Nos 25 morceaux du premier semestre 2018
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Nos 25 morceaux du premier semestre 2018

Tous les six mois, L’Abcdr propose une photographie en vingt-cinq titres de ce qu’a été le rap. Nouvelle sélection, forcément partiale mais surtout pas partielle, illustrant ce premier semestre américain de 2018.

Dave East – « Violent » feat. Lloyd Banks

Avec P2, probablement son meilleur album en date, Dave East touche enfin à l’essentiel de l’univers qu’il bâtit depuis ses premières mixtapes. La réflexion peut paraître convenue, mais le fait qu’il ait grandi entre Harlem et le Queens prend une résonance particulière sur ce cru 2018, Dave promenant ses storytellings, flashs du passé et introspections sur un éventail micro-géographique capturant plusieurs sous-genres du rap new-yorkais. La onzième piste est de ce point de vue remarquable. « Violent » voit Dave et Lloyd Banks disserter sur la violence crasse et ses conséquences (« Talkin’ like a gangster, can’t even cover your death expenses »). Rico $uave leur sert un instrumental qui semble avoir été enfermé dans une capsule temporelle à Yonkers en 1999, tant il rappelle les territoires froids comme le pot chromé d’une bécane floquée Ruff Ryders. Des expérimentations synthétiques, industrielles et minimalistes tentées à l’époque par Swizz Beatz et P. Killer, qui n’avaient jamais semblé trouver grâce aux yeux des générations suivantes. En allant ressusciter, consciemment ou non, une tendance qu’on croyait totalement désuète, Dave East montre qu’il devient le porte-flambeau de l’ensemble d’une tradition musicale, de ses tendances gravées dans le marbre à celles regardées avec dédain. – Raphaël

Yhung T.O. – « Leave The Hood »

Le début d’année 2018 du SOB RBE a été pour le moins animé, entre un premier album en février rempli a rabord de bangers post hyphy, une collaboration avec Kendrick Lamar sur la BO du mastodonte Black Panther et l’annonce d’une tournée internationale qui les verra se produire le 11 décembre à la Bellevilloise. Yhung TO, leader naturel du groupe, embraie lui sur un premier album solo à venir chez Interscope et livre en guise d’apéritif ce « Leave The Hood » au doux parfum rétro. Évoquant sans fausse nostalgie un Spice 1 ou même le Too $hort de « The Ghetto », le morceau constitue un exercice de style plutôt réussi qui laisse à voir une facette plus introspective de son auteur. Et si cette balade aux accents presque sociaux ne brisera sûrement pas le plafond de verre des artistes de la Bay, le jeune rappeur de Vallejo y démontre une versatilité qu’on ne lui connaissait pas jusque-là. – Pap’s

Pusha T – « The Story of Adidon »

La vie peut être cruelle. Un pas du mauvais côté, et une seconde plus tard, rendez-vous dans l’autre bord, « l’au-delà ». Cet endroit obscur, sinistre, et surtout terrifiant, Drake avait pris l’habitude d’y jeter chaque opposant. La technique était simple : presser son adversaire le plus rapidement possible ; laisser Internet se charger du reste ; et rajouter une couche si nécessaire. À coup de réponses quasi instantanées, un par un, chaque adversaire a été « digitalisé » sur la place publique. Le 25 mai dernier, Pusha T sortit son nouvel album avec plusieurs piques à l’encontre de la star canadienne. Résultat, quelques heures plus tard, une réponse officielle, et il fallut attendre une semaine – une éternité dans le monde virtuel -, pour entendre une riposte. Sans même énoncer un mot, « The Story of Adidon » est un manifeste de l’embarras. Une pochette avec pour image le visage de Drake grimé par une « blackface », et de suite, implicitement, cette illustration questionne une fois de plus la vraie nature de son adversaire. Cette identité sans cesse mise à mal par ses détracteurs, Pusha T s’attache avec un plaisir malsain à la dévoiler. Le mariage infructueux de ses parents pour expliquer ses angoisses (« You mention wedding ring like it’s a bad thing / Your father walked away at five, hell of a dad thing »). Son métissage pour comprendre la maladresse d’une « blackface » (« Confused, always felt you weren’t Black enough / Afraid to grow it ’cause your ‘fro wouldn’t nap enough »). Ou encore la révélation d’un enfant caché pour dénoncer la comédie d’un artiste apprécié par le public féminin (« Love that baby, respect that girl / Forget she’s a pornstar, let her be your world, yugh ! »). Étape par étape, les pièces du meuble sont démontées. Un manuel IKEA mais à l’envers. Une performance remarquable face à une machine programmée pour plaire unanimement. Avec cette réplique, Pusha T démontre que la vie est courte. L’au-delà proche. La faucheuse n’a pas d’état d’âme. « Tick, Tick, Tick ». – ShawnPucc

