Les années fusion de Donald Byrd
Souvenir

Les années fusion de Donald Byrd

Donald Byrd s’est éteint. Il emporte avec lui plusieurs décennies d’expérimentations jazz entre soul, funk, disco et même rap. Parmi celles-ci, sa rencontre avec l’univers des frères Mizell dans les années 70 berça une génération entière qui allait devenir celle des pionniers du hip-hop.

Plus les années passent, malheureusement, plus le risque d’apprendre le décès d’une légende des années 60-70 grandit. Ainsi le génial trompettiste Donaldson Toussaint L’Ouverture Byrd II, dit Donald Byrd, s’est éteint lundi 4 février à 80 ans, dans sa maison du New Jersey. La carrière de ce grand monsieur s’étale sur plusieurs décennies, traversant de nombreux styles de musique noire américaine : jazz bien sûr sous sa forme be bop puis hard bop, mais aussi fusion en tout genre tirant vers la soul, le rythm n blues, le funk et même le rap.

Le premier grand fait d’arme de Donald est son entrée dans le groupe du batteur Art Blakey, ses fameux Jazz Messengers. Dans les années 50, il remplace Clifford Brown au sein de ce tremplin extraordinaire avec, à ses côtés, Horace Silver au piano et Lou Donaldson au saxophone. Il accompagnera aussi quelques temps le quintet de Max Roach, l’emportant peu à peu vers le courant hard bop où il croisera John Coltrane, Thelonious Monk ou Sonny Rollins. Il commence alors sa carrière solo chez Blue Note au début des années 60, le label de référence à cette époque. Au rythme d’un album par an, sa réputation de grand trompettiste n’est plus à prouver. En 1971, il n’a pas encore 40 ans lorsqu’il cherche une nouvelle direction artistique. Il la trouvera dans sa rencontre avec les frères Mizell. S’en suivront cinq albums entre jazz, soul et funk avec des arrangements qui vont exploser les étiquettes musicales de l’époque.

La rencontre

Donald Byrd a toujours expérimenté de nouvelles manières de voir le jazz. Dans les années 60, il avait déjà réalisé une pièce atypique, A New Perspective, mélange de jazz et gospel à la limite de la musique de film, intégrant des voix et des instrumentations plus complexes. Le fameux “Cristo Redendor” marque cette envie d’aller vers de nouveaux horizons. Mais alors que la décennie 70 démarre, Byrd cherche un son vraiment original, novateur qui ferait le lien entre jazz et musique plus dansante, et finalement plus populaire.

De leur côté, Larry et Alphonso (alias Fonce) Mizell ont étudié à la prestigieuse école Howard de Washington DC. Musiciens chevronnés, ils jouent de la trompette, du clavier ou des percussions et forment un ensemble vocal avec deux autres élèves, les Vanlords. Après leur diplôme, Larry s’oriente vers une carrière dans l’aérospatiale pendant que Fonce intègre The Corporation en tant que compositeur et parolier avec son pote Freddie Perren, déjà membre des Vanlords. Ils travaillent aux côtés de Berry Gordy et Deke Richards au sein de la grandissime Motown, toute puissante à cette période. Ils composent ensemble le premiers hit des Jackson 5 “I want you back”, prévu à l’origine pour Glady Knight. Ils réalisent même des titres, finalement non retenus, pour Marvin Gaye quand celui-ci se lance dans l’après What’s Going On. Voyant la réussite de son frère, Larry quitte l’Espace et le rejoint à Los Angeles, devenue capitale de la musique. Dans un premier temps, il participe aux sessions d’enregistrement comme musicien, puis travaille peu à peu sur les compositions. Mais rapidement, la Corporation s’essouffle. Les frères Mizell cherchent à monter leur propre structure, leur propre son. C’est dans ces conditions qu’ils retrouvent Donald Byrd .

Celui-ci quitte New York en 1972 pour venir à Los Angeles enregistrer Ethiopian Knights, un album tourné vers l’acid jazz. Les deux parties s’étaient déjà côtoyées à Howard, Byrd y donnant des cours de trompette que suivait Fonce. Ils se retrouvent maintenant dans le même studio, Fonce participe aux sessions d’enregistrement et proposent des arrangements. Le courant passe. Peu de temps après, alors qu’il enregistre à L.A., Donald appelle Fonce pour lui demander s’il a des compositions pour lui. Il cherche de la nouveauté, un son plus dansant. Une collaboration mythique se met en route.

