Chronique

Escobar Macson
Résurrection

Autoproduit - 2006

« La vie est brève et demande pourtant beaucoup de patience« , disait Ali.

Il y a les MC qui annoncent sans cesse le Grand soir – depuis le temps, ladite journée commence à être longue. Et puis il y a les MC qui font. Escobar Macson est un MC qui fait. Plaisir. Vraiment. « T’as rien saisi, mange une bastos et pionce : dans la mort toutes les questions de la vie trouvent une réponse. » Les yeux saturés de mots et de sang, les oreilles débordant de maux, de sens et de sons, notre génération se demande régulièrement si elle n’a pas fait le tour de la question – et puis elle ouvre un livre de Michel Serres et revient soudain à plus de modestie.

« Comment mordre la vie à pleines dents s’il t’en manque six ? » Lorsque les problèmes d’une société génèrent autant de grilles de lecture que la nôtre et si peu de clés pour les ouvrir, le recours au bon sens a parfois du bon sur le chemin d’un début de solution. Voici venu le temps des ministères de l’Immigration et de l’identité nationale ? « J’ai le cul entre deux chaises : je m’en fous il est assez large« , explique le villetano-kinois. L’époque est aux hymnes, à toute heure, en tous lieux et à pleins poumons ? « Tout ce que j’ai retenu de la Marseillaise c’est « Aux armes citoyens ». » Le ras-le-bol de la repentance et l’incitation à la fierté d’être en bleu, blanc, rouge ? « Je porte le drapeau depuis que mon cœur a déteint sur ma peau. »

« Je ne suis pas entré par la fenêtre : trois chassés et j’ai niqué la porte« … « Il faut que je prenne les devants pour pas qu’on me prenne le derrière« … « Moi je ne confonds pas la bite et le biberon« … En 27 titres dont un caché, le street album Résurrection sent bon le piment et le manioc (« Si on pleure c’est que ça pue les oignons », « comprends pourquoi on parle aux gens comme on fait la cuisine »). 63’19 d’inédits, de lives, de reprises et de faces B mixés par DJ Hamdi suffisent à Esco pour y confirmer les promesses entrevues en 2005 sur l’album d’Ali ou sur la compilation « Sang d’encre haut débit » de Jean-Pierre Seck. Le pedigree ? Cœur zaïrois (‘Mein keinf’, fallait oser), mental colombien (« le premier qui rit, canne-le« ), 100% friand des invectives péjorativement féminisantes (« Bande de pisseuses« , « dans le rap les bouches sentent le pénis« , « on ne se vouvoie plus alors qu’on n’a pas encore baisé« ) : le charcutier peut remballer sa meule, Monsieur Macson s’occupe de la barbaque.

Un coffre bestial – n’est-il pas « l’enfant lavé à l’os de gorille » ? -, une élocution limpide et un humour en apparence gratuitement carnivore, à l’abord surviolent (« Tourne ta langue sept fois avant que je la bouffe », « parle mal et je deviens ton dentiste d’un coup de tête plongeante« ) mais pas exempt de poésie, loin s’en faut : « Tu fais le 17 ? Mais ce que t’es naïf ! Donne-moi le parapluie, gicle les sangs, on sue sous le soleil, sens dessus dessous, l’œil rouge comme un paraplégique. Présent aux mariages comme aux enterrements, un jour on pleure, un jour on rit, c’est consternant. Le drame enfanté, le diable a chié, je suis le résidu. Comment chanter quand le sheitan est enchanté ?… » Voici belle lurette que les meilleures plumes du pays s’échinent à dresser le constat le plus juste de l’évolution de nos sociétés. Escobar Macson, lui, fait d’ores et déjà partie de ces artisans à qui l’auditeur a envie de demander un devis. « Un monde perverti, vicieux, la punition du sous-sol et des cieux »… « Je prends la plume à défaut de prendre le revolver« … « Fais-toi beau pour voir le Seigneur, un nœud de cravate avec une corde« … Fascinant et au moins aussi pertinent qu’une décennie de pages Rebonds dans « Libération ».

« J’ai l’œil gauche dans l’anus, donc baisse les yeux car j’ai le regard qui pue » : lors de l’interview qu’il avait accordée en 2006 à ce site, Ali avait poliment décliné l’appel du pied l’encourageant à constituer un duo avec Escobar. Entrevue dans ‘L’impasse’, la complémentarité entre les deux hommes n’était pas sans rappeler celle du défunt duo qu’Ali formait avec Booba depuis l’époque du ‘Crime paie’. C’est d’ailleurs non sans malice que Macson se paie le luxe de clore lui-même une phrase qu’il estimait sans doute incomplète : « Le crime paie plus que l’intérim« . Crime de lèse-majesté envers l’une des sentences-pivot de la décennie écoulée ? L’homme n’est plus à ça près, lui dont l’un des principaux mea culpa du disque est d’avoir « cassé la table en posant [ses] couilles dessus« .