Ocean Wisdom – « Deebo »

Le deuxième album d’Ocean Wisdom, Wizville, ressemble trait pour trait à son prédécesseur, Chaos ’93 : trop long, trop impersonnel, trop hétérogène. Pour l’instant, le jeune rappeur de Brighton peine à développer d’autres qualités que sa technique redoutable. Alors, il faut attendre que les planètes s’alignent pour faire oublier que la musique de Wiz a un peu tendance à sonner creux. Sur « Deebo », les drums sont lourds et secs, les synthés glaciaux, le minimalisme est de mise. Personne ne pourra reprocher à Ocean Wisdom de se contenter ici de kicker, kicker et encore kicker, sans donner aucune importance au fond. Et comme d’habitude, la démonstration vaut le détour, entre parties quasi-chuchotées, accélérations, roulements et passages chantonnés. Suffisant pour croire encore que ce jeune lad peut prétendre à une grande destinée. – Kiko

Del the Funky Homosapien and Amp Live – « Help »

C’est un paradoxe absolu : la France entière connaît Del et pourtant, quasi tous les français ignorent qui est Del. Caché derrière l’un des avatars de Gorillaz, le funky homosapien est l’un des protagonistes des premiers grands hits du super-groupe virtuel. Fantôme bleu aux côtés de Dan the Automator ou Damon Albarn, Del n’en est pas moins l’un des piliers du rap West Coast qualifié d’underground. Mais il en est aussi l’un de ses plus grands explorateurs, pour ne pas dire expérimentateur. Parti de ses liens de sang avec Ice Cube, conceptualisant le son chaud du collectif The Hieroglyphics et son mythique logo à trois yeux, éclatant les frontières sonores dans le trio Deltron 3030, l’espace musical de Del touche à l’infini, avec en plus un flow d’une technicité incroyable et une signature vocale encore jamais imitée à ce jour. Étonnant donc que Del, fondateur d’un hip-hop crypté et cosmique, ne soit pas plus connu du grand public. Mais après tout, est-il nécessaire de connaître le nom des plus belles constellations ou comètes pour les admirer dans un ciel aussi noir que scintillant ? Non. Alors l’espace-temps de Del reste à part, et si le public est passé à côté de son album avec le producteur Amp Live, le titre « Help », introduit par la voix céleste d’Andrea Blunt et bercé par le refrain chanté d’Adult Karaté sera l’un des moments les plus beaux de ce premier semestre de rap américain. L’évanescence est parfois une qualité, et avec Del, elle est toujours synonyme de délicatesse. – zo.

