XG : l’industrie musicale japonaise synthétise le rap US
Décryptage

XG : l’industrie musicale japonaise synthétise le rap US

Réaction japonaise au succès mondial de la K-Pop, la « X-Pop » de XG, nouveau girl band scruté au Japon et aux États-Unis, imite et rassemble les hits du rap et du R&B américain pour en faire une mixture à la fois ludique et artificielle.

Avec Brice Bossavie
Photographies : Apple Music

Secret bien gardé, présentée au public international uniquement par petites touches accidentelles (notamment via les animes), la J-Pop est depuis les années 60 un pilier de la culture populaire japonaise, générant des milliards de yens et faisant émerger les plus grandes vedettes de l’archipel. Cette industrie locale, pilotée uniquement pour le marché domestique et très liée à l’industrie audiovisuelle et médiatique, traverse pourtant actuellement la plus grave crise de son histoire. En cause : la mise au grand jour des crimes sexuels inqualifiables perpétrés pendant des décennies par le mogul de la J-Pop Johnny Kitagawa à l’initiative de la création des boys band les plus importants dans l’histoire musicale du pays et décédé en 2019.

Un ouragan médiatique et judiciaire, aux airs « d’affaire Epstein » à la japonaise, qui fragilise au « pire moment » une industrie qui doit composer pour la première fois avec une concurrence frontale sur son sol : celle de la musique coréenne, dans la K-Pop mais aussi dans d’autres genres, qui séduit ces dernières années un public japonais historiquement plus porté sur ses productions locales. Face à cet engouement des Japonais pour les productions musicales du pays du matin calme, deux hommes ont alors compris qu’il allait falloir agir pour rester dans le coup : Masato Matsuura et Katsumi Kuroiwa, les dirigeants du géant du divertissement Avex, actif dans le pays depuis la fin des années 80. Dès 2017, ils missionnent Junho « Simon » Park alias Jakops, un beatmaker à la triple culture Amérique/Japon/Corée du Sud (il est né aux Etats Unis d’une mère japonaise et d’un père coréen) pour prendre la tête d’un nouveau label, XGALX, qui devra aboutir à la création d’un « super-groupe » féminin tourné vers l’avenir : XG.

Ni K-Pop, ni J-Pop : X-Pop 

Durant 5 ans, sept jeunes femmes sélectionnées parmi 13 000 candidates à travers le pays vont devenir des Trainees, selon le système mis en place par les majors en Corée du Sud qui s’apparente à de véritables « centres de formations pour pop-stars ». Les artistes sont formées au chant, à la danse, mais également aux relations publiques et aux langues étrangères, tout en vivant constamment ensemble. Avec pour XG une attention toute particulière à une compétence : leur maîtrise de l’anglais. Si le groupe fait quelques apparitions dans les médias coréens, se coulant dans un premier temps dans le moule de l’industrie K-Pop, ce n’est qu’en 2022, avec la sortie de ses premiers titres que la formation marque finalement sa différence en assumant des titres intégralement en langue anglaise, fait rare dans le monde de la pop asiatique mainstream.

Surtout, le groupe va aller chercher son influence principale dans deux genres musicaux : le rap et le R&B américain. Le 17 novembre 2022, XG dévoile ainsi une vidéo nommée « GALZ XYPHER », en clin d’œil aux cyphers du rap US. Tour à tour les différentes membres du groupe se mettent alors à rapper et chanter sur… des productions rap américaines. On entend le temps de 5 minutes des morceaux de JID, Jack Harlow ou de toute l’écurie Dreamville être repris par les membres du groupe japonais, dans une version revisitée en anglais.

De fait, Jakops et les responsables d’Avex n’auront de cesse de le marteler : selon eux, la musique de XG n’est pas de la J-Pop ni de la K-Pop mais de la « X-Pop », un nouveau genre qu’ils souhaitent résolument « mondial » et interculturel dans ses influences et son attrait. Pour aussi mieux s’exporter.

« XG va aller chercher son influence principale dans deux genres musicaux : le rap et le R&B américain. »

Du Japon aux États-Unis

Destinés à un public le plus large possible, aucune vulgarité ou sous-entendus sexys ne transparaissent ainsi des textes du groupe. Pas de chagrins d’amour ou de crushs adolescents chez XG, qui déroule des hymnes gouailleurs et des ego-trips festifs, gentiment menaçant comme sur  « GRL GVNG  » ou régressif comme sur « TGIF ». Des textes intégralement en anglais qui ont pour beaucoup été co-écrits par l’auteure et compositrice américaine Rachel West, celle-ci ayant travaillé notamment avec Bone Thugs-N-Harmony, Machine Gun Kelly, mais également avec les stars de la K-Pop Twice. Son expertise crédibilise le projet XG dans son intention de parler au public anglophone, Jakops confiant d’ailleurs au magazine américain Billboard la nécessité pour le groupe d’utiliser des formules « authentiquement employées aux États-Unis. »

Plus que dans les paroles, c’est surtout au niveau des sonorités que le géant japonais va pousser encore plus loin la logique d’impliquer des musiciens américains. Plusieurs morceaux du groupe ont ainsi été initialement composés non pas au Japon mais en Amérique, dans des sessions studios de musiciens américains réunis pour composer des titres pour l’industrie K-Pop. Comme le montrait le média Teen Vogue à l’été 2021, il n’est plus rare dans l’industrie musicale américaine d’avoir des « camps d’écritures » de producteurs et d’auteurs américains, missionnés par l’industrie coréenne pour composer des morceaux à distance.

