L.O.A.S, des rires et des angoisses
Interview

L.O.A.S, des rires et des angoisses

Actif au sein du collectif DFHDGB depuis quelques années, L.O.A.S donne une suite à son premier essai solo qu’était N.D.M.A. Cette fois, c’est un album qu’il livre : Tout me fait rire. Loin de la musique engagée, L.O.A.S construit une oeuvre engageante, sur laquelle lui et les divers protagonistes de son album reviennent ici.

Photographies L.O.A.S : Brice Bossavie

Abcdrduson : Combien de temps s’est écoulé entre le moment où tu as posé la première pierre de l’édifice Tout me fait rire et la sortie de cet album ?

L.O.A.S : Il y a eu énormément de temps, parce que la première pierre date d’avant N.D.M.A. Des morceaux ont été enregistrés avant la sortie de N.D.M.A, et une bonne partie était écrite avant cette même sortie. L’enregistrement de l’album était fini en décembre 2015, et il était mixé sous sa forme finale il y a un an. Donc ça s’étend sur pas mal de temps.

A : C’est donc la partie plus logistique, pour la sortie du disque, qui t’a ralenti ? 

L : Oui, il y a eu pas mal de petites embrouilles internes. Mais des petites embrouilles qui étaient positives dans le sens où les gens voulaient sortir le projet. Ce n’était pas que je ne trouvais pas de manière de le faire, c’était que je n’avais pas envie de le sortir seul de mon côté. Je voulais être un peu plus accompagné, et en même temps j’étais un peu coincé par une boite qui se cassait la gueule. Mais les gens voulaient quand-même sortir le projet, et bref, ça a pris du temps.

A : Tout ce temps ne t’a pas rendu un peu fou ?

L : Ça m’a rendu complètement taré ! Après, je ne suis jamais totalement inactif, l’an dernier j’ai fait pas mal de dates. Comme j’ai tourné, j’ai vachement travaillé la scène à ce moment-là. Puis je continuais d’écrire. Par contre j’ai seulement maquetté mes prochains morceaux. Avant, les enregistrements de projets s’étendaient sur une certaine période, et en ce moment je me contente d’écrire et maquetter, pour me lancer le jour où tout est fait.

A : As-tu eu la sensation de t’être professionnalisé pour cette sortie ?

L : Oui c’était exactement l’idée : se professionnaliser un petit peu, passer à l’étape suivante après N.D.M.A. La vérité est que je ne sais pas si c’était la bonne stratégie, et je le dis très honnêtement. Peut-être que j’aurais dû le sortir à la zob’, tout seul dans mon coin. Après, le temps que ça a pris m’a aussi permis d’avoir une belle pochette avec Fifou, et m’a peut-être évité de faire les choses dans la précipitation. J’ai pu travailler des clips, enfin ce temps m’a quand même donné un certain confort, ce n’est pas que du négatif.

A : Auparavant, toi et Hyacinthe aviez un studio, dans lequel tu as vraisemblablement enregistré une partie de l’album. La perte de ce studio t’a-t-elle freiné d’une quelconque manière ?

L : Quelques morceaux ont été enregistrés là-bas mais ne plus avoir le studio ne m’a pas du tout freiné. Pour l’utilité que l’on en avait, le studio était un peu superflu, et ni Marin [Hyacinthe, NDLR] ni moi n’avions la volonté de gérer un studio en fait. On avait envie d’avoir un espace pour créer, ça c’était cool ; mais par rapport à ce que ça représentait comme argent, comme investissement et tout, ce n’était pas du tout la démarche.

A : Venons-en plus précisément à Tout me fait rire. Tu sembles avoir collaboré uniquement avec des personnes qui sont plus ou moins des proches, non ?

L : « Des proches », je ne sais pas ce que tu entends par là, parce qu’il y a des gens que je n’ai jamais rencontrés physiquement. Mais ce sont des gens avec qui je m’entends bien. Et à l’exception de Fifou qui a fait la cover, ces gens ne sont pas vraiment dans le rap. Je parle essentiellement des beatmakers là, bon il y a Krampf qui a quelques trucs, mais après…

A : Koursky Lion aussi produit du rap.

L : Koursky, oui, mais pas en France. Enfin ce n’est pas tant ça l’idée, mais c’est que cela donne un patchwork de beatmakers qui ont une patte que l’on n’entend pas forcément partout. C’est cool, ça donne une certaine identité à mes projets.

A : Et tu es allé vers chacun avec des demandes précises, compte-tenu de son univers ?