Kanye West feat. PARTYNEXTDOOR, Kid Cudi & 070 Shake – « Ghost Town »

Il se passe beaucoup de choses sur ce morceau, trop sans doute. À l’image de ce qui semble traverser l’esprit de Kanye ces derniers temps : c’est le foutoir. On y croise des samples poussiéreux, un PARTYNEXTDOOR transcendé (qui sonne tout de même beaucoup comme John Legend, ça reste mystérieux), un Kid Cudi aux gémissements toujours plus caricaturaux, un Kanye touchant qui chante étonnamment juste, des orgues et des guitares grandiloquents dignes de My Beautiful Dark Twisted Fantasy et même des bruits de laser. Mais tout cela n’est au fond qu’une introduction. Ghost Town commence vraiment à 2min32, quand 070 Shake débarque pour voler la vedette. La jeune artiste de G.O.O.D. Music incarne l’essence du morceau et capture en quelques mots tout l’état d’esprit qui préside ce Ye inégal : une attitude insouciante et irresponsable poussée à l’extrême, jusqu’à l’autodestruction, pour essayer de ressentir quelque chose. Kanye avait juste besoin que quelqu’un le formule à sa place. – David

Black Thought – « 9th vs. Thought »

Depuis une trentaine d’années, Black Thought porte un amour indéfectible à l’association des mots. Cette passion est sublimée à chaque instant par sa diction canonique, toujours très propre, érudite, parfaitement maîtrisée. Dans « 9th vs. Thought » produit par 9th Wonder, Black Thought nous rappelle avoir été touché par la grâce. Une aisance déconcertante pour trouver des structures de rimes à la fois complexes mais rythmiques, à peu près comme tout son deuxième couplet. Mais aussi une élégance pour se démarquer entre deux consonances, capable de bifurquer du panafricanisme aux créateurs de mode occidentaux dans des images étonnantes (« Rollin’ out of the dealership in a McLaren / These rappers is Peter Pan, I’m Pan-African / Space invader blackin’ ‘em / Mixin’ Alexander McQueen with Haider Ackermann »). Il nous avait rappelé à tous sa singularité en une prise de dix minutes sur le siège de Funk Flex Master. Lunettes sur le nez. Chapeau sur la tête. Flow calibré. Une exécution en règle pour faire l’étalage de ses aptitudes nettement au-dessus de la moyenne. Streams of Thought, Vol. I est une mise bouche. Le premier chapitre d’un auteur sans livre à son propre nom. – ShawnPucc

Mozzy, Sjava, Reason – « Seasons »

La force de la B.O. de Black Panther est celle de parvenir à créer une chimie entre les artistes américains et sud-africains sur de nombreuses pistes. A ce titre, « Seasons », placé en fin d’album comme un crépuscule, est un morceau exemplaire. Sur la production délicate, entre reggae et blues, de Sounwave et Frank Dukes – deux caméléons musicaux idéaux pour ce genre de défis – Sjava prêche en zulu en transmettant ses leçons de vie. Mozzy médite devant le lever du soleil sur la mort de son frère et le système carcéral américain, qu’il relie le temps de deux rimes et une latte sur son joint à l’ancien système esclavagiste. Reason, rappeur méconnu de Del Amo, conclut cette complainte sur des décennies d’injustice avec hargne et le souvenir d’un pote mort dans sa recherche de vengeance, rappelant ainsi l’antagoniste Killmonger. C’est cette capacité à relier intelligemment des thématiques sérieuses et toujours contemporaines aux symboliques du film qui fait de ce titre, et d’autres, la réussite de la bande originale signée TDE. – Raphaël

Anklhejohn – « Eternal Life »

Jusqu’au début de l’année, Ankhlejohn nous était totalement inconnu. Ses quatre projets sortis depuis janvier en font pourtant déjà une grande figure de 2018 dans son registre, qui semble autant devoir à Mobb Deep qu’à Three Six Mafia. « Eternal Life » ouvre l’EP Ankh Nasty, à grand renfort de violons menaçants, qu’on imagine bien accompagner l’apparition à l’écran du grand méchant dans un anime japonais. Alors que dans Lordy by Nature, son précédent projet, le minimalisme et la froideur étaient de mise, le rappeur de Washington D.C. fait donc ici plus dans la grandiloquence, troquant au passage les récits de vol de voiture pour un egotrip emphatique et appuyé par une avalanche d’adlibs. De thug à la petite semaine à supervillain en quelque sorte, avec brio. – Kiko

