Chronique

Le Vrai Ben
Suicide Commercial

Logilo Prod - 2009

« Installez-vous confortablement et laissez-moi vous souhaiter un agréable suicide commercial ».

S’il faut chercher une mauvaise nouvelle dans ce premier album solo du Vrai Ben, c’est dans le contenant. Ou plutôt dans son absence. Sortie exclusivement numérique, au moins pour l’instant, Suicide commercial n’existe pas dans un bon vieux format physique bien dur qui se tripote avec les doigts. Gain de place, c’est sûr, mais pas le plaisir de l’objet. Pour ce qui est du contenu en revanche, on est gâté.

L’aventure Puzzle semble avoir laissé des marques. Non seulement deux ou trois allusions dépitées parsèment l’album, mais aucun autre rappeur du groupe n’apparaît en featuring. « J’croyais qu’un groupe me pousserait, ça m’a bloqué à terre / J’croyais que l’amour me sauverait, j’ai failli m’foutre en l’air… ». Allez pleure pas Jeff, t’es pas tout seul. Bon, il faut dire que leur second album Viens m’chercher, pourtant très bon, n’avait pas rencontré le succès auquel il pouvait prétendre. Ça n’empêche pas l’ancien membre du groupe de rendre hommage à ses anciens compères par scratchs interposés, notamment dans l’intro. Pour le reste, à l’image de son excellent titre et du vrai/faux blaze de son auteur, Suicide commercial est un album à la fois marrant, rentre-dedans et désabusé. Le tout dans un style à la fois classique (vu l’influence revendiquée du boom-bap des années 1990) et hors des sentiers battus (vu l’acharnement avec lequel cet héritage, l’alliance originelle du sample et du scratch, est menacé d’enterrement sous la pelle des programmations machinales).

Côté textes, le Vrai Ben s’affirme sans doute comme l’une des plumes les plus solides du rap français. Son ton mise tour à tour ou simultanément sur l’ironie, le ressentiment, la dénonciation, le j’m’en-foutisme ludique, avec des punchlines par wagons entiers. Et pas mal d’habileté, puisque même l’exercice de style particulièrement casse-gueule de ‘Meubler la conversation’ (un enchaînement de calembours domestiques) est adroitement exécuté. De même, quand le rappeur parisien traite de thèmes convenus – racisme électoral sur ‘C’est l’histoire d’un mec (avec Coluche à l’appui), nostalgie amusée sur ‘Retour en 98’ et ‘Je me rappelle d’une époque’, mœurs barbares sur ‘Planète guerre’ (avec sirène apocalyptique en arrière-plan), dégradation du niveau du rap un peu partout – il les revisite en faisant d’abord un pas de côté. En assumant par contre-pied son identité de rappeur blanc de centre-ville qui « arrive salement vers la trentaine » (« J’dois l’avouer j’en suis navré mais je ne suis pas un cliché / Je n’ai jamais braqué de banques ni fait de prison OK ? / Je ne suis ni une femme battue ni un handicapé mais si ça intéresse encore quelqu’un, moi, je sais rapper… »), sachant que dans le rap, les riches et les pauvres ne sont pas toujours ceux qu’on croit…

« J’rappe, pour les miens, les tiens aussi, pour les meufs, les dep’, les bourges, les travs, les poucaves et les fils de keufs / Je chante pour les exclus en somme, sauf que moi je n’en exclus personne… ». Bêtise marchande (« Si tout est bon à vendre, c’est que tout est bon à jeter… »), hypocrisie sentimentale, connerie du rappeur moyen ou simplement expression d’une anxiété personnelle : propos à chaque fois servis par une voix claire et un flow net et précis. A qui lui reprocherait une interprétation monocorde, il répond en faisant preuve de pas mal d’inflexions le long d’une palette assez étendue. Pas grand-chose à voir entre le débit tout en progression de ‘Aucun rappeur’, celui plus détendu de ‘C’est ça’, la narration distanciée de ‘L’homme postmoderne’ et la voix caressante et menaçante sur le morceau qui clôt l’album, ‘Minivan’, où le rappeur emmène une personnification du rap faire un vilain tour en forêt, sac congélation à la main. Au passage, la double combinaison avec Yahlane fonctionne très bien.

L’album est aussi impeccablement bien produit. Ça commence pourtant en petites foulées, avec une prod’ de Drixxxé qui, un peu trop dans l’air du temps, tranche un peu trop avec le reste de l’album, très homogène, et se révèle finalement la moins convaincante du lot. On aurait préféré avoir droit au morceau ‘666’, produit par DJ Sayem. Dans la foulée des deux albums de Puzzle, on sent immédiatement la patte de Logilo, bien épaulé par Ton & Jon sur trois titres. Moisson de soul et de jazz, un soupçon de funk, beaucoup de cuivres, avec ce sens de la boucle qui fait qu’on accroche sans mal à la plupart, voire à tous les morceaux, à commencer par la boucle qui démarre ‘Règlement de compte’ et son texte, comme souvent, mi-ironique mi-désabusé.

Cerise sur le gâteau, l’omniprésence des scratches ; ou ce qui devrait être relativement banal devient précieux. Les platines ont la part belle, que ce soit au début et à la fin des morceaux ou en guise de refrains (comme sur ‘La vérité’). Quelques ricains, mais surtout des voix françaises, parmi lesquelles Fabe, D. Abuz, Triptik, La Cliqua, les X-Men, Dany Dan, Rocca, Don Choa, Shurik’n ou Oxmo, parmi bien d’autres. Musicalement, ça fait une très grosse différence, et ça achève d’emporter le morceau. Un très bon début pour se mettre au téléchargement légal…

« Commercial est notre suicide / Logilo et moi pour l’amour du bide / Le monde est hardcore poto, les gens sont cupides / J’croyais qu’je faisais une dépression, j’étais juste lucide… »

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