C’est via ce fonctionnement que Stroud, producteur de rap américain (TI, Boosie Badazz, Lil Keed) s’est ainsi retrouvé crédité à la production de « NEW DANCE », un morceau de XG à plus de 20 millions d’écoutes sur Spotify. « J’étais à Atlanta, et Ray Daniels [ndlr : président de l’agence R.A.Y.D.A.R Management LLC] avait mis en place un camp d’écriture et de production K-Pop, raconte le beatmaker à l’Abcdr du Son. Une des auteures était alors en train d’écrire une chanson, et elle m’a demandé si j’avais des prods.[…] On ne savait pas pour qui on écrivait, on savait juste qu’on réalisait des chansons pour des potentiels groupes K-pop en Asie. » Quelques mois plus tard, le producteur va alors apprendre que les rythmiques qu’il avait proposées lors de ce camp d’écriture ont été retenues pour un morceau du nouveau grand espoir de la musique japonaise.

Pour Stroud, la distance culturelle potentielle ne semble pas entrer en compte : « On considère la K-pop comme de la musique pop  « normale », c’est juste la langue qui est différente. Mais au bout du compte, notre approche pour un disque de ce genre est la même que pour n’importe quel autre style de musique. […]  Les accords de do mineur que l’on utilise dans une chanson de musique country sont les mêmes que dans une chanson de rap ou de R&B. »

La difficile construction d’une identité propre

Davantage encore que les productions, c’est bien l’interprétation des chanteuses de XG qui sera le plus susceptible d’accrocher l’oreille de l’auditeur de rap américain. Se passant tour à tour le micro après quelques mesures, chaque membre adopte un flow et une intonation spécifique reprenant ceux d’une vedette féminine du rap et du R&B actuels. Ainsi, au jeu du blind-test, on pensera reconnaître pêle-mêle Doja Cat, Nicki Minaj, Ice Spice ou Ariana Grande, entre autres pastiches express déroulées tambour battant. Cette impression de Super Smash Bros. musical, de crossover artificiel est particulièrement criante quand le groupe est rejoint par des invités américains à l’image de Ciara et Rico Nasty sur les remix de « Left Right »  et  « Shooting Star ». L’auditeur non averti aura bien du mal à distinguer les deux américaines présentes aux côtés du groupe de leurs éventuelles « imitations ». De quoi participer à créer une ambiance sonique originale, à la fois actuelle et alien, évoquant parfois l’ambiance d’un strip-club d’une réalité alternative, où le Monster Energy remplace le bourbon et où les danseuses portent les wigs extra-terrestres du créateur Tomihiro Kono.

« Si XG ne fait pas l’unanimité au Japon, le géant du divertissement Avex s’est donné les moyens d’en faire un carton aux Etats-Unis . »

Si XG propose finalement une expérience ludique et même originale à sa façon, le groupe passe pourtant à côté de ce qui fonde une part importante du succès de la K-Pop : la promesse d’une proposition subtilement alternative à la pop occidentale. Dans ses paroles et ses noms de morceaux, le groupe revendique pourtant l’envie de créer une nouvelle musique, à l’image du nom de leur récent EP NEW DNA, ou des paroles du conquérant « X GENE », « New chapter, next scene » : nouveau chapitre, nouvelle scène. Dans la constitution même de ses morceaux, le groupe semble pourtant beaucoup imiter ce qu’il se fait aujourd’hui en occident. S’oublier toute entière pour renaitre, c’est peut-être là le compromis trouvé par une industrie musicale japonaise malade de son entre-soi et de son arrogance, consumée à petit feu par ses noirs secrets.

Si le groupe ne fait pas l’unanimité au Japon et reste encore méconnu du public européen, Avex s’est donné les moyens d’en faire un carton aux Etats-Unis : couverture du Billboard, partenariat avec Apple Music et concerts événements à travers le pays. De son côté, Stroud n’a pour sa part aucun doute quant au succès du groupe : « Certains de mes neveux et nièces connaissent leurs chansons. J’ai une fille qui adore « New Dance ». […] C’est une chanson qui prend vraiment aux États-Unis. Je n’ai même pas besoin de raconter aux gens que c’est moi qui ai produit ce titre, ce sont des personnes qui connaissent déjà le morceau qui m’interpellent à ce sujet. Ça me rend très optimiste pour la suite, et je suis persuadé que les Américains adhèrent à XG. » Premier groupe japonais à intégrer la Mediabase américaine (qui gère les entrées en playlist radio), tout en comptabilisant déjà 625 millions de streams sur les plateformes, XG a déjà réussi une partie de son pari. À voir désormais si le rap américain sera bel et bien le salut inattendu de la pop japonaise.

 

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