Chronique

Dutchmassive
Junk Planet

Freshchest Records - 2004

On attendait Celph Titled. Majik Most se faisait de plus en plus présent ces derniers temps. Et finalement, c’est Dutchmassive qui fut le premier membre du groupe floridien Equilibrium à se lancer dans la grande aventure de l’album solo. Annoncé depuis près de 5 ans, Junk Planet a enfin vu le jour, fruit de la prudence du MC de Tampa à la voix nasillarde, désireux de réaliser un coup de maître pour son entrée en matière, travaillant et retravaillant son œuvre durant toutes ces années afin de lui donner les contours d’un « classique » en puissance. Et indéniablement, patience et détermination ont payé : Junk Planet (ou Junk Planet 2000) a tout d’un grand.

Dutchmassive se résume ainsi : « I was stuck in 92« . Sa volonté à travers cet LP est de ressusciter cet âge d’or où ATCQ, De La Soul ou encore les Jungle Brothers tenaient le haut du pavé. L’intention est certes louable, mais nombreux sont les groupes qui, en tentant de concrétiser un projet similaire, se sont brûlés les ailes en confondant bon esprit et niaiserie, tombant dans le piège d’un ton trop léger pour être un temps soit peu crédible. Dutch a su magnifiquement éviter l’écueil, réservant quelques mesures pour placer des battle rhymes bien senties, et surtout en optant pour une écriture qui, bien que ne traitant pas de sujets prêtant réellement à polémique, garde tout de même une certaine consistance. Les journées passées dans le bus, la volonté d’arrêter de fumer de la weed, les petits tracas de la vie quotidienne sont décrits avec lyrisme, et ceux qui attendaient l’autoproclamée « City Bus Superstar » sur le terrain des punchlines et des phases obscènes dont ses collègues d’Equilibrium se sont fait une spécialité risquent d’être surpris.

Bien évidemment, on imagine bien qu’en grand amoureux de la Native Tongue, Dutchmassive ne déclinera pas de tels thèmes sur des sons bounces ou expérimentaux : comme il se doit, les prods sont très jazzy et cool, faisant généralement intervenir des nappes de cuivres ou des boucles de piano, sur des breaks de batterie plutôt lents. L’album présente un parfait équilibre entre instrus douces et mélancoliques (‘BusStopBuildingBlock’, ‘Dr Ama’, ‘Soul Searchin’) et beats plus entraînants et dynamiques (‘Evaporate’, ‘The Ego has landed’, ‘Just me and my Walkman’). Deeskee et Celph Titled, qui se partagent une grande partie de la production, brillent par leur efficacité : le premier, un jeune californien, s’impose comme un beatmaker à suivre de très près, tandis que le second a su parfaitement délaisser son registre habituel pour coller au mieux à l’ambiance de l’album.

Dès lors, si aucun maillon faible n’est à dégager du tracklisting, deux joyaux émergent : le premier, ‘Just me & my Walkman’, pourrait prétendre au rang de « classique » s’il bénéficiait d’une exposition conséquente. A défaut, on lui conférera le statut d’ »Underground Hit ». Sur une prod magnifiquement ficelée, Dutch raconte son amour pour la musique Hip-Hop à travers la relation qu’il entretient avec son baladeur, « The best Friend in the World« , qui lui a fait découvrir tous les monuments du genre. ‘Goonies’ et sa boucle de saxophone est tout aussi efficace. Le MC s’y essaie même à un refrain chantonné : « When will you see ? / I don’t wanna be nobody but me / We just tryna have some fun / We don’t mean to hurt anyone« . C’est simple mais ça atteint son but, ça reste logé dans la tête et n’en sortira pas pendant un bon bout de temps. Notons aussi quelques grands moments de boom-bap pur et dur, ‘It Gets Worse’ et ‘Crush your Interlude’.

Un autre ingrédient de la qualité du disque tient dans la flexibilité du floridien au micro : si on peut lui reprocher quelques intonations un peu suspectes, il apparaît à l’aise sur tout type d’instru, et sait parfaitement adapter son flow aux circonstances, rappant par moment de façon très posée (‘BusStopBuildingBlock’, ‘Dr Ama’) pour exploser plus tard (‘My own Shit’, ‘The Ego has landed’), s’illustrant même dans des phases plutôt techniques. Parallèlement, on appréciera le haut niveau des prestations des invités, célèbres ou non, et notamment sur les deux très bons posse cuts (‘It Gets Worse’ et ‘The Hook’) , réunissant des front-lines plutôt impressionnantes faisant visiblement fi des querelles intestines entre crews de la côte Est.

Au final, puisqu’il apparaît que personne ne s’attendait réellement à un tel bijou de la part de Dutchmassive, Junk Planet a tout d’une divine surprise : des prods de haut niveau, un MC efficace, une atmosphère propre et attractive, des invités en grande forme. Le MC de Tampa aura donc eu mille fois raison d’attendre avant de se lancer. Il parvient à ses fins, nous replongeant avec un plaisir communicatif dans la « golden era » du rap, tout en parvenant à imprégner l’album d’une touche très personnelle et d’un certain charisme. L’avenir nous dira si Junk Planet aura le succès de Midnight Marauders, référence ultime de Dutchmassive. Il serait extrêmement dommage qu’un disque d’une telle qualité passe inaperçu.

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