Chronique

All Natural
Second Nature

Thrill Jockey - 2001

Trois années de silence dans le système sonore fluctuant du Hip Hop équivalent à un véritable suicide artistique. Cette longue attente a suscité de nombreuses questions et frustrations chez les amateurs de ce groupe de Chicago, mais il en résulte une certaine maturité de sa production. Le premier album d’All Natural, No Additives, No Preservatives sorti en 1998 reçut une reconnaissance – d’estime à défaut de commerciale – internationale. Depuis on était resté sans nouvelles de Capital D et Tone b. Nimble. Voici donc leur come-back avec ce fameux album intitulé « Second Nature ». Ils opèrent toujours suivant la formation classique MC/DJ, se relayant le plus souvent à la production – Capital D (7, 9, 11, 17), Tone b. Nimble (3, 5, 18).

L’éventail de beats sur leur premier opus n’étant pas assez hétérogène, le duo a collaboré avec des artistes comme Jason Rawls (16) que l’on ne présente plus, Panik of the Molemen (2, 4) qui a produit quelques chansons pour le « Bottle of Humans » de Sole, G[riot] (6, 15, 19), Memo (8, 12, 14), Slug du Rhymesayers Crew et les Lone Catalysts, rendant ainsi leur projet un peu plus abouti – musicalement parlant.

Alors qu’on l’annonçait à la retraite et que son avenir au sein du Hip Hop semble des plus flou, Cap D revient plus affûté que jamais avec des jeux de mots, des punchlines et un flow polymorphe – Tantôt fluide, mélancolique ou abruptes – qui transformeraient en or un instrumental de Timbaland. La production quant à elle pourrait même rendre un Nate Dogg ou un R.Kelly supportable. Pour combien de temps ? Les sonorités sont léchées, variées entraînantes sans pour autant être dansantes ; le choix de la programmation rythmique de chaque piste étonne quant à lui par sa justesse.

L’intro crépusculaire ‘Second Nature’, son beat alliant cuivres, basses, violons, et tambours colle parfaitement à l’ambiance des back stages. La tension monte, derniers préparatifs avant le combat, on vérifie le matériel, les consoles et les platines sont parfaitement ajustées et disposées pour lâcher quelques tonnes de bombes sonores, les voltigeurs, micros en mains, mitrailleront alternativement la foule survoltée de mots. 1min34 les opérations commencent, la compagnie est enfin prête et les missiles s’élancent…

« Yo, it’s a stickup, now put your hands in the air, you know the time, All Natural’s here…« , le premier lâché de bombe sonore (‘The Stick Up’) semble avoir avorter, et l’on imagine déjà la foule hilare fêter la victoire un potage à la main. Heureusement, l’alliage du cuirassé – cuivres et cordes vibrantes – conduit par His-Panik, appuyé par une basse lourde, redonne confiance aux troupes menées par un Capital D très en verve. l’artillerie avance au rythme des scratches délivrés par Tone B. Nimble et finit par conquérir la foule : « …Everybody moves nobody gets hurt, hands in the air as I brandish my weapon… »

Le plus dur n’étant pas de conquérir mais de se maintenir dans sa conquête, Cap D doit désormais déployer intelligence, énergie et habileté, ce dont il s’acquitte plus qu’honorablement dans ‘Think Again’ aidé en cela par un joyau de boucle (Une boucle digne de Primo, jouant sur les dissonances et le découpage des sons, contenant cris d’enfants, sample de clavier, percussions qui claquent et refrains scratchés) taillée par Tone B. Nimble. Ce discours, au flow énergique, fluide, truffé de jeux de mots, de consonances pose les bases de la nouvelle politique sociale qu’il compte instaurer – Il faut selon lui débarrasser la rue de ses plus grands fléaux, le Crime et l’Ignorance.

