Aloe Blacc
Interview

Aloe Blacc

A la fois MC, chanteur, trompettiste, producteur et moitié du duo Emanon, Aloe Blacc est un homme plein de surprises. Notre rencontre express et complètement improvisée le temps des Eurockéennes de Belfort édition 2007 confirme cette tendance.

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Mener à bien une interview dans un énorme festival comme les Eurockéennes c’est un peu comme attendre le RER un jour de grève : rien n’est jamais vraiment garanti et jusqu’au dernier moment on se prépare à une surprise. Ces surprises peuvent être particulièrement réjouissantes à l’image du Wu-Tang, présent au grand complet et auteur d’un concert enflammé suivi d’une conférence de presse quasi-christique devant nos yeux ébahis. Elles peuvent l’être aussi beaucoup moins comme cette rumeur tardive assurant que Percee P et J-Rocc ne seraient finalement pas présents aux Eurocks cuvée 2007, la faute à un avion un peu trop ponctuel. Rumeur malheureusement avérée.

Mais à défaut de rencontrer le mystérieux Rhyme Inspector Percee P, on a eu le plaisir de voir débarquer dans l’espace presse Aloe Blacc, l’autre tête d’affiche de Stones Throw. Accompagné pour l’occasion de Guilty Simpson, qui, à défaut d’avoir la discographie et la versatilité de son comparse, se montre bien plus chaleureux. Rencontre express et complètement improvisée entre deux camions de l’espace presse à peine éclairés.

Abcdr : Comment as-tu atterri sur Stones Throw ?

Aloe Blacc : En fait j’ai commencé par faire la connaissance d’Oh No et ensuite j’ai rencontré Medaphoar, Wildchild, DJ Romes lors d’une tournée en Europe. Je les ai suivi sur cette tournée. On est passé par l’Allemagne, la France, la Belgique, la Pologne et la Suisse. Après, on est rentré aux États-Unis et j’ai commencé à faire des morceaux avec Oh No. C’est à ce moment là que Peanut Butter Wolf m’a proposé de rejoindre Stones Throw.

A : Contrairement à pas mal de labels indépendants, Stones Throw est régulièrement présent en Europe et effectue des tournées dans pas mal de pays, notamment en France. Est-ce que vous avez un rapport particulier avec le continent européen ?

A.B : On vient fréquemment en Europe grâce aux fans et pour eux. Ils aiment notre musique et notre style, ils nous demandent régulièrement de revenir. Alors c’est ce qu’on fait !

A : Stones Throw a fêté ses dix ans d’existence l’année dernière. Ces dernières années, un certain nombre de labels indépendants majeurs se sont cassés la gueule (75 Ark) ou ont été amenés à beaucoup changer pour perdurer (Rawkus), quelles sont à ton avis les raisons qui font que Stones Throw est toujours là et continue à accumuler les succès ?

A.B : Je pense que tout vient de Peanut Butter Wolf. Il choisit les bonnes personnes et s’entoure uniquement des gens qu’il apprécie vraiment. Ses choix ne sont pas dictés par les ventes mais par le style et le talent des artistes qu’il signe sur son label. Je pense que le public apprécie cette démarche.

A : Oui mais en plus de s’entourer des gens dont il aime la musique, le label est financièrement stable et viable…

A.B : PB Wolf a vraiment de bons goûts et je pense qu’à un moment une partie du public considère que Stones Throw est tout simplement synonyme de bonne musique.

A : Tu fais équipe avec DJ Exile dans Emanon, vous avez notamment sorti ensemble l’album The waiting room. Comme toi, Exile mène en parallèle une carrière solo, comment est-ce que vous réussissez à concilier les deux ?

A.B : En fait on a décidé d’un commun accord d’arrêter temporairement Emanon pour mener correctement nos carrières solos respectives. On a prévu à terme de rebosser ensemble sur un nouvel album d’Emanon. On veut juste prendre le temps et le recul nécessaire pour attaquer ce nouvel opus.

A : J’ai été assez surpris de voir qu’Exile avait fait le beat de ‘Pearly Gates’, morceau avec Mobb Deep et 50 Cent sur Blood Money. Quel a été ton sentiment quand tu as appris ça, t’étais content pour lui ?

A.B : Ouais, bien sûr, j’étais sincèrement ravi pour lui. Après, bien entendu, Mobb Deep n’est plus le même groupe qu’il y a quelques années, mais on a été fans de ce qu’ils faisaient pendant des années. A partir de là, je pense que c’est une chance d’avoir une production sur un album aussi exposé. Un album sorti sur une major avec 50 Cent dessus. C’est aussi très important que le talent de l’underground soit reconnu et exposé. C’est même essentiel.

