Chronique

5 Juin

Anticon - 2001

Il aura fallu attendre près de trois années pour qu’Anticon bénéficie d’une distribution à peu près convenable. Désormais Anticon qui est à la fois un crew et un label se chargera aussi de la distribution. Plaçant toujours la barre plus haut dans l’esprit créatif et expérimental de ses projets, les artistes d’Anticon nous gratifie d’une compilation de titres tirés des futures productions du Label et ce au vulgaire prix d’un Single ( 6 ou 7 $ ) !

Après les détonants  »Deep Puddle Dynamics » et  »Music for Advancement of Hip Hop » et sans compter les multiples projets solos, Anticon s’est enfin fait un nom sur la scène Hip Hop. Les artistes de ce label/crew, s’enfoncent encore plus dans leur univers poétique et expérimental. Voilà une sortie sur laquelle ne figurera pas la mention « Parental Advisory Explicit Lyrics », les textes sont en effet des plus abscons. Pourtant, les paroles sont inclues dans le livret.
A la production, on retrouve Dj Mayonnaise (1, 5, 9), Alias (2, 7), Buck 65 (4), Reaching Quiet – Odd Nosdom and Why? – (3), Jel (15), Controller 7 (16), Sixtoo (8), Myleself (6), LelAnd (10), Emynd (11, 14), Odd Nosdam (13). Cette pléthore de producteurs garantit des boucles et une ambiance variées mais à la qualité malheureusement variable.

Ce  »Giga Single » s’ouvre par le nouvel hymne d’Anticon, ‘We ain’t fessin’. Ce morceau disponible depuis un bon moment sur le site d’Anticon bénéficie d’une production de DJ Mayonnaise des plus convenable. Si ce morceau n’a rien de follement original -sample de guitare classique et un travail rythmique pas assez poussé – l’instru reste néanmoins de bonne facture, calme et mélodieux. Le trio constitué de Sole, Alias et Dose réalise une prestation honnête, alternant Spoken Word et  »chant » (sur la fin du morceau). Au final, un titre agréable mais dont certains puristes se lasseront…

‘Silence (Poor me pt.7)’ est une piste difficile d’accès, au beat sombre, angoissant et épuré. L’ambiance créée par Alias n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de ‘So Called Artist’ et témoignerait du mal être du leader d’Anticon. Mais comme diraient les autres… Cela ne nous regarde pas ! Ceux qui s’attendaient à retrouver le Sole de  »Bottle of Humans » risquent d’être déçus. En effet, ce dernier a fait évoluer son phrasé, poussant un plus encore sa voix. Résultat surprenant prouvant que Sole est un artiste en perpétuelle évolution même si dans le cas présent le mot régression serait plus approprié…

Le troisième single de l’album réunit Why ?-l’un des artiste les plus appréciés d’Anticon tant pour ses qualités d’écriture que pour ses qualités de MC- et Odd Nosdam, producteur sous estimé ayant réalisé deux excellents morceaux sur le dernier album de Sole. Ils forment à eux deux les Reaching Quiet. Odd Nosdam nous livre ici un instru riche, sombre, fait de plusieurs mouvements, entrecoupés de minis interludes et effectue un véritable travail de recherche au niveau rythmique. Bref, une excellente production. La prestation de Why ?, écriture exceptée est à mon goût moyenne, sa voix, son phrasé sont terriblement ennuyeux dans la première partie de la chanson.

Le chouchou de ces fans, Buck 65 réalise, écrit et interprète le 4ème single : ‘Pen Thief’. Un morceau bien écrit « I sit with my back to the television, thinking deeply watching the ink seep into the page, the wars I wage are fought to the finish, / with written symbols and nimble fingers », rappé ou plutôt parlé, dans le plus pur style de Buck 65. Malheureusement, la production pèche un peu… On en attend plus de l’artiste à l’origine de l’album  »Vertex » et du merveilleux single ‘The Centaur’.

On pourrait rapprocher ‘Inherited Scars’ de la chanson de Slug ‘Nothing but sunshine’ sur  »Music for Advancement of Hip Hop ». A première vue, les deux chansons traitent de sujets personnels, sur un fond musical et une rythmique Soul de toute beauté. Pourtant Sage Francis, au contraire de Slug relate une histoire vraie. Le sample de saxo et d’orgue, allié à une programmation rythmique percutante donnent de la consistance au phrasé et aux textes de Sage. Pour l’occasion, l’artiste de Rhode Island accélère son débit et rend sa voix plus émotive. Un véritable chef d’œuvre.

