Action Bronson en cinq morceaux
Interview

Action Bronson en cinq morceaux

Avec ses références aussi variées qu’inattendues, son timbre de voix rauque et une dégaine qui rappelle Gimli, Action Bronson est un personnage assez unique. Présentation au travers d’une sélection de cinq morceaux.

Photographie : Draft Dodgers

Il y a les interviews marquantes, les échanges qui dépassent le cadre étroit de la promotion, où l’humain prend le pas sur l’artistique. Et les autres, celles qui nous laissent sur notre faim. Celle-ci s’inscrit dans la première catégorie. La petite heure passée avec Action Bronson aura même été bien au-delà de nos attentes et confirmé les excellents échos déjà reçus sur le rouquemoute le plus célèbre du Queens. L’ancien cuistot aux longs couteaux pourrait être ton meilleur pote. Celui avec qui tu peux disserter des heures sur la meilleure cuisson pour les pizzas, le style épicé des parisiennes ou les meilleurs albums rap de l’année passée. Simple et facile d’accès, Bronson est un personnage haut en couleurs, à la fois plein de bons mots et de références choisies. Mais aussi un vrai spectacle à lui tout seul, capable de conquérir le public de La Bellevilloise avec un one man show intense et tout en énergie.

« Shiraz » (Bon Appétit ….. Bitch!!!!!, 2010)

Abcdr du Son : C’était évident pour toi de parler régulièrement et aussi précisément de bouffe ?

Action Bronson: Oui, ça fait vraiment partie de moi, comme tout ce dont je peux parler. C’est à la fois ma vie et ma personnalité. Je veux que tout ce qui figure sur mes disques soit authentique. Quand je parle de bouffe, j’essaie de le faire d’une certaine façon. D’une façon qui puisse parler à la rue aussi, avec des métaphores pour autre chose, comme la drogue. Parfois je fais des comparaisons avec des trucs qui n’ont rien à voir, mais ça fonctionne. Tu peux voir la bouffe de pas mal de façons différentes.

A : Tu peux nous parler de ton émission Action in the kitchen ?

AB : Au départ, c’était juste un pote qui venait me filmer quand je bossais. Je n’ai fait que cinq épisodes et le dernier date d’il y a un peu plus d’un an. Mais beaucoup de gens m’ont demandé d’en faire de nouveaux. Aujourd’hui, les choses ont changé. J’ai un vrai cadre pour produire cette émission. Je vais la faire avec Vice, avec une vraie équipe de réalisation, pour que ça soit à la fois authentique et mortel.

A : Tu es en France aujourd’hui, on est un peu barrés niveau bouffe…

AB : Je sais bien mec et j’adore ça ! [rires] La base de mes études en cuisine, c’était autour de la gastronomie française. Quand tu suis des cours comme ça, c’est ce qu’on t’apprend en premier. Toutes les techniques de cuisine ont été inventées par les français, comme les différentes façons de cuire des plats. J’adore la France. La dernière fois que je suis venu, je suis tombé amoureux une bonne trentaine de fois. Le concert était mortel. Je dis ça, je ne savais pas à quoi m’attendre. On m’a dit que ce soir, la salle allait être pleine. [NDLR : interview menée quelques heures avant son concert à la Bellevilloise le 12 décembre. Et effectivement la salle était pleine à craquer]. Je suis vraiment ravi d’être là, dans cette superbe ville et j’apprécie que les gens puissent accrocher à mon univers.

« Barry Horowitz » (Dr. Lecter, 2011)

AB : Pour ce morceau, « Barry Horowitz »…. [NDLR : Il s’arrête un moment, comme plongé dans ses souvenirs] J’avais débarqué dans la baraque de mon pote et il était super excité : « J’ai trouvé cette boucle, elle est mortelle, il faut que tu fasses quelque chose avec ça ! » J’ai accroché direct sur le son. Pour moi, c’est un de ces morceaux vraiment intenses, un peu comme un match de catch. Tu deviens dingue quand tu l’écoutes, avec la batterie et la guitare.

A : Le titre du morceau et cette référence à « Barry Horowitz » est pour le moins suprenante. Tu te souviens comment t’es venue cette idée ? 