L : Jamais ! Je ne fais jamais ça. À chaque fois que j’ai essayé de dire à quelqu’un « viens, on fait ça », il s’est avéré que ça ne marchait que moyennement. J’aime bien m’adapter à ce que les gens savent faire. Les gens peuvent m’envoyer dix ou quinze prods, il va y en avoir une qui sera la bonne, une qui me parle, je ne sais pas pourquoi. Mais j’évite de demander aux gens de faire quelque chose sur commande.

A : Krampf a souvent été présenté comme l’architecte sonore de DFHDGB. Qu’en est-il sur Tout me fait rire ? Quel a été son rôle dans la construction de cet album ?

L : Si on reste dans cette idée de construire un bâtiment, moi j’ai amené des bouts de pièces. Ces pièces je les ai assemblées avec Tomalone. L’album s’est construit dans un dialogue avec Tomalone, qui était mon interlocuteur pendant toute la période d’enregistrement. Et une fois que cela a été fait, je suis allé voir Lucien [Krampf, NDLR] avec qui on a fait une sorte d’homogénéisation du projet. Il en a vraiment donné les teintes, les couleurs précises.

A : C’est donc Tomalone avec qui tu as le plus étroitement collaboré pour construire ce disque ?

L : En fait, sur N.D.M.A, le morceau « N.D.M.A » était celui dont j’étais le plus fier, et je l’avais fait avec Tomalone. Je trouvais cette collaboration assez unique, et je me suis dit qu’il fallait creuser ça. Du coup, le noyau de Tout me fait rire s’est fait autour des prods de « La lune » et « 170709 ». C’est autour de ça que s’est construit tout le projet. Tomalone vient du Sud, comme moi, il vit même actuellement à quelques kilomètres de là où j’ai grandi. On ne s’est jamais rencontrés à l’époque, ça s’est fait sur internet et depuis on se connaît, on s’est vus. J’apprécie sa vision de la musique, son état d’esprit, et notre relation de travail est une collaboration. Lui, il m’a accompagné dans Tout me fait rire, en tant qu’interlocuteur, et moi de mon côté je lui ai fait un clip, et je dois lui en faire un deuxième. On se rend service mutuellement. Il a passé pas mal de temps sur mes morceaux, à les nettoyer, à travailler les voix, tout ça.

A : À propos de voix, sur l’intro l’effet sur ta voix est très fort, au point que l’on ne la distingue presque plus, tant elle est robotisée. C’est un choix de ta part ?

L : C’est un choix de Krampf, c’est encore ce genre de trucs de ce génie. Lucien arrive, il voit le truc, et va juste ajouter un élément, auquel je donne du sens avec le recul. Mais ça ne venait pas de moi, de la même manière que le vocoder à la fin de « Vieux frère » est une idée de Tomalone. C’est lui qui l’a ajouté. Ce sont des esthétiques qui mises les unes à la suite des autres créent une cohérence. J’aimerais bien dire « je suis arrivé avec un projet d’album : ça va être comme ça », mais en fait il y a plus des accidents, des petites choses… On joue avec les défauts et les qualités des matières musicales que l’on travaille.

A : Lorsque N.D.M.A est sorti, tu disais faire de la musique pour « [te] marrer le plus possible » or sur cet album, à part le titre, il n’y a pas grand-chose de drôle. Et ta musique ne donne pas l’impression d’être très marrante à faire non plus.

L :[Rires] Je vois tout à fait ce que tu veux dire. En fait, faire de la musique et se marrer, c’est se marrer dans le sens de faire des choix fous, des choix de vie. C’est plus ça que j’appelle me marrer. C’est ne pas être là où on m’attend. Moi ça me fait rire en fait, d’arriver avec cet album après N.D.M.A. Et même si les gens ne le perçoivent pas forcément, il y a toujours des petites touches d’humour dans ma musique. Mais je ne fais pas de la musique LOL, ça ne me plaît pas la musique pour faire rire. J’aime bien émettre des petites touches d’humour noir, grinçant, mais quand je disais faire de la musique pour me marrer, c’était plus pour être un peu fou et essayer des choses.

A : Dans ce que tu écris et enregistres, il y a une intensité qui s’approche de la violence, tu sors tes tripes et te dévoile de façon très intime. Cela te demande-t-il un effort mental et physique ?