Josh Martinez, au même titre que Sage Francis ne fait pas partie du collectif d’Anticon. Ce pensionnaire d’Halifax traite des apparences et le fait de paraître normal ou non « what’s the sense in being normal, » d’où le titre ‘Outlook’. « So take these daisies, let’s leap through the flower garden, Poetry’s for fairies who get devoured starting now unless your hard, and you can prove your smart and not a tartan wearing kilt and celtic rock, our lady peace, for the college jock, at least I’m honest so let’s fuck, I’ll be modest I’m a truck driving bat out of hell, hell of a swell guy, I smell of my own sweat and music to make you cry. » On peut séparer la chanson en deux parties; Une première partie sur laquelle Josh Martinez se prend pour D’Angelo. Il est accompagné d’une batterie live, de Myleself qui tape sur des verres et ça lui va bien, et d’une basse. Au bout de 2:00 min. changement de décor, le style de Josh Martinez devient plus rappé que chanté, et on perçoit en fond un son synthétisé.

‘Watching Water’ est une magnifique chanson de dépressif : « …as though I’ve missed this moment of truth, outcome uneventful, I’ve lost the ability to feel sentimental, I can stare at a puddle and see a million places I love, It’s comforting thoughts of places I’ve been, places I will never see again, send my love to all who are there, wishing I could crawl back in. » Ce texte mélancolique, pessimiste et froid est servi sur une magnifique boucle de piano et une rythmique « épaisse ». Ce joyau prouve qu’Alias est bien plus qu’un bon producteur/MC. Le voilà maintenant qui excelle dans les deux disciplines.

Déjà entendu sur ‘Songs I Hate (And Other People Moments)’, ‘Grimey Inks the Moment’ de Sixtoo tient la dragée haute au morceau d’Alias. Sixtoo est, une fois n’est pas coutume, aussi à l’aise derrière un micro que derrière ses consoles. Ce qui nous donne un bon morceau, avec une boucle admirable réalisée au synthé et des roulements de batteries brillants. ‘Ode to the Modern Woman’ ( Extrait de  »55 Stories ») est une réalisation plus que moyenne pour un producteur aussi talentueux que DJ Mayonnaise. Pourquoi ne pas avoir utilisé le remix de ‘Divine Disapointement’ pour ce  »Giga Single » ? Difficile d’aller au bout de ‘A.D.D.’, si l’atmosphère inquiétante voire gothique du morceau ( Basse, contrebasse et rythmique pesante ) est écoutable à défaut d’être agréable, les styles de Sole et Dose -deux valeurs sûres du collectif- ne font que pourrir l’instru. Passons vite à autre chose !

Heureusement, ‘Object Beings’ relèvent le niveau. Si j’ai eu du mal à comprendre le concept de certaines chansons, j’avoue n’avoir rien saisi à celui de ‘Attack of the postmodern Pat Boones !’. Il n’empêche Why ? puis Pedestrian qui sont habituellement difficiles d’accès pour ne pas dire inaccessibles sont impressionnants. De plus Emynd nous gratifie de quelques accords de guitare reposants et collants parfaitement au phrasé des deux Mc’s.

On a ensuite droit a deux interludes amusants, tout d’abord ‘Infomercial Stuffed animals’, puis ‘Eat’ reprenant un air que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, celui du Muppet Show ; Sample déjà utilisé par IAM sur ‘Attentat 2’, auquel Odd Nosdamm adjoint d’une voix Off conseillant de bien mâcher les aliments… Humour, décalage… Concept ! Ce sont des artistes… A croire que le piéton a trouvé l’équation parfaite pour réaliser une excellente piste. ‘Pedestrian for Vessel’=(Guitare+Piano+Stab Vocal)mélodieux+Phrasé saccadé ou fluide=Prix d’excellence ! Ce morceau de plus de cinq minutes semble encore plus long. Grâce à l’agencement de ‘My Way Out of a Paper Bag’ en plusieurs mouvements, Jel rend le morceau aussi ductile que l’or. Le second mouvement n’est pas sans rappeler une production entendue sur Clouddead (‘I promise never to get paint on my glasses again’ produite par Reaching Quiet). Dose1 redevient impressionnant sur cette piste variant chant et phase accélérée et saccadée.

Sur ‘Heckles From the Peanut Gallery’, Controller 7 met tous les producteurs du collectif d’accord et prouve qu’il est en ce moment en état de grâce. Collages parfaits, mélodieux, entraînants, subtils et une programmation des Drums faite d’accélérations et de ralentissements saisissants . Bref le meilleur producteur du moment et la meilleure production du disque. Rien que cette merveille vaut l’achat du  »Giga Single »! ‘Private Dancer’, conclusion du disque, est quelconque.

Au final, on obtient une production à la qualité variable qui a du mal à soutenir la comparaison avec les précédents classiques du label. Buck 65, Sole et dans une moindre mesure Dose1 et Dj Mayonnaise déçoivent et le Giga Single ne doit son salut qu’à la maturation d’artistes comme Controller 7 qui n’en finit plus d’impressionner depuis son Left Handed Straw, The Pedestrian, Odd Nosdamm, Alias, Sixtoo ou encore Sage Francis. Malgré tout, cet album reste une bonne affaire. En effet, le ratio qualité/prix est largement positif. Sole réalise là produit marketing efficace à défaut d’être un classique. Espérons que cela ne devienne pas une habitude !

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*