AB : À cette époque-là, j’étais à l’hôpital avec ma jambe cassée. Je pensais à différentes rimes que j’avais en tête et celle-ci m’est apparue brutalement : du rap à la Barry Horowitz et voilà, je suis parti là-dessus [NDLR : Barry Horrowitz est un ancien catcheur professionnel, passé notamment par la WWF, loser magnifique devenu depuis nutritionniste.]

A: Sur Dr. Lecter, tu as aussi un morceau sur Chuck Person ! [NDLR : ailier vaguement culte des San Antonio, un peu grassouillet, avec un gros shoot, qui répondait au doux surnom de « Rifle Man ».]

AB : Je suis un cinglé de NBA. Je connais très bien l’univers du sport, jusqu’à retenir des détails sur des athlètes un peu obscurs. Chuck Person, tout le monde ne va pas savoir qui c’est. C’est un shooter et tout le concept de la référence était là-dedans. Avoir quatre gros shooters bien costauds…

A: Tu peux nous parler du sample de Dry Bread (« Words to my song ») qui est utilisé pour ce morceau ?

AB : Tommy Mas avait trouvé ce sample avec les basses qui tapaient bien forts. C’est exactement le type de son qu’on peut apprécier. Il n’a pas eu besoin de faire grand-chose de plus avec cette boucle, c’était déjà parfait.

A : Quel regard tu portes aujourd’hui sur ton premier album Dr. Lecter ?

AB : C’est vraiment mon bébé cet album ! Quand j’ai fait cet album, je ne pensais à rien de particulier. Je voulais juste rapper et…. sortir ce disque. Pour que tout le monde comprenne bien ce que je voulais faire et découvre ma façon de rapper. Cet album, c’était moi, point final. Maintenant j’essaie de réfléchir davantage. À un moment, tu ne peux pas te contenter de te répéter encore et encore. Rapper pour rapper, je peux le faire du matin au soir, mais il faut que je sorte d’autres types de morceaux, que je bosse avec différentes personnes pour apporter une plus grande diversité. J’essaie de me lancer des défis dans l’écriture pour arriver avec des nouveaux concepts.

« Steve Wynn » (Blue Chips, 2012)

A : Blue Chips était sorti uniquement en digital, gratuitement. J’ai entendu que tu allais le sortir en physique ?

AB : Oui, on va faire une édition vinyle, on est en train de négocier le pressage et la distribution là. Ça devrait sortir en janvier. On va faire la même chose avec le projet Rare Chandeliers. Enfin, on a la suite de Blue Chips qui arrive, Blue Chips 2. Quand je bosse avec Party Supplies, les choses se font très rapidement. On fait trois morceaux par jour, sans problème. J’ai déjà trente morceaux de bouclés pour cette suite.

A : Le clip de « Steve Wynn », réalisé par Rick Cordero, était assez mortel. Comment vous avez travaillé là-dessus ?

AB : L’idée de base, le concept du clip, vient de Rick Cordero. J’ai fait pas mal de trucs avec Rick, il a fait la vidéo de « The Symbol » après, celle de « Hookers at the point ». C’est un mec vraiment talentueux. Pour revenir au morceau, « Steve Wynn » est basé sur un sample de « Hercules » d’Aaron Neville, c’est une chanson que ma mère écoutait à la maison quand j’étais petit. Je l’entendais aussi en voiture, j’ai toujours voulu rapper dessus. Ce morceau avait déjà été samplé mais Party Supplies en a fait quelque chose d’unique, de vraiment différent. La façon dont il a découpé le sample et les petits éléments qu’il a ajoutés. Parmi tous les morceaux que j’ai pu faire, c’est probablement un de mes titres préférés.

A : C’est aussi le meilleur clip que tu as pu faire ?

AB : Non, j’aime bien ce clip, comme j’aime celui de « Hookers at the point ». Mais je préfère celui de « The Symbol » qui est plus marrant, il y avait aussi un petit travail d’acteur dessus. La vidéo de « The Symbol », quand tu la vois pour la première fois, je pense qu’elle occulte un peu le morceau, il passe un peu au second plan du coup.

A : Le clip semble tout droit tiré de l’époque de la Blaxpoitation…

AB : … Exactement, c’est l’esprit qu’on voulait lui insuffler. La pochette du projet était aussi dans cet esprit, comme un point d’entrée dans mon monde fantastique.

A : Comment t’es venue l’idée d’appeler ce morceau « Steve Wynn » ? Il y a une rime sur lui sur ce titre, mais c’est pour le moins inattendu.