Côté instrus, quasiment toute la B.O. de Scarface y passe, entrecoupée d’un bon demi-millier de coups de feu, de crissements de pneus et de documentaires à la gloire de Pablo E., célèbre philanthrope de Medellin abattu de 12 balles le 2 décembre 1993. A l’aise sur tous types de beats du moment que sa voix n’est pas sous-mixée (cf. ‘Sexe et violence’), Esco sort indemne de l’instru de ‘C’est le Téhéran’ ou de celle de ‘Makila’, ce qui n’était pas forcément acquis dès le départ. Pompon du genre : ‘De l’argent ou du plomb’ et le freestyle ‘Dernier avertissement’ (« ça va saigner comme un feat entre Jenifer et Guy Georges« ) : l’impression d’être en face de prods nées pour échapper à tout contrôle, et qui se retrouvent coincées entre les trois murs d’un cul-de-sac et le mètre 90 et les 103 kg du MC de Villetaneuse. DJ Hamdi, Geraldo, Fred Dudouet, Shad, Rani, Malor ou Man X ont beau se munir de casques et de protège-tibias : les instrus défilent et s’encouragent mutuellement les uns après les autres, Escobar les fracasse un à un.

« C’est pire qu’un carton en autocar » : chaque pays engendre la génération qu’il mérite. « Ensemble, tout devient possible« , disait un candidat à l’élection présidentielle 2007 ? En un contre un et à mains nues, en tout cas, l’issue du combat semble devoir se jouer à hauteur de ceinturon (« des sueurs jaunes dans le caleçon« , « à cette heure-ci ça passe du tigre à la chèvre » prévient d’ailleurs Macson)… L’intro et l’outro sont appelés à figurer dans les annales du genre, avec des dialogues extraits de films comme L’enfer des zombies, Predator II ou La crypte. Toujours dans le registre horrorcore, les morceaux ‘Peur sur la ville’ (featuring Drive by Firme) et ‘Prélude de caille’ (featuring K.Lybr et E.Dash) – dont le sample renvoie à ‘Sérénade’ de La Cinquième Kolonne – sont à deux doigts de valoir à leurs auteurs l’étiquette de French Gravediggaz. Musicalement et vocalement, le reste du répertoire est cependant suffisamment varié pour mesurer combien une telle étiquette serait injustement réductrice. Entre 1998 et 2006, dates entre lesquelles les 27 morceaux ont été enregistrés, il est d’ailleurs étonnant de voir combien le flow d’Escobar a évolué, passant d’un sous-Oxmo (‘Les quatre Darkvadors’, ‘Mon destin’, 1998) à une personnalité autrement plus construite et carrée (‘Rimes et tragédies’, 2006), annonçant avec quelques mois d’avance ‘Le braquage du siècle’, monstrueux couplet lâché début 2007 sur « Patate de forain », l’album de Seth Gueko… Evoquer les invités ? Ce serait en effet fair-play, mais le MC d’en face est déjà si écrasant… Le fréquent recours au lingala donne par ailleurs déjà une sévère nostalgie de ce qu’aura pu être la France d’avant l’immigration choisie.

(« J’ai tellement goûté le bitume qu’on croit que je suis maçon »)
(« ça lit les livres sacrés à l’envers et joue les prodiges »)
(« n’accuse pas la canicule, j’ai mis le chauffage »)
(« si tu me portes l’œil, je te crève l’autre »)
(« arrête de sucer, mon sexe s’use »)
(« si je suis là c’est qu’il n’y a plus de place en enfer »)
(« tu vas porter le deuil jusqu’à ce que t’aies mal au dos »)
(« les poches vides, ça sert à rien comme les couilles du Pape »)
(« je le jure sur ma vie, une main sur le cœur, l’autre sur la ferraille »)
(« La haine ? C’est sûr je l’ai ; si la vengeance est un plat qui se mange froid je suis le roi du surgelé. »)

« Escobar Macson, MC de Villetaneuse (93), d’origine zaïroise né en France en 1980. J’ai commencé le rap en 1998, j’avais 18 ans. Apprécié par le label Menace Records, j’y atterris en février 1999 sans y sortir un album ni maxi et ce pendant plus d’un an. Je quitte le label à l’été 2000 pour opérer avec un collectif de rappeurs, Drive By Firme, composé de 3ème Degré (Rani & Jozahaf), Awanza, DJ Hamdi et moi même. En 2002 je signe un contrat dans un label indépendant, Calibre Plateforme, dont le gérant, K.Lybr, est un ami. Nous resterons deux ans ensemble à préparer en « sous-marin » mon album, La Négrociation. Suite à ma prestation sur la compilation Sang D’encre Haut Débit de Jean Pierre Seck, ex-membre de 45 Scientific, j’intègre cette grande écurie avec l’accord de Calibre Plateforme. Le mauvais sort s’acharne sur moi, car de ma date de signature (2004) à celle de mon départ (septembre 2006), je ne sors RIEN ! Mon street album Résurrection, que j’ai produit, mixé par DJ Hamdi, sort à mon insu sans aucune promo lors de mon absence à l’étranger, donc je ne t’explique pas la surprise et la colère ! D’où mon départ de 45 Scientific. Aujourd’hui, la structure Makila Mizik (Musique sanglante en lingala) est en train de voir le jour, sous laquelle sortira Vendetta, mon second street album, à la rentrée 2007 pour rectifier le tir par rapport au précédent. Les featurings sont Lalcko, Drive By Firme, Seth Gueko, Black Jack (Démocrates D), Section Criminel, Frères Forts… La finalité étant la sortie de l’album L’Esprit du Clan début 2008. Rien ne pourra m’arrêter, même pas l’amputation, tant que je n’aurai pas sorti tous mes projets. Et là seulement je pourrai mettre un coup de pied au hip-hop et faire autre chose. »

« La vie est brève et demande pourtant beaucoup de patience« , disait Ali.

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