1995 et le cap du premier album
Interview

1995 et le cap du premier album

En 2011, lorsque nous les avions rencontrés, 1995 commençait tout juste à faire parler d’eux. Deux ans et deux EP’s plus tard, le groupe a réussi à confirmer et espère transformer l’essai avec Paris Sud Minute, leur premier album. Retrouvailles avec six garçons toujours aussi épris de rap.

Si Nekfeu avait déjà impressionné le web avec son Rap Contenders lors de notre première rencontre avec 1995, le clip de « Dans ta réssoi » n’était pas encore en ligne et l’engouement autour des six parisiens en était alors à un stade embryonnaire. A peine deux ans plus tard, le groupe a dépassé le stade du simple buzz et n’a eu de cesse de faire l’actualité du paysage rapologique français : une séparation avec Kdbzik, deux EP’s sortis, des escapades en solo, des concerts à répétition… Bref, il aura été difficile de passer à côté des auteurs de La Source. Certaines de leurs sorties précédentes nous ayant quelque peu laissé sur notre faim, nous étions forcément curieux d’écouter Paris Sud Minute, leur tant attendu premier album. Moins linéaire et remarquablement bien produit, il concrétise enfin le potentiel du groupe et devrait surprendre les plus sceptiques. Logiquement, nous ne sommes pas les seuls médias à couvrir cette actualité et l’époque où nous planifions l’interview en direct avec le groupe semble déjà lointaine. Désormais, il nous faut tenir trente minutes. En cas d’égarement, une attachée de presse est là pour nous rappeler à l’ordre, renforçant ainsi le sentiment que 1995, plus rapidement que d’autres, est passé dans une autre dimension. Une fois le dictaphone enclenché, on est rapidement rassuré. 1995 sont restés les mêmes jeunes adultes qu’on avait rencontrés en 2011 : loquaces, souriants et toujours aussi passionnés.


Abcdr du Son : Après deux EPs en deux ans, vous vous apprêtez à sortir votre premier album. Quelle différence fondamentale voyez-vous avec vos sorties précédentes et quel plaisir ressentez-vous quand vous vous retrouvez après vos différentes escapades solos ?

Nekfeu : On a sorti deux EPs parce qu’on aimait le format et que ça faisait chier plein de gens mais surtout parce qu’on n’était pas prêt à sortir un album. L’album est censé être la pièce qui marquera le rap. Aujourd’hui, on a notre identité musicale et on est prêt. Évidemment, c’est toujours un plaisir de se retrouver même si on ne se quitte jamais vraiment.

Hologram Lo : On était tout le temps ensemble avant de préparer l’album puisqu’on était en tournée en permanence. On a fait officiellement 85 dates cette année, un peu moins d’une centaine si on compte toutes nos apparitions.

Nekfeu : Après, il y a des moments où chacun est dans son coin, où on ne prend pas forcément de nouvelles… Mais, quand on se trouve, on est comme la Ligue des Justiciers et on botte le cul de tout le monde [sourire].

A : Vous venez de parler de la scène et, sur l’album, le morceau « Souviens-toi » revient largement là-dessus. Aujourd’hui, vous jouez dans des énormes festivals, vous avez fait le Zénith et l’Olympia mais, quand on s’était rencontré, vous faisiez encore de petites dates. Je me souviens notamment d’un show dans une école à Amiens…

[Ils explosent tous de rire en se remémorant ce concert]

Areno Jaz : Tu peux dire que ce truc était un gros guet-apens d’ailleurs !

Nekfeu : Ceci dit, même si on fait de gros festivals, on nous voit aussi dans des trucs beaucoup plus modestes. Maintenant, on a de la chance et c’est incroyable de pouvoir faire des trucs aussi énormes. C’était une vraie dinguerie cet été et ça nous a permis de voyager, de rencontrer énormément de monde, énormément d’artistes… On a vraiment gagné en maturité et on a aussi pu se professionnaliser. Aujourd’hui, on a appris à gérer le côté sportif de la scène, on s’est creusé la tête pour proposer un show vraiment dynamique à l’image des artistes qu’on kiffe… On s’approche de notre objectif et on est de plus en plus satisfait de ce qu’on fait. Les gens ne sont pas habitués à voir ça dans le rap français et ça fait plaisir.

« Paris Sud Minute est vraiment la transformation de toute la lumière qui a été projetée sur nous en 2011 et 2012. »

Hologram Lo’

A : Le fait que vous fassiez tous ces festivals est aussi dû à l’engouement assez impressionnant autour de l’entité 1995. Est-ce que c’est quelque chose que vous vous expliquez et que vous essayez d’analyser ?

