Chronique

House of Pain
Same As It Ever Was

Tommy Boy - 1994

Same As It Ever Was est à House of Pain ce que Black Sunday est à Cypress Hill. La magie en moins, sans doute. Mais la recette de ce dernier est déclinée ici selon les mêmes principes : DJ Muggs chapeaute le boulot, et ça se sent. Replantons le décor. Dans la première moitié des années 90, le collectif des Soul Assassins est l’un des quelques noms qui met à peu près tout le monde d’accord. Les trois entités qui le composent – Cypress Hill, House of Pain et les Funkdoobiest – sont bâties sur un modèle identique : un producteur/DJ, un rappeur principal, et enfin un rappeur en renfort, qui pose aléatoirement quelques couplets. L’entente partira assez vite en sucettes (on n’aurait pas fini de compter les cycles de séparations et de retrouvailles), mais en 1994, l’entente au sein des Soul Assassins est complète. Et les œuvres maison possèdent un point commun inhabituel : le deuxième album des trois groupes est à chaque fois le meilleur. D’où Black Sunday, Brothas Doobie et ce Same As It Ever Was injustement jeté aux oubliettes.

Curieux parcours que celui des House of Pain, à l’image de la trajectoire improbable de son leader Everlast – voilà un mec qui a su choisir son pseudo – passé du rap hardcore vaguement identitaire à des solos crossover qui alternent le meilleur (au début) et le pire (à la fin), avec au milieu de tout ça des phases de trous noirs qui sentaient la cellule de dégrisement. La carrière du groupe a démarré fort, sous la houlette d’un parrain de poids, le Rhyme $yndicate d’Ice T, et aux côtés de Divine Styler. Mais elle ne confirmera jamais, noyée dans la bière de table et la rubrique des faits divers. Tout s’est passé comme si House of Pain avait fini étouffé dans son propre hit planétaire, ‘Jump Around’. Le troisième et dernier LP, Truth Crushed To Earth Shall Rise Again, tentait un baroud d’honneur en balançant un single efficace, ‘Fed Up’, qui invitait Guru. Mais la plupart des autres titres ne tenant pas la route, l’ultime tentative s’est transformé en bout du rouleau. Dans ce parcours chaotique, Same As It Ever Was est l’îlot de stabilité et le morceau de bravoure.

La pochette, déjà, fonctionne comme un symbole. Pas un boxeur au visage de conte de fées, qui lève les bras souriant après la victoire. Non : une trogne tuméfiée à force d’encaisser les coups, qui mange une mandale dont on devine qu’elle n’est pas la première de la série. Derrière sa couverture, l’album a les qualités de son illustre référence : Same As It Ever Was est compact, sombre, pluvieux, abrasif, brutal, déglingué. Oubliez les dance-floors : c’est un parfum de cimetière qui escorte le terrible ‘Back From The Dead’ et sa trompette martyrisée. Everlast efface son nom des pierres tombales et déterre la hache de guerre. Tout est à l’avenant : batteries funèbres, boucles de cuivres poussiéreuses, sirènes torturées, basses bondissantes (‘Runnin’ Up On Ya’), refrains simplistes (et efficaces). Ca ne rigole pas ; c’est brut et jouissif.

Everlast a occupé quelque temps les premiers rangs des rappeurs vannés pour leur style, disons, rudimentaire. Son flow d’alcoolo rugueux et bourrin, ses textes à la limite du collégien attardé faisaient de lui une proie de choix. Pourtant, on a tellement décerné des médailles à bien pire qu’on est tenté de dire qu’il s’en sort ici avec les honneurs. Qu’il fasse dans le souvenir (‘Where I’m From’), la revendication agressive (‘Who’s The Man’) ou la ballade tragique (‘It Ain’t A Crime’) sa voix éraillée et son flow rentre-dedans épousent parfaitement l’atmosphère des productions. Ce qui fait qu’on est plus qu’heureux de retrouver Everlast après les prestations négligeables de son sparring partner Danny Boy, ou la tentative scolaire de Diamond D sur le titre qu’il produit, ‘Word Is Bond’.

Avec lui, Muggs et Lethal sont au sommet de leur art. A l’oreille, pas facile de distinguer la patte de chacun des lascars. Mais l’influence écrasante de Muggs ne fait aucun doute, tant la construction sonore recycle ses recettes de l’époque. Ainsi sur ‘Who’s The Man’ avant le dernier couplet (avec Lethal à l’exécution) : le refrain s’arrête, puis l’instru le prolonge ; break, la voix qui reprend sur la basse, puis la batterie. Classique et sans bavures. Qui aime Black Sunday ne pourra y rester insensible : le morceau ‘Same as it Ever Was’ rappelle immédiatement ‘Insane in the Brain’. Preuve que DJ Lethal seul ne démérite pas : il balance en guise de conclusion une excellente version de ‘On Point’, tout en roulements de caisse claire, et fait de ‘All That’ un vrai bon interlude.

Il y a donc quelque chose à sauver de House of Pain. Ni déchets ni fioritures. Ni intro, ni outro : juste deux pauses enfumées pour reprendre sa respiration. Dix ans après, rien de démodé, bien au contraire : Same As It Ever Was s’écoute en boucle.

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