Chronique

Oxmo Puccino
L’Arme de Paix

2009

Deux collaborations avec des anciens membres de la Star Academy, des phrases empruntées à Brel et Aznavour, un morceau qui sous-entend ouvertement que l’amour est bel et bien vivant, aucun rappeur en featuring et un disque ponctué de sourires réguliers à peine masqués: voilà, à peu près, ce que vous trouverez dans L’arme de paix.

« C’est pas encore défini, mais tout à l’heure on parlait de chanson populaire à la Aznavour, eh bien ça peut tendre vers ça. Finalement, c’est ce que les gens ont aimé dans mon premier album, du vif, du « tout de suite ». Donc je cherche un bon amalgame entre ça et quelque chose de plus dense, un bon mélange entre la profondeur et la légèreté. »

Oxmo Puccino à propos de son prochain album lors d’une interview accordée à l’Abcdr et publiée le 03/10/2007.

J’imagine assez facilement ce que les médias généralistes pourraient penser de L’arme de paix. Le cinquième album du MC « plus mortel qu’un cimetière » sera sans aucun doute qualifié d’album de la maturité, sorte de synthèse idéale des expériences précédentes du rappeur. Propulsé en à peine une dizaine d’années de Time Bomb à Blue Note, le rap d’Oxmo serait enfin passé à l’âge adulte, définitivement affranchi des codes régissant le rap et s’exprimant enfin pleinement en tant qu’artiste à part entière. Mais L’arme de paix n’est rien de tout ça. Depuis le titre et son jeu de mot à l’inspiration enfantine jusqu’à la pochette qui montre un Oxmo pour la première fois sans pudeur, n’hésitant pas à verser une larme (« Regard glacial car nos larmes ont trop hiberné, Laisse donc l’oeil saigner » disait-il, déjà, sur ‘Le parcours d’une larme’ en 2002), Oxmo semble avoir mis de côté la gravité qui le caractérisait au profit d’une bonhomie douce amère et ramène, au moins le temps d’un disque, l’insouciance des plus jeunes années.

« Longtemps pendant mon jeune âge, je pensais que les usines faisaient les nuages »

Auteur avec L’amour est mort d’un album sérieusement candidat au titre du disque le plus sombre de l’histoire, Oxmo n’est pas connu pour caresser l’auditeur dans le sens du poil. Triste au point de paraître complètement dépressif sur certains titres (‘Demain peut-être’), le MC s’est souvent fendu de quelques phrases définitives (« L’amour ? Un sentiment sorti des égoûts » sur ‘Vision de vie’, 1998) laissant penser qu’en plus de l’amour, l’espoir aussi repose à la morgue. Loin pour autant de dresser le portrait d’un monde idéal, L’arme de paix n’en demeure pas moins un disque beaucoup moins dur, comme si Ox s’était détaché de ses démons antérieurs, préférant la naïveté du bambin aux soucis quotidiens de l’adulte. Le refrain de Sly Johnson sur ‘Tirer des traits’ symbolise parfaitement l’impression générale livrée par le disque : le constat de choses tristes voire profondément douloureuses (« Les rêves s’éloignent tu cours à leur poursuite, en vieillissant de moins en moins de plumes poursuivent« ) sur un ton enjoué, presque rieur. Tentative de décryptage du changement d’attitude en trois points.

Les femmes, les groupies et Oxmo.

‘Souvenirs’, ‘Le jour où tu partiras’, ‘Nous aurions pu’… Dans l’univers d’Oxmo Puccino, les histoires d’amour finissent forcément mal. La routine qui s’installe et toujours ce satané temps qui passe, la jalousie, les concessions qui font enfler la frustration… Sauf que là encore, Oxmo préfère désormais voir le verre à moitié plein. Ainsi, ‘J’te connaissais pas’ marque définitivement la rupture avec le ton de L’amour est mort. Là où Oxmo disait profiter des groupies (« Ta go c’est ma groupie, dès que m’assoupis elle s’accroupit » sur ‘Quand j’arrive…’, 2001), il les chasse aujourd’hui d’un revers de main, obligations conjugales obligent (« Maintenant moins de groupies à mes concerts, une bonne partie de mes coups de fils te concernent« ). Volonté de rassurer les auditeurs en cette période de crise ? Même pas. Abdoulaye s’est trompé et a simplement changé (« J’te connaissais pas, comme tant d’autres j’étais assuré, qu’aucune ne m’aurait dans la durée« ). Le risque de routine qui autrefois l’obsédait ne vient même pas freiner son optimisme saisissant. Cette fois, Oxmo paraît même prêt à envisager un happy end.

Le temps qui file, les occasions manquées et Oxmo.