Fonky Flav : On nous pose souvent la question mais, étant donné qu’on est toujours en train de travailler, on n’a pas le temps pour se poser et réfléchir sur ce qui s’est passé. On a vraiment vécu le truc de l’intérieur. On se rend compte que beaucoup de gens sont venus nous voir en concert et ça nous fait vraiment plaisir mais ce n’est pas une chose à laquelle on réfléchit et on ne s’en enorgueillit pas non plus.

Sneazzy : Ceci dit, on est super content de ce qui nous arrive et on espère que ça ne va pas s’arrêter là.

Hologram Lo : Je n’aime pas le terme de buzz et je ne sais pas si on en a bénéficié ou pas mais, en tout cas, je trouve que Paris Sud Minute est vraiment la transformation de toute la lumière qui a été projetée sur nous en 2011 et 2012. Aujourd’hui, on ne peut plus nous dire qu’on est les enfants du buzz.

Sneazzy : Le premier album prouve aussi qu’on n’est pas seulement un « phénomène » un peu éphémère.

Nekfeu : On parle de phénomène mais on a juste fait quelques vidéos qui ont super bien marché. On était sûrement un peu en contradiction avec le rap game du moment et les gens se sont attardés là-dessus mais c’est le public qui a décidé.

A : Il y en a tous les jours des rappeurs qui publient des vidéos mais il s’est quand même passé quelque chose de bien spécial autour de vous…

Areno Jaz : C’est aussi parce qu’on fait de la bonne musique ! Les gens voulaient du bon rap depuis longtemps et on en a donné.

Nekfeu : On n’a pas fait le chemin classique des mecs qui ont un buzz éphémère et s’en vont. On est des artistes et on faisait de la scène depuis un moment. On avait l’impression d’avoir déjà un public avant que ça explose. On participait à tous les concours, à tous les open mics… On est vraiment des acteurs du mouvement hip-hop. On se sert de la lumière mise sur nous pour dire qu’on n’est pas les seuls et qu’il y a une vague d’excellents rappeurs qui arrive. En tout cas, on s’assume, on sait ce qu’on veut et on garde la tête froide par rapport à tout ça. D’ailleurs, les gens s’intéressent aussi à ces autres rappeurs et ça prouve que ça va plus loin que l’entité 1995, que c’est notre démarche qui a plu.

A : Lo, tu avais une seule prod’ sur La Source, quatre sur La Suite. Sur l’album, tu es beaucoup plus présent puisque tu produis douze titres, il y a trois morceaux instrumentaux… C’était une volonté de te laisser plus de place à l’occasion de l’album ?

Nekfeu : Entre temps, c’est devenu le meilleur beatmaker donc c’était une volonté. On ne réfléchit pas à qui on va mettre en avant, on kiffe le son et c’est Lo qui, dans le passé, n’était pas toujours satisfait de ce qu’il faisait. Après, on est très demandeur de son travail depuis des années et, là, on s’est tous pris une gifle par ce qu’il a proposé.

Fonky Flav : On a toujours eu envie que Lo produise la majorité de nos titres mais on n’a jamais voulu privilégier une prod’ parce qu’elle était de lui… On a toujours choisi les meilleurs prod reçues.

Nekfeu : S’il avait moins de prod’ dans le passé, c’est parce qu’il était sur d’autres projets et, aussi, parce qu’il est très modeste et exigeant envers lui-même. Il ne voulait pas nous donner tout ce qu’il faisait, on lui a cassé les couilles et ça a payé.

Fonky Flav : Après, la place de Lo dans le groupe ne s’arrête pas au simple beatmaking. De la même manière qu’on va donner notre avis sur son boulot, il va le faire sur le nôtre, il participe à la réalisation de tous les morceaux…

Alpha Wann : Il a le même droit de regard que les autres sur le produit fini.

A : D’ailleurs, tu rappes à la fin de Paris Sud Minute. Est-ce que tu envisages un projet à la Alchemist où tu rapperais et produirais tout le long ?

Hologram Lo : [Il réfléchit] Je ne sais pas… Pour l’instant, je gratte vraiment occasionnellement.

Sneazzy : En fait, il ne se sentait pas prêt mais on l’a vraiment poussé.

Nekfeu : On ne l’a pas poussé parce que c’est notre pote mais parce que, selon moi, c’est un des meilleurs d’entre nous. Vraiment !

