoup plus qu’avant. Et on part dans de nouvelles directions.

L : On expérimente, on essaie de nouvelles choses, on sample des choses différentes.

H : On ne sait pas encore quand le projet verra le jour, mais on essaie d’avancer. Sans pression, mais avec motivation.

A : Vous n’êtes pas des professionnels de la musique, vous avez un boulot à côté et des familles. Est-ce que c’est facile de concilier tout ça ?

H : Honnêtement, non, ce n’est pas simple. C’est un sacrifice de faire de la musique. Après, on y arrive aussi parce qu’on se voit régulièrement. Je me connais : le dimanche, je tondrais la pelouse, je réparerais mon toit [sourire].

L : C’est pas facile, mais ça se fait. Il y a cet effet de groupe qui nous pousse aussi, qui fait que ça se passe.

H : On a cinq jours dans la semaine pour le taf qui nous fait manger. Si je fais du son un soir, je bousille ma semaine, parce que je rentre du boulot vers vingt heures, donc je vais bosser jusqu’à deux ou trois heures du matin, et je vais être cuit. J’évite, même si ça m’arrive. Ça me laisse donc deux jours : samedi et dimanche. Le samedi, on fait plein d’autres choses liées à la famille. Et le dimanche, si j’ai un baptême dans la famille, je ne fais pas de musique de la semaine ! [rires]

L : Moi, malgré le boulot et la vie de famille, je me laisse un soir par semaine pour faire du son. Il faut s’imposer un rythme pour essayer de sortir quelque chose. Surtout que parfois tu n’y arrives pas, il y a du déchet.

H : Après, c’est aussi un besoin. J’aime la musique, sortir des choses. Je suis toute la journée dans ma voiture, j’entends des chansons à la radio, ça me stimule ! Heureusement qu’on travaille avec Casey : ça fait deux ans qu’on travaille sur son album, elle ne met pas de pression.

A : C’est ce qui s’est passé sur les albums de B.James et Prodige ?

H : Oui, l’album de B.James, on travaillait dessus depuis cinq ans ! Il est sorti en 2012, mais il y a des sons qui dataient de l’album de Sheryo. Même eux, je pense qu’ils auraient du mal à se mettre une pression, et se dire « il faut que je sorte un album dans six mois ». Il n’y a pas de maison de disques derrière : il faut l’argent pour le studio, le mastering, les visuels. Mais moi ça me va quand on a deux ans pour faire un album : ça veut dire que les morceaux choisis sont les bons.

A : Du coup, en 2012, votre discographie a gonflé d’un coup, avec ces albums de B.James, de Prodige, et un titre chacun sur l’album de Al. Parlons d’abord de celui de B.James, Acte de barbarie.

L : Moi, sur B.James, le seul instru que j’avais fait sur la finalisation de l’album, c’est « La Balade des reurtis ». Du coup, je le trouve vraiment bien comparé à « La Police assassine » ou « Atmosphère sécuritaire », qui commençait à dater. Sur cet album, Hery en a produit plus que moi, et je trouve ses sons vraiment bien. Celui de « Ni Fierté, ni honte », j’ai dû l’écouter en 2006, et déjà à l’époque je l’avais trouvé incroyable.

H : Il y en a un que je retiens particulièrement, parce que je me suis dit « il est fou » : c’est « J’aime les armes » [rires]. J’adore le son en l’occurrence – je me souviens de l’avoir appelé « Kenny Rogers » – même si je ne peux pas te dire quand je l’ai fait tellement il est vieux. Mais il est bon, il tourne bien. Cela dit, aujourd’hui je ne ferai plus un son qui ressemblerait à ça.

L : C’est un bon disque, l’album de B.James. Il est beaucoup plus structuré et profond.

H : Il m’a beaucoup étonné d’ailleurs. C’est assez conscient, alors qu’on l’attendait peut-être plus sur des choses egotrips, « snuff muzik » [sourire]. Après, James est quelqu’un qui rappe depuis très longtemps. Je l’ai connu quand il était encore mineur, vers seize ans, et il rappait déjà. Mais c’est quelqu’un d’assez secret sur sa musique.

L : Il nous disait « je te prends ce son, et celui-là », mais on ne savait pas trop ce qu’il en faisait. Et à la fin, tu mixes l’album, et là tu te prends une claque.

