L’autre Chuck D
Interview

L’autre Chuck D

Pour la plupart des gens, Chuck D est simplement la figure tutélaire du rap conscient. Le leader de Public Enemy est d’abord un passionné de musique, à la fois producteur, découvreur de talents et animateur de radio. Autant de facettes que nous avons voulu évoquer avec lui.

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Né le 1er aout 1960, Carlton Ridenhour alias Chuck D a eu une posture d’ancien dès le début de sa carrière. Plus âgé que certains de ses ainés de la old school  – Kool Moe Dee, Run et DMC sont plus jeunes que lui – il a déjà 27 ans quand sort le premier album de Public Enemy. Dans un milieu particulièrement juvénile, où la plupart des rappeurs se font connaitre avant d’avoir l’âge légal d’acheter de l’alcool, Chuck D est la figure paternelle.

Chuck D, c’est avant tout une voix qui impose le respect. Un timbre grave, profond, samplé mille fois, une voix d’homme de radio. Si beaucoup ont pu l’entendre dans le rôle de l’animateur de la station Playback FM dans le jeu vidéo GTA San Andreas, c’est que Chuck est un passionné de radio. Il est même un des pionniers de la radio sur Internet quand il lance en 1999 Rapstation.com. C’est alors un retour aux sources, car c’est par la radio que Chuck D et Public Enemy ont commencé, sur la station universitaire WBAU de l’université d’Adelphi, à une époque où il ne sortait pas assez de disques de rap pour consacrer toute une émission au genre chaque week-end. Pour remplir l’émission, « MC Chucky Dee » s’est mis à produire ses propres morceaux, avec l’aide de ses co-animateurs Hank Shocklee et Keith Shocklee. Avec sa connaissance encyclopédique de la soul, il a un rôle clé au sein du groupe de producteurs du Bomb Squad. Nous l’avons rencontré à l’occasion de son passage au Villette Street festival 2014. Avec nous, il est revenu sur sa vision de la production.


Abcdr du Son : Parle-nous de tes influences en tant que producteur…

Chuck D : Déjà, il faut savoir que je suis né en 1960, et c’est déjà un gros avantage en soi. À mon avis, les dix plus belles années dans l’histoire de la musique américaine se situent entre 1964 et 1974. C’est le moment où des musiciens qui avaient des parcours différents se sont rencontrés : soul, country, etc. Ray Charles a sorti un album de country en 1962, James Brown a sorti un live en 1962, il y a eu l’invasion britannique avec les Beatles et les Rolling Stones qui étaient influencés par le blues, Muddy Waters… Et la soul influencée par le gospel, avec les Soul Stirrers et Sam Cooke. Je suis né en 1960, Hank Shocklee en 58, Flavor Flav en 59, Professor Griff en 60, Eric Sadler en 60, Bill Stepney en 62 et Keith Shocklee en 62. Donc on se souvient tous de cette période magique, même si nous étions encore des gamins. Avoir grandi à cette époque nous a influencés en tant que producteurs. Les disques étaient produits par des gens qui connaissaient la musique, les maisons de disques étaient dirigées par des gens qui connaissaient la musique : des gens comme Nesuhi et Ahmet Ertegun, qui ont fondé Atlantic, Jerry Wexler qui écrivait pour Billboard, Arif Mardin qui les a rejoints plus tard… Les musiciens avaient une culture musicale qui leur a servi à produire la musique du futur. C’est cet environnement qui nous a influencés.

Le monde a changé après 1974-75. La technologie a fait changer la musique. Chez Motown, les musiciens enregistraient tous ensemble dans une même pièce, puis est venu le magnéto quatre pistes, puis le huit pistes au début des années 70. Pareil pour nous, le Bomb Squad, sauf que nous avions un 24 pistes, pas un 48 pistes et il y avait des choses que nous devions faire tous ensemble quand nous mixions les morceaux. Le mix est un moment important en particulier dans le rap. Et il nous fallait plus que deux mains, on n’avait pas de console automatique à l’époque. Il y a des imperfections et ces imperfections font partie des morceaux, comme les erreurs des Funk Brothers. Il faudrait que vous interviewez Hank Shocklee aussi, il aurait beaucoup à vous dire là-dessus. On était à plusieurs d’un bout à l’autre de la console : « toi tu vas là, toi tu fais ça… » C’est comme jouer en une prise : si on fait une erreur, on voit si ça passe ou si on le refait depuis le début. Comme dans « Do You Love Me » des Contours, le son baisse avant la fin et ça reprend d’un coup, ce sont des erreurs qu’on garde.

