Interview

Sean C & LV, les nouveaux hitmen

Fort d’un passif bien chargé, le duo Sean C & LV – plus connu en tant que Grind Music – figure aujourd’hui parmi le gotha des producteurs recherchés. 2009 aura été une année faste pour le duo, avec quelques clients de premier choix tels que Fabolous, The Clipse ou Ghostface Killah. Une raison supplémentaire pour passer un moment avec eux à Brooklyn, dans leur studio d’enregistrement.

Abcdr du Son : Pouvez-vous présenter Grind Music ? 

Sean C : Je suis un des membres de l’équipe originelle des X-Men. J’ai été directeur artistique sur un paquet d’albums de Loud et producteur sur pas mal d’albums.

L.V. : Moi c’est L.V. A.K.A L Vizual. J’ai été DJ pour Big Pun. C’était une expérience mortelle. J’ai pu partir en tournée pour la première fois de ma vie avec lui, et j’ai beaucoup appris comme ça, en enchainant les dates. J’étais toujours en studio à l’époque de « Yeah baby ». Je suis également producteur.

A : Comment est né Grind Music ?

SC : On a grandi dans le même quartier avec L.V., on a beaucoup de très bons amis en commun et on se connaît depuis un moment. Quand j’étais directeur artistique, L.V. était DJ. Je m’occupais de Big Pun et quand à un moment Pun a cherché un DJ j’ai passé un coup de fil à L.V. et il est devenu son DJ. A partir de là, on a commencé à bosser étroitement ensemble.

L.V. : On venait de signer Aasim sur Bad Boy et on bossait son album quand à un moment on s’est dit : « Allez, on monte un truc« . Grind Music est né comme ça.

A : Dis-moi si je raconte une connerie mais vous faites aussi partie de l’équipe de Puff Daddy, les Hitmen ?

SC : Oui, quand on bosse pour Puffy, on le fait sous le nom de The Hitmen. Quand on fait notre propre truc, on le fait en tant que Grind Music.

A : Quand et comment avez-vous rencontré Diddy ?

L.V. : Puffy je l’ai rencontré il y a des années de ça, quand j’étais beaucoup plus jeune. Mais on s’est vraiment revus en 2003-2004 en bossant avec Aasim.

A : Bosser avec Diddy ça donne quoi ?

L.V. : C’est une expérience vraiment intéressante, on se rend alors compte combien il peut scruter tout dans le détail. Il est au taquet sur tout, à te dire des trucs du genre « Il faut que tu ajoutes cet instrument, quelques notes supplémentaires là, étoffe un peu plus le truc. » Il ne s’arrête que lorsque le disque est dans les bacs. Tu peux te retrouver à réenregistrer l’album le jour du mastering si tout n’est pas parfait. Et tu as intérêt à avoir exploité et même essayé d’aller au bout de toutes tes idées.

A : Quelle influence peut avoir Puffy sur votre travail ? 

L.V. : On peut faire un truc et il va débarquer pour nous dire « Ce serait mieux si vous ajoutiez ci et ça« . Il va apporter ses idées.

A : Tu dirais que bosser avec lui ça vous a permis d’améliorer votre style de production ?

S : Je pense qu’on s’entraide et que chacun apprend de l’autre.

A : Quelle a été la première prod’ que vous avez sorti vraiment tous les deux avec L.V. ?

S : Wouah ! [il se marre] Ca je ne peux pas te dire, je ne m’en rappelle pas. Je me souviens par contre de nos débuts. Au départ, chacun bossait ses beats de son côté et on se retrouvait au studio pour écouter le taf’ de l’autre. On a deux lecteurs au studio, alors chacun préparait ses morceaux et on balançait les deux en même temps pour que nos productions se mélangent. A partir de là, je pouvais ajouter un sample, il pouvait revoir le kit de batterie et inversement.

L.V. : On bosse de façon très spontanée. On ne fonctionne pas en disant « toi tu vas faire ça, et moi ça ! » Non, notre collaboration elle se fait de façon extrêmement naturelle.

A : Tu te souviens du premier beat que vous avez vendu en tant que Grind Music ?

S : Putain, c’était quoi déjà ? Bonne question. Je ne suis jamais vraiment posé la question. Il se peut que ce soit « Laugh now cry later », qu’on avait vendu à Ice Cube en 2006.

A : C’est à ce moment là que vous avez décidé de vendre vos beats ensemble ?

S : On vendait toujours nos beats ensemble mais ils étaient crédités de la façon suivante « produit par Sean C ou produit par L.V. pour Grind Music » et non « produit par Sean C. et L.V. pour Grind Music. » « American Gangster » c’est le premier projet sur lequel les gens ont juste vu Grind Music.

A : Vous avez tous les deux un background de DJ, dans quelle mesure être DJ ça a une importance quand on produit ?