88rising – « Midsummer Madness »

88rising a tout d’une bande d’opportunistes à première vue. Les deux têtes d’affiche du label, Rich Brian et Joji, l’un adolescent indonésien atterri dans le rap par hasard et qui a appris l’anglais sur le tas avec des films de Judd Apatow, l’autre un Youtubeur loufoque qui verse en parallèle dans le rnb emo, pouvaient faire craindre de s’être lancés dans la musique simplement pour avoir accès à une plateforme de plus pour leurs pitreries. Mais contre toute attente, ils ont chacun sorti un premier album honnête, qui laisse entrevoir un vrai potentiel. Le label, majoritairement composé d’artistes asiatiques, vise le carton pop avec ce « Midsummer Madness » qui met en avant leurs plus gros talents. Malgré une volonté palpable de produire un tube au parfum de vacances, le morceau dégage une fraîcheur et une sincérité impossibles à fabriquer de toutes pièces. Ces types-là s’amusent, font ce qui leur plaît, et ça marche. À trop bien faire semblant d’être des artistes, c’en est devenu vrai. 88rising n’est plus du tout une blague. – David

Casanova – « Gripped Up »

Révélé en 2016 avec le morceau « Don’t Run », qui avait eu droit à son remix all star, Casanova semble prendre un malin plaisir à mélanger le rap de gueulard version MOP ou Busta Rhymes avec des sonorités qui lorgnant parfois vers Chicago ou le Philadelphie version Meek Mill. « Gripped Up » est une version sous stéroïdes de cette formule. Ses violons angoissants, son roulement de TR 808 et sa montée crescendo lors des couplets et du refrain font de ces trois courtes minutes un shot d’adrénaline addictif, la voix gutturale du rappeur de Brooklyn et son arrogance compensant sans problème des lyrics un peu faiblards et des placements parfois approximatifs. À la fin du second couplet, l’ancien codétenu d’A$AP Rocky entre presque en transe tant il semble proférer ses menaces le sourire aux lèvres et les yeux injectés. Cette apologie des fusillades en plein jour devrait se retrouver sur son EP Commissary, première sortie chez Roc Nation. Preuve si nécessaire que les options pour un artiste de la Grosse Pomme en 2018 ne se résument pas au rap de fashionista ou à la nostalgie d’un âge d’or fantasmé. – Pap’s

Zaytoven – « Show It » feat. T.I. & Kodak Black

Alternance d’ambiances trap nerveuses et de mélodies soyeuses, Trap Holizay de Zaytoven déroule la recette qui a fait le succès du producteur depuis « Icy ». La liste des rappeurs présents résume le CV du Ludwig van d’Atlanta, de 2 Chainz à Migos, de Gucci Mane à Lil Uzi Vert. C’est aussi dans la liste des co-producteurs que l’on comprend l’influence de Zaytoven : sont présents sur un titre chacun Metro Boomin et DJ Mustard, deux des plus grands faiseurs de tube de ces dernières années. A l’image de ses coproductions avec Mike Will sur Everybody Looking de Gucci Mane il y a deux ans, c’est aussi dans des collaborations avec d’autres producteurs que l’on saisit la simplicité accrocheuse des accords de Zaytoven portée par une instrumentation classique (piano, orgue, flûte, carillons…). Sur la sérénade « Show It », l’ambiance piano-bar de Zay est complétée par les basses collantes et les claps secs de DJ Mustard, héritées du rap de la baie de San Franciso, d’où est originaire Zaytoven. Un boucle géographique et temporelle qui enrobe cette production d’une saveur particulière, complétée par les parades de séduction des paons Kodak Black et T.I.. – Raphaël