The Contours - « Do You Love Me » (1962)

A : Il y a donc une différence entre un producteur solo et un groupe de producteurs ?

C : Un des gros problèmes que j’ai avec les producteurs actuellement, c’est justement qu’ils travaillent seuls, comme les rappeurs. Il n’y a pas assez de groupes, que ce soit des groupes de producteurs ou des groupes d’artistes. Dans mon label, j’ai l’un des meilleurs groupes de producteurs. Ils s’appellent Divided Souls. Ils sont trois : Spanky Moss, qui vit à Atlanta, Brent Dixon en Louisiane, et DJ Pain 1 qui est dans le Wisconsin, mais ils travaillent ensemble et ce que ça donne est proche de Organized Noize. Il y a beaucoup d’individus qui sont compositeurs et finalement sont crédités comme producteurs. Ils t’envoient un beat, tu écris dessus et c’est tout ce qu’ils font. C’est bon parfois, mais ça manque d’inspiration. Un producteur ne produit pas que la musique, il produit aussi la prise de voix. Il doit s’assurer que les voix sont en adéquation avec la musique. Hank Shocklee est très bon pour ça, même quand il ne compose pas le morceau ou écrit les paroles. La prise de voix, le mix et le mastering font partie de la production. Malheureusement, le son n’est plus la priorité aujourd’hui. Depuis 25 ans ce qui prime en musique, c’est le visuel. S’il n’y a pas d’image associée à la musique le public n’accroche pas, peu importe la qualité de la musique. Les deux dernières générations ont été programmées à voir de la musique.

A : Mais Public Enemy a beaucoup joué avec ça. Vous avez toujours eu des visuels impeccables, que ce soient les pochettes, les vidéos ou sur scène avec les S1W.

C : Oui, comme le public n’a pas d’imagination, il faut imaginer à sa place. On vient de l’ère de l’audiovisuel, audio d’abord et visuel ensuite. On entendait la musique d’abord à la radio et on voyait les artistes seulement s’ils passaient dans Soul Train ou en concert. Dans les années 80, ça s’est inversé on est passés à l’ère du visuel. Maintenant, c’est l’ère du style, l’audio passe en dernier. Mais comme je le dis souvent à l’ère du multitâche : écouter de la musique est la seule chose qu’on peut faire en même temps qu’on travaille. On ne peut pas regarder une vidéo et faire autre chose en même temps, mais on peut écouter de la musique et conduire. Bon, il y a des gens qui regardent la télé en voiture, mais ce n’est pas conseillé ! Sauf à la limite dans les embouteillages, mais tu risques quand même de te faire klaxonner dessus si tu restes fixé à l’écran !

« Un des gros problèmes que j’ai avec les producteurs actuellement c’est qu’ils travaillent seuls, comme les rappeurs. »

A : Il y a quelques années Just Blaze a eu une période où il faisait beaucoup de références à Public Enemy, dans « Safe 2 Say » de Fat Joe, « Show Me What You Got » de Jay-Z ou  « Remedy » de Game. Est-ce que c’est quelque chose dont vous avez discuté ?

C : Just Blaze est un de ces rares compositeurs et producteurs qui savent se diviser en trois personnes. Beaucoup de producteurs sont seuls, et comme la technologie leur permet de tout faire seul ils pensent qu’ils peuvent travailler seul. Peu de producteurs arrivent à prendre du recul sur eux-mêmes et arrivent à se lancer des défis. Dans un groupe, tu es en compétition permanente avec les autres membres. Dans la section rythmique de Gamble & Huff, ils étaient en compétition les uns avec les autres, ils se surpassaient et quand ça ne plaisait pas à tout le monde ils jetaient. Si tu es tout seul, est-ce que tu vas jeter ce que tu as fait ? Dans un groupe, il faut que chaque idée fasse l’unanimité. Niles Rodgers et Bernard Edwards était une putain d’équipe, Gamble & Huff était une putain d’équipe, Jay Z et Just Blaze pareil. Quand on compose ou quand on écrit, il faut savoir se diviser en plusieurs personnes. Lennon et McCartney une équipe incroyable, Hank Shocklee et moi une équipe incroyable, Gary G Wiz et moi également. Le problème du rap, c’est que le producteur s’occupe de la musique et le rappeur des voix seulement.

