
IAM au Vélodrome : historique malgré l’acoustique
Le 28 juin 2025, le groupe le plus mythique du rap français célébrait sa carrière sous le ciel du (tout aussi mythique) stade Vélodrome. Retour sur un spectacle qui, malgré une acoustique à revoir, marquera sans aucun doute la décennie.
Certaines prises de paroles publiques d’IAM nous avaient un peu perdus, notamment pendant la pandémie. Mais pour leur premier concert au stade Vélodrome, sous la canicule du samedi 28 juin 2025, le groupe a pris le parti de laisser parler la musique. Très peu d’échanges verbaux avec le public – et quand on sait combien notre Akh national aime parler, on imagine le challenge – mais plus de trois heures de concert, enchaînant littéralement les classiques, collectifs et individuels. Succédant à Bruce Springsteen et David Guetta, la performance d’IAM au Vel peut être résumée simplement : l’événement aurait été le concert du siècle, si seulement l’acoustique avait pu être mieux gérée. Un défaut majeur, que le groupe avait d’ailleurs anticipé, mais qui fait particulièrement de peine, sachant le soin perfectionniste qu’ils accordent habituellement à leurs balances (en général, impeccables) et en apprenant le décès de leur ingénieur du son, auquel IAM a rendu hommage à la fin du concert.

Malgré tout, ce fut un show exceptionnel. Une scénographie grandiose et pleine de sens, une interprétation habitée pour tous les membres du groupe, et surtout : une liste d’invités monumentale. Certes, « monumental », « légendaire », « historique » sont des termes trop souvent galvaudés à l’ère du tout promotionnel – un peu comme ces extraits de critiques placées sur les affiches de films qui s’apprêtent à sortir, et qui laissent croire que le chef-d’œuvre du siècle sort toutes les semaines. Mais cette fois, les adjectifs grandiloquents, le groupe marseillais les mérite cent fois. Après une entrée cagoulée sur « Independanza » – comme aux Victoires de la musique 1999, le groupe enchaîne sur « Nés sous la même étoile » et « Monnaie de Singe. » Apparaissent alors très vite les premiers invités, et là, c’est le choc : « L’Art de la guerre » au complet (oui, oui : Calbo, Lino et Pit Baccardi), « Le Monde est à moi » avec le reste du Secteur Ä, et plus attendu, « La Garde meurt mais ne se rend pas », duo annonciateur des Chroniques de mars, entre Shurik’n et son frère, Faf Larage. Après l’Égypte, dont la mythologie est à l’origine des noms de la plupart des membres et rappelle leur célèbre « Live aux Pyramides », s’ensuit la séquence japonisante de leur première partie, intitulée « Monde Asie. » Sur des visuels d’estampes à la Hokusai (franchement réussis), Shurik’n en kimono noir rappe le classique « Samuraï. » Puis – deuxième choc – laisse la place, sur la même instru, à Wallen, pareillement vêtue, pour le non moins classique « Celle qui a dit non. »
« L’événement aurait été le concert du siècle, si seulement l’acoustique avait pu être mieux gérée »
Un portail spatio-temporel à la Doctor Strange (rappelant que le rap français n’a pas attendu OrelSan pour honorer la geekerie) apparaît sur scène et annonce le passage à un nouveau « monde. » Les visuels changent : place au western spaghetti, aux épico-mélancoliques accords d’Ennio Morricone, et au classique de Kheops, Sad Hill. Après « Pousse au milieu des cactus ma rancœur », Akh lâche une larme en interprétant l’outro de « Mon texte le savon » (« Pour mes soleils et mes lunes / Du rien au tout, et puis du tout au rien / Juste que nous sommes rien du tout / En fait on sait rien, c’est tout« …), et on a franchement envie de pleurer avec lui, autant par empathie que par seum d’avoir distingué un mot sur dix (à moins d’avoir réussi à se mettre au premier rang). On savait qu’il y allait avoir de la nostalgie, mais c’est un concert où il faut décidément compter sur sa mémoire.
Côté émotions, le caractère politique mais sans long discours de la soirée est particulièrement efficace. Sur « La fin de leur monde », des images de désastres en noir et blanc se succèdent, réactualisées, par rapport au clip, à l’aune des horreurs contemporaines : les grosses têtes de Darmanin, Retailleau, Netanyahou, visages contemporains du fascisme, apparaissent au milieu d’images de violences policières, de manifestations néonazies et des déchirants décombres de Gaza.
