Chronique

Tom Caruana
The Wu Tang vs The Beatles : Enter The Magical Mystery Chambers

Tea Sea Records - 2010

Le Net garde ceci de magique qu’il offre l’opportunité à des producteurs anonymes de faire connaître leur travail, et de manière parfois surprenante lorsqu’ils y intègrent avec réussite des sons ou a cappella mythiques. Résolument passionnés ou complètement intéressés, ces bootlegs, aujourd’hui devenus légions, trouvent généralement un écho proportionnel au public de base des artistes ainsi recyclés. Le meilleur exemple restant Danger Mouse et son Grey album, qui aura inauguré en 2004 le mélange des genres en créant un crossover entre deux albums cultes dans leur genre respectif : le Black de Jay-Z et le White des Beatles. Si cela l’avait instantanément propulsé sur le devant de la scène, occultant presque l’album lui-même, il avait également ouvert une véritable boîte de Pandore pour les beatmakers de chambre…

Six années plus tard, un autre Anglais, Tom Caruana, décide de suivre le sillon creusé par son compatriote en s’engageant un peu plus loin encore. Avec ce Wu Tang vs The Beatles, s’il fusionne des artistes aux styles résolument différents, il élargit surtout sa démarche aux imposantes discographies d’entités qui auront marqué leurs époques. Allant piocher dans des succès planétaires ayant traversé les décennies, de Liverpool à New York.

Concept peut-être pas plus innovent que d’autres, mais se démarquant clairement par sa qualité, son sens du détail et sa surprenante cohérence. La réussite de ce Magical Mystery Chambers semblant tenir au fait que Tom Caruana, en plus de rapper, est avant tout un producteur multi-instrumentiste, professeur de musique dans le civil, et jouant à la fois de la batterie, de la basse, de la guitare, en plus de toucher à différents types de claviers. Mais à l’inverse de ses albums remix sur Large Pro et MF Doom, il ne se contente pas ici de sampler mais de rejouer intégralement les mélodies des Fab Four, allant chercher une harmonie entre deux styles opposés pour les mêler de manière brillante en se libérant des contraintes du sampling.
Et c’est ce qui rend cet album si homogène, avec une identité propre. Pas une simple superposition de styles, d’époques ou de publics, où le seul intérêt ne résiderait que dans la démarche d’associer deux monuments de la musique. Et les quarante mille personnes ayant téléchargés l’album dans les deux premières semaines témoignent que les amateurs du Wu ont su y trouver un intérêt certain.

Évidemment, si le résultat semble être à la hauteur de l’ambition du projet, il n’évite pas quelques écueils propres à ce genre d’exercice, ramenant ce bootleg à ce qu’il est : une entreprise à l’alchimie complexe. Mais les éclatantes réussites que sont ‘C.R.E.A.M.’, ‘Labels’ de GZA, ‘Cross my heart’ de Killah Priest, ‘Smith bros’ de Raekwon, ou encore ‘City high’ de Inspectah Deck, sont autant de titres marquants qui n’ont que peu à envier aux productions originales de RZA. Et, s’ils côtoient quelques titres plus anecdotiques, dans leur ensemble les a cappella ont été judicieusement associés à des mélodies rejouées pour les ambiances qu’elles apportaient à des morceaux certifiés « classiques » depuis quinze ans.

En mélangeant le noir et le blanc, Danger Mouse avait obtenu un gris évident, là où Tom Caruana parvient à créer avec Enter The Magical Mystery Chambers un assortiment aussi coloré que sa pochette. Et, s’il n’est forcément fatalement pas cohérent sur ses vingt-sept titres, il incitera peut-être les fans de chacun des deux genres à se pencher sur l’univers de l’autre. Démontrant l’espace d’un album que deux cultures, deux époques et deux définitions d’apparence antipodiques peuvent se rencontrer aux confins d’une même passion. Bien au-delà du buzz qu’il aura créé, préparant au mieux la sortie du prochain Grand Agent qu’il produit intégralement, ce sera là sa plus grande réussite.

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