L.V. : Pour moi c’est essentiel, ça te permet de savoir où tu vas aller. Parfois en tant que DJ tu veux faire danser les gens alors quand tu es producteur tu vas te dire « ok, je vais mettre ça à ce moment là. »

S : C’est une forme de progression assez naturelle. De mon côté ça s’est passé de la façon suivante : j’avais des platines donc je devais être DJ et la prochaine étape c’était de faire mes propres beats. Quand t’es DJ, tu scratches, tu fais des cuts, et après t’as envie d’ajouter et placer tes rythmiques pour faire tes propres morceaux. Je pense que je ne me suis jamais vraiment posé la question à vrai dire.

A : Vous bossez à partir de samples. Est-ce qu’il y a des genres particuliers dans lesquels vous aimez particulièrement piocher vos samples ?

L.V. : Tout ce qui est mortel ! On n’a pas vraiment de genres favoris. Ca peut être de la musique française, espagnole, des bandes originales de films, du jazz, du rock, peu importe. Si ça nous plait, on va le sampler.

A : Est-ce que vous prenez le temps de trouver vos propres samples ou vous avez une équipe qui le fait pour vous ?

S : Non, on fait tout par nous-mêmes.

A : Que pensez-vous des producteurs qui font appel à des tiers pour leur trouver des samples ?

S : Peu importe, si ceux qui bossent comme ça aiment ce mode de fonctionnement qu’ils continuent. Les gens ont tendance à trop réfléchir sur certains trucs. Les choses ne sont pas si sérieuses. Tu as la chance de gagner de l’argent en faisant de la musique, en faisant quelque chose que tu aimes vraiment, peu importe la façon dont tu le fais. Tu dois remplir ton frigo pour toi et ta famille. Alors on s’en fout des leçons du genre « il ne faut pas faire les choses comme ça ! »

L.V. : Je pense exactement la même chose des mecs qui samplent des MP3. Tu as trouvé ton sample, l’essentiel ça reste ce que tu vas en faire. On s’en fout que tu fasses ça avec un MP3.

« Notre son c’est une espèce de jungle qui s’agite !  »

L.V.

A : Vous bossez avec quoi ? 

S : En dehors de nos lecteurs, on utilise beaucoup de claviers. On bosse à partir de samples mais on fait aussi souvent appel à des musiciens pour avoir des parties jouées en plus de la partie samplée. Parfois, on a l’impression qu’il s’agit de samples alors que ça n’est pas le cas. On bosse à partir de samples le plus souvent mais on a aussi fait des morceaux entièrement joués.

A : Vous avez touché un peu aux programmes de composition musicale type Fruity Loops ?

S : Pas vraiment non, j’avais bien essayé une fois mais bon…. je n’ai rien contre mais j’aime vraiment jouer avec les pads de la MPC. Comme ça ! [NDLR : Il tape sur un des pads de la MPC et joue du coup une boucle]

A : C’est difficile aujourd’hui pour les producteurs qui bossent à partir de samples de placer des beats ?

S : Quand on nous sollicite, la plupart du temps c’est pour un certain type de son. Alors sample ou pas, à vrai dire peu importe, tant que ça sonne bien. Certains ne veulent pas du tout de samples mais quand on nous sollicite, généralement les gens savent comment on bosse. Je pense que les gens ne veulent pas dépenser de l’argent à déclarer des samples parce qu’ils ont un petit budget. Mais si tu regardes un album comme « The Blueprint 3 » de Jay-Z, la plupart des morceaux dessus ils comportent des samples.

A : Tu disais que les gens viennent vous solliciter mais vous vendez toujours vos beats ?

L.V. : Oui, on continue à le faire ! On ne s’appelle pas Timbaland ! [rires]

A : Vous avez du mal à vendre vos beats ?

S : Pas vraiment. On dit aux bonnes personnes qu’on voudrait être sur tel ou tel album et on leur envoie des beats. Certains nous connaissent, connaissent notre musique. On a beaucoup bossé là-dessus l’année dernière. On veut que les gens sachent qui on est et ce qu’on a fait.

A : L’album « American Gangster » c’est le projet qui vous a vraiment fait connaitre ?

L.V. : Ouais, clairement ! On est passé de « Grind Music, c’est vous ? Ok, ok... » à « Grind Music, c’est vous ! Mortel ! » [rires]

A : Est-ce qu’il y a un son propre à Grind Music ? Comment est-ce que vous le décririez ?

S : Je pense que oui…

L.V. : Oui, mais… putain ! Comment est notre son ? C’est une espèce de jungle qui s’agite ! Il y a un putain d’esprit soul, tout en étant putain de crade. C’est un peu de tout. Je pense qu’il n’existe pas de mot précis pour décrire notre musique.

S : Je pense que notre son est chaud et la plupart du temps avec des grosses rythmiques. C’est très important pour nous ça.

