Chronique

Snoop Dogg
Ego Trippin

Doggystyle/Geffen - 2008

Snoop Dogg traverse le rap comme si le rap n’existait pas. Balançant son grand corps maigre sur tous les rythmes depuis plus de 15 ans, ce chien fou semble toujours à l’aise en toute situation, évoluant avec son temps, toujours omniprésent, actuel et moderne, se payant même le luxe d’avoir souvent plusieurs coups d’avance sur ses contemporains. Toujours bien entouré depuis ses débuts, passant du crapuleux Suge Knight au (un peu moins) crapuleux Master P, produit par la crème du genre, le Docteur en tête, son statut de légende ne s’érode pas au fil des années. Enchaînant les albums souvent inégaux et les singles souvent réussis, Snoop est une personne publique, star de show télé débile ou générationnel, égérie d’un style de vie, une attitude californienne puis américaine dans son ensemble et même mondiale, quelque peu enfummée, irrévérencieuse et cabocharde. Digne héritié de Slick Rick, Snoop Dogg est tout simplement une des personnalités les plus importantes du Hip Hop contemporain. Et à l’écoute de Ego Trippin’, son neuvième album, on se dit que ce n’est pas près de changer.

Un album de Snoop est toujours aussi excitant que déroutant. Dépassant le plus souvent les dix-huit titres, on frôle régulièrement l’indigestion, évitée de justesse par des mets de gourmets disséminés entre quelques plats du jour un peu lourds. En fait, une fois mis son tablier, le chef Snoop bouffe un peu à tous les râteliers. Plutôt une bonne chose vu qu’il s’adapte le plus souvent très bien à des styles vraiment différents. Ego Trippin’ ne déroge pas à la règle, il en est même un produit complet. Oscillant entre Pop, Rythm’n’Blues, Hyphy, Electro Funk et même Country, ce nouvel opus dérive dans le sens du vent que souffle Snoop de ses poumons embrumés. Ce qui sauve véritablement Snoop de l’opportunisme et de la soupe bon marché, c’est qu’il a extrêmement bon goût. Sa direction est claire et cohérente même si faite de nombreux zig zag.

Pourtant la chose n’était pas aisée, Snoop ayant annoncé qu’il y aurait peu de featurings mais qu’il n’écrirait aucun morceau, qu’il se placerait en grande partie en interprète. Il choisit donc de s’allier à deux personnalités exceptionnelles, sorties un peu des bas fonds de la très bonne musique : Dj Quik et Teddy Riley. Le premier, légende de la G-funk et du Rap Californien et le second, inventeur de la New Jack et producteur du Michael Jackson de ‘Dangerous’. A eux trois, ils forment le super groupe QDT à l’avenir radieux. Entre la démarche de Quincy Jones et celle de Dr.Dre, le crew apporte une touche atypique, mélange de funk 80’s, de Rythm’n’Blues et des saveurs de l’Ouest américain remises au goût du jour. En ajoutant à cette équipe Terrace Martin (derrière le nom Niggaraci avec Snoop), on obtient la colonne vertébrale de ce Ego trippin’ à la musicalité exacerbée.

Et dès le commencement, on sent que la recette prend. Dj Quik aux manettes de ce ‘Press Play’, emprunté aux Isley Brothers, sort le grand jeu avec une instrumentation cuivres du plus belle effet, de guitare électrique fondue dans la basse et de choeurs adéquats pour un rendu vraiment impressionnant. Présenté par Kurupt qui prépare un album entièrement produit par Quik, ce joyau d’instrumentation est maitrisé de bout en bout par un Snoop à l’aise qui nous embarque facilement. Comme le ‘Think about it’ du précédent album, l’entrée d’Ego Trippin’ est parfaite pour nous mettre sur les rails. Vient ensuite la symphonie Riley. Dépouillée, exacte, aux sonorités adaptées, renouvelées, la version 2008 de Teddy Riley est vraiment intéressante. Entre Pop assumée, retour de Talk Box/Autotune à sa place de reine, reprise visionnaire et stricte application de la ballade, ‘SD is out’, ‘Gangsta like me’, ‘Cool’, ‘Let it out’ et ‘Can’t say good bye’ forge un son nouveau pour Snoop qui se promène entre ces caisses claires avec beaucoup de respiration et de nonchalance comme à son habitude. Et le top est atteint lorsque Dj Quik et Teddy Riley unissent leurs egos pour les faire tripper d’une très belle façon sur le sensuel ‘Those Gurlz’, point d’orgue du son vintage à la rencontre de l’univers tapageur du funk 80’s et des boucles souls langoureuses des 70’s. Rarement un album de Snoop n’a été aussi bien produit depuis la première consultation du Docteur.