L’Argent n’a pas d’odeur mais la femme a du flair…Cap D et son ministre Spotlite en dirigeants avisés et clairvoyants ont pris conscience d’une peste dont les hommes se préservent mal: l’orgueil et la flatterie. »Sisters nowadays got they game sewn tight, brothers need to learn to deal and play they cards right, a queen of clubs only wants a king of diamonds, they eyes sparkle when they see a brother shinin’ I met a queen of hearts once and got played, didn’t make the grade (Why cap?) cause I’m a spade.« . Panik réalise d’ailleurs une production qui caresse l’oreille dans le sens du poil (Dixit Blougou), qui ressemble à s’y méprendre à certaines chansons de la B.O. de « In The Mood For Love ». Une boucle de Piano charmante, une programmation rythmique d’une rare tranquillité, le tout agrémenté de sample vocaux empruntant la formule désormais fameuse « Queens gets the money » du Wu.

On peut facilement juger de la cervelle d’un chef en voyant les gens dont il s’entoure. Quand ils sont compétents et fidèles, on peut penser qu’il est sage. A écouter Iomos Marad et Allstar sur ‘Element of Style’, on ne peut douter de la « sagesse » de Cap D ; En effet, sur un fond sonore réussi (Sample de xylophone, infra-basse et rythmique 4/4 avec la caisse claire sur le 4ème temps qui contrastent avec la tonalité aiguë du xylophone) et réalisé par Tone B. Nimble, Iomos Marad issu à l’instar de Spotlite du Crew Daily Planet déverse un premier couplet inimitable dans le fond et la forme, fait d’une voix et d’un flow fluide et calme : « I know where gators and silk players label me odd, spend majority of time in my Rockport’s and camouflage, niggas trade they freedom to put a Benz in they garage, boomin’ with the sounds, equipped with the rims, don’t forget them ho’s or weed-to-sex limbs, they be beatin’ off, oh-oh, shakin’ they torso ’til they stink with sweat… Bein’ underground is where we pose more threats, speak of black man’s stress, create life with every breath, uninspired tongues become sharp from verbal wars, transfer to digital in vain and foreign soars, From the lab, makin’ b-boys break on quick floors ; now take this rhyme and stick it in the mind of your whores. »

Après un instru reposant et aérien signé G[riot], qui pour l’occasion semble s’inspirer du dernier album de Pete Rock (Sample de cuivres aux accents Soul), Cap D reprend le commandement et produit lui-même ‘Vegetarian’.
A défaut de parler du thème de la chanson qui m’est apparu des plus obscurs, je parlerai du son et des flows. Sur un instru composé de cors et de violons lancinants, Tone the Strategist dirige la manœuvre et signe l’unique coup d’éclat du morceau : « …and I’m ugly on-point like Sam Cassell. »

Sur ‘Return Of The Avenger’, d’ores et déjà sorti en maxi, Cap D se pose en pourfendeur des Sucker MC’s- prêts à vendre leurs âmes en vue d’un contrat – et des Wack MC’s. Memoriza, membre des Molemen, retranscrit musicalement les thèmes de vengeance et de future justice à l’aide de collages de samples de violons – l’un redondant et heurté, l’autre épisodique et préoccupant.

‘Mr. Sexy’ sonne à la manière d’une production du brillant quatrième disciple de RZA – sample de piano bégayant, guitares wah-wah en fond, le tout sonnant Rythm & Blues. Alors que l’on pensait assister à l’arrivée de Killarmy en tant que relève, on assiste à l’exécution de traîtres passés à l’ennemi (les « je veux être truand ») pour l’argent. Cap D pourrait aisément endosser le rôle du chef du peloton d’exécution, la faute à un flow et une voix énergique et grave, alors que Allstar The Fabulous dont la voix est plus fluide et clémente tiendrait le rôle du confesseur.