Black Byrd, la première empreinte

Les deux frères travaillent alors plusieurs démos, entièrement enregistrées sur un 4 pistes à la maison. Ils jouent tous les instruments et proposent une structure très enjouée. Ils intègrent aussi des synthétiseurs flambant neufs comme le Mini-Moog mais surtout les derniers venus de la gamme ARP, Soloist et Odyssey. Ils proposent deux titres à Donald Byrd qui les prend sans hésiter. Le son est résolument nouveau, plus organique grâce aux arrangements des deux frères mais aussi à l’avancée technologique qu’ils utilisent. Byrd part avec ces deux maquettes qui deviendront “Flight Time” et “Mr Thomas”, puis ne donne plus signe de vie pendant quelques mois. Sans grand espoir, les deux Mizell continuent de composer pour la Motown. Le trompettiste est en fait retourné à New York pour négocier avec les dirigeants de Blue Note, afin de définir si cette nouvelle direction est la bonne.. Byrd en est convaincu mais le côté plus “dance”, populaire est discuté au sein du label.

Finalement, Donald Byrd revient auprès des Mizell et leur donne le feu vert pour réaliser l’album entier. Fonce et Larry compose alors “Black Byrd”, “Slop Jar Blues” et “Where Are We Goin” qui était à l’origine un des trois titres prévus pour Marvin Gaye. Ils terminent avec “Sky High”, un titre portant le même nom que la structure qu’ils viennent de créer, Sky High Productions, pour représenter leur studio se trouvant sur les collines de Hollywood. Le son des frères Mizell est né et c’est un véritable succès. Black Byrd sort en 1973, il explose tous les scores de ventes de Blue Note et devient un incontournable, avec même une nomination aux Grammys. Les critiques jazz sont plus dures, n’approuvant pas ce côté “commercial” mais Byrd et les Mizell s’en défendent, réalisant juste la musique qui leur parait la plus actuelle. Le jazz fusion est né.

Pour défendre leur musique, Blue note les proposent au mythique festival de Montreux. Donald Byrd embarque avec lui quelques uns de ses étudiants de Howard. Sur scène, ils portent tous des tee shirts au nom de l’album, “Black Byrd”. Après le concert, ils deviendront les Blackbyrds, un groupe à part entière. Byrd leur trouve un contrat chez Fantasy Records et les Mizell s’occupent de la production de leur album éponyme, une belle pièce du style Byrd/Mizell. Une dynastie s’écrit doucement.

S’ensuit directement la composition d’un deuxième album pour Byrd, Street Lady, dans l’aspiration du succès fulgurant du précédent. L’album se veut conceptuel, chaque morceau peignant le portrait d’une femme différente, comme un « Girls, Girls Girls » de Jay-Z sur plusieurs pistes. Il y a la chef de tribu africaine, la femme de la rue, la professeur d’école… On retrouve aussi un autre des titres non retenus pour Marvin, “Woman of the World”. Les compositions sont assez proches de celles de Black Byrd avec un côté encore plus cinématique, presque blaxploitation, avec l’ajout de plus en plus de voix. L’album rencontre moins de succès mais “Lansana’s Priestess“ est tout de même très joué en radio et en soirée. Surtout, ces compositions des frères Mizell se veulent toujours proches de la rue, comme une vraie bande son de la vie de ghetto américain. La fusion trouve son public.

Think Twice, la marque de fabrique et l’influence sur le rap

Après la sortie de ces deux albums en moins d’un an, Donald Byrd capitalise sur ce succès populaire ainsi que celui des Blackbyrds. Les frères Mizell, quant à eux, se lancent dans la production d’autres artistes, comme la flûtiste Bobbi Humphrey et le pianiste Johnny Hammond. Entre temps, ils se retrouvent pour travailler sur un nouvel album, Stepping into Tomorrow. C’est vraiment à partir de ces sessions que le son Mizell prend son ampleur. Il s’agit aussi des titres qui seront les plus samplés par les producteurs de rap quinze ans plus tard. Parmi eux, le fameux “Think Twice”, sa voix enivrante et ses batteries ciselées, qui entraîne encore la fusion vers un nouveau terrain, et influencera des nombreux artistes disco, rap ou électro. Jay Dee en fera d’ailleurs une magnifique version avec Dwele sur son album Welcome to Detroit. De nombreux breaks et samples seront repris par A Tribe Called Quest, Main Source, Dj Jazzy Jeff & Fresh Prince, une génération entière de pionniers du rap aux influences jazz.

L’année suivante, en 1975, la collaboration se poursuit sur l’album Places and Spaces qui reste peut être comme la quintessence du style Byrd/Mizell tel qu’on le connait aux travers de son influence sur le hip-hop. Le magnifique “Wind Parade” sera repris par 2Pac, Black Moon ou Organized Konfusion pour ses breaks bruts de batteries et sa mélodie entêtante. Véritables mines de samples, ces morceaux embarque l’auditeur de l’époque dans une nouvelle dimension : une musique jazz funk de plus en plus électronique, qui tire vers l’avènement du disco. Mais surtout, cette musique garde son côté social, sa conscience noire. C’est cette touche qui explique ce succès auprès de la communauté noire bien des années après, avec l’explosion du rap. Donald Byrd aura même un grand rôle dans le Jazzmatazz de Guru, prouvant encore dans les années 90 son goût pour les mélanges en tout genre.

