Chronique

The Federation
It’s Whateva

Reprise Records - 2007

Hyphy. Au fil des mois, ce mot est passé sur toutes les lèvres. Comme un cri d’existence décomplexée, de liberté retrouvée, d’énergie pure distillée en cannette labelisée Thizzz ou Hyphy juice. Le mouvement a tout pour devenir culte : une légende tuée par balle ( Mac Dre ), des chefs de files créatifs ( E-40, The Federation, The Team, Mistah F.A.B), des producteurs de génie (Rick Rock, Traxamillion), un état d’esprit (ecstasy, danse débile, sexe débridé et lâchage intégral), des boissons énergétiques et une coutume ( le ghost riding ou comment marcher avec style à côté, voir au dessus, de sa caisse en roue libre). La tendance envahit les ‘suburbs’, les médias s’interrogent, les puritains s’insurgent, les parents ont peur, le danger est partout, dans les montées d’hallucinogènes comme sous les roues du pick up de papa en mode fantôme. Mais le mouvement reste local, celui de la Bay Area, de Frisco à Oakland en passant par Vallejo. Pour certains, le Hyphy est mort avant même d’avoir commencé. Alors lorsque l’un des groupes emblématiques du style, The Federation, revient sur le devant de la scène, tout le monde est attentif.

En 2004 sort leur premier opus sobrement intitulé The Album. Les singles sont plus qu’équivoques : ‘Hyphy’, ‘Go Dumb’, ‘Hoes in here’, ‘Donkey’, le mouvement est en marche. White Tees n’ jeans, MDMA, clubs bondés de la banlieue de Frisco, sideshows improvisés dans les rues d’Oakland. Le son est énorme, un espèce de rouleau compresseur à neurone, une machine implacable assurée par le maître en la matière, Rick Rock. The Federation est un peu le laboratoire de Rick Rock, là où il teste son envergure, sa palette, le terrain de jeu où on mesure réellement ses ambitions. Les trois mcs Stressmatic, Goldie et Doobie sont parfois relégués au rang de hypemen mais ça n’empêche aucunement l’album d’être consistant et redoutablement efficace. The Federation se place rapidement comme le groupe incontournable et multiplie les apparitions sur toutes les sorties de la Bay de Nump à E-40 en passant par DJ Shadow. Leur énergie parait incontrôlable, une réelle catastrophe naturelle. Avec le buzz généré par le disque d’or d’E-40 en 2006, The Federation parait être le challenger attitré, le groupe qui peut amener le Hyphy à son ampleur de mouvement international comme le Crunk en son heure. Un nouvel album dans le viseur, le single ‘I wear my stunna glasses at night’ pompé sur un hit 80’s de Corey Hart sera le hit de l’été 2006 dans les clubs de la Bay. Malheureusement, les ayants droits bloquent la sortie qui prendra un an dans la vue sans que ce single ne puisse être autorisé. Tout est à refaire. Le Hyphy reste dans son enclos, la sortie chez Atlantic de l’autre star du mouvement, Mistah F.A.B, étant elle aussi repoussée pour des histoires de droits (son hit ‘Ghost Ride It’ reprend allègrement toute l’imagerie et la bande son des Ghostbusters). Le Hyphy est victime de son imagination. Mais c’est justement dans ce pillage intensif débordant de créativité que ce mouvement perdure sans frontières ni limites, dans un but unique et dévastateur : le FUN. Non sans rappeler les débuts du sample et du rap dans le milieu des années 80 avec les procès de Biz Markie ou De La Soul qui cherchaient déjà ailleurs leur inspiration et emportaient tout sur leur passage dans une soif créatrice dévastatrice.