J. Cole – « Kevin’s Heart »

J. Cole est un être rempli de bonnes intentions. À titre d’exemple, dans 4 Your Eyez Only, il avouait son envie d’être un homme parfait pour sa belle, et ce, en lui pliant son linge tout juste sorti du séchoir. L’amour dans toute sa plénitude. Mais cette confession est surprenante, elle intervient sur la route d’un artiste en pleine ascension. Le rejet ostensible du succès, de son style de vie, des traits qui donnent à sa musique un aspect « confidentiel » – ou « journal intime », au choix. On retrouve un peu de toutes ces choses dans « Kevin’s Heart », mais en beaucoup mieux. Produit par T-Minus, ce morceau est le seul de KOD à ne pas être touché par son auteur, des conditions idéales pour voir J. Cole se concentrer entièrement sur son écriture, et déposer un pont et un refrain très accrocheurs, l’une des clés de la réussite de ce single. Calme, personnel, voire un brin contemplatif, la mue de Cole en directeur artistique est un ticket gagnant. Toutes les sonorités sont bien senties, et sans être moralisateur ou encore niais, le rappeur de Fayetteville traite le sujet de l’adultère avec l’énergie nécessaire pour ne pas nous endormir. La thématique est pourtant déjà visitée par J. Cole, mais la cohérence entre chaque partie, production, écriture, interprétation, sont la petite touche en plus, des notes qui témoignent de la progression d’un artiste. Un essai à poursuivre sur la longueur. – ShawnPucc

Sheff G – « Panic 2 » feat. Sleepy Hallow & Double G

Depuis que Bobby Shmurda a allumé la mèche, l’incendie ne s’est jamais éteint à Brooklyn. Entre les danses virales et les embrouilles internes, les rues de Flatbush à East New York semblent vivre en autarcie, générant leurs propres étoiles filantes qui s’éteignent aussi vite qu’elles éclosent. Parmi elles, Sheff G livre depuis 2017 des ogives au napalm remplies d’argot haïtien et portées par une voix profonde. « Panic 2 » le voit croiser le fer avec Sleepy Hallow et Double G, deux collaborateurs réguliers. Dans ce back and forth, les mots rebondissent sur un piano macabre comme les corps sans vie sur le sol et la violence désabusée qui transpire des paroles n’est pas sans rappeler celle d’un Prodigy à ses heures les plus sombres. Combinant des flows faisant écho à leur racines caribéennes et un esprit cypher pleinement new-yorkais, les trois compères apportent leur pierre à l’édifice anarchique construit sur les ruines du GS9 et dont certains éléments comme le milly rock se retrouvent jusque sur les terrains de Premier League. – Pap’s

A$AP Rocky – « Changes »

Pour une fois, A$AP Rocky a décidé de se livrer un peu. Sur ce « Changes » doux-amer et très personnel, il évoque sa vie amoureuse, les anciennes compagnes qui passent à autre chose et refont leur vie, et lui qui reste comme un con pendant que les autres avancent. Pour le premier couplet, il s’inspire de celui d’André 3000 sur le meilleur morceau de ces vingt dernières années (inutile de se voiler la face) : « International Players Anthem ». Alors qu’André sur le point de se marier faisait ses adieux à ses autres conquêtes, Rocky se retrouve dans la situation inverse, à l’autre bout du message. À mi-chemin, l’instru change, ce qui paraît un peu artificiel au premier abord mais se justifie par le thème du morceau et sert à illustrer l’inconstance de Rocky, qui se laisse toujours distraire. Volontairement ou non, il ne se présente pas sous son meilleur jour et passe un peu pour un gamin immature, mais avec ce genre de titres, qui contiennent davantage de substance tout en préservant les ambiances aériennes qu’on lui connaît, Rocky tient une bonne direction pour faire évoluer sa musique. – David

