Chronique

Wiz Khalifa
Kush and Orange Juice

Rostrum records - 2010

Au menu aujourd’hui : kush and orange juice, le petit déjeuner idéal pour débuter la journée selon Wiz Khalifa. Mise en ligne gratuitement en avril, cette mixtape qui pourrait très bien être un album – et qui est construite comme tel – a considérablement augmenté le buzz autour du MC de Pittsburgh. Pour autant, Wiz Khalifa n’est pas tout à fait un nouveau venu. Actif depuis 2005, il a sorti deux albums en indépendant et plusieurs mixtapes, dont How Fly en collaboration avec Curren$y. Le rapprochement avec l’ancienne signature de Young Money paraît d’ailleurs tout naturel au regard de leur passion commune et immodérée pour l’herbe. Dans Kush and Orange Juice, Wiz joue à fond cette carte de l’ambiance enfumée et bon enfant, proche de celle des albums de Devin the Dude. Cette mixtape se détache nettement dans la courte discographie du rappeur et est à ce jour son projet le plus abouti. Kush and Orange Juice donne cette curieuse impression d’être à la fois homogène et diversifié. Les morceaux y sont liés par leurs thèmes et par un groove éthéré, mais ils ne se répètent pas et sont tous facilement identifiables. Un équilibre rarement trouvé, et même rarement recherché, dans la tendance des albums touche-à-tout de ces dernières années.

Wiz Khalifa fait surtout appel à des producteurs maison, pour le moment tous plus inconnus les uns que les autres, et il s’est montré intelligent dans ses choix de beats. L’atmosphère sur Kush and Orange Juice est vaporeuse, remplie de voix lointaines, de synthés envoûtants, de beats hallucinés. Même sur les morceaux les plus énergiques, l’ambiance est détendue, sans jamais être soporifique. Wiz prend quelques fois des risques et s’aventure hors des sentiers battus. « We’re done » reprend ainsi sans complexe la musique de Camp Rock (film de Disney pour les teenagers). Dans « Good dank », le rappeur survole un bijou d’instru sans une seule percussion. Avec cette mixtape Wiz Khalifa s’affirme également davantage au chant et même si sa voix n’a rien d’exceptionnel, les mélodies de ses refrains sont plutôt convaincantes. Le temps d’un morceau sur la hauteur vertigineuse de son état de défonce, « Up », il ne fait même que chanter. Et si la mixtape est remarquablement produite, Wiz assure largement sa part de travail au micro. Sous son apparente facilité, la technique est bien rodée et c’est avec une insolence sympathique qu’il rappe ses couplets. Il parvient à alterner, ou à mélanger, la nonchalance, les flows saccadés et les flows plus mélodieux sans que cela paraisse forcé. S’ils sont rarement renversants, les textes sont astucieux, arrogants et plaisants à écouter. Il n’y a pas de temps morts sur Kush and Orange Juice, pas de réels déchets, et c’est sans doute ce qui est le plus impressionnant sur ce long format qui nous fait complètement oublier qu’il ne s’agit après tout que d’un projet gratuit.

L’identité musicale que le rappeur s’est créée au fil des années et son aisance sur tous types de morceaux sont de sérieux atouts pour se faire une place au premier rang, mais ce qui le distingue surtout de la masse des rookies prometteurs c’est son personnage. Le maigrichon à lunettes, avec sa figure joviale et son rire enfantin qui sent le chanvre, a un charisme certain. Auto-proclamé homme le plus tatoué du rap game, il a une solide base de fans appelée le Taylor Gang (à cause de son amour pour les Converse) dont le jeu sur la toile consiste à inventer des « Taylor Gang facts » dérivés du « Taylor Gang or die ». Il réussit même à faire parler de lui grâce à la vantardise la plus éculée qui soit dans le rap : être tout le temps défoncé. Il faut dire qu’il fait preuve de beaucoup d’application dans ce domaine, entre sa prétendue dépense hebdomadaire de dix mille dollars en weed et sa récente arrestation pour possession de drogue. Toutes ces particularités extra-musicales participent de l’effervescence autour de Wiz Khalifa et font de lui un rappeur aisément repérable, ce qui est plus qu’utile pour atteindre une audience mainstream. D’autant plus qu’il a pour lui un atout considérable : sa capacité à produire des tubes. Le récent succès de son premier single « Black and yellow » le confirme. Autre avantage, par le passé Wiz a déjà lorgné du côté de l’électro (avec notamment « Get sum » et « Say Yeah ») et a montré qu’il savait réaliser ce genre de titres accrocheurs sans que cela ressemble pour autant à des tentatives désespérées pour obtenir des passages radio. À l’heure où les crossovers électro sont à la mode, Wiz Khalifa tient là une occasion de plus de briller.

Le jeune homme semble en bonne voie pour être la prochaine rapstar propulsée par Internet. Conscient de l’intérêt qu’il suscite et sûr de lui, il s’est permis de décliner une offre de contrat de Rick Ross et a refusé de partir en tournée aux côtés de Drake. Il semble avoir toutes les cartes en main pour passer du statut d’espoir à celui de poids lourd, pour peu qu’Atlantic ne le fasse pas languir trop longtemps comme ils en ont pris l’habitude avec leurs rappeurs. Reste également à savoir si Wiz parviendra, au sein de sa nouvelle maison de disques, à conserver le contrôle de la direction artistique pour livrer un album de la trempe de cet excellent Kush and Orange Juice.

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