L : Je m’impose des limites, et je vais dire des choses sans les dire, comme dans « La Lune ». Il y a des mots que je ne dis pas, et le fait de ne pas les prononcer, ça les met en valeur. Mais oui, ça demande un effort physique, aussi bien à l’enregistrement que sur scène. Il y a quelque chose de pesant à se dévoiler, c’est évident. Mais, à mon sens, c’est ce qui rend ce que je suis un peu intéressant aussi, dans les derniers morceaux. Au début, quand je commence à faire de la musique, il y a un personnage, que je crée au fur et à mesure. Il est outrancier, sans limites, donc je peux lui faire dire n’importe quoi. Et tout d’un coup, ce personnage, à force de le faire exister, il entre dans la vie réelle. Il a une incidence sur ma vie et me remet moi en question. À un moment donné il y a une collision entre le personnage et la personne « réelle » si tant est qu’elle existe. Ces deux choses commencent à se mélanger un peu, l’une attaque l’autre.

«  Quand je commence à faire de la musique, il y a un personnage, que je crée au fur et à mesure. Tout d’un coup, ce personnage entre dans la vie réelle et me remet moi en question. »

A : Tu dis dès l’intro « L.O.A.S, personnage de fiction », ce qui paraît étonnant en écoutant la suite, car il ne semble pas du tout que l’on entend une fiction. C’est ultra-personnel dirait-on. Lorsque tu relis ou réécoutes ce que tu as créé, n’es-tu jamais troublé ?

L : Pour répondre à ton propos sur le personnage de fiction, je suis d’accord mais à partir du moment où tu te mets en scène d’une façon ou d’une autre, même si c’est ta vie réelle, ça devient une forme de fiction. La réalité est dans ce que tu vis sur le présent, après, c’est de l’interprétation… Ensuite, est-ce qu’il y a des choses qui me troublent ? Jusqu’à présent, et je touche du bois, de tous les morceaux que j’ai faits, aucun ne me gêne, aucun ne m’embarrasse. Je n’ai pas commencé à faire du rap à quinze ans, du coup j’évite cet écueil de l’adolescence. Au moment où je fais de la musique, je suis quand même suffisamment sûr de qui je suis, de ce que je suis, pour me permettre l’aspect outrancier et les écarts personnels, je l’assume.

A : Pour ce qui est de l’interprétation, tu as canalisé ton énergie. Est-ce le fruit d’un travail particulier, d’un entraînement ?

L : Non ça n’a pas demandé d’entrainement parce que c’est quelque chose que je savais déjà faire. Mais j’avais effectivement la volonté dans ce projet-là d’arrondir les aspérités du précédent. Il s’agissait de trouver quelque chose de rond, tout en gardant à l’intérieur des mots le même côté coupant et piquant.

A : Un morceau de l’album s’intitule « Chambre 237 », du nom de la fameuse chambre dans Shining de Kubrick, ou peut-être dans le roman de Stephen King. Sont-ils des références importantes pour toi ?

L : Je crois que dans le roman de Stephen King la chambre ne s’appelle pas comme ça, Kubrick a changé le nom me semble-t-il. [En effet après vérification il s’agit de la chambre 217 dans le roman Shining, l’enfant lumière, NDLR] Effectivement ce titre fait référence à Shining, mais aussi à un documentaire hyper intéressant qui s’appelle Chambre 237, sur les multiples interprétations que l’on peut donner de ce film. Ça va des trucs les plus carrés aux plus loufoques. Pour moi la chambre 237 c’est un peu cette pièce à l’intérieur de soi, dans laquelle on a enfermé le monstre.

A : Sur ce disque, il y a une récurrence des évocations de lieux fermés : les boites de nuit, l’hôpital psychiatrique, la prison… Cela t’effraie-t-il ?

L : C’est quelque chose qui bien entendu m’angoisse, l’impression d’être enfermé tout le temps, d’être dans une prison à ciel ouvert. L’hôpital psychiatrique renvoie à plein de trucs personnels, pareil pour la prison. Cela fait appel à des choses personnelles, des expériences. Des amis ont été enfermés, de la famille… Quand tu es minot, tout d’un coup il y a quelqu’un dont on arrête de parler dans ta famille, quelqu’un qui devient une sorte de fantôme. Donc oui, ça m’a marqué.

A : La nuit est aussi omniprésente dans ta musique. Mais ce n’est pas une nuit reposante, elle est plutôt turbulente, voire destructrice. Toi-même es-tu particulièrement noctambule ?

L : Tout à fait. Je suis bon en écriture seulement après minuit, ce qui est d’ailleurs très handicapant quand tu travailles avec des gens. Aller dans un studio et écrire, je ne sais pas si je pourrais le faire. Moi, j’écris bien quand il n’y a plus rien autour, que je suis tout seul. Après oui, je vis beaucoup la nuit, je suis effectivement un noctambule.