Tuamie – « Travolta » feat. Henny Lo, Fly Anakin & Big Kahuna OG

Tuamie est un beatmaker évoluant au sein de Mutant Academy, nébuleuse basée en Virginie particulièrement prolifique depuis deux ans. Sans non plus inventer le son du prochain siècle, le jeune producteur montre une certaine patte sur ses récents projets, développant une musique atmosphérique et hypnotisante. Sur « Travolta », le sample principal est un enchevêtrement de claviers, paraissant de prime abord trop rapide pour la structure rythmique. Cet aspect bancal s’efface néanmoins vite pour révéler un instru plutôt envoûtant sur lequel Henny Lo, Fly Anakin et Big Kahuna OG, loin d’être des branquignoles au micro au demeurant, s’en donnent à cœur joie. « Travolta » a fait l’objet d’un remix sur une sortie ultérieure de Tuamie, moins réussi mais justifiant peut-être un peu plus son titre. – Kiko

Ski Mask the Slump God – « Coolest Monkey in the Jungle » feat. SahBabii

Beware: The Book of Eli est d’une brièveté frustrante (la nouvelle mode après l’éphémère tendance des albums à rallonge) mais confirme tout le bien que l’on pensait du jeune Floridien. Parmi les moments-phares, « Coolest Monkey in the Jungle », dont le titre fait référence à une campagne publicitaire désastreuse de H&M en début d’année, se démarque avec son instru grinçante et hallucinée et la prestation excentrique de Ski Mask. Le rappeur au sourire ahuri et aux paupières toujours mi-closes s’amuse en multipliant les images crades et improbables et en développant un univers cartoonesque qui n’est pas sans rappeler les belles années de Busta Rhymes. Il incarne le versant plus léger dans les thèmes et plus technique au micro de cette nouvelle génération dont son compère XXXTentacion était le chef de file. À lui de reprendre le flambeau. – David

Phonte – « Cry No More »

Sept années ont filé entre de Charity Starts at Home et No News Is Good News de Phonte. Durant ces années, la vie a été capricieuse. Un divorce. Un mariage. Le décès de son père et de son grand-père dans la même semaine. Puis de son oncle. Des coups durs palpables dans « Cry No More », à l’image de l’ouverture de son deuxième couplet : « They ask me where I been, dog I been rebuilding ». Le temps est nécessaire pour se construire, voire même se reconstruire, et pour Phonte, une partie de la convalescence réside dans l’écriture de ses peines, doutes, angoisses. En deux minutes et quarante-sept secondes, l’intéressé dresse un portrait poignant de son existence, de ses bien-aimés et des êtres chers disparus. L’attention est réorientée auprès des siens, sa mère (« My momma walking slower these days, she got a stent / Still on them Newports, where’s your fuckin’ common sense ? ») ou encore son fils (« Teach him how to throw a punch, ride a bike, tie a tie / Hold on to ’em while you can, this is just what I advise »). Un regard profond sur soi, son entourage, les personnes tombées en chemin (« And Pops, my health is doin’ pretty good despite you / I try so I don’t die at 54 just like you, cold »). Dans un univers musical perpétuellement séduit par la jeunesse, Phonte Coleman propose une alternative, une crise de la quarantaine créative. Un dessin poignant, enrobé par Illingsworth. Impossible de ne pas laisser perler une larme. – ShawnPucc

Junglepussy – « I Just Want It »

Seize fois. Durant « I Just Want It », Shayna McHayle alias Junglepussy répète seize fois à un homme qu’elle ne couchera jamais avec lui malgré ses demandes répétées, et ce en l’imitant d’une voix grave et lourdingue parfaitement exécutée. Extrait de son troisième et dernier disque JP3, « I Just Want It » pourrait bien résumer tout ce qui fait le charme de la musique de Junglepussy depuis quatre ans maintenant : féminins et féministes, les morceaux de la jeune rappeuse new-yorkaise s’inscrivent dans un nouveau courant de femmes/rappeuses « normales » – celles que l’on croise au quotidien dans les rues américaines – décidées à s’affirmer comme leurs prédécesseurs, tout en assumant aussi parfois leur vulnérabilité. Un mélange d’empowerment et d’ironie piquante qui donne aujourd’hui une nouvelle dimension à la représentation du rap au féminin parfois trop résumé à ses figures les plus exubérantes, et qui rappelle aussi que, souvent, le normal dans la musique peut avoir du bon. – Brice