Un final quasi disco

La collaboration s’achève sur un album plus mineur, Caricatures, en 1976. Un disque très funk, voire carrément disco avec ses claviers de plus en plus électroniques et des rythmes très rapides (« Dancing on the Street »). Le jazz se discerne de moins en moins mais le grand public commence à vraiment être demandeur de cette fusion. Certains grands labels saisissent l’occasion et viennent proposer à Donald Byrd des offres alléchantes sur lesquelles Blue Note ne peut s’aligner. Le trio Donald-Larry-Fonce s’arrête alors, chacun partant vers de nouvelles destinées. Byrd continuera ses expérimentations chez Elektra pendant que les Mizell s’essayeront à un son carrément Funk-Dance-Groove avec A Taste of Honey et LTD avant de disparaître peu à peu des petites notes à l’arrière des disques.

Resteront cinq albums (six avec celui des Blackbyrds) d’une grande facture. Des témoins d’une époque, d’une transition entre plusieurs grands courants de la musique noire américaine, et une envie d’exploser les étiquettes pour proposer une musique inscrite en son temps, aux arrangements provocateurs et aux batteries assassines. Fonce Mizell est mort le 5 juillet 2011. Reste à espérer qu’il ait eu le temps de remonter un studio là-haut pour que Donald Byrd vienne y jouer ses sessions visionnaires. Une dernière envolée de trompette pour faire danser les anges.

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9 commentaires

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  • Abbey,

    Je peux dire que c’est continuellement un bonheur de vous lire

  • #187prodplaylistadaweek06 | 187 Prod,

    […] énormes classiques à la fin en hommage au trompettiste (jazz surtout, mais pas uniquement) Donald Byrd, qui a rendu son ultime souffle lundi 4 […]

  • […] énormes classiques à la fin en hommage au trompettiste (jazz surtout, mais pas uniquement) Donald Byrd, qui a rendu son ultime souffle lundi 4 […]

  • Reivax,

    Mortel l’article ! Je ne connais pas grand chose du bonhomme, à part un disque intitulé Blue Breakbeats qui tue sa mère (mais je ne sais même pas s’il s’agit d’un véritable album ou d’une compilation…). Les quelques trucs que j’ai entendu des Blackbyrds m’ont pas laissé un souvenir impérissable par contre… En tout cas, ce genre d’article est précieux pour remettre un peu d’ordre dans une discographie foisonnante en donnant un premier angle d’approche pour s’y pencher plus en détail.

  • Bboy Lightness,

    Je ne suis pas pas le plus grand connaisseur de Donald Byrd mais 2 choses quand même:
    – « Rock Creek Park » de blackbyrds, morceau mythique pour les fans de breakdance (pardon bboying) comme moi
    – le morceau club bien 80’s « sexy dancer » sur l’album « Words,Sounds,Colors & Shapes »

    Qu’il repose en paix.

  • #187prodplaylistadaweek06 | 187 Prod,

    […] énormes classiques à la fin en hommage au trompettiste (jazz surtout, mais pas uniquement) Donald Byrd, qui a rendu son ultime souffle lundi 4 […]

  • Farrugia,

    Bel hommage j’ai tous les disques de Donald byrd/mizell sky hight sur blackbyrd c’est du John Legend 30 ans avant l’heure…
    Magic twin twice du badu etc…
    Une harmonie particulière sur ces disques ni funk réellement soul et très jazz. On peut comparée aujourd’hui au rh factor de Roy hargrove
    Qui justement filtre avec cette soul genre kwah/home feat Anthony Hamilton.
    De toutes façon y’a pas beaucoup d’album qui d’écoute et se réécouté à l’infini peace…

  • lecaptainnemo,

    Oui le terme de jazz fusion est un peu flingué de toute façon, personne ne peut vraiment définir ce que c’est, la fusion vient de partout. Et puis, les étiquettes…

    Sinon pour les Blackbyrds, je parle uniquement de l’album produit par les frères Mizell vu que je parle dans cet article de la collaboration Byrd/Mizell. Après bien sûr que les suivants sont bien aussi mais ils ne rentrent pas dans le cadre de cet article.

    Merci de ton retour !

  • Lomi,

    Bon article, bonne idée ce genre de papier!

    « Le jazz fusion est né » me semble être un raccourci un peu rapide… il y a eu des choses avant les premiers disques Jazz-Funk de Byrd quand même.

    « Resteront cinq albums (six avec celui des Blackbyrds) »
    Les BlackByrds ont sorti plus d’un bon album! Il faudrait au moins ajouter Flying start.