AB : J’avais dû fumer beaucoup d’herbe ce jour-là ! [Rires] Tu es là, tu te demandes comment tu vas pouvoir bien appeler ce morceau…. Et bing, voilà, j’ai pensé à Steve Wynn. [NDLR : Steve Wynn est un homme d’affaires, devenu milliardaire, notamment grâce à ses nombreux casinos] On discutait avec Party Supplies, en se disant qu’on allait débarquer à Vegas, qu’on prendrait une chambre au Wynn. Party Supplies est un peu cinglé et il m’a dit : »c’est ça ! Steve Wynn, tu l’as le nom de ton morceau ! » [Rires]. J’ai beaucoup de très bons échos autour de Blue Chips, tout le monde le préfère à Rare Chandeliers. Blue Chips était frais, surprenant. Party Supplies est comme un frère pour moi. C’est un excellent producteur, mais à vrai dire, il est plus que ça. C’est un vrai musicien. Sa musique n’a pas grand-chose à voir avec le rap. Il voudrait être une star de pop anglaise des années quatre-vingt.

« The Symbol » (Rare Chandeliers, 2012)

A : Tu as fait équipe avec Alchemist sur Rare Chandeliers. Bosser avec un producteur aussi reconnu qu’Alchemist, ça représentait quoi pour toi ?

AB : J’ai grandi en écoutant Alchemist. Ce mec est une putain de légende pour moi. Le simple fait qu’il s’intéresse à mon travail c’était déjà mortel, alors bosser avec lui, c’est une forme d’accomplissement ultime. On est comme des frères aujourd’hui, c’est un de mes meilleurs amis. Parfois les choses se font comme ça, tu rencontres certaines personnes et vous devenez naturellement proches.

Je n’en ai rien foutre de ces histoires de swag, d’exposition ou je ne sais quoi. Je laisse mon travail parler pour moi et ce qui m’importe vraiment c’est ma musique. Alchemist change de style constamment. Tu as des gens qui veulent toujours entendre les vieux beats d’ALC mais aujourd’hui il est devenu un vrai musicien, il fait beaucoup plus qu’ajouter un kit de batterie ici et là. Quand tu écoutes un album d’Alchemist, tu vis une expérience globale, ce n’est pas juste un seul morceau qui se distingue du lot. C’est marrant, parfois tu entends juste une boucle et tu te dis : « ah mais ça c’est une boucle à la Alchemist. » Alors que n’importe qui aurait pu la faire, mais il y a des sons qu’on lui associe naturellement.

A : Tu as fait les choses en grand sur le clip de « The Symbol », avec ta perruque blonde !

AB : Je suis un peu cinglé, j’aime faire ce genre de conneries. Je voudrais faire des films un jour. Mais qui ne voudrait pas devenir acteur ? J’aimerais cumuler d’autres expériences de ce type. En fait, on va faire une espèce de court métrage avec « The Symbol » pour le présenter au festival de Sundance. Ça a lieu à la fin du mois de janvier, on devrait pouvoir boucler ça d’ici là.

A : Blue Chips et Rare Chandeliers étaient des projets gratuits. Ce n’était pas un peu frustrant quelque part de lâcher des albums aboutis comme ça gratuitement ?

AB : Pour Blue Chips, on a été payés, et même très bien payés, par ceux qui ont financé cet album. [NDLR : Reebok principalement.] En plus il n’y a que des samples sur ce disque, il faut être réaliste, c’est impossible de sortir aujourd’hui un album pareil. Du coup, ça ne me posait pas de problème de le sortir de cette façon. Et puis, vu qu’il était gratuit, beaucoup de gens l’ont écouté. En tout cas beaucoup plus que s’il avait coûté dix ou quinze dollars. Cet album a aussi créé un certain intérêt pour moi et Party Supplies.

Rare Chandeliers c’est une autre histoire. Ça a pas mal énervé Alchemist sur le coup mais on a quand même gagné de l’argent avec ce projet. Il y a différentes façons de gagner de l’argent. On a eu plusieurs partenaires sur ce disque comme Skullcandy la marque de casques, Vice aussi. Quand tu sors un album gratuitement, il faut que tu réussisses à faire rentrer de l’argent quand même, mais différemment. Tu sais que ce disque n’aurait pas pu sortir sur un label, toujours pour ces mêmes histoires de samples. Ce que je préfère moi, c’est faire des concerts. Du coup, quand je sors un album, je laisse les gens l’écouter et ensuite je débarque dans ta ville pour le jouer sur scène.

