Chronique

Sole
Bottle of Humans

Anticon - 2000

A l’inverse de certaines productions américaines récentes, le crew d’Anticon apporte un vent de fraîcheur au sein du hip hop. La preuve en est à l’écoute de l’album de Sole, le créateur de ce label. Après un premier album intitulé Learning to walk produit par Moodswing 9, et contenant quelques perles comme ‘Three guys at a bar’, Sole effectue un retour attendu. Son album Bottle of Humans initialement prévu pour le début de l’année 2000 n’est sorti que fin août, la faute à la diffusion de l’album sur Internet et à un problème de presse. Pour la petite histoire, cet artiste plus connu pour ses joutes verbales avec El-P et Del que pour ses talents lyriques, nous vient du Maine mais c’est dorénavant à Oakland qu’il opère. Hasard ou coïncidence la Bay Area préfigure ce qu’il y a de plus novateur en matière de Hip hop aussi bien artistiquement que textuellement.

A la fois poète et MC, Sole revient avec un album plus abstrait et abouti à l’ambiance mystérieuse, sombre et pessimiste. Pour percer les secrets de ce disque venu d’ailleurs, il vous faudra des écoutes aussi attentives que répétées. Les nombreux producteurs assurent à cet album une richesse sonore incommensurable qui fera réfléchir, ressentir l’auditeur. On peut compter parmi la pléiade de producteurs les talentueux Controller 7, Moodswing 9, Jel, Alias, et d’autres moins connus mais tout aussi doués comme Panic of the molemen ou encore Odd Nosdam et Scott Matelik. Les sons sont assez souvent aigus, sombres et sales , on les croirait sorti de l’enceinte d’un ordinateur équipé d’une Soundblaster 16.

Les lyrics sont intelligents, pessimistes parfois drôles ; « here is a boot for thought… » Ses textes nous changent des habituels « Rien n’a changé, c’est toujours le même merdier » ou des « put your guns in the air« . Au lieu des histoires de Rolex, de Benz et de matérialisme de seconde zone, Sole se livre assez souvent à des tentatives d’introspection ou à la poésie : « A million bleeding hearts composing prose and blood to live and die a thousand times« . Si Sole n’est pas un rappeur du calibre des Method Man, Guru ou Raekwon, il possède un phrasé dense, soutenu par une voix emplie d’émotions. Quant aux rythmes, ils sont la plupart du temps déstructurés, décalés, recherchés, et enrichissent donc le sample.

Sur les 19 titres de cet opus, un seul est mauvais à savoir ‘Our big secret’ sur lequel le crew d’Anticon nous lâche un déconcertant et très énervant « The better the artists the harder they bite« , pourtant les textes sont plutôt bons et drôles. Et qu’on ne parle pas d’originalité pour excuser le manque d’harmonie du morceau. Mis à part ce titre inaudible le reste est excellent, ce qui se fait de mieux dans l’understream en ce moment. Même la caverne d’Ali Baba (rien avoir avec la comédie musicale !) ne contient pas autant de joyaux.

La 5ème piste est magnifique, un sample de violoncelle, une voix mystique (pas celle de Sole) répétant « I’ve been so many places… », une harpe et un accord de basse pour agrémenter le tout, ce qui fait dire à Sole « maybe this is instrumental Hip Hop and I don »t know when to shut up… » Une production phénoménale signée Alias. La piste N°8 ‘Furthemore’, produite par Controller 7 est tout aussi harmonieuse, mélodique. Elle reprend un beat déjà entendu sur ‘Left Hand Straw’ de Controller 7. ‘Save the Children’ est très certainement la piste la plus réussie, la plus abouti de l’album. Une production signée Panic et Moodswing 9 (voilà qui explique tout) contenant un murmure venu d’outre-tombe, une ambiance gothique, un léger sample de guitare ou de harpe et un refrain exceptionnel « and I’ve seen so far into the night and lingered in the land of no light » qui perd toute sa force émotive sur le papier. Au niveau du concept de cette chanson, rien avoir avec le ‘Heal the world’ de M. Jackson, Sole prétend que le meilleur moyen de sauver un enfant c’est encore de ne pas le faire naître… « As far as i’m concerned I »m barred, should have died months ago in the condom and this wouldn’t have been so hard. »

On a à peine le temps de se remettre de nos émotions que l’on enchaîne sur ‘Suicide Song’ et surtout ‘Year of the $exxx $ymbol’. Ma chaîne a souvent indiqué Track 15 depuis que j’ai cet album. Le beat est fatal, un sample de batterie, une guitare espagnole, un solo de saxo en tant que refrain, et une fois n’est pas coutume un Sole déchaîné et brillant au niveau du Mc’ing. Encore un dernier très bon titre, ‘Home’ qui est un poème dédié aux sans racines et aux sans abris sur un fond de violoncelle et de guitare : Magnifique ! ! « So I sleep on the papers, and talk to myself in public places… » Un morceau qui vous nouera plus la gorge qu’un putain reality show sur cette télé pourrie… J’ai du mal à enchaîner après ce morceau mais faut bien conclure !

Pour synthétiser, un LP extrêmement bien structuré, à la production phénoménale, parfois originale (comme les deux titres de Odd Nosdam, ‘Man & Woman’ et ‘Bottle of Leftovers’ contenant un sample lu à l’envers), très souvent mélodieuse et harmonieuse. De plus, le lyrisme de Sole se met en accord avec l’instrumental. Sincèrement, il faut vous le procurer c’est l’album de l’année 2000 et pourtant il n’y aura pas d’heavy-rotation pour vous le présenter. Les chef – d’œuvres étant rares et difficiles à acquérir il vous sera inutile de le chercher dans les bacs de vos fournisseurs préférés (Sole connaît quelques problèmes avec ses distributeurs aux USA) mais une solution s’offre à vous en allant sur le site www.blougou.com/anticon.

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