A : Quel processus créatif vous suivez pour faire vos beats ?

S : On ne suit pas une méthode unique, on a plutôt un paquet d’approches différentes.

L.V. : Ouais, ça change constamment. Parfois on part avec un sample et on construit à partir de ça. Parfois, c’est un des musiciens qui joue un truc qui défonce et on part de ça pour composer quelque chose.

A : Vous travaillez depuis longtemps avec des musiciens, à incorporer des parties jouées dans vos morceaux ou c’est venu assez tard ?

S : La basse ou la guitare sont des éléments qu’on a toujours préféré jouer, par contre pour ce qui est des cuivres ou des trucs comme ça, on a commencé à le faire avec American Gangster.

L.V. : Ca c’est fait comme ça parce que le budget suivait et on a commencé à construire une vraie relation avec le groupe de musiciens qui était là. Aujourd’hui quand on a besoin d’eux, on peut les appeler et ils viennent au studio pour poser quelque chose.

A : Comment ça c’est présenté cette affaire d’American Gangster ? Je sais que Sean avait produit un morceau de Reasonable Doubt, donc ça c’est présenté grâce aux liens que tu pouvais avoir avec Jay ?

S : C’est grâce à Puffy que ce truc là c’est présenté. Il nous a appelés après avoir eu Jay. Jay avait demandé à Puffy de l’aider pour son nouvel album alors que personne n’était au courant. Il nous a appelés dans la foulée en nous disant que c’était absolument top secret…. et voilà !

A : Vous aviez pu voir le film avant de bosser les beats de l’album ?

L.V. : Ouais, en fait on avait préparé quelques beats avant de voir le film. Une fois qu’on l’a vu, on est retourné en studio et on a fait un paquet d’autres, inspirés par l’ambiance du film.

S : En fait c’est pour ça qu’on retrouve des extraits du film dans certains morceaux comme ‘No Hooks’. Ils nous ont filé des extraits et on a samplé certaines phrases de Denzel Washington et on les placées ici et là.

A : Un de des derniers morceaux que vous avez produit se retrouve sur le dernier Ghostface : « Ghostdini : The Wizard of Poetry in Emerald City. » Vous saviez qu’il voulait sortir un album de R&B ou vous lui avez juste proposé des beats que vous aviez sous la main ?

S : En fait certaines prods étaient déjà prêtes, et on en a fait d’autres spécialement pour lui. Il nous a pris pas mal de beats à l’époque de The Big Doe Rehab. Son idée c’était de les mettre de côté pour son prochain album.

A : Vous êtes aussi sur l’album de Fabolous avec ‘Loso’s Way’. Vous connaissez la direction artistique de l’album quand vous avez commencé à produire des titres ?

L.W.: A vrai dire c’est un peu différent vu qu’au départ ce morceau c’était un sample. On a décidé de le changer pour créer une histoire et lui donner un côté un peu dramatique.

A : Vous avez aussi produits ‘Welcome to my workplace’ et ‘Chitty Chitty Bang Bang’. Comment ça se fait que ces morceaux ne se sont pas retrouvés sur l’album ? C’était à cause de problèmes de samples ?

S : Non, il a fait ce qu’il voulait de ces morceaux. Ces deux titres ont été utilisés exactement comme ils avaient été conçus.

A : Vous avez deux morceaux sur le dernier album de Clipse. Comment vos morceaux ont atterri là-bas ?

S : Ils nous ont appelés, tout simplement. On s’est rencontrés et ça c’est bien passé.

L.V. : Pusha est arrivé en premier au studio et on s’est posés là-bas pendant deux heures à écouter des prods.

S : Ils nous ont pris pas mal de beats. Ils en ont déjà utilisé certains. Certains autres ils ont prévu de les placer plus tard.

A : Apparemment vous bossez sur un album, vous pouvez nous en dire plus ?

S : On en est à peu près à la moitié et on a de vrais gars dessus.

L.V.: Fabolous, Jazmine Sullivan, Busta Rhymes, Nas, Ghostface, Clipse, Devin the Dude & Asher Roth, Black Thought…

A : Comment est-ce que vous avez choisi les MCs qui vont figurer sur cet album ?

L.V. : Parfois on faisait des beats en se disant « ah ça plairait à Busta ça ! ». Et on essayait de voir après si Busta était dispo et intéressé.

A : Est-ce qu’il y a un vrai concept d’album ou c’est juste un album de producteurs qui ramènent leurs potes ?

S : Non, on est encore en train de poser le concept de base. On a prévu d’avoir des parties purement instrumentales dessus, avec des vidéos expliquant l’histoire de l’album. Tu verras que tout sera lié et cohérent. C’est difficile d’expliquer le concept mais ça va te plaire et tu comprendras ce qu’on veut dire. En ce moment on travaille beaucoup à son unité.

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