Sortie

Compilation Les Chroniques de Mars

Il y a ce titre, une coquetterie de geek, la référence à l’un des écrits les plus poétiques de la science-fiction (les Chroniques martiennes de Ray Bradbury, bien que l’auteur réfute cette appartenance générique) ; la sortie au mois de mars, car rien n’est laissé au hasard. Il y a la qualité sonore, maîtrisée de bout en bout, la place conséquente accordée à la production et aux Djs locaux (Djel, Rebel, Ralph, Bomb, Kep) avec, outre l’intro et l’outro, trois « interstices » pleins de scratchs jouissifs, à savourer autant que les morceaux. Et surtout, l’explosion jubilatoire d’un rap par pur amour du rap, des couplets incroyables sans motif autre que le kif – le label porte bien son nom – assortis de story-tellings pleins de sens, parmi les meilleurs du rap français : « Démon », « La Cavale » sorte de Get Out avant l’heure orchestré par Faf Larage. Les Chroniques plongent en termes de son dans le langage d’une autre planète, supérieure, ou dans la BO d’un film inconnu. Pourtant, les sujets parlent à tout le monde et étreignent, avec les jeunes voix de Sat, Luciano et les autres, la rugueuse réalité. C’est peut-être la combinaison gagnante qui aboutit aux « classiques » : l’originalité et la qualité musicale assorties de thèmes universels – la fête, les histoires, les métaphores filées chères aux MC d’IAM mais aussi l’amitié, la détresse sociale, la prison. Malgré une décevante suite, cet album distille et ancre dans l’histoire la synergie de plusieurs générations de rappeurs marseillais de façon inédite. Imhotep a sûrement été à ce moment, plus que l’architecte d’IAM, le catalyseur de toute une scène phocéenne en pleine effervescence, artistique comme amicale.

Faf Larage

(MC sur Chronique de Mars)

« À l’origine du projet, il y a trois personnes : Pascal (Imhotep) qui voulait fonder son propre label, Kif Kif Prod ; Lassad qui en était, sans poste attitré, le DA/chef de projet, et Gilles qui est devenu mon manager par la suite. L’idée était d’abord de sortir des vinyles de bonne qualité, de presse US, avec des combinaisons inédites. À l’époque le pressage français des vinyles était bidon, les DJs en jouaient rarement. Rapidement, le premier maxi sort avec  « Le Mégotrip » sur une face, et « Le Retour du Shit Squad » sur l’autre, pressé aux Etats-Unis et distribué par Kif Kif Prod, sachant que la distrib à l’époque c’était Lassad et Gilles avec des vinyles dans le coffre qui font le tour de France. Le succès est immédiat, et alors que je suis sur le point de signer sur ce label, Imhotep a l’idée de nous faire poser sur un morceau mon frère et moi : ça donne « La Garde meurt mais ne se rend pas » sur un nouveau maxi. Devant le bon accueil des vinyles, et suite à une réunion à BMG – qui à l’époque pesait beaucoup pour nous, puisqu’ils avaient Loud, le label du Wu-Tang, Mobb Deep etc. – Pascal, Gilles et Lassad décident de sortir un album. Les Chroniques viennent donc faire écho au succès des vinyles, en gardant la ligne : des combinaisons inédites du rap marseillais. On a tout enregistré au Petit Mas à Martigues, un studio mythique du sud dont les propriétaires, Fifi et Bru, tournent encore en ingé son avec IAM et m’ont tout appris. Le son c’était central pour nous, on demandait : « si je veux le son de DJ Premier, je fais comment ? »  alors que c’était un tout petit studio ! Le jour où on a fait « Le Squad », tu ne pouvais pas entrer dans la pièce. Déjà, tout le monde fumait donc tu ne pouvais pas respirer, et il y avait quinze mecs en train de boire, rigoler, écrire, poser. Parce que ce qui fait la force de ce projet, c’est qu’on était tous potos. Ce n’était pas chacun enregistre dans son coin, des gens passaient quand d’autres enregistraient, juste pour voir, parfois faire des backs qui ne sont pas dans les crédits. C’était un bordel organisé quoi. C’est là où Nathalie, chef de projet à BMG, a beaucoup aidé aussi. Elle a permis qu’on ramène quinze marseillais à Paris pour la promo – c’était la colonie de vacances [Rires] – ce qui était rare à l’époque. Plus rare encore, à BMG avec elle on avait l’impression d’être à la maison, là où les maisons de disque en général quand ils voyaient débarquer des rappeurs, ça leur faisait pas très… plaisir. Je me souviens de photos de ce moment, c’était des photos d’équipe de foot. En fait, les Chroniques symbolisent une réussite en termes de qualité de son, de logistique et surtout d’entente. Ce disque est devenu omniprésent dans nos concerts, même à Marsatac pour le retour de la FF on a joué « Le Squad » ! Il représente une époque, un âge d’or pas dans le sens où on était meilleurs que les jeunes d’aujourd’hui, plutôt parce qu’on considère qu’on avait les meilleures conditions au monde pour des artistes : faire ce qu’on aime, avoir du succès et tous bien s’entendre. Aujourd’hui, l’ombre des Chroniques pèse sur nous les anciens, personne n’ose refaire un projet du même genre, la barre est trop haute. Mais les jeunes pourraient, à condition d’être dans la même configuration que nous en 1998. » – Propos recueillis par L’Abcdr du Son en novembre 2018

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