Hologram Lo : En fait, je me suis mis à rapper dès que j’ai rencontré Alpha. Je vrais gratter une fois tous les trois ou quatre mois et, en deux jours, je vais écrire un seize mesures mais ça ne va pas plus loin, je n’arrive jamais à faire plus.

A : On vous a souvent ramené à l’étiquette « rap boom bap super nostalgique » mais cet album montre vraiment d’autres influences. C’est le cas avec le morceau « Baisse ta vitre » par exemple qui ressemble presque à un son Aftermath et sur lequel on n’a pas l’habitude de vous entendre…

Fonky Flav : Sur La Suite, il y avait déjà un morceau comme « Renégats » qui n’était pas du tout boom-bap, pareil pour « Taille de guêpe »… J’ai mis du temps à m’en rendre compte mais les gens ne vont pas plus loin que les clips. Si on avait clippé un morceau comme « Taille de guêpe », il y aurait sûrement une partie du public qui aurait pris le temps d’écouter notre disque.

A : C’est aussi une image qui vous colle à la peau à cause de votre nom.

Nekfeu : On aime cette ambigüité et on aime la contradiction musicale… C’est de là que ressortent les meilleures expériences. Notre travail ne se limite pas uniquement aux projets qu’on a sortis parce qu’il y a également toutes nos vidéos, nos freestyles… Ce sont des trucs sur lesquels on ne pose pas uniquement sur des faces B datant de 1995.

A : Justement, quand on s’était rencontré, je me souviens que tu avais eu des mots assez durs envers T.I et ça m’avait surpris de te voir poser sur l’instru de « The motto »[NDLR :Sneazzy, Nekfeu et Alpha Wann ont en effet repris l’instru que T-Minus avait concoctée pour Drake, Lil Wayne et Tyga]. J’avais eu l’impression que tu étais beaucoup plus hermétique par rapport à tout ce qui pouvait s’écarter du rap new-yorkais…

Nekfeu : En fait, je ne veux pas être enfermé dans une catégorie. J’ai toujours écouté de tout mais c’est vrai que, à un moment, il y a une vague de rappeurs qui a dominé le rap et à laquelle je me suis opposé… Ceci dit, je déteste tout autant le discours des pseudo-puristes dont la démarche consiste à reproduire continuellement ce qui s’est déjà fait avant. Les créateurs de ce mouvement, les Américains, essayent toujours d’évoluer et, de notre côté, on a toujours prôné une certaine exigence musicale. Il s’avère qu’on retrouve souvent cette exigence dans le son des années 90, qui représente notre première influence, mais on cherche à évoluer. En plus, c’est relou de faire tout le temps la même chose ! En faisant du son, j’ai appris que faire constamment la même chose était une facilité et qu’il était intéressant d’aller se confronter à des sonorités nouvelles. Aujourd’hui, je trouve Lil Wayne talentueux alors que, lorsqu’il était au top, je n’arrivais pas à l’écouter. J’avais un réflexe presque adolescent qui consistait à me braquer dès que j’entendais quelque chose qui pouvait se rapprocher de la merde qui passait à la radio. Je n’essayais même pas de comprendre ce que c’était.

Aujourd’hui, je suis capable de faire la part de choses et je ne suis pas du tout fermé. Par exemple, j’avais du mal à kiffer ce que fait Booba aujourd’hui parce que je n’avais pas compris que certains titres relevaient du pur divertissement… En fait, j’étais presque un intégriste parce que j’ai découvert le rap via les trucs merdiques qui passaient à la radio. Quand j’ai écouté les vrais bons disques, je ne voulais pas entendre parler de ce qui ressemblait de près ou de loin à ce que la radio passait. Aujourd’hui, je suis plus en mesure de reconnaître le travail artistique de chacun et je pense que c’est la même chose pour tous les membres du groupe. Et dire ça ne signifie pas qu’on va faire des concessions, c’est juste qu’on est devenu artiste entre temps et ça nous a fait comprendre des choses. Par exemple, je n’aurais probablement pas pu faire un morceau comme « Pétasse blanche » avant.

« J’étais presque un intégriste parce que j’ai découvert le rap via les trucs merdiques qui passaient à la radio. Quand j’ai écouté les vrais bons disques, je ne voulais pas entendre parler de ce qui ressemblait de près ou de loin à ce que la radio passait. »

Nekfeu

A : Lo, tu m’avais parlé à l’époque de ton envie de sortir un projet instrumental à la Saint-Germain. Est-ce que c’est toujours d’actualité ?