Le Oxmo nouveau est arrivé ? En quelque sorte, oui. S’il est toujours aussi obsédé par ce temps qui file et qui en laisse tant sur le carreau, la problématique ne semble plus autant le perturber aujourd’hui, au point qu’il parvienne à en parler avec le sourire au coin des lèvres, presque avec sérénité. Sur ’24 heures à vivre’, Oxmo imaginait, avec quelques comparses, de quoi seraient fait ses derniers instants. Sur ‘Mines de cristal’ ou ‘Avoir des potes’, il rappelait à quel point les années qui s’écoulaient lui faisaient peur :
« J’ai dû apprendre à pardonner,
Vu le peu qu’il m’a tant donné,
Quand l’abandon te pend au nez,
Passent les années comme au café,
Tu vis de cap et d’épée,tellement enterré j’ai même pas 30…,
‘tendresse j’écris à mes potes,
Sans qu’ils soient zon-zon, tu sais le temps presse
Aigri à mon âge j’appréciais l’air gris, le choix est simple : se ressaisir ou moisir. »
Si cette préoccupation ne n’est pas miraculeusement envolée, il n’empêche qu’Oxmo n’en parle plus avec aigreur. Plutôt que de ressasser les occasions manquées et d’essayer de se battre contre des fantômes, Oxmo a accepté que le temps filait. Ceci étant acquis, il se demande maintenant « comment faire quelques heures de cinq minutes ».

Oxmo en 2009 : quel âge a t-il ?

Sur ‘A sens inverse’, Ox livre peut-être les clefs de cet album :
« La vie n’a pas de sens, j’ai fait le deuil,
L’impression de n’avancer que sur feuille,
Devant cette distance que l’on a creusé,
On essuie les yeux comme s’il pleuvait,
Je n’écris pas pour qu’on m’adore,
Ni pour qu’on soit tous d’accord« .

En une phrase, le sentiment de départ d’avoir affaire à un Oxmo enfantin s’évapore. Et s’il masquait derrière une candeur gamine le fait de s’être simplement rangé ? Lui qui dédicaçait Le cactus de Sibérie à « ceux qui sont d’accord » avoue avoir baissé les bras. Cette société qu’il vomissait, et qui le lui rendait bien au point de le marginaliser à l’époque de son deuxième album, a l’air d’avoir réussi à apprivoiser le rappeur. « J’ai surmonté mes erreurs, me tromper m’a rendu meilleur ». Lui qui redoutait plus que tout d’être contraint par les années à abandonner s’est essoufflé en cours de route. Volontairement, Oxmo a mis ses frustrations de côté et chanté, pour une fois, une partie de son bonheur sur disque.

« Le temps n’a pas déformé mes propos, ils mûrissent »  sur Le cactus de Sibérie

Si le changement de tonalité dans le discours est dû à une certaine forme de maturité, le postulat de départ est instantanément invalidé. La maturité serait donc un pont vers une forme d’assagissement voire de détachement. Oxmo en Cohn-Bendit du rap ? Lorsqu’il fustige les Zemmour en herbe sur ‘Masterciel’ (« Le rap une sous-culture mais quelle idée ?! Ce sont des propos de fils de canidés« ), il le fait presque mécaniquement, flow monocorde et voix lancinante en prime, comme s’il voulait à tout prix rappeler à qui l’aurait oublié qu’il fait encore partie de la grande famille des rappeurs. Un peu comme Dany le Rouge qui, de temps en temps pique une colère noire histoire de se rappeler ses plus belles années avant de cligner de l’œil sur son siège lors d’un énième meeting soporifique des Verts.

Divertissant et inoffensif. Quelques phrases toutes faites sauvées par une sincérité précieuse. On n’aurait pas pensé en dire autant d’un disque d’Oxmo Puccino et pourtant c’est le sentiment laissé par L’arme de paix. Si l’on met de côté l’escapade Blue Note, c’est la première fois que l’essentiel d’un album d’Oxmo Puccino n’est pas dans les textes. Enfonçant une fois de plus le clou dans son refus maintes fois répété depuis l’expérience avec les Jazzbastards de ne plus construire son album selon les méthodes traditionnelles (comprendre ici l’utilisation d’une boîte à rythme et d’un sampleur), Oxmo conserve la vibe et l’équipe de Lipopette Bar. Entre trouvailles ingénieuses (l’horloge de ‘365 jours’), livraison de mélodies potentiellement tubesques (‘Les unes, les autres’ et ce fredonnement féminin à l’efficacité publicitaire) et arrangements classieux (‘Véridique’), Vincent Taurelle, Vincent Taeger et Ludovic Bruni composent remarquablement l’architecture sonore de l’album en atteignant une symbiose quasi parfaite avec le rappeur sur certains titres (‘L’arme de paix’).

Si l’entracte que constituait La réconciliation avait donné l’occasion à Oxmo Puccino de se faire plaisir et de revenir avec succès à un rap plus « traditionnel », son dernier album concrétise un flirt entamé depuis un moment avec la chanson française. Force est de reconnaître que si le « Black Jacques Brel » cherchait à « tendre vers de la chanson populaire« , L’arme de paix est alors à considérer comme une réussite en proposant une sorte de fusion assez inédite entre la variété et le rap. Opportunité pour Oxmo de glaner d’avantage d’auditeurs mais risque également de perdre quelques uns de ses fidèles. Triste constat mais c’est comme si un Oxmo heureux engendrait des auditeurs frustrés.

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