A : Autre point majeur de ton rap, sa dimension spirituelle, de plus en plus forte, avec d’ailleurs une large part de blasphème.

L : C’est marrant parce que j’ai vraiment l’impression que c’était quelque chose qui faisait déjà partie de ce que je racontais. Après peut-être que c’est plus présent… Pour le blasphème, je ne sais pas… J’essaie de sortir des dogmes en fait. Je vais plutôt dans la provocation pour essayer de sortir des carcans, d’une vision spirituelle étroite. Mais je ne suis pas dans le blasphème pour moquer la spiritualité, la croyance ou la religion, parce que moi-même je crois aux choses spirituelles. C’est plus la vision étriquée et fermée qu’en ont les gens qui m’agace.

A : La couverture médiatique que tu as acquise avec Hyacinthe n’a pas mis longtemps pour vous coller une étiquette, et vous a assimilé l’un à l’autre voire confondu l’un et l’autre. N’as-tu pas saturé ? Ne t’es-tu jamais dit qu’il était inutile de répondre à des questions dont sont souvent ressortis des clichés ?

L : Je regrette d’avoir un jour accepté de faire des interviews. [Rires] Mais sans aller jusque-là, on a souvent été confondus l’un avec l’autre. C’était assez intéressant et même troublant de voir comment les gens projetaient sur moi une image qui correspondait plus à celle de Hyacinthe, et voyaient chez lui quelque chose qui me correspondait plus, dans ce que je suis tous les jours. Bien sûr pour les questions il y a parfois des clichés… Après je ne sais pas, si c’est récurrent il faut aussi savoir se remettre en question. Il y a peut-être quelque chose que tu fais, qui fait que tu es catalogué. J’ai appris à l’accepter.

A : Lorsque tu es passé dans l’émission de l’Abcdr, la question t’avait été posée de savoir si faire de la pop music t’intéressait, et tu y avais répondu par l’affirmative. Penses-tu avoir trouvé ce son pop sur cet album ?

L : Non, je pense que je n’y suis pas encore. Mais je ne cherche pas en particulier à être pop, et là a priori je commence à savoir la direction que prendra la suite, et ce n’est pas quelque chose vers quoi je vais aller de manière systématique. Il faut que ce soit une facette, qu’il faut savoir maîtriser sur un ou deux morceaux, mais ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse en tant que but absolu. J’espère que mes prochaines propositions musicales seront plus variées, j’essaie de gagner en variété.

« Il y a une narration qui fait suite à N.D.M.A, et emmène les gens qui m’écoutent un peu plus loin dans mes explorations musicales et intérieures. »

A : Cet album offre déjà davantage de diversité musicale que ce que tu faisais avant. Est-ce dû à une liberté plus grande, un lâcher-prise peut-être, ou est-ce plutôt le fruit d’un travail rigoureux en ce sens ? 

L : D’abord, c’est inhérent au choix des prods. Je me sens à l’aise sur à peu près tout et n’importe quoi. Mais après, il y a une difficulté et c’est je pense la grande réussite de cet album : c’est très varié mais très cohérent en même temps. Le nombre de morceaux est assez réduit, et malgré la diversité, malgré les différentes directions que prennent les morceaux, il y a une unité, c’est lié. J’ai l’impression de raconter une histoire, du début à la fin il y a vraiment une continuité. Les morceaux s’enchaînent dans un ordre précis, réfléchi. De l’intro sur la prod de Krampf à l’outro sur la prod de Shkyd, il y a une narration qui fait suite à N.D.M.A, répond à N.D.M.A, et emmène les gens qui m’écoutent un peu plus loin dans mes explorations musicales et intérieures.

A : Tu tweetais beaucoup avant, aujourd’hui c’est moins vrai, mais il y a toujours une certaine poésie dans ce que tu postes sur ce réseau. Orelsan expliquait un jour que Twitter nuisait à sa créativité, était dangereux, partages-tu ce sentiment ? 