« Sur ‘La fin de leur monde’, des images de désastres en noir et blanc se succèdent, réactualisées à l’aune des horreurs contemporaines »
Le « Monde cinéma » fait place au « Monde NYC », berceau du hip-hop et ville particulièrement chère au cœur d’Akhenaton – pour des raisons musicales comme familiales. Il est vrai que de ce point de vue, le groupe parvient encore à un petit miracle, en interprétant « La Saga » avec Dreddy et Timbo King (proches du Wu-Tang Clan), et plus tard, dans le « Monde M.R.S », en invitant Bruizza. Bruizza, qui, à l’inverse de Prodigy dans « Stronger », a préféré Marseille au Queens, a vécu avec la Fonky Family, leur a appris le charisme sur scène et dans les mots, comme le raconte Pone dans son autobiographie. Bruizza qui sera en partie le destinataire du classique de la FF, « Aux absents », après qu’il ait dû rentrer aux États-Unis pour purger une peine de prison. « Bad boys de Marseille » est d’ailleurs l’occasion de rendre hommage à une autre absence, encore plus douloureuse : Karima, la voix ensoleillée du refrain, disparue en 2019, dont le sourire photographié rayonne alors quelques instants sur le Vélodrome nocturne.

Hommage à Karima pendant Bad Boys de Marseille
« Bad Boys de Marseille » inaugure la facette transmission de l’œuvre d’IAM. Presque toute la Fonky Family est présente sur ce titre qui les a lancés. Le Rat Luciano reste pour « Je suis Marseille », son qui, en reprenant l’instru de « Marseille la nuit », clôture la compilation 13 Organisé. Tout le monde est là, sauf les deux plus grandes stars, Jul et SCH – dont on imagine qu’il ne peut malheureusement pas se rendre à Marseille pour des raisons de sécurité. Un échauffement pour Alonzo qui aura lui aussi son Vélodrome le 19 juillet ; un refrain mélodieux de Fahar pour la PN ; une complicité contagieuse entre L’Algérino et Akhenaton. Entre le « Mia » (avec les pas de danse de Djibril Cissé), « J’ai pas de face », « Le Feu » (Vélodrome oblige), Bouga s’amuse comme un petit fou sur l’attendu « Belsunce Breakdown. »
Mais le plus beau moment du concert reste la fin. Après « L’empire du côté obscur » et « Petit frère », tout le monde sait qu’il reste un classique, le Classique. La scène fait apparaître l’habituel banc sur fond d’immeubles qui accompagne la performance de « Demain c’est loin » à chaque date d’IAM. Cette fois, Akh l’annonce, quelque chose sera différent. Shurik’n commence son couplet, repris en chœur par la foule. Mais après les premières mesures, il s’arrête : Abd al Malik poursuit. Puis laisse place au Marseillais Relo. Puis arrivent Scylla, Juste Shani, REDK, Oli, Demi Portion enveloppé d’un drapeau palestinien redonné aux MCs d’IAM ; Infinit’ (on sait l’importance que le rap technique niçois a pour le groupe), Vincenzo, Médine, Dinos, Veust, Napoleon Da Legend, Youssef Swatt’s, Dany Dan, Caballero, Bigflo, Allen Akino, Oxmo Puccino, Jeanjass… Clou du spectacle, les dernières mesures d’Akhenaton sont prises en charge par son fils, JMKS ; et les dernières notes de « Demain c’est loin » résonnent, le père et le fils bras dans les bras. C’est trop.
« Les dernières notes de ‘Demain c’est loin’ résonnent, le père et le fils bras dans les bras. »
Si ce moment n’a pas fait le soir même la Une des autoproclamés « médias-rap-pour-la-culture » – occupés par Solidays ou autres événements où ils avaient eu des invits – celles et ceux qui étaient là savent. « On va pas faire comme s’il ne s’était rien passé hier soir au stade Vélodrome de Marseille avec IAM…. » affiche Médine le lendemain, avec l’ivresse d’un enfant qui a vu toutes ses idoles parader à Eurodisney. « Les légendes ne meurent jamais », partage Sat. « Chaque fois que j’arrive à la gare Saint-Charles, j’ai l’impression qu’il manque une statue du groupe IAM. Tellement ce groupe incarne l’âme de Marseille, sa fierté, son identité… et la force pure du hip-hop », commente Stomy. Ceux qui font la musique restent souvent les meilleurs témoins de ce qui compte : la liste des invités qui ont accepté avec fierté de rejoindre IAM sur la scène (en plus de ceux cités, mentionnons Khaled, et Kalash pour le refrain d’ « Offishal ») ne trompe pas. Le rap français se souvient. Et s’il faut retenir une chose du samedi 28 juin, c’est qu’il est dans son ensemble extrêmement reconnaissant envers le groupe qui a fait d’une « ville vieille de trois millénaires » un bastion inégalé du rap en France.
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