Evidence – « Bad Publicity » feat. Krondon

Quand Krondon apparaît sur l’échiquier rap de L.A avec le maxi The Rules, il jongle à la fois avec les douze joyaux de l’Islam et les codes de rue propres à La Cité des Anges. À ce moment-là, personne ne connaît encore l’albino à la voix nasillarde. Mais en deux titres, son aisance sur un boom-bap d’abord léger, ensuite nerveux, le propulse tranquillement sur une mixtape de Rhettmatic, membre du collectif de DJs Beat Junkies. Le coup du roque se met en place sur le tablier de soixante-quatre cases noires et blanches. Car deux rappeurs sont en effet assis à la droite de DJ Babu, compère de Rhettmatic et roi des Beat Junkies. Ils s’appellent les Dilated Peoples et eux aussi sont sur la mixtape de Rhettmatic. Comme Krondon, ils adorent la weed et regarder L.A et son rap d’un œil faussement torve. La connexion est lancée. Ev’ et Krondon ne cesseront de se croiser tout au long des années 2000, que ce soit sous le patronage des Beat Junkies, de DJ Muggs, ou sur les albums de Dilated Peoples comme du complice de Krondon, Phil Da Agony. « Bad Publicity » est une borne kilométrique de plus dans ce parcours complice de quasiment vingt ans maintenant. Mais avec un clip dépeuplant Los Angeles, avec les scratchs de DJ Revolution aiguisant la production de Nottz, Mr. Slow Flow et Done Krisis excellent dans la nonchalance cinglante et sarcastique. Comme d’habitude avec Evidence, certes. Mais cette ode à Los Angeles, qui balaie aussi bien Venice Beach que South Central, aurait pu être l’une des bandes sons commandées par l’office du tourisme de L.A. Celle qui sert à répondre à la question que personne n’ose chuchoter en Californie mais à laquelle tous les rappeurs aiment répondre : qui tient les clefs de cette putain de ville ? – zo.

Playboi Carti – « Poke It Out » feat. Nicki Minaj

La force de Die Lit, premier album de Playboi Carti, tient à l’alchimie qu’il a créée avec le producteur Pi’erre Bourne. Carti balance en boucle des grossièretés et absurdités, aussi salaces que matérialistes, avec une interprétation presque régressive, d’une voix de sale gosse articulant mal chaque mot. Bourne crée un tapis de jeu sur mesure pour Playboi Carti, avec ses instrumentaux rappelant les consoles 16 et 32bits d’il y a vingt ans, faits de nappes de synthés fluorescentes tout en oscillation, sans sursauts, posées sur des rythmiques squelettiques. Sur « Poke It Out », Pi’erre Bourne parvient à changer de registre dans cette teinte, avec une mélodie sautillante tout droit sortie d’un dessin animé Nickelodeon, et une basse qui se mue par intervalles en chewing-gum, retenant le beat qui lui marche dessus. Une ambiance de parcs à balles colorées qui donne même un coup de lifting à une Nicki Minaj bien terne ces derniers mois. – Raphaël

Conway & Sonnyjim – « Kevlar Tux » feat. Roc Marciano

Conway dénote du reste. Dans sa diction, deux choses. D’un côté, les stigmates d’une balle logée en plein visage. De l’autre, un débit chirurgical. Chaque rime est ciselée, une balle cette fois-ci tirée dans les tympans de l’auditeur, pour faire mal et rappeler par la même occasion un parcours digne d’un super-héros (« Ayo, you fucking with a legend »). Prêter une oreille à Conway the Machine est une expérience dangereuse (« Two to the heads so they know that was me that left you »). D’ailleurs, le nom donné à cette collaboration entre le rappeur Roc Marciano et le producteur Sonnyjim est révélateur : « Kevlar Tux ». Les ruelles de Buffalo ont enfanté un des plus beaux joyaux de la scène indépendante new-yorkaise. Derrière les manettes, Sonnyjim fabrique une composition aux relents cinématographiques mafieux, l’ambiance parfaite pour laisser deux scélérats s’éclater. Mot de la fin à Roc Marciano : « Stay fly the ideology ». – ShawnPucc