A : Tu es aussi producteur, est-ce que tu aimerais, toi aussi, bosser sur des terrains qui te sont moins familiers avec des artistes que tu ne connais pas ?

A.B : Ouais, de toute façon je suis déjà investi dans pas mal de styles musicaux, avec des artistes très différents. Après, j’aimerais bosser avec des gens comme Musiq Soulchild, Fiona Apple ou Guilty Simpson.

A : Peux-tu nous en dire un peu plus sur tes racines musicales ?

A.B : J’ai commencé par jouer de la trompette à l’école, je faisais partie d’un orchestre. A cette époque j’ai appris beaucoup de choses sur la musique symphonique et le classique. J’ai également fait partie d’un groupe de jazz, tout en écoutant beaucoup d’albums de jazz. Je me suis intéressé à la folk, à la musique brésilienne, et aussi pas mal au rock. A vrai dire, j’ai toujours écouté beaucoup de musique dans des genres très variés. Quand j’étais plus jeune, j’ai été bercé par la musique caribéenne que mes parents écoutaient régulièrement. Je pense avoir été influencé par toutes ces musiques.

A : Un peu comme Madlib [NDLR : le père de Madlib, Otis Jackson Sr. a joué pour David Axelrod et John Faddis (son oncle) accompagnait Dizzy Gillespie] tu as grandi dans la musique et plus encore dans le jazz. Le nom de ton groupe, Emanon, fait aussi référence à Dizzy Gillespie, non ?

A.B : Tout à fait, on a repris Emanon en hommage au morceau de Dizzy Gillespie. En fait il n’avait pas de nom pour le morceau qu’il venait de composer, alors il a pensé à No Name à l’envers. Il m’est arrivé la même chose, sauf qu’Exile a proposé qu’on appelle le morceau et le groupe comme ça. C’est ce qu’on a fait.

« Le rap a toujours été présent dans ma vie, c’est la musique avec laquelle j’ai grandi et qu’on écoutait avec mes potes. »

A : Quelle place occupe le rap dans ce paysage musical ?

A.B : Le rap a toujours été présent dans ma vie, c’est la musique avec laquelle j’ai grandi et qu’on écoutait avec mes potes. Être un B-Boy, c’était normal pour moi. Avec mes potes, on dansait, on écrivait des rimes, et avec Exile on passait notre temps à faire des beats. Tout ça c’est venu presque comme une évidence.

A : J’ai lu qu’on t’appelait parfois le R-Kelly indépendant. Qu’est-ce que tu penses de ce surnom ?

A.B : En fait c’est un site de vente en ligne de disques qui a utilisé pour la première fois cette appellation. Ils ont fait cette comparaison pour que ceux qui n’avaient jamais entendu ma musique puissent se faire une petite idée. Voilà, c’est cool…

A : Tu aimes ce que fait R-Kelly ?

A.B : Je n’aime pas tout ce qu’il a fait mais certains de ses trucs sont super bons. Enfin, je ne suis plus trop ce qu’il fait aujourd’hui, j’écoute avant tout des vieux disques.

A : Qu’est-ce que tu penses de la scène R&B actuelle ? Les avis sont assez partagés sur cette question.

A.B : Je trouve qu’il y a beaucoup de rythme mais pas de blues ni d’âme. Aujourd’hui, c’est vraiment une musique très marketée, c’est plus de la pop qu’autre chose. Ça ne me touche pas et ça manque de mélodie. A mes yeux, ça n’a pas grand-chose à voir le vrai R&B.

A : Est-ce que tu te sens proche des autres artistes de Stones Throw ?

A.B : Oui, pour moi ils sont comme une famille. Même si au départ on s’est rencontrés pour affaire, tous les gars d’Oxnard, Medaphoar, Oh No, Roc C, sont devenus des amis. PB Wolf a vraiment fondé une famille. L’arrivée de Dilla et des autres gars de Detroit comme Guilty Simpson a agrandi cette famille. On s’entend vraiment bien, on traîne aux mêmes endroits…

A : D’un point de vue artistique, ça doit aussi être bénéfique, cet entourage…

A.B : [enthousiaste] Bien sûr, c’est une vraie chance de pouvoir faire partie d’un label historique comme Stones Throw. Madlib est un producteur incroyable, Dilla l’était aussi. Aujourd’hui Madlib travaille avec Karriem Riggins dont je suis franchement fan. Je mesure ma chance de faire partie d’un label légendaire comme Stones Throw, et de côtoyer des gens aussi talentueux que J-Rocc. Je pense que cette situation stimule encore plus mon inspiration.