« M.A.R.S. » (Professor @ Large, 2012)

A : On parlait d’Alchemist, Large Professor est un autre producteur légendaire. Bosser avec lui, apparaitre sur son album, ça représentait quoi à tes yeux ?

AB : On vient tous les deux du même quartier : de Flushing, dans le Queens. La connexion entre nous n’en a été que plus immédiate. J’adore Large Professor, j’ai écouté sa musique pendant des années. C’était un honneur d’être sur ce morceau avec lui, Cormega et les autres. Quand il m’a invité, j’ai accepté tout de suite.

A : Il y a une belle brochette de gars du Queens sur ce titre. Tu as le sentiment de t’inscrire dans cette dynastie des rappeurs originaires de ce quartier ?

AB : Oui et c’est ce qui me motive autant. Tous ceux qui viennent de là aussi, des gens comme Kool G Rap, Nas, Mobb Deep, Cormega, LL Cool J, Tragedy Khadafi. Il faut que je représente comme il se doit le quartier, que je me montre digne de l’héritage laissé par ces personnes. À New-York aujourd’hui, c’est plus cool de venir d’un autre quartier que le Queens. C’est quelque chose d’assez récent, je ne sais pas ce qui s’est passé… pourquoi les choses ont changé ainsi.

A : Tu ressens une certaine pression à l’idée de représenter New-York, de porter ce flambeau ?

AB : Je ne ressens aucune pression particulière. Je n’y pense pas. Je me contente de bosser. Ce sont les gens qui me disent ça. Et honnêtement, quand on me dit ça, j’ai tendance à être encore plus motivé du coup. Tu ne m’entendras jamais dire que je suis le porte-drapeau de New-York. C’est quelque chose de très con. Je travaille dur, j’essaie de faire la musique que j’aime aussi bien que possible et ensuite je la présente au public.

A : A tes débuts, on te disait souvent que tu avais le même timbre de voix que Ghostface. Ce qui est assez vrai mais ça t’a pas mal agacé…

AB : Quand j’ai commencé à rapper, je n’étais pas entièrement satisfait de mon timbre de voix. Mais on ne peut pas dire ça encore aujourd’hui, ce serait vraiment stupide. Je sais que les gens cherchent toujours à comparer les uns avec les autres. Evidemment, on vient tous les deux de New-York et on a peut-être un accent assez proche, mais quand même… Après, Ghostface c’est un excellent rappeur, c’est aussi un ami et une vraie source d’influence pour moi. Comme Raekwon. Mais je suis moi, j’ai mon propre univers et je n’ai rien volé à personne. C’est gênant de voir qu’on peut toujours penser ça de moi.

A : Beaucoup de choses se sont passées pour toi ces derniers mois. Tu viens de signer chez Vice et tu bosses depuis peu avec Paul Rosenberg [NDLR : Co-fondateur de Shady Records et manager d’artistes, notamment d’Eminem qui lui a toujours servi des rimes et interludes bien salés], c’est une autre forme d’accomplissement pour toi ?

AB : Paul Rosenberg me suit depuis très longtemps. Quand « Barry Horowitz » est sorti, il a cherché à me contacter. Il me répète régulièrement depuis que ce morceau reste son titre préféré. Ça fait un moment qu’on veut bosser ensemble mais ça n’était pas possible avant, j’étais dans une situation différente. Paul Rosenberg, c’est une figure paternelle pour moi, la représentation de la sagesse. Quand tu discutes avec lui, tu as un peu l’impression de parler avec ton père. Avant, je bossais avec Dante Ross, c’était différent. Je ne l’ai quasiment pas connu et je ne sais même pas ce qu’il a vraiment fait pour moi. Je préfère nettement ma situation aujourd’hui.

A : Quels sont tes plans pour 2013 ?

AB : J’ai le volume deux de Blue Chips qui va sortir, mais aussi une collaboration en cours avec Harry Fraud. On ne sait pas encore ce qu’on va faire de ces morceaux, si on les met sur l’album que je vais sortir chez Vice ou si on les sortira après. Ça n’est pas encore tout à fait décidé. En tout cas, j’ai beaucoup de projets à venir…

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