Mais à travers tout ce florilège original et rondement mené, ce sont les prods de Snoop lui même, caché derrière le pseudo Niggaracci qui forment parmi les tracks les plus consistants. ‘Neva Have 2 Worry’ est peut être un de ses meilleurs textes, sorte de rétrospective susurée, de rédemption calme, au bord de la rupture. Et Been Around The World’, aux influences 80’s comme la majorité de l’album, est moins racé que Teddy Riley mais peut être plus à même de mettre le texte de Snoop en avant, sa façon de rimer et de jouer avec le rythme. Les talents de Snoop ne sont forcément pas à comparer avec ceux de Quik ou Teddy Riley mais ils ont moins le mérite de se tenir face à une armada sérieusement armée. C’est peut être cela qui les rends plus forts et intenses dans l’ensemble. Plus de morceaux de cet acabit auraient évité quelques casseroles.

Parce que bien sûr, il y en a. Un sirupeux Raphael Saadiq, plutôt mou et inconsistant, une fin d’album peu convaincante, quelques morceaux dispensables, Ego Trippin’ rate encore la marche des grands albums pour des longueurs, des incohérences de parcours. L’apparition systématique d’Akon a, par contre, été évitée, ce qui est vraiment appréciable. Le premier tiers de l’album est une vraie réussite, y compris la rencontre jouissive avec le Pimp numero uno Too $hort et la relève de la Bay, Mistah F.A.B qui s’amusent pleinement malgré une production un peu poussive. La formule fonctionne aussi sur ‘Deez Hollywood Nights’, les basses enveloppantes et le refrain entêtant de Nottz, toujours aussi constant. La réussite est encore de mise, même si peut être plus camouflée, sur ‘Sets Up’, le seul titre produit par les Neptunes, pépite rugueuse et sans fioriture, rappelant l’ambiance que ceux ci réservaient habituellement à the Clipse. Le reste sent un peu le remplissage peu fameux. Rick Rock est bien sûr en grande forme sur ‘Staxxx in my Jeans’, ciselant un nouveau diamant d’énergie brute mais sa place aurait plus été sur un nouvel album de The Federation qu’au milieu de cet étalement Electrosoulfunk. L’ovni Country avec Everlast est plutôt bien senti mais n’est d’aucun secours à cette partie plus faible de l’album. Frequency et Polow Da Don n’apportent pas grand chose de plus et Khao, le protégé de T.I., accouche d’un morceau qu’on croirait tout droit sorti d’un album du Flipmode Squad en 1998. Aucun de ces morceaux n’est réellement mauvais mais ils alourdissent le tout, rendant les légèretés de Teddy Riley, l’ubiquité de Snoop et les prouesses de Dj Quik moins digestes.

Mais là où l’album est imparable, c’est qu’il joue vraiment le jeu de l’Ego Trip à fond. Snoop Dogg s’amuse comme un petit fou entre rap mielleux, ballade sensuelles, hits de la rue et délires personnels. Il laisse un champ assez large à son interprétation poussant souvant la chansonnette avec un certain panache et un plaisir non dissimulé. Point d’orgue de cette réussite, l’étonnant ‘Sexual Eruption’, hit non (voire anti)-rap par excellence, hommage vibrant mais très détaché à Rick James ou Roger Troutman, accompagné du clip culte par excellence. Shawty Redd réinvente un genre et Snoop le parfait de sa voix autotunée. Toute la féminité du monde le réclame. On retrouve cette même passion non dissimulée, pleine d’autodérision dans la reprise de ‘Cool’ des Time, version Teddy Riley, explosions de couleur très ‘purple rain 2008’.

En laissant ainsi part à sa créativité la plus débridée, sans aucune barrières, de Johnny Cash à Prince, Snoop Dogg ne réalise pas son album le plus abouti mais peut être le plus personnel, le plus à même de représenter réellement qui est Snoop Dogg. Un homme qui a mûri, traversé des générations musicales et sociales avec toute son ambigüité mais qui ne se sent pas prêt à quitter la rue, son style de vie, là d’où il vient, comme il l’explique de façon très sincère dans le point final de son Ego Trippin’ : ‘Can’t Say Good Bye’.

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