Royce da 5’9 – « Caterpillar » feat. Eminem & King Green

Le rap d’Eminem a été déclaré cliniquement mort à plusieurs reprises ces derniers mois dernières années. Le personnage même d’Eminem a été moqué, singé, quasi enfermé dans les placards poussiéreux de l’histoire et des maladresses anti Donald Trump. Mais Royce da 5’9, en plus d’être monstrueux au micro tout en étant ultra prolifique depuis trois ans, est quelqu’un de loyal. Il n’oublie pas ses copains d’adolescence ni son Detroit à lui, et sait tourner la page des embrouilles qui parfois jalonnent des amitiés. Profitant de son album fleuve, The Book of Ryan, pour ressusciter le duo Bad meets Evil, l’homme qui oscille entre le cinquième et le neuvième étage donne une nouvelle jeunesse à Eminem. Sur un beat entre codes trap et le « Scenario » de A Tribe Called Quest gonflé aux gyrophares de soir de courses poursuites, les deux MCs croquent le mumble rap avec les dents d’une pelleteuse. « Caterpillar » est nerveux, direct, sec, et surtout virtuose, quel que soit celui qui tient le micro. Pour paraphraser un commentaire sur YouTube : la rumeur dit que lorsque Eminem a écrit son couplet, ses cheveux sont redevenus blonds. Jaune comme la marque d’engins de chantier et ses grosses chaussures faites pour écraser des gueules dans la boue. Alors certes, c’est du rap de vétéran, mais c’est avant tout du rap bulldozer. Le message de « Which is cool » revisité à coups de pelle. – zo.

Kevin Gates – « Vouch »

Les retours dans le rap ne sont jamais simples, surtout lorsqu’on est parti au sommet de sa gloire. L’aura grandit pendant l’absence et les attentes avec, si bien que le résultat à la sortie peut parfois décevoir. Libéré après près d’un an derrière les barreaux au tout début 2018, l’auteur d’Islah a pris son temps avant de redonner signe de vie musicale sous la forme d’un EP de trois titres au mois de mai. L’occasion pour Kevin Gates de montrer que sa formule, restée inchangée, est toujours autant d’actualité. Dans « Vouch », le chant émo se mélange sans problème à un storytelling détaillé au cours duquel le Louisiannais répond aux attaques d’un ancien collègue et réaffirme son statut de champion du peuple. Détesté de quelques-uns, aimé de beaucoup, l’image n’est certes pas nouvelle mais elle fonctionne ici parfaitement. Et peu importe si cet esprit revanchard se concrétise sur un prochain long-format ou non, un comeback aussi maîtrisé et enthousiasmant ça ne se boude pas. – Pap’s

Maxo Kream – « Work »

Drôle de trajectoire que celle de Maxo Kream. Longtemps considéré comme le nouveau grand espoir de la scène de Houston, la réalité aura littéralement rattrapé Emekwanem Ogugua Biosah Jr durant son début de carrière. En 2016, la presse locale texane annonce en effet que le jeune homme ainsi que les membres de son gang sont arrêtés par les autorités pour trafic de drogue (marijuana et pilules de Xanax à gogo), mettant un coup d’arrêt à sa carrière de rappeur. Deux ans plus tard, voilà pourtant Maxo Kream de retour avec son premier album, que « Work » introduit parfaitement : véritable hymne au hustling, Kream y raconte tous les détails d’une vie pour l’instant passée à survivre en vendant de la drogue pour aider sa famille. Surtout, les choix musicaux étonnent : sur une rythmique trap, Kream pose sa lourde voix accompagnée de sonorités électroniques, presque house, appuyant encore plus le sentiment d’urgence constant qui habite la musique de Maxo Kream. Et qui fait de son Punken un des meilleurs albums de rap US de ce début d’année. – Brice


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