A : Pourtant, il y a de très bons albums qui ont marché récemment réalisés par des équipes, je pense à Watch The Throne, Yeezus ou même le dernier album de Drake.

C : Oui, c’est vrai. J’ai beaucoup aimé Yeezus. J’ai discuté avec Rick Rubin, on s’est croisés à l’aéroport de L.A, il partait à Florence pour travailler avec Kanye. Ça fait plaisir de voir des artistes américains sortir un peu des États-Unis. Pendant longtemps j’avais l’impression d’être le seul à voyager, quand je rentrais tout le monde me demandait : « alors c’est comment ? Comment est la bouffe, comment sont les filles à l’étranger ? » Il faut rester ouvert sur le monde. Ça se ressent dans la musique. Le rap, ce n’est pas que le beat et le flow. Il y a aussi le contenu. C’est la différence entre une glace qui va être très bonne sur le moment et un plat qui va te nourrir pendant plusieurs jours. La glace, c’est très bon, mais ça fond en quelques minutes. Un rap sans contenu peut être très bon sur le coup. Certaines chansons ont la force d’une prière. Mon morceau préféré cette année, c’est « Bad Motherfucker » de Pharoahe Monch. Ça et « Rap God » de Eminem.

Pharoahe Monch - « Bad Motherfucker » (2014)

A : Rick Rubin a d’ailleurs produit l’album d’Eminem.

C : Rick est un de ces gars, comme Hank, qui a une approche philosophique de la production. J’ai une approche particulière. J’ai tendance à aller à l’encontre de ce que les gens veulent. Longtemps j’ai essayé de faire des disques que les gens n’aimaient pas.

A : Pourquoi ?

C : Je considère que le rap est un art qui se vit sur scène. Si on peut faire vivre sur scène un morceau fait en studio, on peut convaincre un auditeur qui n’aimait pas le disque par l’expérience de la scène. Pour moi, les disques de Public Enemy ont besoin de se vivre sur scène. Ce n’est pas agréable à l’oreille comme un disque de Eric B & Rakim, ça te dérange, c’est un univers particulier et une fois que tu entres dans cet univers, tu commences à remarquer pleins de détails. Mon challenge, c’est de ne pas faire des morceaux accrocheurs, mais des growers. Par exemple, on a sorti « Harder Than You Think » en 2007. On le jouait tout le temps en concert, et il a fallu attendre 2012 pour que le morceau ait du succès. Ça a été un tube en Angleterre cinq ans après la sortie.

Public Enemy - « Harder Than You Think » (2007)

A : Tu as aussi un point de vue différent car tu as ta propre station de radio et tu animes des émissions.

C : C’était une des forces du Bomb Squad car on écoutait tout ce qui sortait en rap, pas pour savoir ce qui se faisait, mais plutôt pour savoir ce qui ne se faisait pas. Et on voyait que personne ne faisait de rap comme nous. Public Enemy a été parmi les premiers groupes à ne pas avoir de gros single, mais des albums. Bien sûr il y avait déjà des albums dans le rap, mais c’étaient plutôt des collections de singles ou des albums enregistrés rapidement pour capitaliser sur le succès d’un ou deux maxis. Avec notre deuxième album on a voulu faire notre What’s Going On. J’avais déjà commencé à visiter le monde entier avec le premier album. C’est pour ça que It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back commence avec un extrait de notre concert à Londres. Ça me fait rire maintenant quand les journalistes me demandent aujourd’hui si je m’intéresse au rap international, je leur dit réécoute le deuxième album, première plage. Les gens ont tendance à oublier, mais on n’a pas fait ça par hasard. Je crois que ce que nous faisons sur RapStation.com est très important, parce que nous sélectionnons et conseillons les auditeurs. On prend du temps à écouter et à se renseigner sur les artistes que nous jouons, à scruter les réseaux sociaux. C’est un service que nous proposons aux auditeurs.

A : Quand tu as commencé la radio il y avait si peu de disques de rap qui sortaient que vous faisiez vos propres morceaux pour remplir l’émission, mais maintenant il sort trop de disques pour qu’on puisse tous les écouter.