L : En fait si je tweete moins, c’est que je n’ai pas envie de faire fuiter la moitié de mon prochain album. Mais très au contraire, Twitter ne nuit pas à ma créativité, ça la nourrit. Il y a ce truc inhérent à Twitter, il faut être succinct, dire des choses très fortes et articuler des idées en très peu de mots. Forcément ça me parle par rapport à mon travail d’écriture, et souvent je teste des idées, des phrases, en amont. Avant que ce soit enregistré, je vais lâcher un truc, si je vois deux cents retweets, je vais me dire qu’il y a un truc, que ça parle à des gens, juste à partir de trois mots. J’aime bien, c’est proche du haïku, de la poésie, je trouve ça fantastique. Mais c’est vrai que dernièrement, j’ai moins tweeté de phrases, parce qu’il y a trop de fois où tu te dis que tu vas te la faire piquer. Ça m’est arrivé de me dire que j’avais donné des trucs un peu à blanc.

A : Le côté punchline qu’impose la forme du tweet ne se retrouve pas vraiment dans ton écriture musicale en revanche. Il est difficile d’extraire des phases de tes morceaux, comme si les phrases était trop liées entre elles pour ça, sans qu’il y ait cette chute de la punchline.

L : J’essaie de ne pas avoir une écriture qui repose sur des automatismes comme : un peu de technique là, des assonances ici, ailleurs une petite punchline… Tu l’entends chez les rappeurs au bout d’un moment. Tu dis « là il fait du remplissage », « là il fait un peu de double time », « là il met une punchline .» Il y a un côté un peu systématique, et j’essaie de développer plus une intention et un univers. Après je pense qu’il y a des punchlines dans ce que j’écris, mais pas au sens où les gens l’entendent. Ça peut être un truc un peu poétique, un truc qui te fait rire. Aujourd’hui, des mecs utilisent le même mot qui a deux sens différents et on réagit genre « wow c’est ouf ! » Il faut sortir de ça…

A : D’autres formes d’écritures que celle du rap t’intéresseraient ?

L : Ah oui bien sûr ! Mais je pense que ça viendra plus tard, je ne sais pas encore sous quelle forme. Je n’ai pas pour le moment la volonté de faire un livre ou quoi. J’aurais envie de le faire mais je n’ai pas suffisamment de volonté pour m’atteler à cette tâche-là. Je me dis quand je serai plus vieux, quand il y aura moins de conneries m’attirant à l’extérieur, peut-être que je me lancerai là-dedans. Mais dans la musique, j’ai le sentiment que l’on peut explorer encore plein de choses, surtout dans le rap, qui est aujourd’hui devenu global.

Tout me fait rire, côté visuels

Affirmant que la construction de son premier album est pleinement réfléchie, et qu’il s’y écrit une histoire, L.O.A.S fait preuve d’un certain attachement à la forme fictionnelle. Aussi serait-il absurde d’ignorer l’importance qu’accorde aux visuels cet ancien étudiant en cinéma. Impliqué dans l’élaboration de ses clips comme de la cover de Tout me fait rire, le rappeur s’est entouré de quelques pointures, parmi lesquels l’omniprésent photographe Fifou, et les plus discrets réalisateurs Frédéric Colin et Nicolas Capus (ancien membre de Tous des K) qui ont évoqué pour l’Abcdr leur travail avec L.O.A.S.


« Flingue en Porcelaine »

Nicolas Capus, réalisateur : Pour « Flingue en porcelaine », au départ j’avais écrit quelque chose de très ambitieux. Il a fallu faire plus simple, et on est partis en mode documentaire sur cette idée de manufacture. On retrace une histoire d’amour, qui commence, se développe, se consume et est détruite. C’est une vision assez machiste des choses, ce sont des poupées faites pour baiser, de la viande sous plastique. Et filmer ça de la sorte, c’était jouer sur un contrepoint, puisqu’il parle d’amour. Un amour triste. Il y a aussi cet appareil photo qui renvoie aux filles se prenant tout le temps en photo pour Instagram. Bien évidemment il y a également l’idée de création, puisqu’on a filmé des vraies mains d’artisans, en voulant montrer la beauté de leurs gestes, leur sensualité par le toucher et la matière. Il y a une réflexion sur les étapes de la matière, on montre quelque chose qui se fabrique, qui au départ est liquide et devient vivant petit à petit. Par moment c’est troublant, par l’utilisation des gros plans en macro.

L.O.A.S a quelque chose de très différent des autres rappeurs : une très grande culture littéraire, picturale, et cinématographique. On a les mêmes influences, Kubrick, le cinéma japonais, le cinéma russe des années 1920. Dans le rap c’est très rare de pouvoir faire des références à Kubrick, à Godard ou à des films comme Tetsuo. Son ouverture d’esprit est très grande, et si une idée lui plaît il est capable de faire n’importe quoi !


