Chronique

1995
La Suite

Universal Music - 2012

Pour illustrer La Source, les six membres de 1995 avaient opté pour une photo prise sur le toit d’un immeuble, probablement en écho aux multiples freestyles qu’ils avaient lâché dans les rues parisiennes. Le groupe semblait à tout prix vouloir jouer la carte de l’authenticité et les huit morceaux sortis à l’époque confirmaient cette tendance. Il leur aura fallu neuf mois pour donner un successeur à ce premier opus. Neuf mois, c’est le temps nécessaire pour finir d’installer définitivement 1995 dans le paysage rapologique français et d’en faire un acteur désormais incontournable. Une ascension record qui aura connu son apogée avec une tournée nationale fin 2011 qui les a vu faire salle comble à chaque concert. Assez logiquement, La Suite témoigne de cette évolution, visuellement d’abord puisqu’on les retrouve dans une chambre d’hôtel à siroter du champagne sur la pochette de l’EP. Dans leurs textes ensuite puisque Nekfeu a, par exemple, pris conscience qu’il existe des « mini-cons qui l’idolâtrent » et Fonky Flav, sur « Comme un grand », se rappelle déjà du chemin parcouru. Lorsque La Source était sorti en juin 2011, ce premier projet avait quelque peu fait figure de pétard mouillé. Trop linéaire et manquant singulièrement d’intensité, il avait disparu de nos iPods aussi rapidement qu’il les avait investis. Le défi avec ce deuxième projet était donc de les réconcilier avec le public rap traditionnel qui semblait de plus en plus déconnecté de l’engouement sans précédent autour du groupe sans pour autant s’aliéner leur base de fidèles.

La Suite apporte déjà une confirmation, voire une révélation si certains en doutaient : DJ Lo est un membre à part entière du groupe et l’entité 1995 se porte bien mieux lorsque c’est lui qui est derrière les machines. Si Juliano avait la main mise sur la majorité des productions de La Source, DJ Lo constitue ici la principale satisfaction de ce deuxième projet. Pas de fausse note et quelques vraies réussites, il fournit le terrain de jeu parfait aux MC’s, un boom bap nostalgique sans être passéiste pour autant. Déjà à l’origine de « La Source », premier single du EP éponyme, il récidive ici avec un titre de célébration qui n’est pas sans rappeler les grandes heures des Sages Poètes.

L’autre satisfaction, c’est incontestablement la liberté que commencent à prendre les rappeurs au micro. Alors qu’une crispation était sensible sur leurs premiers morceaux et qu’une constante envie de trop bien faire agissait davantage comme un poids que comme une source de dépassement, un titre comme « Bouffons du roi », entreprise hardue dans laquelle ils s’imaginent poursuivis par des rappeurs zombies, montre qu’ils n’ont plus peur de s’amuser au micro. On retrouve d’ailleurs ce brin de folie sur « Rénégats », sûrement l’un des meilleurs titres de La Suite qui aurait mérité de bénéficier d’un mixage un peu moins hasardeux.

Malgré cela, on ne peut s’empêcher de ressortir de l’écoute avec le sentiment d’être en face d’un curieux paradoxe : si le groupe semble se connaître à la perfection sur scène, aucune véritable alchimie ne transparaît sur disque. Pire, les cinq MC’s se neutralisent constamment, si bien qu’aucun couplet ne parvient à rester dans les mémoires. Constat d’autant plus étonnant quand on sait qu’Alpha Wann est actuellement dans une forme olympique sur chacune de ses apparitions et que Nekfeu, malgré une tendance insistante à s’enfermer dans le même schéma de rimes, demeure un des rappeurs les plus prometteurs de sa génération. Il en va de même pour Areno Jaz qui passe ici inaperçu alors qu’il a récemment réussi à délivrer un premier EP solo de qualité.

Mieux réalisé que La Source, La Suite laisse néanmoins une impression mitigée. Comme si la puissance du nombre qui avait attiré les projecteurs sur eux commençait à s’épuiser et que les membres du groupe auraient déjà intérêt à privilégier leurs escapades solitaires. Hypothèse peu probable si l’on en juge par les premiers chiffres de vente franchement encourageants qui devraient leur permettre de poursuivre sur leur incroyable lancée. Et de partager la scène du Zénith le 23 avril prochain avec un certain Method Man.

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