C : Le problème d’aujourd’hui, c’est la fainéantise des programmateurs radio. Si il y a un million d’artistes, tu ne peux pas dire « OK, je vais passer ce disque une fois », ou dire « ah oui, j’avais oublié il a fait un super morceau en mars. » Sur RapStation.com, on essaie de faire des émissions produites avec des chroniques, des segments… La semaine dernière, on a consacré une de nos rubriques à un morceau de DJ Honda et Melle Mel, un morceau de 1993, sur un album sorti au Japon, et c’est important pour nous de le présenter comme on présente un titre qui vient de sortir. C’est notre responsabilité de prescripteurs de faire en sorte que ces artistes restent présents, comme le sont les artistes de jazz qui sont présents même après leur mort. Le jazz est un genre qu’il faut connaitre pour l’apprécier. Pour les jeunes, ça représente la musique de leurs parents ou leurs grands-parents. On veut éviter que quand une génération disparaît, la musique disparaisse avec.

Bring the Voice : la mixtape de Bachir et Slurg sur les samples de la voix de Chuck D.

A : Personnellement comment fais-tu pour te tenir au courant de ce qui sort ?

C : On a une équipe avec des gens dans le monde entier. Personne ne peut tout écouter, mais à RapStation, on a 46 émissions avec à chaque fois des contributeurs passionnés qui nous font remonter ce qu’ils découvrent et ce qu’ils aiment. Je voudrais pouvoir tous les payer, mais ce n’est pas encore possible. L’émission que je présente dure deux heures et c’est la somme de beaucoup de parties préparées par l’équipe.

A : Tu disais tout à l’heure qu’avec Public Enemy tu faisais de la musique qui ne plaît pas forcément au public. Est-ce que dans ton émission tu donnes leur chance à des morceaux que tu n’apprécies pas personnellement ?

C : Oui, bien sûr. S’il y a quelque chose on le joue. Le problème, c’est plutôt les artistes qui font tout pour être aimé, ceux qui suivent ce qui marche en pensant que ça va marcher.

A : Tu te souviens de votre venue à Paris en 1990 et de la façon dont les médias ont couvert votre venue ?

C : Oh oui, c’était au Zénith. On avait fait une conférence de presse avant dans un hangar, une cinquantaine de journalistes nous ont bombardés de questions. C’était un moment pas confortable du tout. Les journalistes avaient peur de nous et de notre public. Voir autant de jeunes Noirs se réunir pour un concert leur semblait effrayant. La France est un pays qui quarante ans avant avait été envahis par les nazis, et je crois que ce que les nazis ont fait à votre pays vous a rendu paranoïaques ! En Angleterre, où l’histoire est différente, quand on a débarqué ils se sont demandés : mais quelle est cette musique et cette philosophie ? C’est vraiment différent de la Motown et des Four Tops. Ce n’était pas du reggae non plus !

A : Votre prochaine date à Paris ce sera à La Villette avec KRS-One…

C : Oui, c’est un festival. Le problème des festivals c’est qu’on ne joue qu’une heure et on n’a pas le temps de jouer les nouveaux morceaux qu’on peut jouer dans un concert normal. On doit se concentrer sur les classiques, on est obligés, ce sont comme nos enfants.

A : Mais les nouveaux morceaux aussi ce sont vos enfants !

C : Oui, mais ils ont l’âge de ma fille ! Ce sont des nourrissons, les gens veulent voir les ainés ! On joue devant des gens qui nous voient pour la première fois et qui seraient déçus si on ne jouait pas « Black Steel ». C’est aussi pour ça que « Harder Than You Think » est important, ça a amené une nouvelle génération de fans qui ont 19 ou 20 ans. Comme quand on a fait « Bring The Noise » avec Anthrax, ça a drainé de nouveaux fans. On a une autre génération de fans qui nous a découvert avec l’album He Got Game. Pour eux, He Got Game c’est old school et après ils découvrent ce qu’on a fait avant. J’avais quatre ans quand j’ai découvert les Beatles avec « I Want To Hold Your Hand » et dix ans quand ils se sont séparés. En tant que fan des Beatles, ce que je retiens c’est ce qu’ils ont sorti quand j’avais neuf ou dix ans. « Let It Be » est ma chanson préférée. Il faut écouter les paroles de « Let It Be » : « When I find myself in times of trouble, mother Mary comes to me, speaking words of wisdom… »

The Beatles - « Let It Be » (1970)

A : Tu as déjà rencontré Paul McCartney ?

