
N'Dji
Alors tonton !
Le 1er album de N’Dji (le septième si on compte les formats plus courts qui l’ont précédé) pose pour de bon deux questions inhérentes au rap réunionnais : comment ne pas sonner trop rap français quand on a grandi avec le rap hexagonal pour modèle ? Comment ne pas reprendre les codes du rap caribéen, quand on cherche en dehors de l’influence métropolitaine ? Fils d’une zorey (métropolitaine) et d’un kaf (afro-descendant), le rappeur de Piton Saint-Leu a plus d’une réponse à apporter à ces deux questions.
D’abord, il parle de lui. De la ride réunionnaise, la nuit, entre la mer et la montagne, des filles qu’il croise, des zamaleries et du rhum (antique). D’autres premiers albums récents ont affiché ce naturel, mais ici, il y a la part de l’île. La Réunion s’immisce entre les lignes, dans le creux des instrus. C’est la réussite de N’Dji de l’avoir fait exister sur son disque, depuis la cover jusqu’aux interludes en forme de conversations entre potes (« Nadege »).
L’île permet à N’Dji de se révéler à lui même. La tracklist montre un effacement progressif des éléments caractéristiques de l’île (« Rhum antique », « Rivière du Mât », « Koz Kreol », « Piton Saint-Leu »), remplacés par un exercice d’introspection sur la deuxième moitié de l’album. Difficile de faire plus clair : N’Dji se fond dans l’île, se confond avec elle, et il l’explore pour mieux se connaître lui-même.
Sur deux titres en miroir (« M aou », « M amoin »), N’Dji met les mots sur sa faille. Les deux femmes évoquées sur ces deux morceaux sont la même personne, et le rappeur y répète ses schémas toxiques. Ces deux morceaux soulignent, par ricochet, l’ambiguïté de La Réunion. Bien loin du cliché de la terre maternelle, l’île est le lieu de l’abandon, du mal de vivre. Rien de paradoxal : il n’y a jamais eu de peuple indigène réunionnais, toute la population est une population d’exilés. Pour N’Dji, l’énigme est là : l’île, comme sa quête d’amour, l’accueille sans le guérir.
D’un point de vue musical, N’Dji reprend la formule qui faisait la singularité de Karma Sutra, l’EP précédent : un mélange soigneusement dosé entre des influences trap (« Concurrence », l’interlude « Piton Saint-Leu », hommage peut-être au duo Jungle Jack-Kamal Bagdadi) et des sonorités bossa nova. Nouveauté notable, Surprise Beats lui permet de poser sur de la 2-Step. C’est dans ce mélange, que N’Dji est dans son élément, les instrus collant au mieux aux fluctuations de sa vie.
Sur cet album, on retrouve le camarade de route Smith, avec qui ils signent « Brunch », leur meilleur feat. La chanteuse Sueilo, imparable sur « Tentation », est aussi présente en back sur « Koz Kreol », pour donner à ce morceau la puissance d’émotion d’un petit objet artisanal, bien tourné, fier. Ti Manyel vient prêter main forte sur la fin de l’album avec un couplet sans fard. Mais c’est grâce à la voix rauque et puissante d’Eylien que l’album bascule, le temps d’un morceau, dans la rugosité de la chanson créole. N’Dji n’en est pas directement responsable, mais il a la bonne intuition de faire poser Eylien sur son album, lui, le métis qui cherche un pont entre l’inspiration créole et le rap français.
N’Dji a sans doute poussé un peu loin la diversité dans les prods. Il place un bouyon caribéen, dispensable et qui contredit l’album, en morceau bonus. Alors Tonton ! demeure néanmoins fidèle à ce que son auteur est : un réunionnais d’aujourd’hui et un artisan du rap français, qui a appris à faire résonner la voix de son île sur un beat hip-hop.
Pas de commentaire