Après un interlude ‘Here The Hate on Chicago’ sans intérêt, on retrouve Cap D et Juice sur un morceau aux forts accents Soul et dont la construction musicale s’apparente au ‘Nutmeg’ de Supreme Clientele (Ghost Face pour les ignares, s’il en reste).
Pour sa seconde participation Memo réalise un instru épique, rythmé et incluant différents mouvements. Happé par cette piste sensationnelle, avec ses transitions dynamiques et les flows hypnotiques de Cap D, Mr Greenweedz & O Type Star, j’en ai oublié de porter attention aux paroles. Sans conteste la meilleure piste de l’album.

Le morceau ‘1/21/01’ va quant à lui vous faire voyager dans un univers psychédélique et envoûtant. On redescend malheureusement rapidement sur terre. ‘Stellar’, l’autre single de l’album n’apporte rien de nouveau. Dj Premier étant très demandé et son répondeur étant surchargé, c’est un Memoriza beaucoup moins inspiré que pour ‘Ill Advisory’ qui s’est charge de la production d’inspiration « Premierienne ». La surexploitation de ce type d’instrumental a fini par transformer un « Ko en Ok ». Eh oui, le public est versatile et se lasse même des meilleures choses.

‘Uncle Sam’ est une piste conceptuelle sur laquelle Slug et Cap D nous raconte les histoires de leurs oncles respectifs Oncle Sam et Oncle Tom, deux icônes de l’histoire américaine. G[riot] sans réaliser une performance exceptionnelle sur ses consoles a su retranscrire l’humeur mélancolique et triste du morceau.
J-Rawls recycle avec brio le Jazz. « Renaissance » se plaçant dans la droite lignée des productions de l’album des Lone Catalysts, il paraissait normal d’inviter J. Sands sur ce morceau chaleureux et profond.
Rythmes heurtés, instru accéléré, démo de scratches signée Tone B. Nimble et flow sur vitaminé caractérisent cette piste aux accents Old School. Ce morceau passe comme une lettre à la poste. J’ai à peine le temps de commencer à y penser que la platine saute sur la chanson suivante. Voilà une bonne piste qui ne me laissera pas de souvenirs impérissables malgré la ductilité vocale de Cap D. Dès les premières notes je soupçonne G[riot] d’avoir emprunté la boucle à un certain Barry White. Quoiqu’il en soit le morceau ‘Godspeed’ a ce léger goût sucré et mélodieux de ses compositions musicales.

Dieu est un thème récurrent dans cet album. Bien sûr, les thèmes de la spiritualité et de l’Islam en particulier ont déjà été abordé – pas toujours intelligemment -, et peuvent rebuter certains auditeurs d’ailleurs J-Ro disait à ce propos « I don’t give a damn if you don’t eat ham« . Cependant, peu de MC’s l’ont traité emplis d’une telle humilité : « I don’t claim to have all the answers I don’t even know all the questions. », avec autant de fraîcheur et de sincérité. Du reste, c’est par conviction religieuse que Cap D a décidé d’arrêter la musique. En effet, si le Coran ne l’interdit pas explicitement, la Sunna – tradition du Prophète – y serait opposée (On utilisera le conditionnel, puisque ce sujet fait l’objet de controverses).

‘Future Is Now’, la dernière piste de l’album bénéficie d’un Tone B. Nimble inspiré alliant une boucle de piano à un saxo aérien, et insérant quelques scratches. Cap D quant à lui continue d’impressionner et de se livrer dans ses textes… »Whether you an intellectual or a soldier, we all move together we can tip the barrel over, and we got the freedom to see what’s on the outside, and that’s the main thing we all talk about, right? So here’s the reason why brothers sell drugs, the same reason why brothers is thugs the same reason why my people go to school, to escape being under the next man’s rule, basically, we all in the same situation, existing in the mist of God’s great creation, I seek the eternal, that’s all that lasts, and live for tomorrow, and live for the past. »

Au final, voilà un album qu’on attendait pas ou plus, et dont on ne peut plus se passer. On tient là un album d’une fluidité presque insolente, prouvant aux sceptiques que le Hip Hop n’est autre qu’une seconde nature chez les membres de ce groupe.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*