Chronique

Rick Ross
Deeper than rap

Def Jam Recordings - 2009

Deeper than Rap est le véritable tournant de l’histoire “Rick Ross”. Après avoir écumé les eaux troubles infestées de requins à grand coup de hits imparables, le gros bonhomme de Miami peinait à réaliser un album complet, construit et cohérent de bout en bout. Quelques bribes de ses précédents albums approchaient la fulgurance mais redescendaient fatalement face aux limites lyricales du Ricky, engendrant de nombreux morceaux dispensables. La star de Floride devenait alors la cible favorite du rap, remettant en cause ses performances au microphone mais aussi le fameux critère de la crédibilité.

Car Rick Ross a construit son univers musical sur le grand retour de la criminalité dans le rap. A l’instar de Young Jeezy ou T.I. explosant à la même époque, il glorifie la vente lourde de stupéfiants, le romantisme du dealer de masse y ajoutant cette petite touche du Miami des années 80 avec Tony Montana, Crocket & Tubbs et tous les accessoires en prime. Depuis le début, il marche sur un fil minuscule entre réalité et fantasme, grand banditisme et cinéma. Et lorsque le monde entier découvre qu’il fut une sorte de gardien de prison dans ses jeunes années, le mythe en prend un coup. Attisé par 50 cent, empereur en la matière, la sacro-sainte crédibilité de la rue était détruite. Le personnage criminel explosait en plein vol, Officer Ricky prenait sa place. Tout était terminé ? Bien au contraire.

En plein milieu de l’adversité, Rick Ross force le destin, renaît entièrement de ses cendres et concocte son album le plus consistant d’une cohérence rare. Plus profond que le rap. Il prend le parti pris unique de développer un univers encore plus cinématographique, la bande son ultime d’une grande fresque mafieuse. Exit l’ambiance 80’s, Ricky remonte encore le temps avec une esthétique rappelant les belles heures des casinos de luxe de leurs crooners mouillés jusqu’au cou, des grandes familles italiennes réunies autour de gros fauteuils en cuir avec les meilleurs Havanes, les country clubs renommés, polo, golf et yacht toute l’année. Il passe de Michael Mann à Martin Scorsese sans ciller, dans la même énergie, la même capacité d’adaptation extraordinaire. Qu’il ait ou non un passé criminel digne de Pablo Escobar, il en incarne parfaitement les traits comme un De Niro transcendé par son rôle, l’illusion à son meilleur niveau, là où la réalité touche la fiction, où les histoires deviennent plus réelles que la vraie vie. Rick Ross est peut être le meilleur acteur de rap de l’histoire.

Forçant le trait, jouant à fond la musicalité imparable, Rick Ross marque aussi des points grâce à ses gros progrès microphoniques, trouvant le style qui correspond parfaitement à sa large voix posée. L’ouverture magistral “Mafia Music” en est la preuve directe. Sans refrain, sans artifice, il enfonce chaque rime, assène chaque mot comme une sentence implacable, une véritable vengeance froide. Ajoutant à cela un sens de l’esthétique et un bon goût certain concernant son choix d’instrumentaux, il développe sur cet album toutes les facettes qui vont devenir sa nouvelle marque de fabrique. Son univers évolue vers des structures plus classiques avec pianos, violons, cuivres et grande orchestration alors que le reste de ses pairs plongent dans le synthétique extrême.

L’ombre de Jay-Z plane indubitablement sur le disque, cette classe adoptée dès Reasonable Doubt et sublimée sur The Blueprint et dans une moindre mesure sur American Gangster. Deeper than Rap se rapproche d’ailleurs fortement de ce dernier, poussant l’idée cinématographique à son paroxysme et gardant cet esprit d’instrumentation complexe avec de nombreuses variations. L’équipe J.U.S.T.I.C.E. League devient alors indispensable, véritable orchestre virtuel qui donne toute cette dimension hors norme. Ils travaillent finalement une version améliorée de ce qu’avait pu développer les Hitmen de Puff Daddy au milieu des années 90, une musique de cérémonie moderne qui aurait pu être la BO de la scène de mariage ouvrant le premier Parrain de Coppola.

La première moitié de l’album est un monolithe incassable, d’une cohérence rare, où le Buddah du Rap croise le fer avec Kanye West, Lil Wayne, Nas, T-Pain ou John Legend, prenant toujours le meilleur de ses invités afin de les intégrer à son projet, à sa vision grandiose. Quelques escapes dans la suite permettent de toucher des styles différents, tout en étant à la recherche du single qui tue avec The Dream, Robin Thicke ou Ne-Yo, reprenant les recettes qui ont fait son succès. Mais ces petits changements de direction ponctuels n’entament pas l’ensemble, les morceaux étant toujours de bonne facture. Et il clôt le sujet en beauté avec la même violence calme et froide que l’ouverture dans le “Valley of Death” produit par Dj Toomp, toujours en grande forme, secondé par un “In Cold Blood” qui fait froid dans le dos. Toujours réussir l’introduction et la conclusion, Rick Ross a parfaitement appliqué la leçon.

C’est en améliorant grandement son niveau de rap et en faisant des choix musicaux durables que Rick Ross construit sa véritable légende sur Deeper Than Rap. Cet album sera d’ailleurs la première pierre de son label Maybach Music Group, mettant en place son futur empire, toujours versatile mais cohérent et complètement dans son époque. En choisissant de partir entièrement dans le divertissement et de se battre sur le terrain musical, Rick Ross a gagné sa bataille de crédibilité, devenant indispensable à la musique actuelle. Deeper Than Rap est la révélation, l’album d’une nouvelle génération d’artistes tournés vers le divertissement pur, plus attachés au cinéma, à la fiction et ses possibilités qu’à la réalité souvent banale, manquant de panache. En développant cet univers sans complexe et sans étiquette, Rick Ross participe à la création de l’archétype de la mégastar des années 10.

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