H : Mais du fait qu’on a mis du temps à faire cet album, il y a certains de mes sons que je trouve vieux. Peut-être que quelqu’un qui a découvert les morceaux n’a pas eu cette impression, mais j’ai un peu peur qu’on se dire « putain, il est à l’ancienne, lui ! ». Mais les gens ne calculent pas trop, ils écoutent l’ensemble.

A : Même année, autre album : Calvaire de Prodige. Comment a-t-il été travaillé ?

H : Prodige a surtout bossé avec Laloo sur cet album.

L : On a vraiment tout maquetté chez moi, du début à la fin. Dès qu’il m’a dit qu’il voulait travailler sur son album, je lui ai dit de venir chez moi. On a bossé à deux, avec vraiment rien au départ, et on a bossé, lui ses textes, moi sur mes sons, avec des sons de Hery en plus. On a tout maquetté au fur et à mesure, à l’arrache.

H : C’est pareil que pour B.James du coup : je trouve certaines de mes prods vieilles. Jamais je n’aurais fait ça en 2012 !

L : J’ai beaucoup aimé travailler sur cet album, parce qu’on s’est souvent vu avec Prodige, on a vraiment construit quelque chose pour ce disque. Ça a été un vrai moteur pour moi. Pour le mix, on a bossé avec DJ Sax, on a été plusieurs fois à Dijon. On s’est vraiment pris la tête, mais on s’est fait plaisir aussi.

H : B.James et Prodige, les gens les connaissaient surtout par des featurings. Ils les entendaient vingt-cinq ou quarante secondes sur un morceau. On ne pouvait pas vraiment entendre ce qu’ils peuvent faire. Ces deux albums ont vraiment été une bonne surprise pour moi, car ce sont des rappeurs discrets. Encore plus peut-être pour Prodige, parce que je n’ai pas été très impliqué sur la création de l’album, donc je l’ai découvert comme beaucoup de gens.

A : Enfin, vous avez placé deux productions sur l’album de Al, Terminal 3.

H : Avec Laloo, on voulait sortir un projet commun, dans lequel on aurait travaillé avec des rappeurs qu’on apprécie. Parmi ces rappeurs, il y avait Al. Le morceau « Alpha Lima » a été travaillé pour ce projet, avec deux autres morceaux. Mais au bout de six ou sept mois, le projet n’avait pas vraiment avancé, donc à juste titre Al m’a dit « le morceau est bon, je l’aime bien, est-ce que je peux le récupérer pour mon album ? ». J’étais d’accord : il valait mieux qu’il vive tout de suite. J’ai beaucoup aimé la manière avec laquelle a posé Al, en suivant la ligne de basse.

On a toujours en tête cette idée de sortir un projet commun, mais c’est un sacré boulot de réunir tout le monde. Surtout qu’on voulait ouvrir aussi au-delà du cercle d’Anfalsh. Mais tu as beau apprécier des gens, il faut déjà trouver les contacts, vendre le projet… ce n’est pas notre truc. C’est un état d’esprit d’un mec qui est dans le monde de la musique, ce n’est pas notre cas. On est juste dans une famille. Si un jour un mec vient me voir en me demandant des sons, je serais flatté ! Mais je ne me vois pas faire la démarche.

L : Il y en a un que j’ai découvert et que j’aime bien, c’est Vîrus. Avec l’Asocial Club, ça a été aussi l’occasion de jeter une oreille sur son univers, il est très fort. Les sons de Banane sont vraiment bons.

H : L’équipe qu’ils ont formé, c’est un peu ce qu’on aurait voulu faire pour notre compilation. Ils vont faire des morceaux à deux, à trois, tous ensemble : il y a des choses à faire ! Casey a plus de temps que nous pour vraiment fédérer autour d’un projet, ce sera peut-être plus simple pour sortir des choses. Des gars comme Al et Prodige écrivent tout le temps, ce qui est super motivant pour les autres rappeurs, donc ça avance assez vite.

L : Des instrus sont déjà retenus en tout cas [sourire].

A : Ce sont donc les deux projets sur lesquels vous travaillez : Casey et l’Asocial Club ?

L : Prodige aussi. Il a un projet de six titres qui est pratiquement prêt. Après, il n’y a pas d’impératif.

H : On a tous une vie à côté. Les idées, ils en ont tous. Il faut du temps et de l’argent pour les réaliser. Ce qu’il y a de motivant, c’est que sur les derniers sons que Laloo et moi avons sortis, on a changé. Je me dis que c’est bien qu’après tant d’années à faire du son, on réussit à faire des choses différentes.

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