A : Est-ce que tu considères que le public européen et le public américain sont différents ?

A.B : Oui, pour moi ça ne fait aucun doute. Je pense que globalement en Europe les fans sont plus ouverts d’esprits, plus sensibles aux autres musiques. Cette différence provient à mon avis de la façon dont le marché musical aux États-Unis fonctionne aujourd’hui.

A : Quels sont tes projets à venir ?

A.B : Je prépare un nouvel album solo, pas mal de morceaux ici et là… et à terme un nouveau LP d’Emanon avec Exile. Je viens de terminer d’enregistrer un projet d’album à Paris. Il sera composé uniquement de reprises faîtes avec des orchestrations différentes. Ca devrait être intéressant. A vrai dire, je suis toujours sur de nouveaux projets.

A : Qu’est-ce que tu apprécies et apprends de ces projets de reprises ?

A.B : Reprendre les morceaux d’autres artistes ou composer mes propres titres, tout ça c’est un peu comme un grand puzzle. Et j’adore en rassembler les pièces. C’est comme ça que je bosse. J’adore ça, c’est un vrai jeu pour moi. Je fais pas de sport, alors c’est mon sport à moi. En plus, reconstituer ces puzzles musicaux s’avère souvent très instructif à tous niveaux. Dans le chant, la composition,… Sur ce projet d’album j’ai fait des reprises de rock, de soul, de R&B ou de bossa nova. Plein de styles musicaux différents en reprenant des morceaux de groupes aussi divers que Pearl Jam, DJ Rogers, Patti LaBelle, Police.

A : Juste un mot à propos de Jay Dee. J’imagine que sa disparition t’a beaucoup touché.

A.B : Ouais. [silence pesant]. A mes yeux, c’est le plus grand producteur rap de l’histoire.

A : Finalement, il est vastement reconnu au moment où il passe vers l’au-delà…

A.B : Oui, mais bon… c’est comme ça. Il y a une vraie ironie là-dedans. Pire encore, quand on y réfléchit, il a fait ce morceau pour Janet Jackson où il a samplé Johnny Mitchell; le sample fait « Don’t it always seem to go that you don’t know what you’ve got ’til it’s gone« . Les gens se rendent souvent compte de la richesse de ce qu’ils ont lorsque tout ça disparaît.

A : Kanye West a annoncé qu’il allait rendre hommage à Jay Dee sur son prochain album en reprenant les dernières techniques que Dilla avait utilisé pour faire les beats de Be pour Common.

A.B : No comment. [grave]. Vraiment.

A : [NDLR : Guilty Simpson suit l’interview de loin, il discute tranquillement avec une représentante de maison de disques] Guilty, un mot sur Jay Dee ?

Guilty Simpson : Évidemment sa mort m’a beaucoup touché. On était bons potes avec Jay Dee. Après, comme tout le monde je trouve dommage que le public n’ait pas découvert pleinement sa musique de son vivant… mais l’essentiel à mes yeux reste que le public connaisse et apprécie ce qu’il a pu faire. C’était vraiment un artiste incroyable, un excellent producteur. Il avait aussi de très bonnes rimes.

A : De ton coté, tu travailles sur quoi en ce moment ?

G : J’ai prévu de sortir un album à la mi-septembre, probablement le onze septembre. Il y aura Jay Dee dessus, Madlib, pas mal de très bons producteurs dessus. Surveillez ça.

A : Il semble que l’exil de Dilla à Los Angeles a permis à un certain nombre d’artistes de Detroit de le suivre et de se rapprocher de Stones Throw…

G : Oui c’est une très bonne chose. Il n’y a pas beaucoup de structures très organisées à Detroit, alors rejoindre un label comme ça, qui connaît le business je pense que c’est une vraie chance, une belle opportunité.

A : A nos yeux, il y a deux familles musicales majeures dans le rap à Detroit : d’un côté la clique Slum Village, de l’autre D-12 avec Eminem et Proof. Est-ce qu’il y a quelques années il y avait déjà des relations entre ces deux groupes ?

G : Oui, on a tous grandi ensemble. J Dilla et Proof avaient même un groupe ensemble qui s’appelait Funky Cowboys. Proof passait du temps avec Slum Village. Dilla n’était pas toujours là vu qu’il faisait pas mal de trucs pour A Tribe Called Quest et The Pharcyde à une époque, mais ces deux cliques forment une seule et même famille.

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