Chronique

Common
Be

G.O.O.D. Music - 2005

« If skills sold, truth be told, I’d probably be, lyrically, Talib Kweli, truthfully I wanna rhyme like Common Sense, but I did five mill’, I ain’t been rhymin’ like Common since« .

En dépit d’apparences une nouvelle fois trompeuses, ces quelques rimes ne sont nullement extraites d’un quelconque manifeste pour la sauvegarde des rappeurs conscients, espèce en voie de disparition depuis la déferlante du tsunami sudiste. Cet hommage appuyé est clamé par un certain Shawn Carter à la fin 2003 sur ‘Moment of clarity’, titre phare d’un album évènement où le rappeur de Marcy (Brooklyn) côtoie le blond platine le plus célèbre de Detroit. Une référence qui prend du coup beaucoup plus de sens et de poids. Si Talib Kweli est tristement devenu une authentique caricature de ce qu’il exécrait, réussissant l’exploit de se mettre à dos une bonne partie de ses derniers fans, la carrière de Common semblait, elle, en suspens après un Electric Circus mi-figue mi-raisin. Une ambitieuse et grandiloquente arabesque à la croisée des genres musicaux, égarée entre rock psyché et new wave, relative réussite artistique mais aussi réel échec commercial et donc source de multiples remises en causes pour le rimeur de Chicago. Trois années se sont depuis écoulées et la sortie de Be soulève autant d’interrogations que d’espoirs.

Précédé d’une flatteuse réputation et affublé, précipitamment, du statut de classique avant même sa sortie, le sixième album de Common est en réalité celui d’une rencontre, la constitution avec Kanye West du duo le plus excitant de Windy City. Un Kanye West passé en quelques années, lui aussi, des briques aux billboards, des grammes aux Grammy Awards et du statut d’obscur producteur à celui de superstar incontesté. Une ascension fulgurante, l’amenant aujourd’hui à monter son propre label, G.O.O.D (Getting Out Our Dreams) Music, et à réaliser ses rêves sans se départir d’une arrogance devenue le moteur de son succès.

Authentique figure de l’échantillonnage transformant d’obscures boucles de Soul en diamants (du Sierra Leone) le Louis Vuitton Don donne le ton, signant neuf des onze productions d’un album à l’identité sonore bien définie. Piochant dans la discographie de D.J. Rogers (‘Faithful’), Albert Jones (‘Be’) ou des Cornelius Brothers & Sister Rose (‘Chi City’), Kanye West développe un univers sonore uniforme influencé par une Soul aux ressources décidemment inépuisables.

J-Dilla complète judicieusement ce tableau avec, notamment, ‘Love is’… référence explicite au défunt Marvin Gaye. Source d’inspiration et véritable fil conducteur des réussites de Common depuis le fondateur Can I borrow a dollar ?, cette atmosphère de quiétude semble ressusciter les années écoulées, les heures de gloire de la Native Tongue, l’éclat des bijoux Resurrection et One day it will all make sense éclairant la ville de Chicago et la discographie de l’ex-Common Sense. Entre nostalgie et continuité.

De retour dans les ruelles de sa ville natale, Common retrouve foi et inspiration puisant, de nouveau, dans les yeux de sa fille la volonté de dépeindre la réalité sociale et politique Américaine. Soutenu par les éternels Last Poets, le phénoménal A-Trak (vainqueur des DMC à l’age de 15 ans et aujourd’hui DJ officiel de Kanye) et John Legend, il s’attaque à des thèmes profondément universels comme l’amour, l’amitié, la fidélité, mais aussi la quête du bonheur symbolisée par une longue route menant à la Californie, où l’herbe est plus verte et le soleil omniprésent (‘It’s your world (Part 1 & 2)’). Judicieusement plus descriptif que moralisateur, son discours est posé, apaisé, mais aussi positif et nuancé. Toujours guidé par cette envie de partager et d’éduquer avec humilité, Common cite pêle-mêle John Coltrane, Bob Marley, Hailé Sélassié, Malcolm X tout en ponctuant, par instants, son discours de rimes tranchantes adressées à ces éternels wack MCs (« I wonder if these wack niggas realize they wack, and they the reason that my people say they tired of rap« ).

Porté par une sincérité et une conviction perceptible, ses rimes choisies et empreintes d’émotion coulent avec fluidité sur les rythmiques sobres de Kanye West et J-Dilla ; brillant de mille feux sur l’imparable ‘Be’, le touchant ‘Faithful’ ou l’intemporel ‘The corner’.

Succinct, dénué d’artifices et d’invités opportunistes mais aussi d’un titre racoleur prompt à hisser l’album au sommet des charts, Be renoue avec un classicisme déjà fièrement revendiqué sur ‘I used to love H.E.R.’ C’était il y a plus de dix ans.

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