C : Non, un autre de mes héros c’est Jac Holzman, tu sais qui c’est ?

A : Non.

C : C’est le fondateur d’Elektra Records. Je l’ai rencontré pour la première fois il y a une semaine. J’ai adoré son livre Follow The Music, c’est un féru de technologie, il a signé Josh White, Love, The Doors, avant de revendre la compagnie à Warner qui est devenu WEA [NDLR :Warner-Elektra-Atlantic]. J’ai eu la chance d’aller chez lui à Santa Monica et de discuter longuement avec lui. Un de mes buts dans la vie c’est de faire ce genre de rencontres. Souvent je me dis que je devrais les enregistrer pour garder une trace, mais une fois sur place on préfère profiter du moment plutôt que de faire une interview formelle. La semaine prochaine je rencontre Mavis Staples et là on va filmer ça parce qu’on a fait un morceau ensemble qui s’appelle « Give We The Pride ». Elle est vraiment impressionnante sur ce morceau. C’est produit par Divided Souls, je les adore. Ils ont produit « Hoover Music », « The Evil Empire » pour Public Enemy et « I Can » sur mon album solo. Ils seront aussi sur le projet PE 2.0 sur lequel d’autres rappeurs interviendront. Je veux prendre du recul sur cet album, je ne serais pas en avant, je serais là en tant que producteur. Je n’ai jamais eu la peur de la page blanche, mais j’ai peur des trous de mémoire. J’aimerais pouvoir me souvenir des paroles de tous les morceaux que j’ai écrits, mais je n’y arrive pas, c’est ce qui arrive quand on a un répertoire aussi vaste. Par contre, j’ai toujours plein d’idées de morceaux, de concepts que je veux partager avec d’autres MCs. Je développe trois rappeurs qui sont proches de l’esprit Public Enemy.

« On veut éviter que quand une génération disparaît, la musique disparaisse avec. »

A : C’est ce que tu faisais déjà il y a 25 ans avec Leaders Of The New School, Young Black Teenagers, etc.

C : Oui, je reviens vers ça. Je vais rester dans l’ombre pour les conseiller et les aider à écrire. Quand on laisse un jeune écrire ce qu’il ressent, parfois le problème est qu’il n’arrive pas à trouver le bon angle pour l’exprimer. Au final il se laisse influencer par son entourage et se met lui-même en compétition avec ce qui marche, ou avec tel ou tel artiste underground.

A : C’est de la direction artistique en fait.

C : Mais aussi de la production, parce qu’être producteur ce n’est pas que faire un beat. Une chanson a besoin d’un producteur. Il ne suffit pas d’écrire les paroles. Une chanson doit être produite, arrangée.

A : En tant que rappeur, quand tu travailles avec des producteurs plus jeunes que toi, tu les laisses te diriger ?

C : Oui, ils peuvent me reprendre sur mes prises de voix par exemple. La seule chose que je ne tolère pas, c’est qu’on me dicte le thème du morceau. Mais souvent les prises de voix sont faites séparément. Neuf fois sur dix, les producteurs adaptent leurs beats aux a cappellas. Ces producteurs ont la culture du remix, c’est pour ça que j’ai lancé Flipmash, c’est un collectif de producteurs, on a 83 producteurs sélectionnés pour le moment sur 500 participants. On leur soumet des a cappellas et chacun propose son remix. Par exemple, je demande à Melle Mel d’enregistrer un morceau a cappella sur son téléphone et de nous l’envoyer en fichier .wav, les producteurs font chacun leur version et on évalue le résultat final. Mais ce n’est pas un remix puisqu’il n’y a pas de morceau original qu’on remix, mais juste un élément, les paroles, que chacun va utiliser. Ça soulève aussi des questions sur le publishing et le copyright. Composer et remixer sont deux choses différentes du point de vue des droits d’auteur. Quand on a sorti « Shut’em Down », Pete Rock a fait un remix qui a fait un carton à New York et en Angleterre, mais pour un remix on touche juste un cachet et chaque fois que le remix est joué c’est le producteur de l’original qui touche des droits d’auteur. C’est une chose à prendre en compte dans le travail qu’on fait sur Flipmash avec nos producteurs. Ou plutôt nos « reducers », pour reprendre le terme que Rick Rubin avait inventé, au dos de la pochette de Radio de LL Cool J. Il y a encore beaucoup de choses à créer dans l’ère digitale.

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