Chronique

Count Bass D
Dwight Spitz

High Times Records/Day by Day - 2002

Dans l’excellent ‘Antemeridian’, petit ravage sonore sur lequel il pose impeccablement son phrasé nonchalant sur un agencement de samples riche et mélodique, qui mêle nappes de claviers, coups de feu, breaks de batterie et cuts, Count Bass D raconte ses efforts pour suivre correctement ses instincts dans l’art de la manipulation de sa MPC. Il peut être rassuré : à l’écoute du résultat, il faut admettre qu’il ne s’est pas cassé le cul pour rien. Dwight Spitz est en effet un album original, réussi, et surtout insolite. S’il ne paie pas forcément de mine au premier abord, il distille une efficacité redoutable au fur et à mesure, après quelques semaines d’écoute, et s’impose comme une œuvre hors-normes – l’antithèse d’une production standardisée. Count Bass D joue de plusieurs instruments, dont le piano et la basse. Count Bass D est doué. Count Bass D travaille. Un peu déconcertant, parfois agaçant, méchamment addictif, Dwight Spitz a l’immense mérite de décrasser les oreilles.

Là où l’ami Count Bass D mérite le respect, c’est que la quasi totalité du LP est à mettre à son crédit : production, textes, mix, jusqu’au dessin de la couverture, l’homme s’est chargé de tout, en laissant juste la place pour quelques coups de main de la part de quelques proches – et pas les plus manchots. De son vrai nom Dwight Pharell, Count Bass D est un artiste discret, dont c’est là le premier album rigoureusement hip-hop. Son LP Pre-Life Crisis (1995) possédait un son nettement plus organique, et un phrasé souvent proche du chant. C’est auprès de MF Doom et MF Grimm qu’il a continué à faire ses classes – il les remercie d’ailleurs explicitement pour l’avoir incité à sortir cet album – et s’engage dans un travail différent sur le son et le flow, devenus plus rugueux.

La caractéristique principale de l’album est un parti-pris à double-tranchant : s’il y a vingt cinq plages, c’est moins en raison d’interludes clairement identifiés comme tels que d’une construction d’ensemble privilégiant presque exclusivement des morceaux très courts (1’30 à 2’00 en moyenne), d’où un effet parfois curieux : le LP ressemble davantage à un long puzzle dont tous les éléments sont interdépendants qu’à une succession de morceaux autonomes. Dwight Spitz s’écoute de bout en bout, ou ne s’écoute pas. Inconvénient : la frustration d’être engagé dans un très bon morceau qui s’arrête presque aussi sec. Mais c’est peut-être précisément leur côté éphémère qui leur donne une telle saveur. Astuce des grands chefs : le meilleur plat doit toujours laisser son goûteur frustré de l’avoir terminé. En revanche, on regrette cette manie particulièrement casse-burnes du morceau caché (qui gonfle sensiblement la durée réelle de l’album), d’autant que celui-ci est extrêmement laborieux à atteindre, pour un butin assez maigre.

Délicieuses frustrations, donc, après le couplet sans postérité d’un Edan aérien qui relate dans ‘How We Met’ – une petite balade, probablement écrite sous aluminium – les péripéties de sa rencontre finale avec Count Bass (« Out the dungeon of brain pain I came, with a sell-a-lot plot from the megawatt mainframe, with a suit made of electricity, I ran through the Great Wall of China convincingly, that was after the World Tour, when I traveled through gravel and battled matter at the earth’s core I did the show on a fireball, a pioneer, ran into the jungle and jetted wearing a lion’s ear… « ), après les 1’37 de l’’Antemeridian’ cité plus haut, ou à l’issue du nerveux ‘Subwoofer’ et sa boucle entêtante. On ne peut s’empêcher de regretter que de tels morceaux ne se prolongent pas davantage, surtout lorsqu’en contrepartie l’horloge sait s’attarder sur l’instru relativement dispensable de ‘August 25, 2001’. Dès qu’on accepte le principe, le reste coule tout seul. On apprécie sans réserve la cascade saccadée de ‘Audio S[ECT]S’, le synthé de ‘Truth To Light’ mêlé aux voix samplées de Nice & Smooth, les boucles de piano agrémentées de cuts de ‘Blues For Percy Carey’ (une dédicace au taulard MF Grimm), ou le speedé ‘Make A Buck’ sur lequel Count Bass D pose un flow rapide monté sur une boucle de guitare. Les phases rappées sont entrecoupées constamment de portions instrumentales, comme ‘Real Music vs. Bu11$# !+’ et son ambiance jazzy.

C’est essentiellement le gros travail effectué sur le son de Dwight Spitz qui mobilise l’attention, l’originalité et la complexité des compositions. L’ambiance générale est feutrée, mais jamais niaise. Pharell ne colle pas la tronche de l’auditeur sur le bitume. Il lui propose plutôt de se poser tranquillement sur le canapé pour discuter en s’en fumant un petit. Prédominance des boucles jazz et soul, mais aussi samples vocaux (le LP s’ouvre sur la voix conseillère de Dizzy Gillespie), extraits de films, bruits divers où se croisent échos des Doors et réclame pour un sucre raisonnablement calorique. Count Bass D ne cherche jamais la facilité. Il ne se contente pas du premier kit de batterie venu ou du nombre de mesures obligées : il mélange, enchevêtre, trafique, altère, expérimente. Le résultat n’est pas à la portée du premier demeuré venu placé derrière un séquenceur. Et si Dwight Spitz n’est pas parfait, et certainement inégal, il s’affranchit de tous les stéréotypes et échappe à la confusion malgré sa sophistication. Sans frime putassière, Count Bass D a placé un des meilleurs albums de l’année 2002 : on attend le prochain.

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