Hologram Lo : Non parce que, même si je reste un gros kiffeur de Saint-Germain, je me suis rendu compte que c’était facile de faire du « cool, smooth, gentil ». C’est plus difficile d’essayer d’approcher des sonorités électroniques un peu moins évidentes tout en restant dans le bon goût et dans le groove mais c’est mon objectif.

Fonky Flav : Il y a énormément de gens qui font des instrus boom-bap avec un gros sample qu’ils font tourner pendant cinq minutes avec uniquement quelques cuts sur les snares…

Nekfeu : Mais, parfois, il n’y a pas forcément de prétention musicale dans une prod’ ! Parfois, ça peut être mortel avec une simple boucle. Après, on est super content que Lo essaie tout le temps de repousser ces limites.

A : Sur l’album, Alpha dit « nique ta cravate et ta Ford Fiesta ». Dans votre discours, on a toujours senti que vivre du rap était un rêve et, aujourd’hui, c’est une réalité…

Nekfeu : C’est une réalité en ce moment mais on sait que tu peux gagner de l’argent pendant une certaine période et ne plus en gagner du tout si les gens arrêtent de te suivre… Il n’y a aucune sécurité.

Fonky Flav : On a eu de la chance que ça marche pour nous en continuant à faire ce qu’on kiffe. On n’a pas eu besoin de se formater ou de faire de concessions et, aujourd’hui, on vit de notre musique.

Nekfeu : Nos besoins vitaux sont comblés et c’est déjà un énorme soulagement parce qu’on peut se concentrer sur la musique.

Areno Jaz : C’est plus une question de temps que d’argent. Aujourd’hui, on a plus de temps pour faire de la musique et on n’a pas à avoir de job alimentaire à côté. On peut même se permettre de faire autre chose que du son : gérer nos business, essayer d’attraper des amoureuses… Faire d’autres choses !

A : Puisque tu parles des filles, on imagine qu’avec l’effervescence autour du groupe, vous avez dû voir les groupies affluer. Comment est-ce que vous regardez tout ça ?

Hologram Lo : C’est drôle.

Nekfeu : Je kiffe, ça me fait rigoler. Personnellement, je n’ai jamais eu de problème de ce côté là… Par contre, c’est envahissant et, parfois, ça peut presque te rendre fou.

Fonky Flav : Je trouve que ça fait peur. Il y a des moments où tu as des meufs de dix ou quinze piges qui disent des choses ahurissantes… Si tu as une petite sœur, tu fais forcément une projection et ça fait peur.

Nekfeu : Ouais, ça c’est le côté horrible. Ceci dit, il y a aussi des trucs super mignons où tu sens que tu donnes de l’amour aux gens en parlant tranquillement avec eux, en prenant des photos… C’est vraiment kiffant parce que tu as le sentiment d’être l’oncle de la famille qui fait plaisir à tout le monde [Sourire]. Ensuite, les hystériques qui s’inventent des vies nous font parfois rire, parfois pleurer. Ceci dit, ça concerne tout le monde et on n’a pas plus de folles à nos trousses que d’autres rappeurs.

A : Fonky Flav, il y a plusieurs morceaux de l’album dont tu t’occupes des refrains. C’est quelque chose que tu as travaillé ?

Fonky Flav : Au départ, il n’y avait rien de voulu mais, à un moment, on s’est rendu compte que je faisais beaucoup de refrains sur l’album. Le pire c’est que, même après avoir constaté ça, j’en ai refait un autre après !

Areno Jaz : Il est super fort en refrain et il a vite le feeling.

Nekfeu : Ceci dit, il y a des refrains qu’on a travaillés ensemble et pour lesquels on a missionné Flav [Sourire]. Par exemple, il donne une vraie cohérence au morceau « Jetlag » avec son refrain, il le fait vivre…

A : On vous a parfois reproché de faire des morceaux techniques pour être techniques et, sur l’album, il y a plusieurs morceaux comme « Le passage » sur lesquels vous vous livrez beaucoup plus. Est-ce que c’est une critique que vous avez entendue ?

Nekfeu : J’aurais pu être d’accord avec cette critique si elle avait concerné les morceaux qu’on a pu sortir à côté de nos disques mais les EPs ont vraiment reflété notre vie. Peut-être que ça n’était pas très accessible parce qu’on était plus jeune et qu’on n’avait pas la même maîtrise mais, si tu lis les paroles, tu verras qu’on a toujours parlé de nos vies. Aujourd’hui, on a aussi un vécu différent.