La Pochette

Fifou, photographe et graphiste : L.O.A.S et Hyacinthe enregistraient dans un petit studio en bas d’un open space où je bossais aussi. Eux, ils ne passent pas inaperçus, et ils m’intriguaient donc j’ai commencé à parler avec eux et ils m’ont montré ce qu’ils faisaient, j’ai kiffé de fou ! J’ai aimé leur liberté artistique, ils sortent quand même un peu du lot. Ça a matché, surtout avec Loïs, parce qu’il avait balancé un clip en 3D qui m’avait mis une claque. Je lui ai dit « putain mec si t’es aussi fou que ça, je suis prêt à te suivre et à faire un shoot ensemble ! » Il fait partie des artistes qui savent où ils veulent aller. Il m’a fait écouter l’album, je suis entré un peu dans l’univers et on a monté une sorte de mood-board, avec des références visuelles, surtout photographiques. Lui se voyait déjà en plan américain et en train de sourire, mais on ne savait pas trop si on partait sur un truc trash ou pas.

L.O.A.S :  Je suis extrêmement content de la cover, et d’avoir pu travailler avec Fifou que j’avais rencontré il y a deux ans un peu par hasard et qui connaissait ce que je faisais. Il m’a dit : « Trop cool ! T’as une tête, t’as un look un peu particulier dans ce paysage rap, c’est génial, un jour il faut qu’on fasse un truc ensemble ! » Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd et je l’ai relancé pour cette cover. J’en suis hyper content parce qu’elle dit plein de choses, à différents niveaux. Elle dit des choses à un niveau personnel, par rapport à des trucs de ma vie ; elle dit des choses à un niveau musical quant à l’intention que j’ai mis dans cet album ; et elle dit quelque chose au niveau collectif que ce soit par rapport aux attentats, aux manifestations ou à quoi que ce soit. Des gens sont venus me dire : « On est là, à Paris, on serre les dents et on garde le sourire, et cette cover me fait penser à ce que je vis en ce moment. » C’est pour tout ça que j’en suis très content. Puis elle illustre bien l’album, il y a une belle image, un sourire, un truc un peu pop, mais en même temps il reste quand même toujours cette blessure qui est là, un peu obscène et exagérée.

Fifou : Ça a vraiment été une coréalisation, c’est plutôt de lui que vient l’idée, et moi j’ai apporté l’univers visuel. Je voyais un truc presque kitsch, comme les photos universitaires américaines : sourire un peu forcé, fond coloré, quelque chose de très doux en termes de lumière, même si le message reste super sombre. On ne voulait pas avoir une imagerie trop connoté rap. Si je travaille avec lui c’est dans l’idée de faire quelque chose de différent de ce que je fais d’habitude. On vouait un truc assez pop, assez flashy, pour être raccord avec le titre. Ma référence pour Tout me fait rire ça a été Takeshi Kitano et l’image culte de Sonatine, mélodie mortelle. L‘œil troué apportant ce côté trash, c’est une punchline visuelle.


« VLV »

Frédéric Colin, réalisateur : L.O.A.S savait que je faisais pas mal de 3D et lui voulait un truc un peu digital, donc on est partis là-dessus, avec une idée de base qu’on a réajustée ensuite. Moi, je n’avais jamais fait de clip de rap, et je trouvais intéressant de mélanger un univers 3D et du rap, une chose que je n’avais pas vraiment vue. On a mis un peu de temps à préparer le clip. L’écriture a pris un mois, j’ai écrit une quinzaine de scènes liées à la 3D dont sept ou huit ont été choisies. Après en prod, le temps de mettre tout en place, de faire des tests, de tourner, on a mis quatre mois. Le résultat donne une image assez différente, on s’est dit qu’il fallait vraiment prendre le temps, surtout que nous travaillions chacun en parallèle sur nos autres projets respectifs. On ne s’est pas dit qu’on allait faire ce clip en un mois pour le boucler et le bâcler ! Pour mettre en place le clip, on a parlé d’une globalité, de l’histoire de la chanson, qui était basée sur le monde en général : la médiatisation, le fait d’être perdu dans le digital, la multitude d’informations qui nous arrivent de partout. On voulait faire naître un personnage lambda en lowpoly, comme un enfant né dans un logiciel 3D et qui vit dans le digital à cent pourcent. On voulait aussi montrer quelqu’un de perdu, dans l’espace, dans un monde linéaire. Et enfin on a mis des idées sur la mondialisation, tout en restant légers, sans sortir de l’artistique pour dénoncer quoi que ce soit.

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