Chronique

Game
Jesus Piece

DGC / Interscope - 2012

Après The R.E.D. Album, on le pensait cuit, perdu pour de bon. Un rappeur moyen ne peut pas sortir indéfiniment de bons disques. On l’imaginait déjà mener une fin de carrière dans l’indifférence générale. Mais le bougre est tenace, il survit à tout. Tel un « Black Jesus« , il revient à chaque fois d’entre les morts. Pas différent, pas plus malin, mais toujours assez bon pour susciter l’attente et la satisfaire, au moins en partie. Dès la pochette (devenue entre-temps celle de l’édition deluxe), on est agréablement surpris. Il faut dire que pour un rappeur qui a l’habitude de poser avec des pneus de voiture, le changement est radical. A force de prendre du plomb dans l’aile, The Game en aurait-il pris dans la cervelle ? Serait-il devenu plus réfléchi ? Pas vraiment, non.

Aussi étrange que cela puisse paraître, Kendrick Lamar n’est pas le seul rappeur de Compton à avoir sorti un album concept en 2012. L’ex-membre du G-Unit s’est également lancé dans cette aventure ô combien périlleuse. Il y avait de quoi prendre peur. Heureusement, il s’est choisi un concept à sa portée : montrer qu’on peut avoir la foi tout en menant une vie de gangsta, avec les contradictions que cela implique. Concrètement, il débite la même chose que d’habitude sauf que les titres des morceaux sont à consonance chrétienne et que les productions sont à base de chœurs. Rien de bien spirituel donc, mais ce concept a au moins le mérite de donner une cohérence musicale à l’ensemble et de remettre le rappeur au centre de son disque. Ce qui était loin d’être le cas sur R.E.D., où les invités avaient toujours le dernier mot. Ils sont toujours aussi nombreux, mais The Game donne l’impression de mener davantage la barque que sur son précédent opus. Entre deux évocations de son pendentif étincelant à l’effigie du Christ et de ses voitures lavées à l’eau bénite, The Game justifie son concept, très ténu. Tout cela n’est qu’effleuré et se limite à l’emploi d’un champ lexical religieux de temps à autre, mais bizarrement cela tient la route. Et le résultat n’est ni lourd, ni redondant. The Game aurait pu s’embourber dans d’improbables chansons à thème, mais s’en sort en faisant ce qu’il sait faire de mieux : se prendre pour un grand rappeur.

Dans Jesus Piece, il n’a pas lâché ses marottes habituelles : glorifier Dr. Dre, revenir inlassablement sur l’embrouille avec 50 Cent, citer Kanye West… Il alterne toujours l’auto-flagellation et les prétentions ridicules à figurer dans le top 5 mondial. C’est son cinquième album et pourtant, The Game est resté le même gamin en quête de reconnaissance. Il faut l’entendre couper une chanson pour insérer un extrait d’appel téléphonique de Birdman. L’ancien protégé du docteur n’en revient toujours pas d’avoir des amis célèbres et il tient à nous le faire savoir. Au registre des manies dérangeantes, il poursuit son étrange tic d’imitation adopté sur le précédent album. Personne ne sait pourquoi il fait ça, mais il copie régulièrement les flows et les intonations de ses invités. On imagine d’ailleurs assez bien la gêne de ces derniers face à cet hommage si particulier. Lassé de se voir reproché son absence de personnalité, il a voulu trouver son truc à lui : sa marque de fabrique sera donc d’emprunter celle des autres. Si l’on ajoute les énormités qu’il lui arrive de rapper et l’empilement d’invités aussi excessif qu’une compilation de DJ Khaled, on se dit que l’addition commence à être salée.

Et pourtant Jesus Piece s’en tire avec les honneurs. La principale raison de cette réussite se trouve dans la production, sans faille. The Game ne dément pas ses bons goûts en matière d’instus. Hormis les habituels Cool & Dre, qui produisent cinq morceaux, Boi-1Da, Jake One, mais aussi quelques noms moins connus (Black Metaphor entre autres) apportent leur contribution. L’album fait le plein de voix triturées, d’envolées liturgiques à se lever du banc de l’église ou de vocalises rnb de bon ton : tout cela s’enchaîne à merveille. Et puis la surabondance d’invités fait le travail, même si tout le monde ne sort pas le couplet de sa vie. Un tel alignement de grands noms force le respect. Quant à The Game lui-même, il demeure un artiste attachant, un peu benêt parfois, mais capable de belles choses. Avec sa sincérité à tendance exhibitionniste et sa voix rocailleuse, il retient sans peine l’attention de l’auditeur. Jesus Piece est un bon album, cohérent, pas longuet, avec ses morceaux de bravoure et ses quelques temps faibles. Mais il aurait pu être bien meilleur. Les morceaux que The Game a dû retirer pour cause de samples non clearés sont immenses. « Holy Water » et « Rollin » auraient donné une toute autre dimension au disque. Sans parler de « Stripper », titre bien vu, bien construit, et plutôt surprenant de la part d’un rappeur aussi frontal que The Game. Il y avait donc moyen de faire mieux, mais on ne va pas bouder notre plaisir. D’ici son prochain album, Jayceon Taylor aura largement le temps de sombrer, de s’impliquer dans des polémiques improbables, de sortir des singles quelconques et de repousser ses dates de sorties. Rien n’est jamais simple avec lui. Mais à sa prochaine renaissance, c’est sûr, on sera encore là pour l’attendre.

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