Sneazzy : Par contre, c’est vrai que les thèmes abordés sur les EPs sont différents de ceux de l’album. Sur Paris Sud Minute, on est vraiment allé dans le fond des choses, on a plus travaillé, on s’est plus livré…

Fonky Flav : C’est aussi la raison pour laquelle on a commencé par des EPs. Avec l’album, on voulait vraiment arriver à un niveau de maîtrise satisfaisant du fond et de la forme. Même dans la production du disque, on a cherché à se servir des erreurs qu’on a pu faire dans le passé pour perfectionner l’album.

A : Quelque part, vous avez appris en marchant…

Fonky Flav : Bien sûr et on reconnaît nos erreurs. Par exemple, « Milliardaire » fonctionne très bien sur scène mais on sait que ça rend beaucoup moins bien sur disque, notamment à cause du mix.

Sneazzy : C’est la même chose avec « Renégats » où, même si le mix était un parti pris, le résultat final ne correspondait pas vraiment à ce qu’on avait en tête.

Fonky Flav : Ce qu’il faut retenir c’est que ceux qui étaient en studio pour le mix étaient contents [Sourire].

Nekfeu : Si les morceaux ne nous plaisent plus une fois sortis, on sait que c’est une erreur. Mais, sur le moment, on kiffait et il ne faut pas avoir de regret. Je pense aussi que, si on s’est pris certaines critiques, c’est parce que les gens ont quasiment pu observer nos premiers pas avec toutes les vidéos balancées. A l’époque, les rappeurs arrivaient avec un disque et c’est ce qui faisait office de carte de visite. C’est comme si on effaçait tout et que tu te prenais d’un coup notre premier album ! Il y aurait forcément moins de critiques. Normalement, les gens n’ont pas accès aux freestyles que tu fais dans ta chambre mais on a pris le parti de partager ça.

Areno Jaz : Après, il y a des morceaux où, sans parler de nos darons ou de trucs super dramatiques, on parle quand même de vrais trucs. J’ai mis toute ma vie et tout mon coeur dans La Source et La Suite et il n’y a aucun morceau là-dedans que j’ai écrit uniquement pour la technique. Ce genre de morceaux, je ne les commence même pas. Dans les thèmes, on aurait pu faire cet album il y a trois ans.

Nekfeu : On a maintenant le statut d’artiste qui nous permet de parler de certaines choses comme nos premiers pas dans l’industrie du disque. Avant, on n’avait pas cette espèce d’entreprise 1995 et on ne pouvait pas être un exemple pour les gens. On espère que c’est le cas aujourd’hui et que tous les jeunes indépendants gardent espoir et réalisent que tout est possible.

« J’ai mis toute ma vie et tout mon coeur dans La Source et La Suite et il n’y a aucun morceau là-dedans que j’ai écrit uniquement pour la technique. »

Areno Jaz

A : Vous en parlez sur « Blabla » mais, rapidement, vous avez commencé à avoir votre lot de haters, ce qui est assez normal…

Areno Jaz : [Il coupe] Non, ce n’est pas normal. Ce n’est pas normal que les gens se sentent obligés de venir déverser leur haine sous prétexte que tu es plus exposé. Je comprends bien ce phénomène mais il est anormal.

Alpha Wann : Après, il y a la critique et la haine.

Nekfeu : Dans les deux cas, je ne vois pas l’intérêt. Si j’aime bien un projet, je vais en parler mais, sinon, je n’en parlerai même pas.

Areno Jaz : Après, effectivement, on a eu pas mal de critiques…

Fonky Flav : Je comprends très bien qu’on puisse ne pas aimer notre musique mais on se rend compte qu’il y a beaucoup de personnes qui font la confusion entre la musique et la personne. Ce sont deux choses différentes. D’ailleurs, en avançant dans la musique, on a pu se rendre compte qu’il y avait des gens géniaux dont on n’appréciait pas forcément les morceaux. Et vice-versa ! On a appris à faire la part des choses et on aimerait que les gens en fassent autant. Après, la critique a toujours existé et on n’a pas de problèmes avec ça.

Alpha Wann : A partir du moment où tu reçois une critique, ça veut dire qu’on parle de toi.