« Tu sais ce qui est vraiment bien avec les étudiantes ? t’as beau vieillir, elles ont toujours le même âge… »

Pour ce nouvel album, It’s whateva, Rick Rock sort l’artillerie lourde. Comme d’habitude mais en mieux. A l’image d’un DJ Premier, on a vraiment l’impression que Rick Rock garde ses prods les plus audacieuses et les plus réussies pour son groupe. Parfois expérimental comme sur ‘Scraper 2 a Benz’ et sa mélodie minimale à la bouche, parfois rock & métal comme sur ‘Break your face’ ou ‘Black roses’ avec Travis Baker à la batterie, parfois à la limite de la pop comme ‘She Go’, (le remplacant de ‘I wear my stunna shades…’ avec le même Marty James au refrain), le très réussi ‘My Rimz’ ou le seul raté quasi programmé ‘Fly Away’ mais toujours efficace comme le parfait ‘Playtime is over’ en guise d’introduction tonitruante. Le son est large, Rick Rock transforme nos oreilles en pistes d’atterrissage où les A380 se posent avec douceur et puissance. Le tout est conditionné pour les sorties en caisse le soir à 3h du mat dans un environnement sauvage. On découvre à chaque écoute de nouveaux détails, des arrangements qu’on avait raté la première fois, des ponts assassins et des outros toujours de bon goût. L’album est homogène mais très dispersé dans les sonorités et les rythmes, ne se perdant pas dans des schémas pourtant très techniques et se permettant des envolées comme le soul ‘When I was yo man’, ovni sucré et mélancolique parmi tout cet arsenal au goût de métal froid et persuasif en masse. Les trois mcs ne sont pas en reste, on sent une nette progression depuis le précédent opus. Encore plus de présence et de variations dans leur façon de faire, parfois nonchalante et susurrée comme sur ‘College Girl’ mais la plupart du temps large, explosive et imprévisible. Bien sûr, on est pas dans le top du lyricisme mais leur bagout fait mouche relatant le style de vie de la Bay, la street et surtout les clubs, les soirées, les filles. Détachés, avec plein d’humour totalement décomplexé, les textes sont le pur reflet de l’esprit Hyphy. En ajoutant juste quelques guests de choix avec Snoop sur le single super pertinent, l’incontournable E-40 en grande forme, Ca$his, le protégé d’Eminem, sur le track le plus gangsta et toute une légion de la Bay sur le posse cut ‘bang bang’, l’album devient aussi implacable que les Springboks. Les clubs vont exploser sous des anthems comme ’18 dummy’ (ou comment devenir aveugle après 1800 tequilas), ‘get naked you beezy’ (tous à poils en toute simplicité), ‘she go’ ou ‘new baby daddy’, tous plus sulfureux les uns que les autres, puants la sueur, le sexe et la décadence.

« You hate the police, I hate the police, wwe got something in common, ain’t that sweet?”

Entre deux étudiantes complètement nues, une cannette de Thizzz Juice à la main, en plein spring break toute l’année à faire des conneries à longueur de journée, on retrouve des esprits du passé. Les beatniks et ces putains de hippies qui habitaient le vieux Frisco. La Bay doit avoir une véritable histoire d’amour avec les psychotropes. Et plus que le Crunk encore, le Hyphy se rapproche d’un style complètement débridé et résolument débile : le P-Funk. Plus pertinent que de sampler à tout va les acolytes de George Clinton, c’est plutôt dans les attitudes que The Federation se rapproche de leurs ainés. Ils faisaient atterrir des soucoupes volantes en aluminium sur scène, eux courent à côté de leur voiture. Ils avaient les déguisements les plus excentriques avec un véritable sens du show, eux portent des lunettes trop grandes et inventent des danses plus contagieuses que la techtonic. Les deux prônent la culture des drogues hallucinogènes. Les deux ont développé un mouvement libérateur de la musique, complètement en dehors des limites, loin de tous préjugés, en création et renouvellement perpétuels. On peut sûrement dire que les anciens avaient une conscience politique, un avenir, un idéal. Nos contemporains n’ont que faire de ses broutilles, le résultat est le même : une énergie débridée échappant à tous contrôles dans un but ultime, le FUN. Définitivement Hip-Hop.

« Free your mind… and your ass will follow! It’s whateva… »

 

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