Areno Jaz : Je préfère qu’on ne parle pas de moi plutôt qu’on parle de moi en mal…

Nekfeu : On ne nous a pas forcément critiqué pour les bonnes raisons et ça a commencé dès notre arrivée dans le rap finalement. C’est marrant parce qu’on n’a pas changé d’esprit et, qu’on aime ou pas, on a essayé de s’améliorer dans notre délire… Malgré cela, on nous a reproché ce qu’on appréciait chez nous dès que ça a commencé à marcher. « Vous êtes trop à l’ancienne ! Vous ne croyez pas qu’il faudrait évoluer ? »… A côté de ça, on a toujours tenu le même discours et on n’a jamais fait que des trucs à l’ancienne. Maintenant que ça marche, on dit que notre démarche est commerciale ou opportuniste ! On n’a pas vendu notre cul, on a fait ce qu’on avait à faire, n’en déplaise aux critiques. Il y a des potes à nous qui font le même genre de rap sans recevoir ce genre de critiques… Peut-être qu’on les critiquera quand ils seront dans lumière [Sourire]. On a appris à être ironique.

Fonky Flav : Et aucun mec n’est venu nous dire en face les dingueries qu’on peut lire sur Internet.

A : Juste pour être sûr : vous parlez de quoi exactement ? D’une appréciation négative d’un album ou des propos plus personnels que certains internautes vont écrire ?

Nekfeu : Non, on parle vraiment des rageux qui se lâchent complètement sur le net. Encore une fois, on n’a pas de problème avec la critique et on est les premiers à nous remettre en cause.

Areno Jaz : Après, je pense aussi à certaines critiques. Quand je lis certaines chroniques de Darryl Zeuja, j’aurais préféré que les mecs ne les écrivent pas. Quel disque a pu écouter ce gars-là dans sa vie ?

Nekfeu : Il y a même des compliments qui font mal !

Fonky Flav : Par exemple : super instru de Hologram Lo sur le freestyle « PSM »… Alors que c’est un truc archi-connu de Timbaland.

Nekfeu : Il y a des gens qui pensent connaître le rap alors qu’ils ne connaissent rien…

Areno Jaz : Les compliments qui me font le plus mal sont ceux du type « t’es le meilleur de 1995, ton projet est mieux que La Source et La Suite »… Je leur réponds que ça n’a pas le même but et que c’est incomparable. A l’échelle du rap, La Source et La Suite sont forcément mieux parce qu’ils ont ramené mille fois plus de choses.

A : Mais on a le droit de penser le contraire quand même.

Areno Jaz : Bien sûr et big up si c’est le cas mais le dire, le répéter… Des fois, j’entends limite des trucs du style « toi, tu ne vends pas ton boule comme Sneazzy »… Ils attendent que je les checke quand ils me disent ça ?

Sneazzy : C’est vrai que j’ai sorti quatre albums solos qui sont tous passés sur NRJ et que je suis ultra blindé [Sourire].

Areno Jaz : Parfois, je lis des choses et je me dis qu’ils ne comprennent pas ma musique si c’est ce qu’ils pensent réellement.

Nekfeu : Nos alliés nous desservent en fait [Sourire].

Fonky Flav : Ceci dit, il y a énormément de gens qui nous soutiennent, qui nous comprennent et c’est ce qui compte le plus.


Outro : Les 30 minutes étant écoulées, il nous faut donc laisser la place aux prochains intervieweurs. Non sans savoir légèrement débordé en off avec Nekfeu, Areno Jaz et Lo’ sur la critique et l’incompréhension qui pouvait parfois exister entre médias et artistes. Si les membres de 1995 sont désormais des artistes à part entière, ils n’en demeurent pas moins des auditeurs assidus de rap qui continuent à suivre les médias qu’ils aimaient lire avant de figurer sur leurs pages d’accueil. Pas encore totalement immunisés contre les chroniques et articles négatifs, il leur arrive d’être à fleur de peau face à certains papiers, notamment lorsque ceux-ci proviennent de médias spécialisés. En effet, si les articles les plus élogieux à leur encontre proviennent régulièrement de magazines généralistes, ils s’écartent volontiers de l’image de groupe cool du moment, Nekfeu plaçant d’ailleurs deux remontrances bien senties aux hipsters sur le disque. Celui-ci ne cachant pas son étonnement devant les réactions de certains auditeurs qui reprochent exactement au groupe ce qu’ils appréciaient en premier lieu. Paris Sud Minute débarquant aujourd’hui dans les bacs, il a pour mission d’être le disque capable de réconcilier les fidèles du groupe avec ceux qui en ont été déçus. Si la prudence nous empêche de trop nous avancer après une unique écoute, on peut d’ores et déjà affirmer que c’est plutôt bien parti.

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